Trois semaines. Trois longues semaines à se morfondre dans son coin. Autant de temps à éviter très ouvertement Nabi. Eviter de la croiser, éviter de lui parler et éviter même d’avoir à la regarder. Bien sûr, ce sevrage lui a fait tout drôle au début alors qu’ils avaient passé les deux mois précédents assez collés l’un à l’autre. Mais il est impossible pour lui d’ignorer ce qui s’est passé ce soir-là, ce soir où Nabi a décidé d’ouvrir la confrontation alors qu’il était convaincu que tout se passer au mieux dans leur couple. Beaucoup de mots avaient été échangés ce soir-là, pourtant ils n’avaient jamais réussi à se comprendre. La jeune femme fixée dans l’idée que Wonhee ne faisait aucun effort pour comprendre ses sentiments pour elle alors qu’à ses yeux, tout était limpide. Lui fixé sur le fait que le sentiment de trahison qu’il avait ressenti lorsque Nabi lui avait dit en avoir marre d’attendre, combien même elle lui avait promis de le faire. Wonhee avait fini par fuir le premier, ne supportant plus la douleur dans son cœur ni les reproches de sa petite-amie. Enfin, sa petite-amie… Il n’est pas certain de pouvoir encore l’appeler ainsi. Une pause, voilà ce qu’elle lui avait déclaré avoir besoin. Wonhee n’avait pas osé lui dire, que lui tout ce dont il avait besoin c’était qu’elle le prenne dans ses bras. Il n’avait pas osé de peur de se faire rejeter, qu’on lui dise qu’il en demandait trop encore une fois. Les soirs suivants, il avait préféré passer ses soirées dans son bar favori, avec pour seul compagnie le barman habituel, et passer ses nuits dans la maison familiale, endroit qu’il détestait pourtant profondément. Aujourd’hui, ses nouvelles habitudes sont un peu bousculées, obligé de participer à la soirée d’Halloween de la fraternité. Mais il ne se sent pas à sa place, il ne se sent plus à sa place. Wonhee n’a pas envie d’être ici, à faire semblant de s’amuser avec ses colocataires, à faire semblant de ne voir pas Nabi faire de même comme si rien ne s’était passé. Comme si rien ne s’était jamais passé entre eux. À ses yeux, il semble de la jeune femme a tourné la page, elle a aussi toutes les raisons de le faire. Mais il ne peut pas taire cette douleur dans la poitrine, surtout pas quand sa petite-amie semble flirter sous ses yeux comme si tout était réellement fini. Comme si elle ne l’aimait plus. À cette pensée, le jeune homme sent les larmes lui monter. Des larmes de tristesse, des larmes de colère. Alors bruyamment, il pose son verre sur la table et il décide de quitter la pièce sans même un regard pour les sangos qu’il abandonne au passage. L’air du dehors lui fait un bien fou, il se sent moins oppressé quand, le nez au vent, ses pas le quittent dans la ville. Sans y réfléchir, il finit devant l’un de ses lieux de refuge, celui où il a passé la majorité de son temps ces derniers semaines. L’étudiant n’a pas besoin de demander pour qu’on lui pose un verre de whiskey à sa place favorite, le premier d’une longue série.

Nabi n’aimait pas blesser les autres. Non, bien sûr que non qu’elle n’aimait pas faire ça. A chaque fois qu’elle le faisait, elle finissait par regretter amèrement car elle se disait que ça aurait pu mieux se passer. Mais oui, ça aurait pu mieux se passer si elle avait su patienter un peu plus longtemps, si elle s’était montrée plus clémente. Ça aurait pu. Ça aurait pu, mais ça ne s’était pas passé comme ça. Incapable d’attendre trop longtemps, elle avait pété un câble, elle avait blessé Wonhee et maintenant, elle ne pouvait rien faire. D’accord, elle pouvait s’excuser. Elle l’aurait sans doute fait, si seulement ça aurait pu mener à quelque chose. S’excuser pour quoi ? Pour repartir sur de bonnes bases ? Bases en tant qu’amis ? Qu’amoureux, mais on ne savait pas trop si Wonhee l’aimait en retour ou non ? Non, si Nabi en avait eu marre, ce n’était pas pour retenter la même expérience quelques jours après.

Alors malgré elle, elle n’avait rien fait. Avait laissé le temps s’écouler. Peut-être que sans sa présence à ses côtés, Wonhee s’apercevrait que ce qu’il ressentait pour elle, c’était de l’amour. Peut-être que ce sera même lui qui ira la voir le premier. Peut-être.
Mais non.
C’était de Wonhee, dont on parlait.
C’était donc sans surprise que plusieurs semaines s’étaient passées sans que rien ne se passe et pourtant, Nabi s’en retrouvait quand même déçue. Alors comme ça, Wonhee n’avait toujours pas compris qu’il l’aimait. Peut-être bien ne l’aimait-il pas, alors. Peut-être qu’elle s’était fait des idées.
Désireuse de tourner la page, Nabi s’était donc bien apprêtée ce soir-là pour la soirée de Halloween, voulant en mettre plein les yeux aux garçons autour d’elle. Voulant aussi en mettre plein les yeux de Wonhee.
Regarde ce que tu rates.
Mais quand le garçon quitta la pièce, elle ne s’en sentit pas satisfaite. Au contraire, tout le reste de la soirée, elle l’avait passée à rire pour de faux, à sourire d’un air hypocrite, des choses qu’elle détestait. Mais là, c’était pour se convaincre qu’elle allait bien, que tout allait bien, qu’il n’y avait pas de problème. Que ce n’était pas grave, si Wonhee ne revenait pas vers elle. Ce n’était pas grave.

La vérité lui éclata à la gueule quand le contact de Wonhee s’afficha sur l’écran de son téléphone.
Wonhee.
Le doux sentiment d’amour qui fleurit, le bonheur qui revint de la même façon que les couleurs revenaient mettre de la couleur sur un tableau en noir et blanc. Tout, tout ce qu’elle ressentait à cet instant-là lui prouva le contraire total.
C’était très grave, si Wonhee ne revenait pas vers elle.
Car elle était incapable de continuer à vivre sans lui.
Et enfin, il l’appelait.
Enfin.
Enfin, elle allait pouvoir revivre avec lui.
Nabi avait l’impression qu’au moment où elle allait décrocher, elle allait entendre Wonhee lui dire qu’il l’aimait et qu’il était désolé d’avoir mis tant de temps à comprendre et que leur pause sera révolue.
Pourtant, ce fut une autre voix qui s’éleva dans l’air.

D’un pas pressé, la jeune femme s’avança dans les rues de Séoul jusqu’à tomber sur le bar en question. Elle poussa vivement la porte d’un geste brusque, ne chercha pas vraiment à savoir si celle-ci s’était bien refermée derrière elle car elle était déjà au centre de la pièce, les yeux rivés vers le bar, ne prenant absolument pas en compte le monde autour d’elle. Il ne lui fallut que quelques secondes pour trouver Wonhee, affalé sur le bar, les joues trop rouges. Malgré elle, elle le trouva adorable dans cet état-là, et elle s’en voulut. Elle s’en voulut surtout parce qu’il n’aurait jamais dû être dans un tel état. Si elle était restée avec lui, elle se serait assurée qu’il ne boive jamais seul dans un bar jusqu’à en être saoul.
S’approchant de lui, elle sourit au barman dont elle avait reconnu la voix, la voix qui lui avait parlé au téléphone pour lui dire que son petit-ami était trop bourré pour rentrer seul. Petit-ami, hein. Son nom était encore « Nabi ♡ » dans son téléphone.
Elle soupira, secoua légèrement Wonhee qui semblait parti dans un autre monde. « Wonhee, » qu’elle l’appela doucement. Le nom lui brûlait les lèvres. Ça faisait trois semaines qu’elle ne l’avait pas appelé. « Wonhee, lève-toi, on y va. »

Les verres s’enchaînent et lui permettent peu à peu de calmer ses pensées trop nombreuses. Depuis qu’il est en âge de boire, l’étudiant a toujours trouvé refuge dans l’alcool, comme si le liquide était une solution à tout. Une solution de facilité. Un moyen de sociabiliser plus aisément, de le rendre moins timide, plus ouvert et bien plus avenant. Un moyen de se libérer un peu de tous ses problèmes et de façon efficace, parfois même juste de tout oublier littéralement le temps d’une soirée trop arrosée. Wonhee s’est bien souvent réveillé les souvenirs de la veille flous, voire inexistants, mais cela ne l'a jamais empêché de recommencer le soir-même. Les maux de tête ne l’ont jamais arrêté non plus, ces courts moments de laisser-aller lui semblent bien plus importants à ses yeux que les conséquences sur sa santé immédiate. Il aura tout le temps de se calmer sur la boisson et les folies nocturnes quand il aura ce diplômé qui ne l’intéresse pas en poche et qu’il devra se lancer dans la vie active. Perspectives d’avenir qui ne lui parlent pas trop pour être honnêtement, mais il sait qu’il ne peut pas rester étudiant toute sa vie. Malheureusement. Alors il profite et quand ce n’est pas une soirée étudiante, où il retrouve beaucoup d’autres de ses camarades, il traîne seul au bar du coin. Il y teste les nouveautés ou il y noie son chagrin comme il le fait ce soir, comme il l’a fait ces trois dernières semaines. Habitué par les verres que le sango descend régulièrement, le serveur continue de le servir. Quelques verres de whisky plus tard, Wonhee se sent plus léger mais pas moins triste pour autant. Il n’en revient toujours pas que Nabi ait déjà tourné la page, à quelques semaines seulement de leur rupture. Elle lui a pourtant dit qu’elle l’aimait. La joue collée contre le bar, l’étudiant soupire profondément. Il n’a même plus la force de se redresser, il est bien là à demi allongé sur le plan de travail. Le jeune homme se dit qu’il devrait rentrer se coucher, qu’il serait mieux de se morfondre dans son lit qu’ici, ce serait très certainement plus confortable. Mais rentrer au dortoir signifie risquer de croiser Nabi accrochée au bras de quelqu’un d’autre que lui. Son cœur se serre, rien qu’à cette pensée, alors il suppose qu’il n’est pas prêt pour cette vision d’horreur. Un nouveau soupir s’échappe de ses lèvres alors qu’il relève péniblement les yeux vers le serveur pour un énième verre. Et le dernier dont il se souvient.
C’est une main qui le secoue qui le réveille de son monde parallèle. Puis une voix familière qui chantonne son nom dans ses tympans. Il grogne un peu, pas convaincue à l’idée de devoir se lever. Sa tête lui tourne terriblement et finalement, il est plutôt bien écrasé lamentablement sur le bar, il pourrait peut-être rester là, histoire de finir sa nuit. Mais la main insiste et il finit par ouvrir péniblement les yeux pour tomber sur le visage de Nabi. Instantanément, un grand sourire s’empare de son visage et il se redresse rapidement pour s’approcher d’elle. « Nabi ! » il appelle avant de ricaner comme un enfant de cinq ans. Puis il tourne légèrement vers le barman, qui les regarde du coin de l’œil. « C’est ma petite amie ! Elle est intelligente, belle et tout ! C’est la meilleure ! » il explique tout heureux à l’homme qui ne lui a absolument rien demander. L’étudiant se colle ensuite un peu plus à la sango venant frotter son front contre son épaule, dans un élan d’affection qu’il n’a pas l’habitude de montrer quand il est sobre. Wonhee a toujours été plus affectueux avec l’alcool mais rarement autant, encore un des privilèges réservés à Nabi. Il sourit bêtement contre l’épaule de l’étudiante avant de froncer les sourcils, réalisant qu’il a presque oublié une étape importante de leur relation. Ou de leur ancienne relation du coup. Il se redresse d’un coup, tanguant dangereusement sur son tabouret sur lequel il n’est déjà pas tout à fait stable depuis quelque temps. Le sol tourne, ou bien c’est le plafond qui tourne, mais son référentiel terrestre est perturbé, sans même parler de sa vision un plus floue. Le sango fixe la jeune fille d’un regard accusateur, comme si elle était la source de tous ses malheurs, alors qu’il est autant en faute qu’elle. « Qu'est-ce que tu fais là ? Je croyais que tu voulais plus de moi ? » il demande d’une voix plus pâteuse et plus brisée qu’en temps normal. Mais il s'étonne d'arriver à former des phrases aussi complètes.

Le cœur se serrait davantage à chaque mouvement qu’elle amorçait pour tenter de réveiller Wonhee. A chaque fois qu’elle le secouait, c’était son propre cœur qu’elle secouait, son propre cœur qu’elle brisait. Elle se sentait désolée, elle culpabilisait. Elle avait l’impression que tout était de sa faute, qu’elle n’aurait jamais dû faire ça à Wonhee. Elle aurait dû lui laisser plus de temps, être patiente. Pourtant, elle savait très bien qu’elle aurait été incapable de patienter. Mais là, sur le coup, elle ne se fit pas la réflexion. Elle se dit simplement qu’elle était en faute.

Expression qui se fronça quand Wonhee l’appela et vanta ses qualités au barman. Le cœur se serra davantage. Elle se mordit la lèvre, les doigts jouant entre eux, le regard désolé. Le contact physique avec Wonhee n’arrangea absolument rien, elle resta figée sur place, incapable de faire quoi que ce soit dans sa détresse. C’était comme si après avoir laissé son chien tout seul pendant des années, on revenait le voir et il nous accueillait comme d’habitude, comme si toutes ces années seul ne l’avaient absolument pas touché. Comme s’il nous aimait toujours autant alors que ce n’était plus si réciproque. Bien sûr, la comparaison n’était pas tout à fait exacte, car Nabi l’aimait toujours autant, Wonhee. Elle ne savait juste pas si Wonhee l’avait aimé dès le départ, en fait. Mais il semblait si affectueux que c’était difficile de se convaincre du contraire… Voilà pourquoi elle avait voulu une pause. Wonhee lui avait envoyé tant de signaux contradictoires qu’elle avait été incapable de supporter l’état de leur relation. Elle avait besoin de choses claires, choses que Wonhee ne pouvait pas lui donner.

Malgré l’alcool dans son sang, il fut pourtant très clair quand il lui posa ses questions d’un ton accusateur. Voilà, le voilà enfin le regard qu’elle méritait après avoir tant blessé Wonhee. Elle soupira légèrement. « Arrête de raconter des bêtises, je veux toujours de toi. Je ne voulais juste pas être avec toi si tu ne m’aimes pas en retour. » Mais bon, rien ne servait de discuter de tout ça maintenant, Wonhee était bourré et pas dans un état de mener une discussion normalement. « Allez, rentrons. » Elle revint le prendre par le bras, le forçant à se lever pour mettre son bras autour de ses épaules frêles. En espérant qu’il coopère.

L'alcool joyeux. Une des principales raisons pour lesquelles Wonhee continue de boire autant malgré l'état pitoyable dans lequel il finit à chaque fois et l'état maladif dans lequel il se réveille le lendemain. Cette dose d'éthanol qui coule dans ses veines et qui le rend heureux pour rien, facilement il sort de son ennui éternel, cela met un peu de gaieté dans son cœur. Et il n'a plus besoin de forcer cette envie de sourire, faire semblant d'être heureux car l'alcool le fait pour lui. Les autres l'apprécient alors qu'il est joyeux comme cela, quand il est avenant et ouvert, le sourire léger et l'humour franc. Wonhee aussi se préfère ainsi. Ce n'est pourtant qu'une façade de lui, bien cachée au fond de son être, qui ne se révèle que lorsqu'il se sent très à l'aise avec quelqu'un ou lorsque l'alcool l'enivre entièrement. Pourtant, ce soir ses états d'âme naviguent en eaux troubles. Et la joie, qu'il ressent au moment où ses pupilles se posent sur Nabi, disparaît aussi vite qu'elle apparaît quand il se rappelle que la jeune femme a décidé de mettre leur relation entre parenthèses il y a quelques semaines. Il ne se retient pas de lui souligner que c'est elle qui ne veut plus de lui, d'un ton accusateur presque méchant. Nabi soupire en retour, ce qui blesse un peu plus Wonhee. Il ne comprend pas. « Tu veux de moi mais tu veux pas être avec moi… Je comprends rien. » il répond en se pinçant les lèvres, ses sourcils sont froncés, signe qu'il est perdu face à la situation. Nabi le force à passer son bras autour de ses épaules, supportant le poids de l'étudiant en gestion sur elle. Poids qui ne cesse de gigoter pour se libérer de l'emprise de son amie. « J’ai pas envie de rentrer. » il gémit piteusement en essayant de retirer son bras des épaules de Nabi. Ce qu'il finit par faire éventuellement, puis il trébuche se rattrapant sur une table de bar qui s'enfonce un peu dans ses côtés à la réception. Wonhee lève des yeux réprobateurs vers la jeune femme. « Pourquoi t’es là de toute façon ? Pourquoi tu veux m’aider ? ». Elle ferait mieux de retourner à la soirée du dortoir, elle avait l'air de s'amuser là-bas. Sans lui. Nabi n'a très certainement pas envie de devoir s'occuper de lui, elle a très certainement juste pitié de lui. Ses yeux se baissent pour divaguer sur le sol. « Je t’ai vu. » un murmure, une petite voix qui exprime toute sa jalousie. C'est la première fois qu'il est réellement jaloux de quelqu'un et il n'aime pas du tout cette sensation. Ses sourcils se froncent. « T’as trouvé mieux que moi. ». Pas que ce soit tellement compliqué de trouver quelqu'un de mieux que lui, c'est même facile mais ça l'embête. Beaucoup.

Nabi retint un autre soupir de quitter la barrière de ses lèvres alors qu’elle se demanda comment expliquer à Wonhee ce qu’elle voulait. Elle pensait l’avoir plutôt bien fait la dernière fois ; il s’avérait que non. Mais de toute manière, s’entêter à expliquer tout ce qu’elle avait voulu faire à un Wonhee bourré n’apporterait rien du tout, alors elle préféra ne pas répondre et le pousser à rentrer. Le forçant à se mettre debout, elle se dirigea vers la sortie avec un Wonhee très peu coopératif, qui n’arrêtait pas de bouger. Déjà que Nabi avait du mal à supporter le poids d’un homme toute seule, s’il devait gigoter alors ça n’améliorait pas les choses. Malgré tout, même si elle lui disait d’arrêter, puisqu’il était alcoolisé, il n’arrêtera pas. Il osa même dire pourquoi il faisait ça et finit même par se débarrasser des épaules de Nabi. « Hé, attention- » Elle n’eut pas le temps de finir sa phrase qu’il s’était déjà accoudé à une table du bar, titubant presque. Il avait failli la faire tomber, même. La jeune femme grimaça alors qu’elle récupéra son petit-ami (?) du mieux qu’elle pouvait, mais il ne semblait vraiment plus vouloir partir. A la place, il se montra encore plus sur la défensive, lui jetant un regard vexé. Humidifiant ses lèvres, la demoiselle passa ses mains sur son visage alors qu’elle réfléchit à la meilleure façon de convaincre un Wonhee bourré de rentrer, sans devoir tout lui expliquer une nouvelle fois. Difficile à faire.

C’est Wonhee lui-même qui amorça un autre sujet, quand il lui dit qu’il l’avait vue. Avec quelqu’un d’autre. Les souvenirs de la mauvaise soirée qu’elle venait de passer lui revinrent en mémoire. Petit plaisir égoïste que c’était, de constater que Wonhee l’avait vue et qu’il n’en était pas content. Mais malgré tout, ça ne lui prouvait pas qu’il l’aimait. « Non, non j’y arrive pas et c’est déchirant, » déclara t-elle, mine accablée. « J’aimerais pouvoir ne plus t’aimer pour ne plus être aussi triste à l’idée que tu ne m’aimes pas en retour mais ce n’est pas le cas, d’accord ? S’il te plaît, sois coopératif et rentrons au dortoir. J’ai pas envie d’en parler maintenant. » Ce n’était pas le moment, il était bourré. Alors Nabi réitéra son essai, tenta de soulever Wonhee de cette table et de le faire sortir de là.

J’ai pas envie de parler maintenant. Ces mots résonnent douloureusement dans son esprit. Cela fait mal d'entendre Nabi lui dire qu’elle ne souhaite pas lui parler. Elle est simplement venue le chercher par aquis de conscience, pour ne pas le laisser dépérir dans un bar, perdu et incapable de rentrer de lui-même comme à chaque fois qu’il se lâche un peu trop sur les verres alcoolisés. « Mais moi j’ai envie de te parler ! » il couine pitoyablement pour toute réponse, alors que la jeune fille lui attrape de nouveau le bras pour le positionner sur ses épaules. Wonhee a très envie de se lover contre elle, de profiter de sa chaleur, de son parfum, de la douceur de sa peau un peu plus longtemps… Mais ce n’est pas le moment adéquat pour le faire. « J’ai tout le temps envie de te parler ! » il surenchérit alors qu’il se détache de l’emprise de la demoiselle, Wonhee est presque un peu énervé. Il n’est pas vraiment sûr de la raison pour laquelle il s’échauffe ainsi. Si c’est parce que Nabi n’a pas envie de lui parler, qu’elle n’a plus envie de lui parler tout court ou bien si c’est parce que lui a envie, a besoin de lui parler, plus que ce qu’il juge raisonnable. Il a besoin d’elle et il est dépité à l’idée que Nabi ne s’en rende pas compte. De grands pas le guident à l’extérieur du bar, convaincu que de toute façon Nabi ne  le laissera pas noyer son malheur dans l’alcool. Wonhee profite de l’air frais pour se calmer un peu, attendant que son ex-petite amie le rejoigne devant le bar. Le rue est calme à cette heure-ci, tout l’inverse de la foule qui se bouscule dans l’enceinte de l’établissement. L’absence de musique trop forte et l’air frais de la fin d’été lui permet de reprendre un peu ses esprits, et le sol lui paraît tout à coup bien plus stable qu’avant. Alors il reprend sa marche, un fois sûr que Nabi n’est pas trop loin de lui. Ses pupilles trainent sur les lampadaires au-dessus de leurs têtes, puis sur le bitume sous leurs pieds. Un long soupir s’échappe de ses lèvres alors qu’il passe une main dans ses cheveux. « J’ai tout le temps envie d’être avec toi. J’ai tout le temps envie de te serrer dans mes bras, tout le temps envie de t’embrasser… J’ai tout le temps envie de te voir sourire, de te voir rire… J’ai envie de découvrir le monde avec toi. J’ai… J’ai envie que tu m’aides à découvrir ce que j’aime, que tu m’aides à me découvrir. » il commence, il espère que Nabi l’écoute mais il n’en est pas sûr car il refuse de la regarder. Peut-être de peur de lire dans ses yeux que peu importe les mots qu’il peut prononcer, elle considère que c’est fini entre eux, fini pour de bon. Il refuse d’y croire, il refuse de se dire qu’il ne pourra plus prendre Nabi dans ses bras, qu’il ne pourra la regarder sourire ou mieux encore être la raison de son sourire. C’est trop dur à imaginer. « Je me sens invincible quand je suis avec toi, mais aussi terriblement vulnérable. Je me sens heureux à tes côtés, mais j’ai toujours peur que tu me quittes. Tu fais battre mon cœur trop fort, tu me donnes l’impression d’être vivant, pour la première fois de ma vie. » le sango continue, alors qu’il est à un bon mètre devant la jeune femme. Wonhee prend de plus en plus conscience de ce qu’il déclare. Jamais il n’a pensé ainsi avant. Jamais il n’a ressenti quelque chose d'aussi intense. D’aussi excitant et d’aussi effrayant. Le garçon se sent capable de tout pour Nabi, lui qui aime lui-même se convaincre de sa faiblesse. Il sent tous ses sentiments lui revenir en plein visage, lui qui aime se plaindre de son manque d’émotions. Il réalise que seule Nabi est capable de réveiller son cœur ainsi, avec tant de force et de douceur à la fois. Nabi. Rien que Nabi. Alors il ralentit ses pas jusqu’à se stopper totalement, puis il se tourne vers elle, avant d’inspirer profondément pour se lancer. « Nabi. » il l’appelle en essayant de capter le regard de la jeune femme. L’étudiant est planté sur ses deux pieds, un air déterminé sur le visage. Si l’amour est un sentiment puissant qui peut nous rendre aussi heureux que triste, qui peut nous donner des papillons de bonheur dans l’estomac, une impression de détresse infinie comme celle qu’il ressent. Si l’amour est cette envie de passer sa vie dans les bras de l’être aimé, ce sentiment de sécurité à ses côtés, ce sentiment de pouvoir tout lui confier, de vouloir tout lui confier. Si l’amour est ce besoin de voir ses pupilles brillées, de voir ses lèvres délicates s’étirer dans un sourire quotidiennement, de vouloir la cajoler de façon perpétuelle. Si l’amour est cette jalousie monstrueuse qui grandit dans ses entrailles lorsqu’elle pose ses yeux sur un autre, cette solitude vide et froide qui l’envahit quand elle est loin de lui. Si l’amour est toutes ses choses… Alors oui, même l’esprit embrouillé par l’alcool, Wonhee le reconnaît et il l’accepte : Wonhee est amoureux de Nabi. Depuis bien longtemps déjà. « Je t’aime. ». Sa voix est forte, sûrement trop pour le calme effrayant de la rue. Elle est assurée, pour la première fois lorsqu’il parle de ses sentiments. Pour la première fois, il est sûr qu’il est amoureux de Nabi. Et il ne compte pas se retenir de lui dire. « Je suis amoureux de toi, Nabi. » il répète de façon plus douce, plus faible, avant d’attraper les doigts de l’étudiante et de les serrer délicatement entre les siens. Je suis amoureux de toi, alors ne me laisse pas.