Les yeux fixés une seconde de trop sur son téléphone, l’étudiante en littérature manque de louper l’arrêt de métro qui la mènera à Gangnam. Jiyool ne vient pas souvent dans ce quartier, elle se demande même si ce n’est pas la première fois qu’elle y met les pieds depuis son arrivé à Séoul. Et elle aurait sûrement été un peu plus impressionnée par les bâtiments surdimensionnés qui l’entourent quand elle remonte à la surface si elle n’était pas aussi perturbée par le sms qu’elle a reçu il y a quelques heures. Ce n’est pas rare que Junwan lui envoie des messages, loin de là, la coréenne a tout de suite accroché avec le mannequin quand ils se sont rencontrés par pur hasard l’année dernière… Ce qui est plus étonnant, c’est la façon dont le plus jeune est resté vague presque mystérieux sur la raison de son message et surtout, sur la raison de son invitation. La future éditrice n’a jamais mis les pieds chez son cadet et elle s’interroge sur le pourquoi il l’invite tout à coup, elle s’inquiète presque. Elle n’a pas tellement de raison de s’inquiéter en réalité mais elle n’arrive pas à s’en empêcher, son anxiété naturelle qui est aujourd’hui nourrie par sa curiosité maladive. Espérant que rien de grave ne soit arrivé à Junwan, elle suit à la lettre les indications de son gps qui doivent la mener jusqu’à la maison du sango. La taille de la maison qui apparait devant ses yeux ne la surprend pas, ni même la beauté de la façade, elle se doute un peu que lord qu’on habille ce quartier si chic, on possède ce genre de baraque. Jiyool se dit seulement qu’elle n’aura jamais les moyens de vivre ici, son budget lui permet à peine de louer plus d’un studio dans un quartier populaire alors Gangnam n’a jamais été une option pour elle. Peut-être dans quelques années, si elle devient une éditrice mondialement connue ou bien si elle se marie avec un homme riche. Un sourire fleurit sur ses lèvres à cette pensée, dans les deux cas, ce n’est pas pour tout de suite alors adieu ce beau quartier qui fait rêver. Quand elle se décide enfin à avancer vers la porte d’entrée, le stress fait de nouveau bouillonner son sang. Vivement que Junwan la débarrasse de ce poids. Énergiquement, elle appuie plusieurs fois (trop de fois) sur la sonnette pour signaler sa présence. Et comme le temps lui parait incroyablement loin quand elle se sent anxieuse, elle finit vocaliser son arrivée quelques secondes plus tard à peine. « Junwan ! C’est moi, ouvre vite ! » elle crie à travers la porte. Tu me stresse, elle pense sans pour autant le dire, mais elle se doute que son cadet doit le sentir dans sa voix. Elle gère mal les situations à stress ce n’est pas nouveau, tout ira mieux quand sa peluche préférée lui dira pourquoi il lui a fait traverser la ville pour lui faire annoncer quelque chose d’ « important » comme il l’a indiqué dans son sms.

Junwan a toujours pensé que cette maison est trop grande pour une seule personne. Quand il est arrivé ici, après le décès de ses parents, il se rappelle s’être demandé comment sa grand-mère avait pu vivre ici seule pendant des années, avant son arrivée et après le décès de son mari. Même en vivant à deux, avec elle, il avait trouvé que rien ne pouvait remplir le vide de l’endroit – et ce même si la décoration était constituée d’un nombre incalculable de meubles de valeurs. Maintenant qu’il y vit seul, il ne peut qu’approuver cette ancienne pensée : cet endroit est décidément trop grand et trop vide. Comme un trou noir, il a l’impression que son énergie vitale est aspiré quand il y est obligé d’y aller. Il perd son sourire, sa joie de vivre, redevient plus ou moins le Junwan de l’époque où il est arrivé, celui qui vient d’apprendre le décès de ses parents.
En tout cas, en temps normal ; parce que dans l’immédiat, Junwan a le sourire. Même l’obscurité de cette maison ne peut pas égaler l’immense joie qu’il ressent.
Si ça n’avait tenu qu’à lui, il aurait fait en sorte que Lucas soit celui qui annonce la nouvelle à Jiyool. Non pas qu’il ne voulait pas le faire ou qu’il se juge pas assez proche de cette dernière, simplement que Lucas et Jiyool ont un lien particulier et peut-être un peu plus complice que Jiyool et lui.
Néanmoins, quand il a évoqué l’idée avec son petit copain (l’évoquer avec ce groupe nominal lui fait encore bizarre), Lucas lui a demandé avec le regard suppliant dont il a le secret de s’en charger. C’est ce qui a poussé Junwan à proposer à Jiyool de venir chez lui pour qu’il lui annonce quelque chose d’important.
Lorsque la sonnette brise cinq fois d’affilée le silence de la maison, Junwan sursaute en se demandant ce qui peut bien se passer. Il ne saisit pas de suite que c’est Jiyool qui est arrivée et ne le comprend qu’en entendant la jeune femme le supplier d’ouvrir rapidement la porte. Il se met à courir jusqu’à la porte, persuadé qu’il se passe quelque chose (peut-être que quelqu’un l’a suivie ? Ou qu’elle est blessée ?), et l’ouvre brutalement. « Qu’est-ce qu’il y a ?! Tout va bien ?! » s’exclame t-il d’un air inquiet, face à l’air tout aussi angoissé de Jiyool. Il jette plusieurs regards autour d’elle, puis sur elle, afin d’identifier la source de tout ce mouvement, mais il n’y a décidément rien. « Ça va noona ? » redemande t-il, cette fois-ci le ton plus calme, perplexe. Il est loin de s’imaginer qu’il a provoqué toute cette angoisse chez la sango.

La jeune femme a toujours eu l’inquiétude facile, voire même la panique facile. La peur que le pire arrive toujours, à sa malchance et elle, mais surtout aux autres. La négativité à l’état pur qui lui rappelle combien elle peut tout perdre en un claquement de doigt. Elle a déjà connu cette situation plusieurs fois et quand elle regarde son parcours depuis qu’elle est arrivée à Yonsei, elle se dit que tout va bien. Tout va trop bien et que la malchance n’est pas venue frapper à sa porte depuis bien trop longtemps à son goût. Alors quand Junwan l’invite chez lui sans une explication, elle s’attend au pire même si elle essaie de se raisonner en se disant que ce qu’il a lui dire ne peut pas être si terrible. Cette idée ne l’aide cependant à diminuer le stress qui amine ses pas. Devant la maison de Junwan, elle ne prend même pas le temps de détailler la belle maison, qui pourtant rentrerait bien dans les critères de sa maison de famille idéale. Jiyool n’a pas le temps pour cela, elle veut savoir pourquoi son cadet l’a fait venir jusqu’ici avant qu’elle fasse une crise cardiaque à s’inquiéter ainsi. La mannequin ne se fait pas tellement attendre quand elle se déchaine sur la sonnette avant de l’appeler. Junwan se presente devant elle, le regard aussi inquiet que le sien, ce qui la fait un peu plus monter en pression. L’étudiante hausse un sourcil à ses questions, bien sûr que tout va bien. Enfin, non, elle n’ira pas bien tant qu’elle ne saura pas pourquoi elle est ici. « C’est plutôt à moi de te demander ça ! » elle dit pour simple réponse, regardant le jeune homme de façon incrédule. « Pourquoi tu m’as fait venir ici ? Tu vas bien ? Ne me dis pas que t’es malade ? Oh mon dieu, mon pauvre. Attends, est-ce que Lucas va bien ? Oh nan, ce petit chat, je lui avais dit qu’il ne mangeait pas assez. Il va bien, il est où ? Il ne s’est pas évanoui quand même ?? D’ailleurs, tu ne m’as pas répondu… Tu vas bien, hein ? T’as l’air d’aller bien. Tant mieux. » elle se coupe uniquement parce qu’elle manque de souffle pour continuer de plus belle, ce ne sont pas les questions qui manquent dans son esprit. En reprenant sa respiration, elle se rend compte qu’elle n’a pas laissé Junwan en place une et que s’il n’a pas répondu, c’est sûrement parce qu’il n’a pu trouver une seconde pour le faire. Elle se mord la lèvre, un peu coupable, mais son anxiété ne redescend pas. « Et du coup, pourquoi tu voulais me voir ? » elle demande finalement, toujours sur le pas de la porte, en clignant activement des yeux, une mine inquiète qui ne semble plus vouloir quitter son visage. Non, elle arrêtera de paniquer quand son cadet lui aura dit la raison de son invitation.

Ces derniers jours, l’esprit de Jun Wan est tellement rempli de choses positives qu’il n’envisage pas une seule seconde que Ji Yool est paniquée par sa faute. Face à la mitraillette de questions qu’elle lui pose, il la fixe silencieusement, surpris et pris de court (et il note quand même qu’elle appelle Lucas mon petit chat et se promet de ne jamais oublier ce détail). Heureusement, elle se calme toute seule et Jun Wan se met à sourire quand il comprend qu’elle réalise qu’elle a peut-être un peu surréagi. « Déjà, rentre. Et ne t’en fais pas, ce n’est rien de grave. Bien au contraire. » dit-il en attrapant Ji Yool par le bras pour l’entraîner délicatement à l’intérieur. « Tu devrais peut-être te mettre au rap, tu as un flow de paroles impressionnant quand tu t’y mets » plaisante t-il le temps que Ji Yool enlève ses chaussures pour mettre les chaussons d’intérieur. « Je suis désolé de t’avoir fait autant paniquer, je n’avais pas pensé que le suspens pouvait créer des pensées sombres. Mais je t’assure qu’il n’y a rien de mauvais dans l’annonce que je veux te faire, alors tu peux t’asseoir, te détendre, et me dire si tu veux boire quelque chose, par exemple ? » propose t-il avec douceur, sans perdre son sourire, en espérant qu’il a fait redescendre un peu la tension chez la jeune femme.

Cela fait des années que Jiyool panique pour pas grand-chose, depuis que sa mère l’a abandonné sur le palier de la porte de sa tante. Elle imagine le pire pour absolument tout et un simple « il faut qu’on parle » ou un pauvre « est-ce qu’on peut se voir ? » prend instantanément des proportions énormes avec elle. Pourtant, avec le temps, elle a appris que bien quatre-vingt dix pour cent des choses qu’elle s’imagine ne se produisent jamais. L’étudiante sait que ses pensées négatives et angoissantes vont bien plus loin que la réalité, mais c’est fort qu’elle. Son anxiété est plus forte qu’elle. Alors elle s’inquiète un peu plus quand Junwan ne lui dit pas immédiatement la raison de son invitation. Les yeux écarquillés, le souffle saccadé, cela se lit dans toute son attitude qu’elle est totalement paniquée. Pourvu que rien ne soit arrivé à ses deux dongsaengs favoris. Heureusement, le sourire de Junwan le rassure sur le fait que rien de grave ne s’est produit, enfin elle espère. Alors quand le plus jeune lui annonce qu'au contraire, ce qu’il doit lui dire est positif, ses épaules se détendent un peu et elle pose sa main sur son cœur en soupirant de soulagement. La sango laisse le garçon la traîner à l’intérieur où elle troque ses chaussures contre des chaussons bien trop luxueux pour ses pieds. Les sourcils froncés suite à la remarque du plus jeune qui s’amuse de sa réaction, elle couine piteusement en relevant les yeux vers lui. « C’est pas drôle… ». Puis elle s’est déjà essayée au rap dans une passe sombre de sa vie, un échec, elle est bien plus à l’aise lorsqu’elle chante pour accompagner sa guitare. Mais ce n’est pas le sujet. Elle pénètre dans la maison, laissant ses yeux voyager d’un mur à un autre, d’un meuble à un autre, de fenêtres à la décoration. C’est joli et ses orteils trouvent ces chaussons drôlement confortables. Ces yeux reviennent vers Junwan et elle cligne des yeux, un peu impressionnée par tout ce qu’elle voit, elle en oublierait presque de lui répondre. « Je me détendrai quand tu m’auras annoncé la nouvelle… » elle déclare, en souriant doucement à Junwan avant de laisser de nouveau ses pupilles se balader dans la maison du jeune homme. « C’est joli chez toi. » elle souffle, elle rêve d’avoir accès à ce luxe un jour. Elle travaille dur pour cela, pour avoir la chance de vivre dans un tel endroit avec sa future famille. Son sourire se fait plus franc alors qu’elle s’avance un peu plus à l’intérieur de l’habitacle. « Je veux bien un café cela-dit, s’il te plait. ». Elle a toujours envie d’un café.

Jun Wan fait une moue amusée quand elle lui dit que ce n’est pas drôle. Il n’en est pas si convaincu : pour lui, c’est particulièrement drôle. Mais il conçoit qu’il vaut mieux ne pas prolonger la blague, alors il s’excuse et essaie de la rassurer. « Tu m’as déjà l’air un peu plus détendue » commente t-il tandis qu’ils rentrent dans le loft de Jun Wan. Il remarque le regard de la jeune femme qui s’attarde sur la décoration et sourit au compliment. « Oui, je suis d’accord, mais c’est tellement vide que ce n’est pas très chaleureux. Ce n’est pas un endroit fait pour vivre seul » explique t-il avec un sourire un peu triste. Heureusement, ces derniers temps, Lucas vient régulièrement, mais il ne peut pas se permettre d’être tout le temps là non plus. Entre ses nombreux boulots et les études, il passe plus de temps en dehors qu’ici et à chaque fois, Jun Wan se retrouve seul ici. Jun Wan retrouve un sourire chaleureux quand elle lui demande un café. « Très bien » Il marche en direction de la cuisine où il commence à préparer le café dans la machine faite pour ça. Il ne lui faut qu’un petit moment pour que la tasse de café soit prête et il la pose sur le comptoir de la cuisine de suite après. « Je t’en prie, assieds-toi » propose t-il en montrant de la main un des deux tabourets installés face au comptoir. Il s’installe lui-même sur celui qui reste après que Ji Yool se soit assise et l’observe quelques secondes sans rien dire, un sourire aux lèvres, avant de réaliser que ce silence risque de la paniquer encore plus. Alors, il reprend la parole. « Bon, alors, j’aurais préféré que Lucas te le dise lui-même puisque vous vous voyez plus souvent, mais il n’a pas l’air d’être prêt à le faire donc il m’a demandé de te le dire. » Il marque une courte pause. « Je sors avec Lucas » annonce t-il finalement, un air rempli d’appréhension sur le visage tandis qu’il dévisage l’étudiante en espérant lire sur son expression ce qu’elle en pense. Il doute qu’elle réagisse mal, mais elle ne peut être qu’étonnée par l’annonce. Jun Wan n’a jamais dit à Ji Yool qu’il aimait les garçons, ni qu’il aimait Lucas. Il ne sait pas non plus si elle l’a deviné ou non, comme certains de ses proches, parce qu’elle ne lui en a jamais parlé.

Pour toute réponse, Jiyool sourit tristement au garçon avant de le suivre le suivre dans la cuisine. Elle comprend parfaitement ce sentiment, c’est la raison principale pour laquelle elle a quitté son ancien appartement pour le dortoir sango. L’étudiante s’installe sur l’un des tabourets du comptoir aux côtés de Junwan. Le petit silence qui s’installe la fait un peu stresser mais elle n’ose pas forcer le plus jeune à prendre la parole. Alors Jiyool attend qu’il le fasse de lui-même. La jeune femme hausse un sourcil lorsqu’il reprend, complétement perdue face à ce que le mannequin raconte. Pourquoi Lucas préférerait-il que ce soit Junwan qui lui annonce un truc pareil... « Ah ok.. Et pourquoi vouliez-m’en parler ? » elle demande avec toute l’incompréhension du monde. Elle n’arrive pas à comprendre pourquoi Lucas et Junwan tiennent autant à lui dire qu’ils font des sorties tous les deux. Jiyool fait des sorties avec ses amies proches, et même moins proches, elle ne se sent pas pour autant obligée de l’annoncer à la terre entière. Tant mieux si Lucas et Junwan sont assez proches pour faire des sorties tous les deux, mais elle n’a jamais douté de leur affection pour l’un l’autre. Alors elle ne voit pas de bonne raison pour que Lucas sente nécessaire de la prévenir de leur belle amitié. « Vous m’invitez à participer à votre sortie ? » elle continue avant de sourire de façon attendrie. Si c’est ça sa bonne raison, alors elle trouve ça vraiment trop mignon que Junwan et Lucas lui fassent une telle proposition. Mais elle n’en a pas besoin, presque elle trouverait ça gênant de se retrouver entre les deux plus jeunes. Certes, ils sont ses amis mais elle est plus une figure maternelle pour eux, enfin surtout pour Lucas. Ou plutôt c’est ce qu’elle croit être en tout cas. Puis Junwan et Lucas ont un lien amical si particulier que Jiyool s’imagine très mal s’incruster entre eux. « Tu sais Junwan, moi aussi j’ai des amis avec qui sortir… T’es pas obligé de m’inviter à faire des sorties avec vous, tu sais ? » Jiyool reprend d’une voix douce, elle ne veut pas que son refus indirect soit mal pris par le jeune homme. Ce n’est pas le but de sa réponse, elle veut simplement qu’il comprenne que ni lui ni Lucas ne doivent se sentir obligés de la promener à droite à gauche avec eux. La sango n’a pas besoin de cela pour être profondément attachée à eux. « C’était ça ta grande nouvelle ? » elle ricane, le cœur soulagé que ce soit un truc aussi bénin. Après tout les scénarios qu’elle s’est inventée, elle n’aurait jamais imaginé que ce puisse être une chose aussi simple, aussi stupide. « Je suis pas sûre que j’avais besoin de traverser la ville pour ça… Mais ça me fait plaisir que tu ais pensé à moi. » elle sourit puis elle se penche vers Junwan pour porter la main sur le haut de la tête du plus jeune pour le tapoter. C’est moins pratique à faire sur Junwan que sur Lucas, sa petite crevette favorite qui est légèrement plus court sur pattes, mais elle aime quand même traiter Junwan comme le gosse qu’elle n’aura jamais.