Le regard fier suit le stylo de Lily qui inscrit les dernières lignes de son devoir sur sa feuille. C’est la deuxième fois que Doha lui vient en aide pour de la physique et sa fierté s’en sort grossie à chaque fois. Loin de se douter que Lily aurait pu s’en sortir sans lui – en mettant un peu plus de temps, certes – il se considère comme le sauveur de sa camarade et n’essaie pas de le cacher. «  Qu’est-ce que t’aurais fait sans moi si j’étais pas passé pile à ce moment-là devant toi ? » demande t-il dans une question rhétorique formulée uniquement dans l’objectif de lui faire réaliser la c h a n c e qu’elle a d’avoir eu comme professeur Lee Do Ha.
Lee Do Ha qui n’est, de toute façon, pas passé devant elle à ce moment-là par pur hasard. Mais jamais il n’admettra qu’il est passé devant elle pour qu’elle le remarque.
Assis sur la table où elle a posé son devoir, il la regarde de haut finir d’écrire son dernier mot et croise son regard quand elle lève la tête vers lui pour lui répondre. Bien sûr qu’il aurait pu s’asseoir sur la chaise juste à côté d’elle, mais est-ce que ça lui aurait permis de se sentir aussi classe qu’il se sent actuellement ? Probablement pas.
Ce n’est pourtant pas comme s’il cherchait à paraître classe tous les jours. Il a plutôt l’habitude de s’en foutre de ce que pensent les autres de lui – à part si « les autres » est une fille un peu plus âgée remplie d’amour maternel à revendre – et même de les provoquer quand il s’ennuie. Mais ces derniers temps, paraître classe aux yeux de Lily semble être devenu un de ses objectifs, sans qu’il ne s’en rende compte (de toute façon ce n’est pas comme s’il l’aurait admis même s’il s’en était aperçu, parce que jamais Lee Do Ha ne se rabaisserait à vouloir paraître cool aux yeux d’autrui).
Le regard plongé dans celui de la sango, un rictus fier sur le visage, il attend les remerciements. Merci de m’avoir aidé, qu’aurais-je fait sans toi ? Mais ces mots ne viennent pas. À la place, une invitation qu’il n’avait pas prévue.

Pour être tout à fait honnête, elle aurait très bien pu s’en sortir toute seule. Bien sûr, ce n’est pas la plus douée en physique, Lily est plutôt orientée biologie, mais le devoir en question n’est pas sorcier du tout. Pourtant, elle se retient de faire de le faire remarquer à Doha, non pas parce qu’elle est trop gentille mais parce qu’elle le trouve adorable à vouloir absolument l’aider. Lily a longuement observé son camarade sango et elle ne l’a pas vu agir ainsi avec beaucoup de personne, elle semble déclencher quelque chose de particulier chez le garçon et ce n’est pas pour lui déplaire. Cela lui arrache même un sourire alors qu’elle relit rapidement sa copie. La jeune femme lève finalement les yeux vers Doha, toute son attitude indique la fierté qu’il ressent à cet instant. Que ce soit sa voix, ses paroles, son regard mais aussi la façon dont il s’est installé contre la table malgré la présence d’une chaise libre à côté de Lily. Aux yeux de l’étudiante, il est adorable, certes, mais également un peu idiot à jouer ainsi au coq devant elle. Elle n’a pas besoin de cela pour s’attacher à lui, tout comme elle ne semble pas avoir besoin de déplacer des montagnes pour se frayer un chemin dans son cœur. Doha est juste incroyablement aveugle, ou simplement bête. Un léger rire s'échappe de ses lèvres quand elle remarque que le sango attend ouvertement ses remerciements pour sa précieuse assistance. Lily ne veut pas lui faire se plaisir, après tout elle s’en sortait parfaitement toute seule. Et une idée bien plus intéressante fleurit dans son esprit. Le regard pétillant et la voix joyeuse, elle se décide à continuer la journée sur des notes originales. « Dis, Doha. Maintenant que j’ai réussi à finir mon devoir, ça ne te dirait pas d’aller prendre un café ? ». Pas qu’elle veuille sous-entendre qu’elle aurait sans doute réussi à finir seule et que le jeune homme n’avait été que peu utile, mais un peu quand même. De toute façon, l’importance de sa question se tient dans la fin, là où Lily lui propose un rendez-vous mais elle n’est pas sûre que la demande soit assez claire pour Doha. « Tu sais, juste tous les deux. » elle insiste sans jamais le lâcher des yeux. Au fond, elle se doute que ce sera jamais assez limpide pour que Doha comprenne ses intentions mais elle ne désespère pas, peut-être un jour.

Il tend son torse en avant comme un cheval fier de sa course en attendant les remerciements de Lily, mais ceux-ci ne viennent pas ; et il ne peut s’empêcher d’avoir une expression renfrognée quand, à la place, elle l’invite à passer du temps avec elle. Ne vous méprenez pas, ce n’est pas qu’il ne veut pas – au contraire, passer davantage de temps aux côtés de Lily lui fait plaisir – mais il estime ne pas avoir été assez remercié et ça le frustre. D’ailleurs, non seulement elle ne lui dit pas merci, mais pas non plus sil-te-plaît ; comme si c’était elle qui faisait l’effort de se plier aux désirs de Doha en restant avec lui, et non pas le contraire.

Il reste silencieux quelques secondes, son regard plongé dans celui de l’étudiante, les sourcils haussés, une expression intriguée et perplexe sur le visage. « Pourquoi ? J’ai l’air si fatigué que ça ? » demande t-il finalement. « C’est vrai que c’était pas une tâche aisée de te faire comprendre ce devoir » acquiesce t-il, sans attendre de réponse (autant se complimenter lui-même vu qu’elle ne semble pas disposée à le faire). « D’accord pour un café » reprend-il finalement, l’air toujours aussi suffisant qu’avant. Il accepte la proposition uniquement parce qu’elle lui doit bien ça, et non pas pour passer du temps seuls : c’est en tout cas ce qu’il veut faire croire, et ce qu’il veut lui-même croire. Mais au fond il le sait, il le sent, il ignore juste les signes parce que ça ne l’arrange pas de l’admettre. Ça ne va pas dans le caractère qu’il s’est forgé toutes ces années, celui d’un robot qui ne ressent rien, et encore moins du plaisir en compagnie d’une autre personne.

Les remerciements ne sont pas à l’ordre du jour selon Lily parce qu’elle ne veut pas remercier pour quelque chose qu’elle n’a pas demandé et dont elle n’a pas besoin. Elle a beau grandement apprécié Doha, elle refuse à le faire uniquement parce qu’il est adorable et qu’il réclame qu’elle le fasse, il ne le dit pas mais cela se voit. La jeune femme pense qu’il doit apprendre à ne pas recevoir tout ce qu’il attend, faire face au refus c’est comme cela qu’on grandit. Et dieu sait combien Doha en a besoin, être un peu plus indépendant et moins friand de la reconnaissance des autres. Et Lily est tout à fait disposée à lui montrer et à lui apprendre en lui tenant tête. Alors, faisant abstraction de l’air bougon qui s’installe sur le visage de Doha, l’étudiante lui pose d’aller prendre un café, en tête à tête. Chose que le jeune homme ne relève pas vraiment, mais cela n’étonne pas Lily. Cela fait longtemps qu’elle a remarqué que Doha n’était pas très perspicace sur le sujet, tant pis, elle attendra le temps qu’il faudra au sango pour comprendre ce qu’elle entend par « juste tous les deux ». Alors elle lâche le garçon du regarde pour rouler les yeux, de façon un peu dramatique, avant de lâcher un petit rire jaune devant l’autosatisfaction de ce dernier. « T’as la même sale tête que d’habitude, t’en fais pas. » elle déclare un sourire sarcastique sur les lèvres avant de commencer à ranger ses affaires l’air de rien. Puis elle se lève de nouveau les yeux vers Doha. « Tu comptes m’aider à ranger ou tu vas juste me regarder faire ? » Lily demande en haussant un sourcil, elle connait la réponse alors elle soupire avant de se lever de sa chaise pour finir de ranger. Pour le romantisme ou rien que la galanterie, elle est tombée sur la mauvaise personne, elle le sait mais elle ne perd pas espoir en se disant qu’un jour peut-être, Doha se réveillera miraculeusement galant. Elle y croit même dur comme fer. Sac sur l’épaule, elle secoue la tête vers Doha, un sourire compatissant sur le visage, un jour peut-être il comprendra. « Il y a un salon de thé sympa dans le centre, suis-moi. ». Un endroit calme, une ambiance chaleureuse et romantique, tout ce qu’elle aime. Puis sans attendre une réponse, Lily s’éloigne pour quitter la bibliothèque.

Doha observe l’étudiante pendant qu’elle rigole mais répond du tac-au-tac quand elle prend la parole. « C’est vrai ? Ha... » soupire t-il quelques secondes. « J’imagine qu’être avec toi me donne une sale tête, t’es tellement insupportable » affirme t-il d’un air excessivement sérieux, en toute mauvaise foi. Plutôt qu’être sincère, Doha préfère dire le contraire de ce qu’il pense, mais ce n’est pas difficile de deviner qu’il ment. Pas besoin de connaître beaucoup l’étudiant pour savoir qu’il ne traînerait jamais avec quelqu’un qu’il pense réellement insupportable ; et il l’aiderait encore moins dans ses devoirs. Haussant un sourcil, Doha rétorque : « Pourquoi je t’aiderais ? Débrouille-toi avec tes affaires ». Mais Lily semblait s’attendre à une telle réponse, et tant mieux. Pendant qu’elle range, il se lève et perd les centimètres que lui avaient fait gagné sa position sur la table. Au fond de lui, il déteste l’étudiante pour être si anormalement grande, mais il se déteste encore plus pour ne faire que quatre centimètres de plus qu’elle. Même en bombant le torse comme un pigeon, quatre centimètres ne sont pas suffisants pour paraître vraiment au-dessus. Sans avoir le temps de répondre autre chose à la sango, Doha se retrouve à la suivre en dehors de la bibliothèque, en direction du salon de thé sympathique dont elle parlait. Il en oublie même qu’il n’a pas ses affaires sur lui : il n’a pas pris son sac, où il y met toujours une tonne d’affaires inutiles au cas où. Son sac de secours, qui le rassure par sa simple présence et l’angoisse par sa simple absence. Celui qu’il n’oublie jamais ; car ses peurs de l’imprévu sont habituellement plus fortes que tout le reste. Mais pas plus que la présence de Lily, il semblerait.

Lily ne répond pas quand le jeune homme lui dit qu’elle est insupportable, il ne serait très certainement pas là s’il le pensait vraiment. Il ne lui aurait pas non plus proposé ou plutôt imposé son aide si c’était le cas, et ne parlons même pas d’accepter de boire un café avec elle. Doha fait juste preuve de mauvaise foi et elle le sait. Alors pour toute réponse, elle se contente de sourire un peu plus le fixant bien dans les yeux pour lui montrer que sa langue de vipère ne l’atteint pas, au contraire, cela l’a fait plus rire qu’autre chose. Puis elle change de sujet en se levant pour ranger, osant demander l’aide du sango bien qu’elle sache d’avance qu’elle va se prendre un refus. Lily ne retient pas un soupir profond, se disant que s’il y a quelqu’un d’insupportable ici, c’est bien Doha et pas elle. L’étudiante ne perd pas espoir pour autant, elle est convaincue qu’au fond de ce cœur froid et de se comportement plus que puéril, il y a un homme (ou presque) qui n’attend qu’elle pour s’épanouir. Un jour. En attendant, Doha reste un gamin de dix ans dans le corps d’un homme de dix-huit ans. Avec un dernier regard bienveillant vers le garçon, Lily file vers la sortie ordonnant au plus jeune de la suivre. Elle ne vérifie même pas que le sango la suit, elle sait qu’il le fait. Ainsi elle profite du vent dans les feuilles et des oiseaux qui piaillent sur le trajet, tout en chantonnant un des ses titres français préférés. Lorsque le café dont elle parlait pointe le bout de son nez, elle s’engouffre dedans, retenant quelques secondes la porte pour Doha sans pour autant lui accorder un regard. D’une voix fatiguée, elle commande un chocolat chaud à la noisette, avant de remercier le serveur. Puis enfin, elle accorde un regard à Doha. « Je te laisse régler et récupérer ma boisson, je vais m’installer. » elle déclare avant de s’éloigner tranquillement vers une table contre la grande baie vitrée. Lily ne lui laisse pas le choix, parce qu’elle sait qu’il ne le fera jamais de sa propre initiative. La sango décide de créer les initiatives d’elle-même jusqu’à ce que cela devienne naturel pour Doha de le faire. Et il y encore du boulot.

Doha rentre dans le café sans dire un mot, il suit sagement Lily sans pour autant partager son enthousiasme. Il ignore comment elle fait pour être de si bonne humeur, à regarder autour d’elle avec cet air léger sur le visage, ce petit sourire et en chantonnant une chanson. Dans ses souvenirs, Doha n’a jamais été d’aussi bonne humeur ; dans ses moments les plus joyeux, au pire, il avait un léger sourire sur le visage (un vrai sourire, pas celui qu’il créé pour être socialement accepté) et si ses souvenirs sont bons, ça n’est arrivé récemment que grâce à Lily.
Il chasse d’un mouvement de tête cette pensée aussi vite qu’elle arrive ; il sait bien qu’être avec la jeune femme est agréable pour lui mais il n’a ni envie de l’admettre, ni envie de se demander pourquoi. Il s’apprête à passer commande quand il est interrompu par Lily qui lui donne l’ordre de payer et pendant un instant, il accepte l’idée. Chose qu’il n’aurait jamais fait en temps normal, parce que Doha ne paie rien à personne, encore moins à lui-même, principalement parce qu’il n’en a pas l’argent.
Mais de toute façon, là, la question ne se pose pas ; car au moment où il cherche sa carte bleue, il réalise qu’il n’a pas pris son sac avec lui. À cet instant, il est frappé d’horreur, parce que Doha n’oublie jamais son sac. Son sac est trop précieux, tout ce qu’il y contient est nécessaire à sa survie ; lui qui est rempli d’angoisses, comment a t-il pu les oublier au point de ne pas prendre son sac ? « Euh… attendez quelques secondes, sil vous plaît » murmure t-il d’un air embarrassé (chose rare) à la serveuse, avant de marcher vers la table où Lily s’est installée sans son accord. « Je n’ai pas pris mes affaires avec moi » s’exclame t-il quand elle pose ses yeux sur lui (d’un regard qui veut dire : t’as payé ?). Elle ne réalise sans doute pas à quel point il est improbable que Doha oublie ses affaires, ils ne se connaissent pas depuis assez longtemps pour qu’elle comprenne et tant mieux pour lui. « Si tu tiens tant que ça à ce que je paie ta boisson, je te ferai un virement quand on sera rentré au dortoir. Mais là, je ne peux pas. » explique t-il, sans lâcher l’étudiante du regard.

Au moment où Lily s’éloigne de la zone de commande pour trouver une table, elle ne peut s’empêcher de sourire un peu plus, totalement satisfaite de forcer Doha à lui offrir une boisson. Cela aurait été n’importe qui d’autre que Doha, elle aurait très certainement ressenti un peu de remords. Mais là, pas une seule fois le remord ne lui traverse l’esprit, ce n’est pas comme si elle lui demandait de lui payer un menu complet dans un palace non plus. Pour se faire pardonner de ce coup-bas, Lily lui offrira une séance de cinéma ou un bon livre sur la biodiversité. La sango s’installe à une table au calme où elle attend patiemment le retour de Doha et de leurs boissons. Problème lorsque Doha revient vers elle, il a les mains vides. La jeune fille lève un sourcil pour toute forme d’interrogation avant que le garçon lui dévoile la raison pour laquelle il ne lui a pas apporté sa boisson. Levant les yeux au ciel, Lily se demande quelques instants si ce n’est pas juste une bonne excuse de l’étudiant pour éviter de payer. Non, quand même, il n’oserait pas aller aussi loin pour éviter de lui offrir une boisson quand même… « Je vois. » elle répond, plantant ses pupilles dans celles de Doha pendant de trop longues secondes. Non, il n’oserait pas ou il n’a pas intérêt à avoir oser en tout cas. Dans un soupir exagéré, Lily se lève son porte-monnaie à la main. Sans un mot supplémentaire, elle rejoint le comptoir pour régler leurs boissons avant d’attendre qu’elles soient prêtes. Lorsqu’elle rejoint Doha à la table qu’elle a choisi, la jeune femme aborde un grand sourire malgré qu’elle ait dû payer elle-même. La petite française décide de ne pas laisser la bêtise ou le manque de coopération de Doha entraver son bonheur. Non, elle va profiter de cet instant en sa compagnie et elle va outre-passer toutes les lagunes en termes de relations sociales qu’il a ; relations sociales car il n’est pas pensable de dire ‘en termes de drague’ à ce stade-là car il est évident que Doha est tout à fait incapable de séduire quelque chose d’autre qu’une pierre. Cela viendra un jour mais il y a un bon bout de chemin à faire avant. Prenant place devant le garçon, elle dépose les boissons sur la place, avant de prendre une gorgée de la sienne. Le liquide est encore brûlant, mais ce n’est pas quelque chose qui le gêne. « Tu sais, Doha. Ce n’est pas que je tiens à ce que tu payes ma boisson, c’est ce que j’aurais apprécié que tu penses à me l’offrir. » elle commence alors qu’elle déporte ses yeux vers l’extérieur et le temps un peu grisâtre. « C’est tout à fait différent. » elle sourit vaguement face à la baie vitrée, puis elle se replace correctement, le visage face à celui du jeune femme. Bien sûr, Lily ne s'attend pas à ce que son ami capte la nuance, ni même ne comprenne le sous-entendu qu’elle fait en disant qu’elle voulait qu’il lui offre un truc à boire de façon volontaire. « Disons que cela m’aurait fait plaisir, mon lapin. » conclut-elle, penchant légèrement la tête sur le côté, un sourire malicieux sur les lèvres. Elle finit sa phrase par ce petit surnom affectif en français qu’elle aime tant donner à Doha. La jeune étudiante en a de toutes sortes pour le garçon et bizarrement, ce sont tous des noms de petits animaux trop mignons.