Débarquer à Séoul avait été plus compliqué que prévu, heureusement que Yejun était là sinon Lei aurait surement dormi sur des cartons. Le hacker connaissait le tatoueur depuis quelques années, c'était d'ailleurs lui l'auteur des œuvres sur le corps de Lei. Yejun faisait partie des personnes en qu'il avait confiance, ce qui était assez rare. Au sein du gang il ne s'était pas fait beaucoup d'amis, Yejun en était un. Quand Lei avait décidé de fuir sa vie et sa ville, Yejun l'avait accompagné. A présent ils partageaient un appartement le temps de pouvoir intégrer l'université. Lei s'était mis en contact avec des gens peu fréquentables et continuait à effectuer des contrats. Il louait ses services sur le darkweb au plus offrant, peu soucieux de l'éthique. Il avait besoin d'argent et il était prêt à tout pour en obtenir. Il avait toujours grandi dans le besoin et il avait appris à ne pas se soucier de la morale.

Ce soir d'ailleurs il était scotché à son ordinateur, en train de développer un logiciel capable de miner de la monnaie virtuelle. Si pour certains c'était un concept obscur, c'était en réalité très simple, il créait de la monnaie pour ensuite la vendre. Il avait des programmes qui suivaient les différents cours des actions, c'était le même principe que la bourse, sauf que c'était dématérialisé. Il testait la puissance de calcul de son logiciel sur du matériel qu'il avait branché sur la table du salon. C'est quand il avait senti une odeur de bruler qu'il s'était rendu compte de son erreur. Seulement c'était déjà trop tard, le feu était parti. Lei avait stoppé son programme, s'était précipité attraper un torchon et avait essayé d'éteindre le feu. Yejun allait le tuer c'était sûr. Ils avaient tous les deux du mal à obtenir de l'argent. Lei avait beau vivre gratuitement chez Yejun, il essayait de remplir le frigo, même s'il ne mangeait que très peu. En réalité il achetait plus souvent des soda que des bières, c'était d'ailleurs son aliment principal. Quoi qu'il en soit Lei était respectueux et appréciait assez son ami pour ne pas mettre le feu chez lui. C'était une question de bon sens.

Il était en train de s'épuiser à contenir le feu quand la porte s'était ouverte. Lei n'était pas du genre bavard. Avec Yejun s'était différent puis qu'ils étaient amis. Cependant à cet instant l'urgence n'était pas aux politesses. L'essentiel c'était que Yejun ne débarque pas avec de l'eau sur le matériel, cela pouvait créer une électrocution et empirer la situation.

« Viens m'aider, attrape une serviette sèche ! »

Chaque fois que le jeune homme poussait la porte de notre appartement, je me rappelais les raisons qui nous avaient poussés à quitter Busan. Je ne connaissais pas toutes les excuses que Lei se trouvait pour ce départ mais les miennes étaient un peu bancales. Je suis seulement parti pour renouer avec ma frangine ? Une décision noble ? Un pur produit d’égoïsme ! Je gardais en plus un petit appartement là-bas si jamais cela se passait mal avec Yewon. Suis-je un mauvais ami en ayant cette porte de secours ? Je me posais souvent la question. Elle était balayée par les évènements de la vie quotidienne. Cela me faisait bizarre de vivre avec une personne. J’avais pris mes habitudes depuis 3 ans de célibat. Lei est un colocataire discret ? On ne s’ennuie pas avec lui.

Une fois le salon nettoyé et fermé, je pris la route du retour vers chez nous. Mon ami vivait dans mon appartement gratuitement mais il essayait de faire des efforts pour les repas malgré ses faibles économies. Mon boulot me rapportait assez pour payer le loyer, les factures et laisser une petite somme pour des courses mais aucun extra. Ma réputation est encore toute neuve. Quand mes œuvres me feront un peu plus connaitre, je pourrais espérer des cachets plus intéressants. Ce n’est pas encore le cas donc je peux juste survivre. Comme je suis pressé de rentrer ?! Lorsque je pousse la porte de l’appartement, une forte odeur de brûlé me prend à la gorge. Il se passe quoi ici ? Je jette mes chaussures dans l’entrée puis accours dans l’espace cuisine. Lei semble être en plein combat avec une poêle et un feu. Bordel ! Je panique, cherche des yeux un seau ou une bassine mais mon ami semble lire dans mes pensées. Il me stoppe en réclamant une serviette sèche. Ah ouais ? Moi j’aurai mis une humide. Je ne suis pas doué alors je vais écouter ses recommandations. Je cours partout dans l’appartement – ouais on vit dans un truc digne de Versailles c’est bien connu – à la recherche de la serviette. Bizarrement j’en trouve une dans la salle de bain. Je reviens avec… mais mon expression affiche ma perplexité. Je cherche aussi un torchon puis tends les deux à Lei. « Tu veux un truc plus doux ? Il ne faut pas le mouiller ? »

Pendant que Yejun courait dans l'appartement, Lei avait continué à frapper le matériel avec le torchon, essayant d'arrêter le feu sans bruler le tissu. Il ronchonnait se maudissant de ne pas avoir vérifié un peu plus les calculs qu'il avait lancés. L'appel de l'argent était plus fort, il avait besoin de payer ses études, d'aider Yejun et plus encore. Malheureusement tout ne s'était pas passé comme prévu. Quand son ami était revenu lui, il avait attrapé la serviette qu'il avait roulée sur elle-même pour taper à nouveau sur le feu qui perdait de la puissance. Il n'avait pas compris pourquoi Yejun parlait de quelque chose de plus doux. A cet instant son problème n'était clairement pas la texture du tissu.

« Non surtout pas d'eau sur un feu électrique !! Prend le torchon et aide moi. »

Une fois le feu maitrisé, Lei avait soupiré en se laissant tomber sur une chaise. Il avait un peu ruiné la table et le matériel était mort, fondu et brulé. Il avait jeté sa tête en arrière en râlant.

Fait chier !!! Je suis désolé pour la table mec. Je t'en achèterais une.
Il avait reporté son attention sur Yejun et avait esquissé un sourire furtif. Lei n'était pas du genre très expressif, uniquement avec ses amis et le tatoueur en faisait partie.

« J'espère que ta journée a été meilleure que la mienne ? »

Lei avait fini par se lever avec désinvolture. Il avait attrapé le matériel qu'il avait jeté dans la poubelle. Il aurait surement pu récupérer quelques composants mais sa colère l'avait poussé à tout balancer. Il s'était ensuite dirigé vers le frigo pour sortir bières et poulet fris. Il participait dès qu'il pouvait aux frais divers. Il avait ramené le tout et avait tendu une bière à Yejun.

« Tu veux une bière ? J'espère que t'as faim ? »

Aucun doute sur la nature de cette odeur que ma porte vient de m’envoyer en pleine tronche quand je rentre. Cela me prend à la gorge. Je cours immédiatement pour trouver l’origine de cette senteur âcre. Je découvre Lei dans la cuisine en plein combat avec une casserole. Il frappait le matériel avec un torchon. Franchement ? La scène est comique. Je me serai bien stoppé pour le filmer en pleine action. Je ne bronche pas quand mon colocataire me donne des ordres pour lui donner un coup de main. Je ne suis pas un familier de ce type de situation. Je proposais bien de prendre un torchon mouillé mais Lei me stoppe dans ma folie. « Ooooh » Ma bouche forme un O parfait avant que mes neurones se rencontrent pour me pousser à bouger enfin. Je prends un torchon sec du coup. Il gère trop mon pote !! Je le regarde arrêter le feu. Il semble cependant épuisé après ce combat. Je haussais les épaules en allant fouiller dans le frigo pour en sortir une boisson fraiche que je lui tends. « Pas grave ! On ira dans les dépôts pour en trouver une autre. » Je me moque bien du mobilier parce que ce dernier a aucune valeur à mes yeux. Je lui offre un sourire rassurant. « Elle a été assez banale dans l’ensemble. » Je retirai ma veste comme le feu a disparu. « Il y a eu une cliente qui a tenté de me draguer mais elle a aucune chance la pauvre. » Je me poussais pour que Lei ait accès au frigo. « Tu as fait quoi de ta journée en dehors de mettre le feu ? » Je prends la bière tendue. « Merci ! » Je l’ouvre puis en avale une longue gorgée. « Comme ça fait du bien. » Je me laisse tomber sur le canapé récupéré aux puces. « Tu veux faire quoi ce soir ? »

Lei avait remercié son ami d'un regard, réellement soulagé qu'il soit aussi simple à vivre. Peu de personnes auraient accepté un hacker comme lui. En plus de bricoler toute la journée et mettre le feu, il passait une partie de ses nuits les yeux rivés devant l'écran, soit pour des contrats, soit pour suivre le cours des monnaies virtuelles. Heureusement que YeJun le supportait et qu'il ne lui en voulait pas d'être un locataire aussi perturbateur. Il avait attrapé l'eau tendue pour en boire une gorgée et enlever le gout de fumée de sa gorgée. Il avait ensuite sorti ce qu'il avait préparé pour la soirée, bières et poulet fris, un classique de leurs soirées. Il l'avait ensuite écouté lui dire que sa journée avait été banale. Lei avait pouffé de rire en apprenant que YeJun s'était fait draguer.

« Ah c'est pas à moi que ça arriverait ça ! La pauvre....tu as été clair ou tu lui as laissé de l'espoir ? »

Le hacker n'était clairement pas doué lorsqu'il s'agissait de draguer. De toute façon il ne sortait pas assez pour se faire la main. Lorsqu'il l'avait indiscrètement taquiner, Lei lui avait plaqué la bière froide entre les mains en lui poussant l'épaule. Il avait levé les yeux au ciel, préférant ouvrir sa bière avant de répondre. Il avait soupiré de soulagement après sa première gorgée, acquiesçant à la réplique de son ami.

« Franchement mieux vaut pas que tu saches. En tout cas le cours de l'Ethereum a grimpé, si ça continue on va être riche. »

Il avait ri, conscient que YeJun n'avait rien à faire de son boursicotage avec les monnaies virtuelles. Enfin c'était quand même ça qui lui permettait de participer au loyer et au reste. Cependant Lei exagérait un peu, ils n'allaient pas être riche mais c'était toujours ça de pris. Lei l'avait rejoint sur le canapé, apportant le poulet sur la table basse. Il s'était ensuite affalé en soupirant. En réalité, Lei n'était pas franchement un bon colocataire, il pouvait autant rester ici et parler tatouage toute la nuit, au pire Lei en aurait un nouveau. Il n'était pas contre sortir et aller s'amuser, même s'il ne le faisait pas souvent avec YeJun c'était différent. Il connaissait le tatoueur et appréciait sa compagnie.

« Franchement j'en sais rien, tu veux sortir ? t'es pas crevé ? »

Le jeune homme est probablement le pire colocataire de tous les temps. C’est une personne discrète la plupart du temps mais une fois ses pieds dans la cuisine, tous les dangers peuvent se produire. Il vient presque de mettre le feu ! Il n’est pas possible. Il a beaucoup de chance que je sois un mec relax. Pourquoi je me fâcherai après lui ? Lei essayait de me rendre service en préparant le repas pendant que je bossais. Ce serait cruel de ne pas apprécier son geste. Il n’arrive jamais rien à ceux qui n’essaient pas. Sous ses instructions, nous éteignons cet incendie avant de sortir notre repas. Ce dernier se composait de nos mets favoris : bière et poulet frit. On ne prenait pas de kilo ? Non bizarrement on a toujours une silhouette svelte. Nous possédons un bon métabolisme dirons-nous. La conversation avait poursuivie sur ma folle journée, et ce salaud se moque de moi en apprenant le plan drague dont j’avais été sujet. « Pourquoi ? C’est vrai que ton expression d’ours des cavernes n’est pas des plus avenantes mais tu es tout doux dedans. Tu es comme un ourson en guimauve : dur dehors et moelleux au cœur. » Je viens de signer mon arrêt de mort ? Il me pardonnera ? Je suis son pote et son colocataire. Une place différente dans son existence. « Je la laisse espérer parce qu’elle pourrait me laisser un peu plus que la somme nécessaire. » Cela me donne la sensation de me vendre pour gagner de l’argent. Pas le choix ! Les propositions venant des femmes n’auront jamais une réponse positive mais en restant vague, on leur donne de l’espoir. « Je vendrai mon âme pour que nous puissions manger et garder un toit sur notre tête. » La fraicheur de la bière me fit un bien fou. Cela me rappelait les moments caniculaires de l’été dans notre ville. On pouvait avoir les pieds dans l’eau et une bière fraiche dans la main. Le bonheur simple !! « Ethereum ? Je crois que sans sous-titre je vais me transformer en poisson rouge pendant que tu parleras. » Je suis un geek mais le monde de Lei est inconnu pour moi. L’informatique n’est pas mon milieu. Le mien est graphique, visuel. « C’est quoi ? Du latin ? » J’étire mes bras au-dessus de ma tête en songeant au compte en banque que mes parents avaient clôturé lors de ma fugue. Mon argent s’était envoyé comme neige au soleil, et ne reviendrait jamais. Quelle poisse ! Je me penchais pour prendre un morceau de poulet pendant que Lei me rejoignait sur le canapé. Cette colocataire est aussi bizarre que notre amitié mais disons clairement les choses, il est comme un membre de ma famille. Il pourra toujours compter sur moi. « Je suis crevé mais si tu veux mettre le nez dehors, je te suis… sinon nous restons ici. » Je ne suis pas un type qui sort beaucoup parce que le monde extérieur ne me rassure pas. Nous sommes en plus à Séoul, la ville de mes parents. Je ne souhaite pas rencontrer des personnes de mon passé. Je ne suis pas encore assez prêt pour ça. « On peut se mater un film ou jouer aux jeux vidéo… ou sortir si tu veux. »

Lei n'était pas du genre à avoir beaucoup d'amis. En réalité il n'en avait pas, mis à part Ye Jun. Ils avaient fui Busan ensemble, chacun nourrissant l'espoir d'une vie meilleure. C'est surement ce qui les rapprochait le plus, ça et aussi le fait que Ye Jun était au courant de son passé avec le gang. Le hackeur savait qu'il pouvait lui faire confiance. Leur relation s'était créé aux fils des nombreuses heures de tatouage passées sous le coup de poignet artistique du tatoueur. C'était d'ailleurs ce sujet qui t'avait fait ouvrir la bouche en premier à Lei. Depuis de l'eau avait coulé sous les ponts, même si chacun avait des secrets, le partage était plus facile sur les aléas du quotidien. Cela devient même un jeu entre eux, à celui qui taquinera le plus l'autre. Lei avait attaqué et forcement Ye Jun t'avait répliqué. A sa comparaison avec un ours et ton cœur de guimauve, il lui avait jeté le torchon pour le faire taire.

« C'est ça moque toi ! »

Le hackeur avait perdu cette bataille, il était évident que Ye Jun le connaissait mieux qu'il ne le pensait et au fond ça lui faisait un peu peur. Il avait toujours peur d'être déçu par les gens, c'était bien pour ça qu'il était antisocial, faisant fi de l'adage, seul on va plus vite, mais à plusieurs on va plus loin. A la réflexion sur les motivations de Ye Jun, il avait serré les dents comprenant parfaitement ce que sous-entendait vendre son âme. Lei avaut basculé du côté obscur, mettant un pied dans un monde dont on ne sort pas indemne. Aujourd'hui plus que jamais il craignait d'être retrouvé par le gang, pourtant s'il avait quitté les rangs, il n'avait pas arrêté ces méfaits, seule source de revenus. Il avait eu envie de dire quelque chose d'encourageant mais rien n'était sorti. A la place, il avait sifflé.

« Pfff, t'as pas besoin de vendre ton âme, je m'en occupe... »

Le plus jeune n'était pas bien placé pour lui donner des conseils et pourtant il espérait que son ami ne fasse pas les mêmes erreurs que lui.

« L'ethereum c'est une monnaie virtuelle comme le bitcoin….Bref c'est comme spéculer en bourse, ça peut nous rapporter gros ! »

Inutile de rentrer dans les détails. Ye Jun n'en avait surement rien à faire de savoir que son colocataire essayait de créer de la monnaie pour pouvoir la jouer ensuite. Si certains avaient les moyens de l'acheter, ce n'était pas cas pour Lei. La solution était donc d'en miner, d'en fabriquer, pour ça il fallait une puissance de calcul impossible à avoir sur un seul ordinateur. C'était donc bien le but du projet en cours du hackeur, d'utiliser la puissance de calcul d'ordinateurs dispersés dans le monde. Cependant l'échec était encore cuisant sur la table mais il n'avait pas dit son dernier mot. Pour l'instant il était fatigué et frustré.

« Tu m'as déjà vu motivé pour mettre le nez dehors ? »

Il s'était assis un bout de poulet dans une main et une bière dans l'autre.

« Va pour jouer, on se fait la belle sur Call of ? A moins que tu veuilles la jouer sur Maria karts…»