mars 2006 ; un gamin qui courrait partout, ce large sourire sur les lèvres. un gosse qui s’amusait dans le parc en face de chez sa grand mère. on penserait naïvement qu’il s’agissait d’un enfant prêt à célébrer ses dix ans, joyeux, n’attendant que l’arrivée du reste de sa famille en ce jour si spécial. mais cette année encore, ils ne seraient que deux. lui et sa grand mère. mais ça lui suffisait, à ce môme. il était amplement aimé, choyé. qu’importe les faibles moyens qu’ils avaient. ils étaient heureux tous les deux, c’était tout ce qui comptait.
mais en ce jour si particulier, elle était venue. cette femme qu’il voyait parfois. qui venait quémander quelques billets, jouait quelques minutes avec lui. ça n’avait rien changé pour joon tae. il aurait toujours droit à son cadeau, et sa part de gâteau. c’était tout ce qu’il lui fallait. ça et l’amour de sa grand mère, ses étreintes toujours si chaleureuses. il aurait droit à un chapitre de plus de son histoire, quelques privilèges d’un garçon qui devenait grand.
mais cette jolie dame aussi, n’était pas venue les mains vides. elle aussi, avait pensé à lui, pour la première fois depuis qu’il la connaissait. une simple peluche, un ourson à serrer dans ses bras lorsqu’il devrait faire face à un cauchemar. un geste de plus à son attention, une pensée pour lui qui le remplissait de bonheur. l’un des seuls gestes qu’aura cette femme à son égard. plus tard, il apprendra, la portée de ce jour. ce qu’il devait réellement représenter. plus tard, il apprendra, que cette femme à la beauté naturelle était celle qui lui avait donné la vie. et par ce simple geste qu’elle aura su avoir à son égard, il lui pardonnera. repensera simplement à ces mots que sa grand mère lui répétait si souvent ; si on a l’amour, alors on a tout gagné.

septembre 2015 ; les cours venaient de reprendre. mais comme à chaque fois, le brouhaha du dortoir était bien présent. certains étaient en cuisine, en train de partager une collation. d’autres traînaient dans la grande salle commune. les voix se mélangeaient en ce vendredi soir. quelques uns se préparaient à sortir, profiter de ce week end qui s’annonçait encore haut en couleurs. la bonne ambiance régnait dans la maison, jusqu’à ce qu’on toque à cette porte, que joon ne prenne en pleine face une vérité à laquelle il ne s’attendait guère.
des mois, que sa petite amie avait disparue. des semaines à se demander où elle était passée. une histoire récente, mais qui semblait déjà se profiler à l’horizon. deux étudiants qui s’étaient rencontrés sur les bancs de la fac, une histoire si banale. ils s’étaient amourachés l’un de l’autre, ne s’étaient jamais quittés pendant les quelques mois qu’ils avaient partagé. mais elle s’était échappé, sans aucune explication. n’avait donné aucun signe de vie, jusqu’à ce soir.
devant la porte du dortoir, un couffin. un adorable bébé qui dormait paisiblement. avec elle, une lettre, le prénom de joon tae. il avait rapidement reconnu cette écriture, l’avait assez vue pour savoir que c’était celle de sa petite amie disparue. quelques autres étudiants s’étaient rapidement affairés à côté de lui, se demandant bien ce qu’il se passait. fébrilement, il avait attrapé cette enveloppe, découvert les quelques mots qui parsemaient cette feuille de papier. et en quelques secondes à peine, sa vie venait de changer.

« joon,
pardonne-moi mon absence,
pardonne-moi mon silence,
mais tu comprendras que je ne pouvais pas faire autrement.
la vérité, c’est que j’ai été trop lâche.
trop lâche pour t’avouer ce qu’il se passait.
trop lâche pour affronter cette épreuve avec toi.
j’ai pas su quoi faire, j’ai pas su encaisser.
j’ai pensé assumer, que ce soit avec ou sans toi,
mais j’y arrive pas.
ce n’est pas la vie que j’imaginais,
ce n’est pas ce que j’espérais.
je n’suis pas prête pour ça,
je n’pense pas l’être un jour.
s’il te plaît, pardonne-moi.
pardonne-moi pour tout ce que je t’impose aujourd’hui.
mais je n’peux pas.
être mère, ce n’est pas pour moi.
s’il te plaît, prend soin d’elle.
prend soin de celle qui restera le fruit de l’amour que j’éprouve pour toi.
j’n’ai pas la force, ni le courage de le faire.
je t’en supplie, donne lui cette chance d’être aimée, choyée,
comme je l’ai été avec toi.
mais surtout, je t’en prie,
prend soin de toi.

signé ; do hee. »

novembre 2019 ; quelques flocons de neige venaient parfaire la beauté de la capitale séoulite. l’air frais le faisait frissonner, alors que dans ses bras, se blottissait sa fille. la prunelle de ses yeux. celle pour qui il s’accrochait, un peu plus chaque jour. celle pour qui il devait continuer d’avancer. face à lui, le silence. lourd, persistant. une pierre tombale. un nom, et quelques mots gravés dans le béton. si on a l’amour, alors on a tout gagné. il s’en souvenait encore, de la façon dont elle avait de lui prononcer cette simple phrase. ce léger sourire qui l’accompagnait. qui lui donnait la force de tout affronter.
une semaine déjà, que sa vie s’était éteinte. celle qui l’avait élevé, qui lui avait appris à aimer, grandir, de la plus belle des manières. celle qui l’avait tant aidé, et qui lui avait tant apporté. désormais, il était seul face au monde. seul face à ses craintes, ses doutes et son désespoir. peu de personnes pour l’épauler, pour l’aider à apprendre. à être un bon père, une bonne personne. et le voilà à lui adresser un dernier au revoir.
il était désormais seul, pour affronter la véracité de ce monde. la seule famille qu’il n’ai jamais autant aimé avait finalement disparue. il ne restait plus que lui, et cette petite fille dans ses bras. elle pouvait sentir la détresse de son père, alors que ses bras s’accrochaient à son cou, pour le serrer aussi fort que possible. et il était resté là, un long moment. avec pour seule arme cet enfant qu’il devait continuer de protéger, d’aimer. à qui il inculquerait les mêmes valeurs que sa grand mère, devenue étoile parmi les astres. et dans un souffle, une supplique du coeur, il lui avait simplement murmuré ces quelques mots, qui continuait de faire son monde. pour perpétuer l’amour à travers les générations, quoi qu’il en coûte.