Sol Ah termina ses dernières notes avant de ranger son stylo dans sa trousse. Elle avait toujours préféré écrire les cours dans un cahier qu’utiliser un PC et n’avait pas l’intention de changer ses habitudes. Il n’y avait que pour dessiner qu’elle utilisait la tablette. Elle adorait la sensation du stylo sur le papier. C’était bien plus satisfaisant qu’une belle page tapée à l’ordinateur. Elle aimait souligner, surligner, encadrer. Ainsi, relire ses notes n’étaient pas désagréables. Sol Ah commença à ranger ses cahiers dans son sac. C’était la dernière heure de cours de la journée. Ses amies ne lui dirent au revoir et quittèrent l’amphi. Sol Ah n’allait pas tarder à quitter la pièce non plus. Elle profita de n’avoir plus personne à proximité pour s’étirer et soupirer. Elle n’avait dormi que 4 heures la nuit dernière mais ne pouvait se plaindre qu’à elle-même. Elle était restée éveillée pour terminer de nouveaux modèles pour ses pins. Cette fois-ci, elle a voulu rendre hommage au film Les Enfants Loups, Ame & Yuki. Le design représentait Ame lorsqu’il était enfant en tant que bébé humain et derrière sa version adulte en tant que loup, puis à côté d’Ame, Yuki en tant que bébé louve et sa version adulte en humaine. Elle avait adoré ce film. Et elle s’étonnait de n’avoir pas encore eu de dessin sur cet œuvre. Mais éternelle insatisfaite, Sol Ah n’avait pas vu le temps passé en dessinant.

Mais ce n’était pas non plus comme si elle avait l’habitude de ne pas trop dormir. Sol Ah se décida enfin à se lever de sa chaise puis quitta l’amphi. Elle avait son sac à dos sur une épaule qui traversa le bâtiment sejong. Elle allait quitter le campus si ce n’est qu’elle aperçut au loin, voire très loin, une silhouette sur un banc. Sol Ah ne saurait dire comment elle avait reconnu Do Ha, mais elle était sûre que c’était lui. Il était assis seul et avait l’air dans ses pensées, enfin, plus qu’il ne l’était à l’habitude. La musicienne accéléra le pas pour aller le rejoindre et s’assis discrètement à côté de lui. Mais elle était persuadée que même si elle était venue en sautant dans tous les sens, Do Ha ne l’aurait pas remarquée. « Do Ha. » Aucune réponse. Sol Ah décida de mettre son visage devant le sien, comme pour le réveiller. « Do Ha ? » Elle fit des coucou de la main. Remarquant qu’elle avait son attention, elle demanda d’une voix douce « Ça ne va pas ? Il s’est passé quelque chose ? » Sol Ah le ressentait. Il semblait être perturbé par quelque chose.

Assis sur un banc tout seul, les yeux fixant le vide, les pensées perdues dans des questions qu’il ne comprend pas. Il ne remarque pas les gens qui passent, ni les regards des rares curieux qui se demandent ce que fait un si jeune garçon sur un banc du campus à broyer du noir. Déjà qu’il a un an de moins que ceux de sa promo, en plus il fait plus jeune que son âge – il n’est pas rare que des personnes le prennent pour un lycéen perdu à l’université, ce qu’il trouve particulièrement insultant à chaque fois.

Mais pour l’instant, il se fiche de tout ça. Depuis quelques jours ne cessent de se répéter les images de son frère et lui qui discutaient, ou plutôt qui se regardaient sans se comprendre mutuellement. Doha n’a jamais imaginé un jour reprendre contact avec lui, trop sous l’influence de son père qui lui a toujours répété de ne jamais le faire. Néanmoins, les choses se sont faites naturellement – aussi artificielles pouvaient-elles paraître – et il s’est surpris à ressentir – sentiment qu’il a tout-de-suite enfoui en le jugeant indésirable – l’envie d’en savoir plus sur son frère jumeau. L’envie de renouer les liens, de comprendre comment le Hansol de son enfance et devenu ce Hansol-là. Non pas qu’il ait beaucoup changé, juste qu’ils ne sont plus assez proches pour qu’il arrive à retrouver la même personne.

Il ne sait pas pourquoi y repenser le frustre autant. Il sent la colère bouillir en lui sans l’identifier comme de la colère, ni identifier la raison de cette colère. Une vie sans rien ressentir serait tellement plus simple à vivre, mais il faut toujours que des sentiments dont il ne comprend pas l’utilité ressurgissent et le tourmentent. Perdu dans cette frustration de ne pas comprendre ce qu’il ressent, et dans cette t r i s t e s s e qu’il essaie d’ignorer, il n’entend pas de suite que son prénom est appelé.

Son regard est perturbé par la main de quelqu’un et s’attarde sur le visage de Sol Ah. Aussitôt, son expression faciale s’adoucit, même s’il ne sourit pas vraiment non plus. Ses pensées négatives semblent avoir été chassées par le mouvement de main de sa meilleure amie, pourtant il sent qu’elles le parasitent encore. «  Oh, pas vraiment, j’ai juste repris contact avec mon frère. » Il ne sait même pas s’il peut appeler ça avoir repris contact. D’ailleurs, il ignore aussi si Sol-Ah sait qu’il a un frère – il n’en parle jamais, et impossible de le deviner. Hansol et lui ne se ressemblent pas physiquement, ont deux prénoms qui n’ont rien avoir, ne sont jamais ensemble et leur nom de famille – Lee – est partagé avec tellement de coréens qu’il ne représente rien de filial non plus. «  Peut-être que je ne t’ai jamais parlé de lui ? » demande t-il finalement.

Sol Ah allait partir. Elle allait retourner à son dortoir et poser ses affaires pour ressortir se poser dans un café pour dessiner. Il n’y avait que quelques pas avant qu’elle ne franchisse le portail et qu’elle ne retourne plus la tête. Mais avant de quitter le campus pour la journée, elle eut la soudaine envie de lever la tête. C’était comme si elle avait été appelée. Pourtant, il n’y avait personne autour d’elle qui l’avait réellement appelée. Personne sur un rayon de 5 mètres. Enfin, c’était ce qu’elle se disait jusqu’à qu’elle repéra la silhouette au loin. Cette personne avait la tête cachée mais Sol Ah reconnu son meilleur ami. Son cher Do Ha. Il n’y avait que lui pour rêver en plein jour en extérieur, comme le faisait cette silhouette. Il était dans cette petite bulle qui étrangement donnait envie à Sol Ah d’entrer dedans. L’étudiante ne perdit pas plus de temps et décida d’aller le rejoindre. Son projet de dessiner en sirotant une boisson froide était devenu secondaire face à son meilleur ami.

En s’approchant de lui, l’impression d’avoir fait le bon choix se renforça de plus en plus. Do Ha n’allait pas bien, elle le voyait. Il n’était pas comme à ses habitudes, il était plus pensif… Quelque chose la tracassait, elle en était persuadée. Elle ignorait si c’était plus de la colère ou de la tristesse, ou bien les deux. Sol Ah fit des premiers signes pour le tirer de ses pensées, mais aucune réaction. Elle réussit enfin au bout de quelques essais. Le regard de l’étudiante croisa un bref instant celui de son meilleur ami et cela confirma ses impressions. Le visage de la jeune femme s’adoucit, le sourire amusée fit place à de l’inquiétude. Puis, première révélation. Elle ne cacha pas sa surprise mais le coupa pas. Non, elle ne couperait jamais la parole à son meilleur ami. Elle avait l’habitude de le laisser parler jusqu’à ce qu’il s’arrête naturellement. C’était sa façon de l’inciter à parler davantage. Sol Ah fit un petit non de la tête. « Non, je ne savais pas que tu avais un frère. » Son ton était doux, sans aucun reproche. Elle s’en serait souvenue s’il en avait déjà parlé. « Vous… Vous êtes séparés ? » Ce fut ce qu’elle pouvait conclure de la soudaine révélation. « Et les retrouvailles se sont mal passées ? » Elle voulait en demander plus, mais connaissant son meilleur ami, elle préféra prendre le temps d’en discuter.

Séparés ? Doha fixe Sol Ah d’un regard perplexe. Est-ce que Hansol et lui se sont séparés ? Ont-ils déjà été ensemble pour commencer ? Les souvenirs de son enfance lui sont trop vagues. Il se rappelle d’un frère jumeau à ses côtés mais il se rappelle aussi que déjà à l’époque, ils n’avaient rien en commun. L’un émerveillé par son père, l’autre effrayé par ce dernier. Deux caractères totalement opposés. Peut-être ont-ils grandi ensemble mais Doha ne saurait dire si un jour ils ont été assez proche pour finir par se séparer. Pris dans la spirale de son père, tout ce dont il se rappelle de son frère c’est ce que son père lui a dit à son propos. Il est indigne de lui.

Poussant un soupir, agacé de toute les pensées qui le traversent, il aimerait les faire taire et vivre parfaitement comme un robot, imperturbable. «  Je ne sais pas si on peut dire séparé. On a grandi ensemble mais quand nos parents ont divorcé, il est parti avec ma mère et je suis resté avec mon père. Mais on a toujours été différent, même avant ça. » Pour lui, c’est tout ce qu’il y a ; une personne avec qui il a grandi, qu’il n’a plus revu. Mais alors pourquoi est-il aussi perturbé de l’avoir retrouvé ? Pourquoi se sent-il curieux de savoir ce qu’il est devenu ? «  Je ne pense pas qu’on puisse dire que les retrouvailles se sont mal passées non plus. » En fait il n’en sait rien – ses mots sont aussi confus que ses pensées.

Énième soupir et il passe sa main dans ses cheveux. «  Quand mon frère est parti avec ma mère, il a continué à me contacter mais mon père m’a dit que les autres membres de notre famille ne méritaient pas que je reste en contact avec eux. Qu’ils allaient profiter de mon succès après que j’ai réussi dans la vie, que c’était juste pour cette raison qu’ils voulaient avoir de mes nouvelles. Alors j’ai fait comme mon père m’a dit, je n’ai jamais répondu à mon frère ni à ma mère, parce que je ne veux pas qu’on profite de la réussite que j’aurai  obtenue par moi-même. » explique t-il, le regard perdu dans le vide. «  Mais je ne sais pas. On dirait que la vie veut que je reparle à mon frère. Depuis que je suis à l’université, je n’ai fait que le croiser. Sans le savoir, on a choisi la même fraternité. Donc j’ai fini par lui parler. » Pas parce qu’il était curieux mais parce que le destin s’acharnait. C’est ce qu’il veut se faire croire, mais au fond il sait qu’il était curieux. «  Mais mon frère est devenu un espèce de handicapé social. Ou peut-être qu’il a toujours été comme ça, j’en sais rien. Il parle jamais et il me regarde comme si je pouvais le dévorer à tout moment. Je ne comprends pas ce qui se passe dans sa tête. Il dit que je l’ai traité comme un inconnu. Mais je ne l’ai jamais traité comme un inconnu. Je ne comprends pas. » Il a toujours considéré Hansol comme son frère. Justement parce que c’était son frère, il a dû couper les ponts avec lui. Justement parce que c’est son frère, il n’a pas le droit de vouloir renouer les liens avec lui.

De son point de vue, des frères ne pouvaient se détester. Son frère était la personne qu’elle aimait le plus au monde donc elle avait du mal à imaginer être en froid avec Eren. Mais elle se douta bien que tout le monde n’avait pas une relation fraternelle aussi belle que la sienne avec Eren. Chacun avait son histoire, sa vie. Tout comme il y avait des parents présents et aimants leurs enfants alors que son propre père avait voulu lever violemment la main sur elle. Ce genre de passé, elle n’en parlait pas à tout le monde. Non pas parce qu’elle en avait honte mais elle ne le ressentait pas le besoin de le dire spontanément. Peut être que c’était la même chose pour Do Ha. C’était ce que Sol Ah ressentait en voyant son meilleur ami si perturbé par ses pensées. Elle ne l’avait jamais vu si agacé, ça le changeait de son habitude. Ce qui ne signifiait pas forcément quelque chose de mauvais. C’était étrange mais non désagréable. Il s’ouvrait un peu plus lorsqu’il parlait de son frère.

Sol Ah écouta attentivement Do Ha parler. Ce dernier était définitivement perdu, entre les enseignements de son père, son envie de renouer le lien avec son frère. Sol Ah comprenait un peu plus son meilleur ami et du pourquoi il réfléchissait ainsi. Son père devait être quelqu’un de très matériel pour pouvoir lui enseigner ce genre de pensée. « Tu le sais surement, mais moi je crois au destin. Si vous êtes amenés à vous revoir c’est parce que votre relation de frère n’était pas faite pour s’arrêter. » Elle fit une pause avant de réfléchir à comment elle pourrait lui expliquer sa manière de voir les choses. Comme elle avait la tête hors de l’eau, c’était un peu plus clair et surement plus facile de se positionner. « Je ne voudrai pas me permettre de critiquer ton père mais est ce que tu as déjà trouvé que ce qu’il te disait n’était pas forcément de mieux à faire ? Tu as coupé les liens avec ton frère parce qu’il te l’avait dit mais est-ce que c’était ce que tu voulais ? Ou plutôt, penses-tu que ton frère et ta mère capables de profiter de toi ? » Elle n’était pas du tout en train de rejeter la faute sur son meilleur ami, elle voulait lui permettre de voir les choses autrement. « Et je trouve que le mot « profiter » est un peu péjoratif. Et si au lieu du mot « profiter » tu utilises le mot « partager » ? Ce n'est pas eux qui profitent de toi mais toi qui partage ton succès avec eux ? » Pouvoir donner quelque chose à son entourage était une bénédiction. Du moins, c’était ainsi que Sol Ah voyait les choses.

Elle tendit ses jambes puis pencha la tête pour essayer de capter le regard de son meilleur ami. Elle sourit. « Franchement, tu devrais te voir. Tu as rarement cette expression là. C'est pour ça que je peux comprendre pourquoi tu dis que tu ne le traites pas comme un inconnu. Un inconnu ne pourrait pas te mettre dans cet état là. Mais lui, le sait-il ? » Sol Ah avait remarqué que la communication ne semblait pas être leur fort à tous les deux. « En tout cas, j’ai l’impression que vous voulez tous les deux vous rapprocher de l’autre sans oser. Tu ne devrais pas avoir peur. Vous êtes des frères, c’est normal de vouloir connaitre l’autre. Et si tu ne comprends pas, raison de plus pour apprendre à le connaitre. »

Les mots sortent de la bouche de Doha avant même qu’il les pense, comme c’est souvent le cas quand il discute avec Sol Ah. Elle le fait extérioriser des pensées qu’il ne savait même pas présentes, et c’est quelque chose qui le perturbe énormément. Il déteste ça autant qu’il l’apprécie ; en fait, il déteste tout ce qui prouve qu’il est autre chose qu’un robot, mais il ne peut nier qu’extérioriser les choses enfouies fait un bien fou. Mais même l’attachement qu’il ressent pour Sol Ah ne suffit pas pour le persuader que le destin existe, ou pour le faire comprendre et admettre qu’il a été totalement mal influencé par son père. « Pourquoi est-ce que je devrais partager mon succès avec eux ? » répond-il, les sourcils levés en l’air, la voix outrée par une telle idée. « Qu’est-ce qu’ils ont partagé avec moi, eux ? Qu’est-ce qu’ils ont fait pour que je réussisse ? » demande t-il, sans attendre de réponse. Au fond, et même s’il n’en a pas conscience, Doha leur en veut. À sa mère, à son frère, à son père, pour n’avoir jamais remarqué que Doha a toujours été seul.

Doha croise le regard de sa meilleure amie et se sent de suite mal-à-l’aise. Ce qu’elle dit a du sens et c’est bien ça le problème. Doha aurait préféré rester parfaitement impassible face à Hansol, tout comme il aimerait rester parfaitement impassible face à tout ; mais son corps ne lui obéit pas, son coeur encore moins. « Qu’est-ce que j’en sais, s’il le sait ? Je te dis, il est devenu un parfait imbécile » répond-il sans aucune lueur d’amabilité. Ce n’est pas contre elle qu’il est énervé pourtant, pas non plus contre Hansol, mais contre lui-même. « Qui a dit que je voulais me rapprocher de lui ? » dit-il, en toute mauvaise foi. Il le sait, au fond ; il en a bien conscience, qu’il est curieux de ce qu’est devenu son frère, de pourquoi il agit comme ça. Mais jamais il ne l’admettra à voix haute. « Je me fiche totalement de le connaître ou pas. Rien ne nous unit, on a toujours été totalement différent et je vos pas pourquoi je devrais m’intéresser à lui. » affirme t-il en détournant le regard. C’est comme ça qu’il aimerait penser.