Lorsque Ning Xi a vu le jour, elle ne s’appelait pas Ning Xi. Elle n’avait tout simplement pas de nom puisqu’elle n’était pas la bienvenue à l’instant où les parents ont découvert le sexe du bébé. Avec la politique de l’enfant unique, le couple ne voulait pas que leur seul enfant soit une fille. Ning Xi faisait partie de ces enfants cachés. Elle n’avait ni papier, ni acte de naissance. Elle n’était pas la seule enfant sans papier dans son village. C’était le triste destin de ces filles nées dans ce village perdu au nord de la Chine et dès qu’elles atteignaient leurs 12 ans, les filles sans papier étaient vendues. A l’année de sa naissance, elles étaient deux. Le choix des prénoms était facile, c’était l’année des rats (d’après l’astrologie chinoise), Ning Xi était la cadette, elle était donc nommée « Xiao Shu » pour petit rat et son ainée « Da Shu » pour grand rat.

En grandissant, les deux jeunes filles étaient devenues naturellement proches. Da Shu était plus réservée et avait accepté son destin alors que Xiao Shu trouvait que cela était injuste. Elle aimait son petit frère de 2 ans de différence mais elle ne comprenait pas pourquoi elle devrait effacer son existence pour lui. Elle voulait elle aussi aller à l’école.
Heureusement, son petit frère et elle étaient proches. Il lui donnait en cachette ses leçons et en échange, elle lui faisait ses devoirs. C’était donc en cachette que Xiao Shu apprit à lire et à écrire. C’était également à cette période qu’elle décida qu’elle allait s’appeler Ning Xi. Le Xi de l’« espoir », car elle espérait un jour pouvoir être libre de faire ce dont elle voulait. Bien entendu, il n’y avait que Da Shu et son petit frère qui l’appelait ainsi.

Mars 2007, Da Shu allait bientôt avoir 12 ans. Xiao Shu appréhendait le jour fatidique de sa sœur de cœur. Elle ne pouvait la voir partir dans un endroit inconnu. Elle n’était pas bête, ce n’était pas le bonheur qui les attendait après avoir été vendues. Elle avait peur pour Da Shu, qu’allait-elle devenir ? Et cette peur renforça Ning Yi dans son choix. Elle prit enfin la décision de fuguer en emmenant Da Shu avec elle. Au début, la craintive ne voulait pas risquer mais Ning Yi s’était montrée très convaincante. Si elles devaient mourir tôt ou tard, autant mourir en ayant essayé. Du moins, c’était ainsi que Ning Yi voyait les choses. Elle avait tout prévu, la fugue allait avoir lieu pendant qu’elle devait accompagner son frère à l’école dans la ville d’à côté. Da Shu les rejoindrait lorsqu’elle devrait aller au marché pour vendre les récoltes car les habitants de leur village leur laissaient une certaine « liberté », croyant qu’elles étaient trop peureuses pour vouloir s’échapper.

Jour J. Ning Yi était au lieu du rendez vous mais Da Shu n’était pas encore arrivée. La cadette attendait impatiemment l’arrivée de sa sœur de cœur. Mais après 10 minutes d’attente, Da Shu n’était toujours pas là. Pire, les villageois apparurent d’un coup et étaient comme à sa recherche. Ils fouillaient le moindre coin du marché pour retrouver Ning Yi. Cette dernière avait d’abord pensé que les villageois avaient attrapée et enfermée Da Shu mais elle finit par comprendre que sa sœur de cœur l’avait trahie. Mais elle n’avait pas le temps de s’apitoyer sur son sort, elle dut ravaler ses larmes pour se dépêcher de fuir. Bien évidemment, elle n’avait pas apporté d’argent car elle avait prévu que c’était à Da Shu d’en apporter. Il était plus probable pour Da Shu d’avoir de l’argent en allant au marché qu’elle, puisqu’elle était sensée accompagner son petit frère. Mais Ning Yi ne baissa pas les bras pour autant. Elle réussit tout de même à se retrouver dans la plus grande ville de sa province. Sans identité, elle ne pouvait pas gagner légalement d’argent. Elle avait commencé par voler dans les marchés puis les touristes. Elle ne ressentait pas de honte à faire la manche, à se déguiser en handicapé pour amadouer les personnes. Ning Yi s’était déguisée plusieurs fois en garçon pour éviter de paraitre trop faible.

Elle aurait pu continuer sa vie dans l’ombre et dans l’illégalité. Et qui sait ? Elle serait peut être déjà morte (au vu des embrouilles qu’elle se mettait) si elle n’avait pas rencontré son père adoptif. Ce dernier était un journaliste coréen qui était de passage en Chine. Il parlait le chinois et était habitué à vivre dans ce pays. Leur rencontre ? Un simple hasard. Ning Yi l’avait pris pour cible et elle s’était faite attrapée. La petite fille avait cru à sa fin mais c’était tout simplement le contraire. Curieusement, le journaliste, Lee Se Yoon, semblait déjà connaitre son histoire, du moins, il avait ressenti la détresse de la jeune fille. Il lui expliqua qu’il était un journaliste et qu’il était en mesure de l’aider. Ça n’avait pas été facile mais Ning Yi finit par lui donner sa confiance. D’un côté, elle n’avait pas d’autre choix. C’était clairement le meilleur choix de sa vie.

Après s’être confessée, Lee Se Yoon ne chôma pas. Ning Yi ignorait ce qu’il avait réellement fait mais tout ce qu’elle avait besoin de savoir, c’était qu’après 7 mois d’errance, elle était enfin libre. Lee Se Yoon s’était battu jusqu’au bout pour qu’elle puisse avoir une identité, un nom. Elle se souviendra toujours de ce moment où son père lui avait annoncé cela.
« Tu veux bien vivre avec moi ? A partir d’aujourd’hui, tu seras ma fille. Et je ne laisserai personne te faire du mal. » lui avait-il dit avec une voix douce. « Alors dis-moi comment tu t’appelles ? » « Ning Yi… » avait elle dit faiblement, surprise car il connaissait déjà son prénom. Le journaliste sourit. « Non. Je m’appelle Lee Se Yoon. Et toi tu es ?... » La petite fille, presque timide, finit par affirmer avec un grand sourire. « Ning Yi. Je m’appelle Lee Ning Yi. »