1995 : Comment ne pas tomber sous le charme devant ses petits bébés au visage rougi par leurs larmes et leurs cris ? Il aurait été difficile pour des parents désireux de rencontrer leur progéniture de résister devant nos deux visages. Dire qu’il devait y en avoir juste un seul… et nous sommes deux au final.

1996 : La vie est dure, mais c’est la vie. Une leçon à laquelle nous serons confrontés des années plus tard. L’existence a été des plus cruelles avec nous alors que nous étions encore des bébés. Nous avions tout juste une année de vie quand notre famille nous fut arrachée. Un incendie se déclara pendant le repas familial. Il décima tous les membres des Kang sauf nous deux. Comment est-ce possible ? Impossible de vous répondre parce que j’avais une seule bougie à mon actif. Mes souvenirs sont tellement vagues que les marais ont des eaux plus limpides.

2003 : Depuis combien de temps sommes-nous entre ses murs froids ? Je me souviens plus. Cela fait des années que les couples ne portent plus leur choix sur nous. Pourquoi ? Trop de responsabilités. Un seul enfant, pas deux voyons ! Cependant je ne souhaite pas me séparer de mon double. Il est toute ma vie. Il y a plus personne dans notre famille en dehors de nous deux. Les gens ne veulent pas le comprendre ? Jamais on ne pourra me faire quitter mon jumeau. A la vie, à la mort !

Une belle promesse que je ne peux pas tenir malheureusement. Un couple m’adopte – sans mon frangin – parce que leur union reste stérile. Ils paraissent être des parents normaux. Ont-ils appris que notre héritage est conséquent ? Seront-ils capables de mettre la main dessus avant la date limite imposée par mes parents ? Espérons que non… Je dois dire « au revoir » à mon alter ego. Jamais je ne me suis senti plus mal que ce jour-là. Les larmes ne cessaient pas de couler sur mon visage. Je m’accrochais à lui suppliant mes nouveaux parents de le prendre avec nous. Ma crise ne reçut rien comme réaction. On m’arracha dans une indifférence totale aux bras de mon frère pour me coller dans la voiture. Je pus néanmoins lui promettre de le retrouver quand nous serons plus grands.

Ce jour fut le premier de ma nouvelle vie… mais aussi celui de ma rancœur envers mes « parents ».

2007 : Assis à la table de la cuisine, je fais mes devoirs quand ma mère adoptive entre dans la pièce. Sa conception de la mode se résume à copier Bree Van Decamp de Desperate Housewives. Ce personnage est d’ailleurs son modèle au quotidien. Je comprends mieux pourquoi les enfants, Danielle et Andrew, détestent autant leur mère. Cette femme est frigide ! Aucune émotion ne transparait sur son visage. Une parfaite femme au foyer. Mon père adoptif est toujours heureux de parler de son épouse modèle à ses collègues pour les impressionner par la chance. Il évoque même ce merveilleux sauvetage d’orphelin survenu 4 ans plus tôt. Je suis devenu le symbole de la générosité de ce couple. Ecœurant. Ce soir ils vont annoncer la grossesse de Bree. Un vrai petit miracle de la nature médicalisée. Je ne suis pas assez stupide pour croire en leurs conneries de croyance, encore moins quand on tombe sur les papiers précisant le prix de la FIV prévue.

2009 : Mon petit frère américain est un chouia relou parce qu’il me colle tout le temps mais il est aussi adorable. Il me permet de jouer avec lui. Il a tellement de jouets que cela en devient indécent. Nos parents m’en ont aussi offert beaucoup quand je suis arrivé chez eux, espérant que ma peine s’atténue avec ce pot-de-vin. Jamais je ne pourrais oublier ce moment où on m’a arraché des bras de mon jumeau. Je pense chaque seconde à Ye Han. Ils ne le savent pas mais nous avons gardé contact… un jour je le retrouverai pour toujours. Je compte les années qui me séparent de ce projet. Il me manque tellement. Michael est un chouette compagnon de jeu mais jamais il ne pourra remplacer la seule et unique moitié de mon âme. Nous aurons bientôt un nouvel arrivant dans la famille… encore une grossesse miracle. Ridicule ! Vivement que je parte !

2014 : Les premiers émois amoureux… Ma petite amie est une nana populaire que les autres garçons me jalousent. Je suis un homme chanceux qu’elle m’ait choisi… et je devrais être heureux pourtant il en est rien. Je ne trouve aucun plaisir entre ses bras. Pourquoi ? Je ne comprends pas ce qui m’arrive. Impossible de sentir des papillons s’envolant dans le creux de mon ventre. Il y a personne vers qui se tourner pour des confidences. Il reste mon jumeau qui se trouve loin de moi. Je lui raconte tout. Il semble comprendre mes problèmes. Il en trouve même l’origine. Un saint mon double !!

2015 : Les 20 bougies qui illuminent mon gâteau sont le symbole de ma liberté. Il est temps que Ye An me rejoigne. Nous allons enfin prendre notre envol. Je ne passerai plus une minute dans cette famille en carton. La Bree Van Decamp elle me file des boutons chaque fois qu’elle joue à la mère parfaite. Je leur sourie en songeant au sale coup que je leur réserve.

Au milieu de la nuit, je me glisse hors de ma chambre avec mon sac de voyage. Je me faufile dans le bureau du vieux pour prendre du liquide. Il est con de me donner le code de son coffre-fort. Adieu les économies de leur vie ! Je prends la totalité puis prends le bus pour me rendre au lieu de rendez-vous. C’est le début d’une nouvelle vie.

2020 : Cela fait presque cinq ans que nous sommes revenus en Corée du Sud, notre terre natale selon les registres de l’orphelinat. Maintenant ? Nous vivons tous les deux dans la résidence des Pyobeoms. J’étudie l'apprentissage de la langue et de la culture coréenne, et travaille en même temps dans un restaurant pour payer mes études. Hors de questions de toucher au bel héritage qui dort sagement à la banque.