(La chenille)
tu es né ici, à séoul, en corée. ce n'est rien d'extraordinaire, c'est un peu trop ordinaire. ton père est militaire, tandis que ta mère est employée de bureau. fils unique, ils fondent beaucoup d'espoir en toi, ils te voient plus grand que tu n'as envie d'être. tu es élevé "à la militaire", ça doit être carré et rouler droit. tu ne peux pas beaucoup t'éloigner du chemin tracé devant toi et cette fichue route, tu commences à la détester plus tu prends de l'âge. ta famille veut le meilleur pour toi, tu le sais, mais ce n'est pas ce que toi tu penses être le meilleur.
mais tu souris. tu es l'adorable enfant janggok, bien élevé et terriblement mignon. tu ne fais pas de bêtises, enfin, pas en public. tu construit peu à peu cette carapace qui, tu le crois, te protège encore aujourd'hui des remontrances de tes parents, des regards malveillants des amis, voisins, collègues. tu grandis ainsi, un peu trop étriqué dans tes baskets et ça finit par te bouffer de l'intérieur. enfin, c'est plutôt toi qui bouffe. encore et encore, malgré ton intolérance au gluten. et plus tu manges, plus tu enfles, plus tu fais des séjours à l'hôpital. ça n'alerte personne.

(La chrysalide)
tu te réfugies alors dans tes jeux, dans ta musique, dans ce que tu penses qui te raccroche à l'espoir. seulement, tu te renfermes un peu plus, tu as des ennuis, pas mal d'ennuis, au lycée, à la maison. tu n'aimes pas cette nouvelle vie, coincé entre l'hôpital et la maison, tu n'aimes pas tes parents qui crient après toi que tu n'es qu'un bon à rien. tu t'enfermes dans tes idées, tu joues plus que de raison ; tu imagines que c'est mieux ailleurs, sans doute. tu as envie de vomir. gerber toute cette douleur incrustée dans ta peau, dans ta chaire. tes parents ont fait de toi ce garçon informe qui te renvoie ton reflet dans le miroir.
et puis, petit à petit, tu ne sais pas franchement pourquoi, mais tu as envie de vivre. tu rêves de liberté en visionnant des vidéos, en t'imaginant travailler dans le tourisme pour t'éloigner de cet endroit, de ta famille. tu veux voir autre chose, découvrir de nouveaux horizons et, peut-être, trouver le tien. alors tu t'affames, dans un premier temps, avant d'avoir les bons outils pour éviter les carences. tu manques d'amour, mais pas de volonté. tu trouves le sport en deuxième refuge et tes ailes se décollent doucement dans ton dos. petit papillon finira par s'envoler.

(Le papillon)
aujourd'hui, tu es en deuxième année à l'université. tu as bossé dur, tu as une bourse, et tu continues de travailler à côté. ça ne te fais pas peur car tu sais que c'est pour réaliser tes rêves. tu n'aimes pas ton passé, tu as un peu honte de toi-même, mais ta carapace te permet de continuer à sourire - malgré tout. tu relèves la tête tout doucement comme pour découvrir ce que tu aimes, qui tu es dans le fond de toi-même.
c'est certain, un jour le petit papillon que tu es prendra son envol. il faut juste encore un peu de patience.