Il y avait de ces soirs ou Moon ne faisait que parfaire l’image qu’elle renvoyait aux autres. De ces nuits ou elle n’était que cette jeune femme froide, semblant ne rien ressentir, simplement se détacher de toutes ses émotions. Pour l’être sensible qu’elle était au fond d’elle, c’était parfois nécessaire. Faire taire ces démons qui revenaient à elle à chaque fois qu’elle s’allongeait seule dans le noir. Et cette soirée ne dérogeait pas à la règle. Une simple invitation, pour faire venir la demoiselle dans ce bar, pour laisser ces monstres derrière elle, et la laisser faire ce qu’elle faisait de mieux : être cet être sans aucun sentiment, prête à simplement profiter du temps qu’on lui accordait, dans la folie de la capitale. Bon nombre d’étudiants étaient présents, comme souvent. Pour une fois, elle n’avait pas besoin d’être derrière le bar, à seulement observer les autres s’amuser. Ce soir, c’était son tour à elle aussi. Et elle comptait bien se lâcher, comme elle savait si bien faire. Un verre dans la main, elle se dirigeait déjà vers la foule, ce faux sourire sur les lèvres. La musique était assez forte pour couvrir quelques une des conversations qui se faisaient aux tables. Certaines personnes présentes se trouvaient déjà dans un état qui pouvait laisser dubitatif, mais elle n’en tenait pas rigueur, se laissait peu à peu happer par l’ambiance si caractéristique de ces soirées séoulites. Les nuits les moins tranquilles, celles qui permettaient de tout oublier, de ne plus penser à la misère qu’offrait le quotidien. Quelques personnes qui l’accompagnait. Ceux que l’on disait amis, mais qui n’en étaient pas réellement. Qui ne connaissaient rien d’elle à part cette façade qu’elle durcissait chaque jour un peu plus. Un regard perçant qui toisait la foule, tandis qu’elle terminait d’un trait le verre qu’elle tenait, allait déjà en chercher un autre. Une folie certaine qui accompagnerait ces quelques heures dans l’obscurité de la nuit. Et ça lui convenait bien assez. L’air distant qu’elle gardait, pour être celle qui choisirait, ceux qui pourraient l’approcher, comme à chaque fois. Ses yeux qui vagabondaient autour d’elle, attendant qu’on la serve, qui croisaient finalement un visage qu’elle ne connaissait que trop bien. « Mais qui voilà... Yami est de sortie ce soir ? Quelle surprise ! » s’exclamait-elle, de cette voix qui jaillissait à travers les notes jouées dans la salle. Sans aucune émotion dans la voix, sans aucun moyen de percevoir ce qu’elle pensait réellement de cette rencontre. Mais peut-être qu’à cet instant précis, elle ne faisait qu’éveiller la fureur qui pourrait s’abattre une fois de plus cette nuit.

Plusieurs fois elle s’était demandée ce qu’elle faisait ici, précisément dans cette boite de nuit Séoulite. Ce n’était pas le genre de lieux où elle appréciait passer ses soirées, privilégiant un bar plus calme, un verre à la main et un ou deux amis à ses côtés. Elle, l’éternelle solitaire. Mais elle attendait quelqu’un, un ami avec qui elle devait passer la soirée mouvementée et bruyante. Un ami qui n’était pas un exemple car il ne faisait que l’entraîner vers le bas, au plus près des enfers via la déchéance. Elle le savait pourtant, mais continuait de se laisser emporter dans cette danse cauchemardesque, peut-être volontairement. Peut-être cherchait-elle à fuir quelque dont elle ne donnait pas de nom ? Cependant, elle était dans une de ces boites branchées de la capitale,  où l’argent et l’alcool coulaient à flots, où les corps dansaient les uns contre les autres au rythme des vibrations. Ses yeux ne lâchaient pas son téléphone, attendant avec impatience un message de la part de Jihae, message qui ne venait pas. Elle lui laissa une dizaine de minutes pour lui donner des nouvelles avant qu’elle reparte chez elle. En attendant, elle ne faisait pas attention à son entourage, et encore moins à la gente masculine qui semblait excitée à l’idée de voir une jeune femme seule dans ce genre de lieux. Si au départ, elle les rejetait poliment, elle finissait pas les ignorer complètement au bout de la quatrième tentative.
Il y avait beaucoup trop de monde à son goût et la japonaise avait hâte de rentrer, préférant que son téléphone reste silencieux pour la soirée. Elle se retourna, direction le bar de la boite pour commander au moins une boisson. Il serait fâcheux qu’elle ne soit réellement venue pour rien, bien qu’elle grimaça face aux prix des consommations. Malgré la musique très forte, elle entendit son prénom. Rapidement, elle tourna la tête, espérant qu’il s’agissait de son ami mais son sourire disparut bien vite lorsqu’elle se retrouva face à face avec Shim Moon. C’était une raison de plus pour ne plus attendre après Jihae et rentrer aussitôt. « Shim Moon… Toujours à prendre du plaisir dans la perte de temps, je vois. » Répondit-elle. Elle s’était presque inconsciemment redressée, la tête haute comme une alpha qui pensait prouver sa valeur. Elle finit son verre d’une traite (ça devenait une mauvaise habitude en ce moment) et le reposa sur le bar. Un dernier coup d’œil à son téléphone et aucun message, elle le rangea tout aussi rapidement avant de se tourner une nouvelle fois vers la jeune femme. « Solitaire ce soir ? Ou dans l’espoir de ne pas rentrer seule ? »

Il était plutôt habituel de croiser Moon à ce genre de soirées. Parfois elle y trouvait un extra pour se faire quelques billets de plus, d’autres elle ne faisait que dépenser ce qu’elle gagnait, dans l’alcool et quelques joints qu’elle s’empresserait de fumer plus tard, une fois la folie loin d’elle. Prête à rejoindre quelques unes des personnes qui l’accompagnait, elle avait rapidement changé de cible en voyant au loin le visage de cette fille. De quoi parfaire cette image de reine de glace ce soir, de quoi s’amuser à lancer quelques pics. Elle en souriait, de ce genre de sourire qui ne montrait rien de plus qu’une pointe d’arrogance, de confiance en soi — dont elle manquait pourtant cruellement. Mais qui le voyait dans ces lieux ? Personne. « Au moins je sais profiter de la vie étudiante. Faut croire que ce n’est pas le cas de tout le monde. » avait-elle simplement répondu, toisant sa vis-à-vis avant de boire dans son verre. Elle observait chacun de ses gestes, analysait l’attitude que Yami pouvait avoir. Au point qu’elle n’avait su retenir un léger rire à la question qu’elle osait lui poser. « On ne vient jamais seul dans ces soirées, tu devrais pourtant le savoir. » Elle ponctuait sa phrase d’un clin d’oeil, de quoi appuyer cette attitude dont elle se jouait désormais trop facilement. « Et toi alors ? » répliquait-elle, comme si de rien n’était, prête à n’être que cette jeune femme qu’on ne pouvait que détester, comme toujours. « Ne me dis pas qu’on t’a posé un lapin quand même ? » Elle mimait une moue faussement triste pour elle, sans qu’elle ne ressente quoi que ce soit à son égard. Pas même de la pitié, ou un peu d’empathie. Moon était le genre de femme qui avait arrêté de se soucier des autres. Sauf peut-être de ses quelques proches, le peu de gens sur qui elle pouvait véritablement compter. A voir la façon qu’elle avait d’agir, il n’était pas si compliqué de voir que la jeune femme ne faisait pas partie de cette catégorie là. « Je t’aurais bien proposé de te joindre à nous mais … Je suis pas certaine que tu sois capable de tenir le rythme avec nous. » Et elle en riait, brièvement. Une sorte de défi qu’elle lançait, peut-être. Sachant que ceux qui profitaient de la soirée avec elle étaient du genre à étaler leur argent, payer trop de bouteilles comparé à ce qu’ils allaient boire pendant la soirée. Elle se doutait bien, que Yami n’était pas de ce style là, mais aurait bien aimé pouvoir voir ça de ses propres yeux, ne serait-ce qu’une fois.

Elle savait qu’elle avait du écouter cette petite voix dans sa tête, une qui lui conseillait fortement de ne pas écouter son ami et de rester dans son dortoir pour travailler.  Cependant, elle était déjà en présence d’une personne qu’elle connaissait personnellement et il était hors de question que la Japonaise se montre faible devant elle. Si elle avait su qu’elle croiserait Shim Moon dans la boite de nuit, elle aurait été complètement dissuadée de se montrer ce soir. Il était déjà trop tard et alors qu’elle finissait son verre d’une longue gorgée, elle se redressa, prête à parer tous types d’attaques. « Tout dépend de ta définition du mot ‘profiter’. » Jamais elle ne pourrait dire qu’elle perdait son temps à l’université alors qu’elle travaillait tous les jours très dur pour ne jamais recevoir de mauvais retours sur ses projets. Alors qu’elle se tuait au restaurant, acceptant de plus en plus d’heures pour grossir son porte-monnaie et devenir plus à l’aise durant les fins de mois. Son entourage pouvait dire ce qu’il voulait, pour Yami avoir des amis et se tuer à boire et faire la fête ne faisait pas partie de sa définition de profiter. Personne ne venait seul. La serveuse était la preuve du contraire mais elle n’était pas sûre que répondre ainsi était très intelligent si elle voulait gagner l’argument. Elle se contenta d’observer son verre vide, bien tentée de redemander une boisson pour oublier cette petite humiliation. Bien sûr qu’on lui avait posé un lapin et le fait qu’elle n’avait pas lâché son téléphone depuis qu’elle était entrée dans le club en était la preuve la plus flagrante. Seulement, la fierté mal placée de la Japonaise l’empêchait de se laisser faire de nouveau. « Non. Il est simplement coincé à son travail. Il arrive. » Bien sûr, un énorme mensonge alors qu’elle ne pouvait deviner où était Jihae à ce moment. Finalement, elle craqua et commanda un autre verre. Elle le regretterait le lendemain lorsqu’elle découvrirait les billets disparus de son porte-feuilles mais pour le moment, rajouter de l’alcool dans son système semblait indispensable. « Tu veux dire, tu as peur que je sois trop avancée par rapport à vous tout en restant sobre ? » Elle ne comptait pas forcément sur son talent inexistant de tenir l’alcool, mais sur celui d’arriver encore à faire semblant d’être sobre alors qu’elle était complètement ivre. « Ne dit-on pas qu’il vaut mieux être seule que mal accompagnée ? Excuse-moi mais tes potes péteux, non merci. » Elle reçut son verre et, en deux gorgées elle le vida devant l’autre demoiselle. Elle mettait bien en avant ce spectacle pour être sûr d’être remarquée. « Alors, ce rythme ? » Il était bien évident qu’elle ne resterait pas là-dessus et que, si elle pouvait, elle relançait le défi.