Siwon n'était pas là. Une nouvelle un peu triste, parce que Minhyuk aurait bien apprécié l'idée d'un repas tous frais payés. Mais ce n'était pas bien grave : il pouvait parfaitement se faire à manger au dortoir, comme un grand. D'ailleurs, il ne tarda pas à rejoindre la cuisine où il se prépara une vulgaire salade, ennuyeuse à souhait, avant d'aller se poser au salon, devant la télévision. Il y croisa le chemin d'Eden, qui lui arracha un sourire. « Tes colocs sont encore occupés ? » Les dortoirs étaient un endroit relativement intime, et il n'était pas inconnu que certains des locataires étaient plutôt... Bruyants. Il n'était pas dupe, et ceux qui colportaient de vilaines rumeurs non plus. D'ailleurs, il faisait bien trop souvent partie de ceux qui s'amusaient à les colporter. C'était si amusant ! Voir la façon dont une rumeur passait d'une bouche à l'autre, dont elle se répandait comme une trainée de poudre... Un petit rire lui échappa. « Tu veux de la salade, il m'en reste un peu. » Et un petit sourire de paraître à ses lèvres, alors qu'il grignotait une nouvelle feuille de laitue croquante et rafraîchissante. Il aurait tué pour un barbecue... « Sinon j'ai des jeux de société, si tu veux t'occuper en attendant qu'ils finissent... » Il était un ami serviable, si gentil… Enfin, quand ça l’arrangeait.

Eden voulait être tolérant : c'était une valeur qu'il prônait sans mentir. Mais on ne lui rendait pas forcément la vie facile - après tout, était-ce trop demander de vouloir rentrer chez soi sans se trouver, devant la porte, à pouvoir entendre les ébats de ses colocataires ? Il avait soupiré. Un peu de décence ne leur ferait pas de mal. S'ils souhaitaient se compromettre, il n'avait aucune leçon à leur donner, seulement, il estimait qu'ils auraient pu trouver un endroit qui n'était qu'à eux...très loin de ses oreilles. Agacé, il abandonna l'idée de poser ses affaires et se pressa jusqu'au salon où, il l'espérait, il n'aurait plus à être témoin de telles choses. Et c'est là-bas qu'il croisa Minhyuk.

À sa question, il hocha la tête, la mine dépitée. Il aurait largement préféré l'avoir lui, en camarade de chambre, mais le destin en avait décidé autrement.

"Yup. On penserait qu'ils comprendraient que ça gêne et qu'ils prendraient un hôtel, mais non."

Ou trouveraient une chambre non attribuée - peu lui importait, tant que toutes ces histoires se déroulaient loin de ses oreilles. Ce n'était pas bon, pour ce qu'il avait.

"De la salade ? Non, merci, j'ai déjà mangé. Mais c'est gentil." À ces mots, Eden retrouva le sourire qu'on lui avait retiré quelques minutes plus tôt. "Ah ça, je veux bien, par contre ! Parce que j'sais pas pour combien de temps ils en ont - en fait non, je ne veux pas savoir."

Il grimaça. Un dortoir universitaire, ce n'était peut-être pas fait pour un garçon comme lui, mais puisqu'il refusait de retourner chez sa tante...autant s'occuper, dans ce genre d'instants.

Minhyuk était cet ami sympathique qui vous accueillait avec un poignard caché dans la ceinture. Alors certes, il ne l’utilisait pas contre tout le monde, et seulement lorsque c’était nécessaire, mais il était bon de le savoir, quand on le connaissait. En l’occurrence, il n’en voulait ni à l’argent d’Eden, ni à sa personnalité, ce qui rendait la cohabitation plus aisée, forcément. Un ricanement lui échappa. « Ce n’est pas donné à tout le monde d’avoir un peu de bon sens. » Mais dans le fond, ça ne le dérangeait pas tant. Cela lui permettait d’avoir un peu de compagnie. Mordillant toujours sa salade, il s’installa confortablement avant de lui en proposer. « Ouais, une salade triste comme un jour de pluie… J’ai oublié d’aller faire des courses. » Oublié, oui. Pauvre petit malheureux qu’il était. Volontairement omis aurait été un terme plus exact. Il fallait bien coller avec le personnage qu’il s’était inventé au fil des années. « Hm… J’sais pas trop ce qu’on a comme jeux au dortoir mais on doit avoir de quoi faire… Je doute qu’ils y passent la nuit ? » Un rire lui échappa alors qu’il continuait sa salade, la terminant tranquillement avant d’aller déposer son bol dans l’évier. « Sinon t’as déjà pensé à demander à changer de dortoir ? Fin ça doit être vraiment chiant… » Il n’aurait lui-même pas supporté d’avoir des sacs d’hormones sur les bras, alors ce genre de choses l’aurait profondément agacé… Enfin, au moins, il était tranquille pour l’instant.

Il était plaisant de voir que son avis était partagé, quand à l'indiscrétion de ses colocataires. Eden savait qu'il avait souvent des points de vues jugés trop rébarbatifs par le reste de sa génération, bien moins souple qu'il ne l'avait été - mais dans cette situation précise, il estimait avoir tout à fait le droit d'être irrité. Il hausse les épaules, secoua la tête.

"Visiblement...je vais les attacher chacun à leur lit, un de ces quatre. Et comme ça, j'aurai la paix."

Oh, ça ne lui ressemblait pas que d'être si véhément : ne se devait-il pas de pardonner ? C'était beaucoup lui en demander, dans le cas précis. S'installant aux côtés de Minhyuk, il jeta un oeil à une salade qui ne lui semblait pas franchement tentante.

"Uh...si t'as faim et que t'en as marre, je crois qu'il me reste de ce que j'ai mangé hier."

Et il partagerait volontiers : il lui fallait bien être généreux. Eden avait beau lutter très difficilement contre son péché, ce n'était pas une excuse pour négliger le reste de ses principes !

"Je suis curieux, vous avez les mêmes jeux qu'aux Etats-unis, ici ? Je me suis jamais posé la question, mais si c'est pas le cas, tout m'intéresse." Quant au reste de sa phrase, il préféra ne pas y répondre, parce qu'il n'en savait rien, mais qu'il avait peur de dire non et de se tromper.

"Non...parce qu'il me semble pas que ce soit possible." Et puis, il préférait encore les ébats de Namsun et Sawyer à la seule perspective de partager une chambre avec Hyunmin, mais ça, il n'en parlerait pas.

Minhyuk n'était ouvert d'esprit que lorsque ça l'arrangeait, et le fait que deux gars aient décidé de copuler en paix dans la chambre de son camarade n'était pas forcément le genre de nouvelles qu'il approuvait. D'un autre côté, on aurait pu lui faire remarquer que soutirer de l'argent par le chantage affectif et la manipulation affective n'était pas non plus une chose très acceptable. L'un dans l'autre (comme les colocataires de ce cher Eden, de toute évidence), il pouvait se montrer plus tolérant.

« Pas une mauvaise idée, mais est-ce que ça suffira ? »

Un petit rire moqueur lui échappa, alors qu'il continuait sa salade.

« C'est vrai ? Mais je veux pas t'en priver... »

Oh que si. Il n'hésiterait pas, si on lui donnait l'occasion de se mettre autre chose sous la dent qu'une pauvre salade, mais le tout était de ne pas donner l'air d'un affamé qui sautait sur la première occasion. Il fallait gratter, mais en toute finesse, comme il le faisait si souvent, avec Siwon, notamment. Elle était si gentille, si douce, et lui, il était une branche de gui qui se nourrissait tranquillement, jusqu'à l'étouffement.

« Certains, oui... Pas tous, je pense. Tu en as un particulier en tête ? »

Il fronça les sourcils, les yeux reposés sur Eden à sa réponse. C'était dommage : si ses colocataires le dérangeaient, il aurait dû avoir le droit de demander...

« Ah, t'as aussi été assigné d'office ? La dure vie des newbies de la Yonsei... » Un léger rire lui échappa à nouveau. « Alors... Ça te dit un monopoly ? » Sinon, ils avaient d'autres choses, mais celui-là avait le mérite de durer assez longtemps.

Plaisanter sur cette histoire avec Minhyuk avait au moins le mérite de le détendre un peu : c'est qu'il n'avait pas l'habitude de prendre en dérision ce genre de comportements, bien au contraire. Il y a quelques années, aurait-il osé rire de ce type de relations...oh, il ne voulait pas y repenser. Grimaçant, il haussa les épaules, ses doigts tripotant machinalement la croix d'argent qui pendait à son cou.

"Espérons ! Au pire, on me retrouvera à dormir sur ce canapé."

Pauvre lui. Et sa mère qui pensait que l'envoyer ici l'éloignerait des vices américains ! Elle n'aurait pas pu plus se tromper.

"Oh, ne t'inquiète pas ! J'en ai déjà eu hier puis j'ai encore pas mal de trucs à manger, j'ai fait les courses jeudi."

S'il était tout à fait honnête, avoir une excuse pour ne pas manger le même plat deux jours d'affilée lui plaisait bien, mais ça lui donnait l'air plus égoïste qu'il ne le voulait, une pensée qui lui déplaisait profondément.

"Pas franchement non, je te laisse choisir !" Parce qu'en vérité, il ne savait pas exactement lesquels avaient traversé l'océan. "Ouaip', d'office. Et c'est loin de m'arranger mais bon - on fait avec." Une nouvelle grimace. "Le monopoly, c'est très bien ! Tu sais où tout est rangé ?"

Et pour conclure ces belles paroles, il se leva d'un bond, prêt à aller chercher le plateau de jeu autant que la nourriture promise.

Avec sincérité, Minhyuk plaignait le pauvre Eden. Supporter la présence de deux bonobos dans son dortoir devait être particulièrement gênant. Ces types auraient pu avoir un minimum de décence et prendre une chambre d’hôtel, à défaut de pouvoir se contrôler pour vivre en société. Il avait continué à grignoter une feuille de salade, riant à la remarque de son ami.

« Au pire, tu viendras loger dans ma chambre, surtout. »

Il n’avait aucun souci avec l’idée d’héberger Eden, pour une fois. De toute façon, il n’y avait personne avec lui, ces derniers temps.

« Oh, c’est vraiment gentil… Merci. » Feignant la honte par habitude, il adressa un petit sourire gêné à Eden, avant de continuer à grignoter sa salade. Il irait chercher ces fameux restes plus tard.

Il n’avait pas tardé à réfléchir à une idée de jeu auquel ils allaient pouvoir se livrer. Il y avait suffisamment de jeux de société à la résidence pour qu’ils parviennent à trouver une idée digne de ce nom, ou alors il ne s’appelait pas Jeon Minhyuk.

« Oui, je comprends… Personnellement j’attends toujours des colocataires. » Depuis le réaménagement du dortoir, les visages changeaient régulièrement. Entre ceux qui emménageaient et ceux qui restaient loin de la résidence des Cheonglyongs, il y avait de quoi perdre la tête. « Oui ! » Et avec un beau sourire d’enfant sage, il se redressa pour aller porter son plat à salade vide à la cuisine, avant de prendre la direction de l’armoire où étaient rangés les jeux de société. « Notre trésor. » dit-il en riant, avant de saisir la boîte située un peu plus en hauteur. « Dommage qu’on n’ait pas Jumanji. »

Et sur ces mots, il alla déposer ledit trésor sur la table du salon. « Bon… Je peux faire la banque ? »

Loger dans la chambre de Minhyuk lui semblait une excellente idée. À vrai dire, s'il avait eu son mot à dire, il était clair qu'il n'aurait pas choisi ces colocataires-ci : entre ceux qui ne pouvaient visiblement se tenir loin de l'autre, et son traître d'ex petit-ami...parfois, il en venait à se demander si Dieu se moquait ouvertement de lui.

"Ah oui, c'est sûrement un meilleur plan...j'aime bien ce canapé, mais j'ai aucune idée de ce qui a pu atterrir dessus."

Il ricana. Le canapé commun d'une fraternité universitaire devait sûrement porter les traces de multiples choses - alors certes, les Cheonglyong ne semblaient pas aussi turbulents que ces fameuses fraternités que l'on voyait dans les films avec lesquels l'américain avait passé son adolescence (à l'insu de sa mère, évidemment), mais tout de même, il se voulait prudent. Il n'y avait sûrement rien de pire que de l'alcool, mais...un instant, Eden se demanda si Namsun et Sawyer s'étaient déjà aventurés sur ce canapé, un jour où personne n'était au dortoir. Il décida cependant qu'il préférait ne pas savoir, ne même pas y penser.

Il jugea d'ailleurs que l'absence de colocataires de Minhyuk n'était pas à plaindre : si lui aussi avait eu à partager une chambre avec son ex, peut-être aurait-il mieux apprécié l'état actuel des choses !

"J'échange avec toi quand tu veux, si j'étais tout seul, j'aurai au moins la paix."

Ce que son ami ne savait pas, c'est qu'il pensait ici surtout à Hyunmin et à sa présence dérangeante. Mais il préféra chasser ce dernier de ses pensées, tournant son regard vers son interlocuteur qui partait à la recherche d'un jeu pour les occuper. Le Monopoly, Eden n'y avait pas joué depuis bien longtemps, et il pensa brièvement à ces longues soirées d'hiver en compagnie de ses frères et sœurs, un sourire nostalgique traversant son visage.

"C'est donc ça, le grand trésor des Cheonglyong ? Je m'attendais à quelque chose de plus grandiose !" Il rit, pas sérieux pour un sou. On lui avait appris à ne jamais être avide, ne jamais trop demander. "Je ne suis pas d'accord. Jumanji, ça a l'air super flippant." Et si le jeu avait existé, il viendrait probablement de forces qu'Eden n'aurait pu approuver - mais il s'abstint de le mentionner.

"Fais donc, fais donc ! Je vais prendre...ce pion-là," déclara-t-il en se saisissant d'une voiture, "si ça ne te dérange pas."

Il se souvenait encore des chamailleries d'enfant avec Mary et Madeline, pour savoir qui aurait droit à la voiture, qui au dé à coudre.

Un petit rire moqueur échappa à Minhyuk à la remarque d'Eden. Il jeta un coup d'oeil vers le canapé où ils se trouvaient.

« Oh tu sais... Les bonobos l'utilisent peut-être aussi. »

Il allait arrêter avec ça. D'un autre côté, il se trouvait assez drôle. C'est qu'il n'approuvait pas énormément ces choses, sauf lorsqu'elles le concernaient et qu'il pouvait obtenir quelques faveurs par la suite. Un petit sourire lui revint aux lèvres alors qu'il continuait à manger, avant de se redresser.

« C'est presque ennuyeux, parfois. Ça manque d'action, j'ai personne avec qui me disputer... » Et de soupirer en feignant d'être las de façon ostensible. Un rire lui échappa l'instant suivant, alors qu'il se redressait pour passer par la cuisine avant de revenir vers l'armoire où se trouvaient les jeux.

« Dis-toi que c'est déjà mieux qu'un trombone et un mouchoir usagé au fond d'un tiroir. » Un rire lui échappa à nouveau, alors qu'il reposait les yeux sur Eden. « Tu trouves ? Je trouve ça plutôt drôle moi. Imagine avoir des trucs qui arrivent en vrai en jouant à un jeu. Fin c'est un peu ce qu'on a en 2020, remarque. Je sais pas si t'aime les mèmes ? Y en a tellement là-dessus. » Il avait ri des heures. Plus exactement, ricané d'un air moqueur en se disant que le monde était en train de partir en couilles. Autant dire que voir les autres et leurs réactions face à la crise était assez amusant, parfois.

« Oh tu sais je m'en fous. » Un rire lui vint alors qu'il saisissait le dé à coudre pour le poser sur la case départ, préparant la banque de sorte à avoir les billets bien séparés sous les yeux, en profitant pour répartir les sommes avec lesquelles ils devaient commencer. « On achète au premier tour ? » Ah, ces questions si passionnantes du début de partie. Tout le monde les connaissait.

Eden eut presque honte de rire à la remarque suivante. Minhyuk n'était-il pas un peu trop virulent ? Malgré tout, il s'amusa de ses mots, peut-être légèrement mal à l'aise : l'appellation, il espérait qu'elle ne découlait que du caractère très public de leurs activités.

"Les bonobos...t'es dur !" Comme eux, répliqua son esprit dans une répartie qu'il ne voulait plus sienne. Il fallait qu'il efface ce genre de réflexes, mais c'était beaucoup lui demander.

"Rahlala...such a drama queen. Moi, je serais bien content d'avoir la paix, parce qu'entre les lovebirds et Hyunmin...j'suis pas sorti d'affaire."

Pas que Minhyuk ne soit censé savoir pourquoi il avait un souci avec son troisième colocataire, mais il pouvait dire qu'il ne l'aimait pas, non ? Ce n'était pas louche, deux personnes s'étant connues aux lycées et ne pouvait plus se voir.

"Je sais pas si j'dirais que c'est drôle, dans le film ils ont l'air d'en baver...puis les trucs pas vivants qui le deviennent, tout ça, je suis obligé de pas trop approuver, d'un côté," il passa son doigt sous la chaîne qu'il portait toujours au cou, pour la mettre en évidence, "tu comprends...'fin t'as pas forcément tort sur 2020, par contre. Le monde part en couille, j'y pige plus rien, mais ça fait de bon memes."

Dépendant desquels, évidemment. Certaines formes d'humour le faisaient toujours grincer des dents.

"Tant mieux - j'ai pris l'réflexe de demander, traumatisme de longues années de petits frères outrés !" Eden rit, se souvenant encore de ces soirées chaotiques de jeu entre fratrie, le genre que sa mère n'aimait pas franchement, d'ailleurs. "Euhh...ok !" Posant à son tour son pion sur la case départ, il tandis les dés à Hyunmin. "T'as qu'à commencer, t'es le plus vieux." À vrai dire, il n'était plus très sûr que les choses fonctionnent ainsi, mais cela ferait l'affaire.