J'aimerais être plus patient avec lui. J'aimerais vraiment : la colère est un péché, pas vrai ? C'est pourtant au-delà de mes capacités, et je pense que ça peut se comprendre. J'ai aimé Hyunmin. Je l'ai aimé tellement fort que j'en ai ignoré tous mes principes, et j'aurai bien pu brûler que je ne m'en serais pas soucié,  parce que l'avoir à mes côtés, ça me semblait alors équivalent à ce ciel dont il aurait pu me priver. Je le vois maintenant. Et j'imagine que je devrais presque le remercier puisque, sans cette histoire, je serais sûrement encore sur le mauvais chemin. Mais ces deux années ont été tellement éprouvantes, et la trahison si douloureuse, que je n'arrive pas à chasser la haine de mon regard quand il se pose sur lui.

La vie se montre parfois cruelle, dans les épreuves que Dieu pose sur mon chemin. Et si je ne veux pas Lui en vouloir - là n'est pas mon rôle -, l'arrivée de Hyunmin au sein de la même chambre que moi en est une que j'aurai bien du mal à surmonter. Je l'ignore, souvent. Et puis je m'agace, me redécouvre cette âme teigneuse que j'aurai voulu laisser derrière moi, des nuances de rouges qui ne me vont pas. Ma volonté a des limites. J'essaie de l'éclipser, comme maintenant. Préfère me concentrer sur les couleurs qui glissent de ma palette à ma toile, pour créer tout un monde du bout de mon pinceau : voilà ce qui me transporte, moi, ces univers qui naissent de la couleur posée sur le blanc du support, l'élaboration de la beauté, au fur et à mesure des touches de peinture apportées au tableau. Une harmonie, une paix complète qu'une fois de plus, Hyunmin vient briser comme il brise tout ce qu'il touche : sa présence est difficile à ignorer, quand les deux autres ne sont pas là pour diffuser un peu la tension de l'atmosphère.

Chaque respiration, chaque bruit qu'il émet est une agression à mes oreilles. Je m'agace, bien trop vite. Me déconcentre. Rate un coup de pinceau qui s'avère trop épais - et ça doit bien être de sa faute, tout est toujours de sa faute. Alors je me retourne, le ton sec et la voix qui se veut dard.

"Tu pourrais mâcher un peu moins fort s'teuplaît ?"

Froid, c'est pourtant la chaleur de mon accent texan qui revient au galop, quand l'anglais fait de même.

"Tu me déranges, là."

Est-ce que c'était nécessaire ? Probablement pas. Mais je mentirais si je disais que ce n'était pas profondément cathartique.

ça ne devait pas se passer ainsi. rien de tout ceci n'aurait dû se produire. les erreurs s'accumulent, le destin qui se veut joueur, par moment amer comme en cet instant. et hyunmin se retrouve pris au piège, enfermé dans cette cage qu'il s'était lui-même construit. face à ses craintes, face à son pêché, face au pardon qu'il aurait dû quémander si la fierté ne régissait pas son astre. ridicule chérubin que voilà. et si le temps lui avait offert l'espace nécessaire pour se reconstruire, l'enfant ne semble pourtant guère vouloir retenir la leçon.

à l'époque, l'excuse était toute faite. ce n'était pas lui le responsable. oh non. cette symphonie qu'il avait lui-même créé sonnait encore si juste dans sa tête, mais y croyait-il vraiment ? pas le moins du monde. car il était le seul chef d'orchestre de cette mascarade. la peur de l'affrontement avait parlé bien plus fort que ses sentiments à l'égard d'eden. et pourtant, il l'avait aimé. il l'avait aimé si fort, au point d'en être effrayant. cet homme conçu par les anges. il y a encore ce goût résiduel de paradis qui se balade sur ses pulpeuses lorsque les archives s'illuminent dans son crâne. mais hyunmin n'avait plus le droit de penser à tout ceci, n'est-ce pas ? il était censé avoir tourné la page. c'était ce qu'il pensait en tout cas, mais eden l'avait marqué bien plus profondément qu'il ne l'aurait cru possible. et passer outre sa présence s'avérait bien plus délicat qu'il ne l'aurait espéré.
destinée en avait simplement décidé autrement.

l'esprit enfantin trottine encore en lui. stupide raison, stupide motivation qui pousse l'être dans ses propres retranchements. les réactions se veulent puériles à vouloir tenter d'irriter davantage le paradis à ses côtés. et si hyunmin s'arrête un instant, l'information montant lentement jusqu'au régisseur, c'est d'autant plus belle qu'il reprend ce qui sut agacer l'imperturbable. douce provocation, le regard qui se heurte à cette silhouette dans l'espoir de voir une nouvelle réaction de sa part, sans forcément savoir ce qu'il cherche réellement à éveiller en eden.  mince, alors tant qu'il cultive la colère, tant qu'il donne à eden des raisons de s'accrocher à ses propres idées, hyunmin continuera à jouer ces mêmes cartes. qu'il apparaisse tel un crétin à ses yeux, c'était toujours mieux qu'essayer d'ouvrir de nouvelles portes.
il ne le méritait simplement pas. c'est vrai que ta présence n'est absolument pas dérangeante rire satirique qui perce le silence, meurt pourtant aux creux de ses lippes aussitôt soufflé. dieu qu'il se détestait d'être si médisant quand le cœur refuse de se prêter au jeu. c'était plus fort que lui. t'as le choix d'aller peindre ailleurs. mais tu restes, donc t'assumes lâcha-t-il simplement, alors qu'il tentait de reprendre cette lecture si peu instructive défilant sur son téléphone.

Si la vie est un tableau, ma toile à moi est pleine de traces d'un rouge pêcheur que je m'efforce de couvrir de teintes pastel et écru, d'une pâleur plus pure et plus calme, loin du feu des passions qui auraient voulu me guider, adolescent. Dieu est d'un doré qui se veut mettre du décor, et moi, d'un gris un peu étrange, quelque part entre le bien et le mal, le blanc que je m'efforce d'atteindre et la noirceur de ce qui veut me garder près de soi, les mauvaises choses que je veux sans vouloir les désirer. Mes sœurs sont d'un rose poudré, l'école d'un jaune plein d'espoir, et Hyunmin ? Hyunmin arrive comme une furie, et vient éventrer la toile à coup de griffes. Il laisse sur le papier tranché des traces suintantes d'un rouge sanglant, un rouge colère, un rouge péché - et pourtant, on y voit les traces, plus claires, du framboise un peu tendre d'un ancien amour, entrelacé avec les lignes d'une passion oubliée. Celles-ci, je voudrais les effacer, faire en sortes qu'elles n'aient jamais exister, et toutes ensemble, elles se mêlent à la colère que je déteste ressentir : elle est un péché trop fort pour que j'accepte qu'il en soit la cause.

Bien présente, pourtant, j'ai parfois l'impression qu'elle bout en sa présence, dans une insupportable constance qui ne s'arrête que quand il s'en va, disparaît de ma vue et de mon espace. J'ai horreur de cette situation tant que de cette cohabitation forcée : parfois, je souhaite ne jamais l'avoir rencontré, brûler la douceur de nos souvenirs que je ne devrais pas aimer, en même temps que cette offense que j'ai commise, et des deux années d'horreur qui en ont résulté. Je souhaite l'amnésie sélective, tout en sachant que si on me l'offrait, je ne saurais m'y résoudre.

Et cette confusion, cette tourmente en mon fort intérieur, voilà bien qui m'agace trop pour que je puisse rester impassible en sa présence, puisqu'il est l'instigateur de toutes mes tempêtes. Alors, je deviens mauvais, j'agresse sans raison. Il empire la situation, il me provoque. Je le hais. Je déteste le haïr.

"Tu me cherches ou ça s'passe comment ?" Un soupir. Je n'ai jamais autant envié ceux qui n'ont pas encore reçu de colocataires. J'aurai bien le choix de retourner vivre chez ma tante, mais...c'est hors de question, même si je sais, au fond, que là est le meilleur choix pour mes principes. J'ai besoin de respirer. "Ma présence a le mérite d'être silencieuse, ce qu'on ne peut pas dire de la tienne."

C'est un rictus amer qui vient marquer le coin de ma bouche. Aussi injuste que ce soit, j'ai profondément envie de le déranger, et de lâcher sur lui mes nerfs à vifs.

"J'ai pas l'droit de peindre dans ma propre chambre sans être dérangé ? Comme si j'allais trimballer tout mon bordel jusqu'aux pièces communes, tout ça parce que tu sais pas mâcher silencieusement."

Mauvais, oui. J'oublie parfois que j'ai ce genre d'aspérités. En vérité, et je déteste le penser, il me fait parfois du bien d'échapper à ce lisse insipide auquel j'aspire dernièrement : il est d'un ennui qui me fait peur, et j'ai horreur de voir le monde ainsi, mais voilà pourtant ma vérité.

qu'est-ce qu'il faisait exactement ? le doute trônait dans son atlas. les idées encore confuses qui s'embrumaient encore et encore, et laissaient malgré tout de l'espace aux actes, les paroles suivant sur une même mélodie. hyunmin était ridicule. tout ceci était ridicule. qui était-il, après tout, pour agir de la sorte quand le passé se voulait volcan ? coupable d'un crime commis par le passé, pour le bon vouloir d'un ego qu'il voulait féliciter mais qui, finalement, ne fut que le trophée de ses propres remords. oh que l'homme se veut hideux quand les secrets deviennent lourd à porter. la peur croulait encore sous sa peau quand un seul visage se miroitait dans sa tête. son père. encore et toujours lui. son propre cauchemar le poussait à devenir une version de lui-même dont il devenait allergique.

une version qui le hantait, malgré tout, condamné à n'être que ce reflet si c'était pour eden.

et le cœur souffrait. oh qu'il souffrait de ces mots, la lame tranchante se retournait contre lui, lacérait sa peau à mesure que les paroles glissent sur ses lèvres. mais c'est plus fort que lui. hyunmin cherchait à se convaincre que tout ceci était nécessaire. il ne le méritait pas, après tout.

alors son regard roulait, l'agacement perceptible malgré son propre silence. quitte à jouer de ces violons, autant aller jusqu'au bout. les conséquences ne pouvaient guère être plus dramatiques qu'elles ne l'étaient à présent. non mais t'es sérieux là ? il rit. il rit de cette couleur soleil, le téléphone à présent abandonné à ses côtés. ça c'est ta parole contre la mienne. je m'entends plus penser à cause de tes coups de pinceau chacun ses problèmes, disait-on. ceux de hyumin, il se les inventait. la moindre raison était un motif valable pour raviver le feu. tant qu'eden le détestait, hyunmin était rassuré. il ne méritait ni pardon ni sourire, pas de sa part. pas après ce qu'il lui fit subir. tant d'années à être incriminé pour une histoire qui fut, pourtant, si belle à ses yeux. et pour laquelle hyunmin aurait pu être prêt à tout si les événements étaient différents. à la place, il l'avait aimé, mais pas de la bonne façon. ce que tu fais de ta vie n'est absolument pas mon problème. ici c'est autant chez moi que chez toi, si tu ne supportes pas mon bruit, tant pis pour toi et comme pour rajouter de l'huile sur le feu, hyunmin plongea de façon peu naturelle sa main au fond du paquet de bonbons à ses côtés, ses doigts farfouillant à l'intérieur jusqu'à trouver enfin son bonheur, un bonheur qu'il glissa entre ses lèvres pour en savourer de nouveau le parfum. j'hallucine