Pour une fois Beomgyu était de bonne humeur. Pour une fois, il n’était pas gêné par le fait de se déplacer dans la foule, bousculant les gens cachés sous leurs parapluies. La saison des pluies était pourtant terminée depuis quelques mois, laissant la place aux températures hivernales. Cependant, ce jour-ci, la météo avait décidé de la jouer mélancolique. Ce qui laissait les rues se transformer en un grand terrain de jeu pour le coréen. Lui-même caché sous un parapluie, avec un long manteau pour le maintenir au chaud, il s’avançait dans les rues commerçantes d’un pas lent. Comme à son habitude, il mâchait un reste de fruits préalablement découpés par un vendeur qu’il avait croisé plus tôt. Beomgyu adorait manger et s’assurait de toujours avoir quelque chose à grignoter sous la main. Dans ces moment-là, son plus jeune âge se dévoilait sur ses traits du visage, prouvant qu’il était plus jeune que ses papiers d’identité stipulaient.

Il finit rapidement son gobelet, qu’il laissa dans un coin de rue, puis continua son chemin à la recherche de ses proies. Myeongdong était le quartier parfait pour ce genre de jeux, de part les rues remplies de monde presque tous les jours. Pour Beomgyu, qui ne supportait pas les foules (et pourtant, il lui arrivait encore à de rares occasions de mixer devant des centaines de personnes), cet exercice demandait beaucoup d’efforts. Mais ce jour-là était le jour de l’anniversaire de l’arrestation de son oncle, et le jeune homme souhaitait le célébrer à sa façon. C’était une année en moins qu’il restait au vieil homme en prison, c’était une année en moins qu’il restait à attendre pour Beomgyu. Il vivait seul depuis des années à présent, mais son oncle lui manquait. Connaître sa véritable identité n’avait jamais été choquant pour le plus jeune, son oncle restait l’homme qui l’avait recueilli et élevé. La pluie commençait à se faire plus timide, jusqu’à s’arrêter complètement. Cependant les nuages restaient menaçants, c’était le parfait moment.

Le jeune coréen ferma son parapluie et le rangea dans son sac à dos avant de placer son masque noir sur le nez. Les gens, distraits, regardaient le ciel, se demandant s’il était prudent de garder le parapluie ouvert. D’autres personnes regardaient les animations dans les rues qui faisaient leur apparition maintenant que le temps s’était calmé. Tout le monde était occupé à poser ses yeux quelque part et Beomgyu en profita pour s’avancer, prétextant regarder les mêmes spectacles. D’un geste sur et doux grâce à ses nombreux entraînements (le coréen pouvait le faire les yeux fermés), il s’empara d’un portefeuille qui traînait dans une poche de veste, puis d’un téléphone dans une autre. Ce dernier objet était plus risqué de part l’addiction que les coréens avaient à regarder ce petit écran, alors le jeune homme disparut aussitôt qu’il avait l’appareil en main.
A l’abri dans une ruelle vide, Beomgyu inspecta le portefeuille pour n’y voir que 40,000 won. Il n’y avait ni carte d’identité, ni carte bancaire alors il jeta le portefeuille à terre, la monnaie toujours dedans. Puis il passa au téléphone, se pressant avant de la jeune femme ne s’en rende compte et trouve un point internet pour utiliser la géolocalisation.

Il se sentait lamentable. Ce n’était pas comme s’il ne savait pas qu’il allait perdre le contrôle de son corps à un moment ou à un autre mais ça avait été trop tôt. Il revoyait encore clairement l’expression de Shanyuan dans son esprit et cela lui fendait le coeur. Ils ne s’étaient pas confiés l’un à l’autre, c’était encore une fois leurs corps qui avaient communiqué à leur place. Cela ne prouvait qu’une chose ; ils étaient brisés et ils allaient mettre du temps avant de pouvoir se parler honnêtement sur ce qu’il leur était arrivé ces sept dernières années. Il n’en avait pas envie mais cela ne règlerait pas leurs problèmes qu’ils gardent enfouis au fond d’eux les sentiments qu’ils avaient ressenti. Ils en avaient besoin comme ils avaient besoin inévitablement l’un de l’autre malgré cette longue séparation.
Il s’était dit qu’il en parlerait en allant chez le psychologue mais cela restait bloqué dans sa gorge. Shanyuan avait toujours été un sujet difficile à aborder que l’on avait fini par mettre de côté pour son propre bien parce que ça le rendait malade. Aujourd’hui, il avait un poids en moins sur les épaules à avoir pleurer à chaudes larmes contre lui mais le problème n’était pas encore totalement réglé. Cela prendrait probablement plusieurs mois, peut-être plusieurs années… Parviendraient-ils seulement à se côtoyer sereinement un jour ? Cela l’effrayait et son coeur était constamment serré à cette pensée. Ce n’était pas pour autant qu’il se laissait abattre.
Il était plus fort qu’il n’y paraissait et il n’était pas une petite bête qu’il fallait aujourd’hui protégé sans s’arrêter. Il arrivait à prendre soin de lui seul et de toute façon, ce n’était pas comme s’il ne savait pas qu’on pouvait vivre une vie sans tracas. Ça n’existait pas alors il vivait avec et gardait en tête cette phrase : « Chaque chose en son temps. ». Sinon, il serait incapable de mettre un pied devant l’autre et pourtant, il le devait. Pour son avenir. D’autant plus qu’il avait un objectif précis alors ce n’était pas comme s’il était perdu sans avoir en vue aucun chemin à prendre.
Il avait des regrets comme tout le monde, mais, il se sentait finalement content de l’avoir retrouvé. Ils devaient ensemble réaliser un devoir astronomique mais il ne doutait pas un instant que pour le réaliser ils seraient soudés comme jamais. C’était en vue de ce fameux travail qu’il s’était rendu en ville vers Myeongdong. Shanyuan n’avait pas pu venir avec lui à cause des cours mais ce n’était pas très grave. Le destin leur faisait encore prendre conscience qu’ils avaient besoin de temps pour remettre à peu près tous les rouages en place. Il venait d’arpenter les rues commerçantes quand il aperçut à son insu quelqu’un voler et sans savoir pourquoi ni comment, il se retrouva à suivre cette personne.

« Vous n’avez pas l’air dans le besoin alors pourquoi est-ce que vous faites ça ? »

Et lui alors, pourquoi est-ce qu’il se mêlait de ce qui ne le regardait pas ? Pourtant, ce n’était pas comme s’il avait peur car il ne tremblait pas et gardait son regard planté dans celui de l’homme qui lui faisait face. Il avait l’impression de l’avoir déjà vu quelque part.

@Bu Beom Gyu

Personne ne pouvait réellement lui voler sa bonne humeur. Pas tant qu’il était tranquille dans sa petite ruelle, et ce même s’il n’avait rien trouvé d’intéressant dans ce portefeuille. Le téléphone n’était pas intéressant non plus mais le seul fait de savoir qu’il n’avait pas perdu la main donnait de la joie à Beomgyu. C’était comme soutenir son oncle qui était enfermé en prison. Ce vieil homme qui ne s’était pas sacrifié pour lui, mais qui avait effacé toutes traces de la réelle existence de Beomgyu, avant de se faire arrêter. Beomgyu n’était plus que Beomgyu, un enfant du sud de la Corée, et son vrai prénom était oublié lorsqu’il fut descendu de sa montagne. Il se souvenait encore lorsqu’il avait découvert les villes pour la première fois, lorsqu’il avait découvert internet en commençant l’école. Puis il avait appris à vivre dans un monde développé, connecté et riche. Il avait trouvé une méthode pour ne pas finir à la rue, pour ne pas mourir de faim alors qu’il n’était même pas majeur et était déjà livré à lui-même.

Une voix l’interpella. Il était surpris, lui qui pensait être trop talentueux pour se faire voir par une tierce personne. Les victimes n’avaient rien senti lorsque, du bout des doigts, il avait volé le portefeuille et le téléphone (dont il devait toujours se débarrasser). Le coréen se retourna et fit face à un jeune homme qui n’avait pas l’air plus âgé que lui, surtout qu’il devait bien faire une tête de moins physiquement. « T’es qui toi. » Quels étaient les chances que ce garçon le connaisse ? Du moins Beomgyu n’avait pas le souvenir de l’avoir croisé un jour, que ce soit dans un studio ou dans les couloirs d’une agence d’entertainment. Il ne craignait donc pas que son visage soit reconnu alors qu’il dévoilait un sourire quelque peu narquois au jeune homme. « Pourquoi devrait-on être plus démuni pour voler. » Il se redressa, profitant du fait qu’il faisait bien quinze centimètre de plus. « Est-ce qu’un pauvre aurait le droit de voler. » Le cherchait, il le savait, alors qu’il parlait d’un vécu. Car, non, ce n’était pas parce que la personne était plus démuni qu’elle pouvait se permettre de commettre un délit. Beomgyu en avait plusieurs fois payé les frais même si son oncle le sortait toujours de son pétrin. « Pourquoi je fais ça ? Aaaaah, c’est un secret. » Il finit sa phrase d’un clignement de l’œil alors qu’il se mettait le doigt sur la bouche pour faire le signe du silence. « Si tu veux, il y a 40,000 won, sers-toi. » S’il pouvait au moins tenter de payer son silence, ça serait pas mal.

Renversement de situation. À vouloir jouer les bons samaritains ou ce qui s’en apparentait, cette personne face à lui sut avec aisance le remettre à sa place. Pourquoi est-ce qu’un être démuni posséderait-il plus de droits à voler que quelqu’un ayant les moyens ? C’était un bon raisonnement et il s’en voulut de s’être mis dans cette situation sans avoir pensé à réfléchir. Il s’était laissé porter par le courant sans penser que cela ne le regardait pas et qu’il n’avait rien à faire ici. Il ferait mieux de s’en aller et qu’ils en restent là mais il n’était pas sûr que le jeune homme face à lui le laisse partir sans être sûr qu’il reste silencieux quant à ce qu’il avait vu.

« Je me demande quand même bien ce que ça vous apporte de faire ça, reprit-il malgré tout, Mais si c’est un secret, très bien. Je vous le laisse comme l’argent. Je n’en ai pas besoin. »

Il était néanmoins interpellé quant à sa vision de voir les choses. Chaque personne en ce monde avait sa manière à soi de se procurer un certain plaisir. Lui, c’était la danse et cela avait toujours été la danse. La danse et Shanyuan jusqu’à ce qu’il parte mais aujourd’hui il lui était revenu. Il s’en était passé des choses entre eux en seulement quelques jours et il ne savait toujours pas quoi en penser. Au début, cela avait rouvert des plaies difficilement cicatrisées et il avait plusieurs heures souhaité que ce ne soit qu’un rêve. Sauf que depuis il n’avait pas que pleuré à chaudes larmes face à lui, il lui avait également avoué l’avoir aimé par le passé. Alors il souhaitait plus que tout le garder encore plus avec lui et il le désirait ardemment alors, au fond, peut-être que l’homme lui faisant face avait-il connu le vol et n’était plus capable de s’en passer. Mais qu’en savait-il ? À moins de s’intéresser à sa vie mais son interlocuteur n’avait pas l’air enclin pour.

« Haha, rit-il gêné, Je suis désolé de vous avoir dérangé, c’était stupide de ma part. Je dois vraiment avoir la tête ailleurs pour croire me permettre de vous reprendre là-dessus alors que je ne suis pas forcément une meilleure personne. »

Il regarda ensuite l’heure sur son téléphone portable et se dit qu’il était temps de rentrer. Il regarda le jeune homme lui faisant face puis haussa les épaules, prêt à faire demi-tour.

@Bu Beom Gyu

Spoiler:

Si le sang à l’intérieur de Beomgyu bouillonnait silencieusement, non seulement par ces délits qu’il venait de commettre mais aussi car il avait réussi à couper le garçon inconnu dans son élan, le coréen ne dévoila qu’un sourire en coin. Il n’était pas foncièrement méchant d’ordinaire, son oncle lui avait inculqué une éducation qui l’avait rendu relativement docile. Ses pulsions et cette méchanceté naturelle avec laquelle naissait tout être humain, étaient sagement enfouis et contenus en lui. Ça ne l’empêchait pas de continuer quelques petits délits, il ne faisait de mal à personne, physiquement.
Il vit bien que le garçon ne répondit pas, et son sourire nourri à l’espièglerie ne put que s’élargir plus. Il jouait avec lui (il ne lui devait rien après tout, pourquoi commencerait-il à parler de sa vie avec un inconnu), et lui proposa même l’argent qui se trouvait dans le portefeuille pour le calmer et, peut-être, le faire partir par la même occasion. « Je n’ai pas besoin de l’argent non plus. » Il ne savait déjà pas quoi faire de son argent actuel, acquis grâce au succès que rencontrèrent les musiques qu’il composait pour les agences de musique du territoire coréen. Il était encore bien jeune pourtant, et ce n’était certainement pas de l’argent qui descendait d’un héritage. Son héritage lui avait été confisqué, tout comme son oncle qui s’ennuyait en prison.
« Ne t’inquiète pas pour ça petit gars. » Il mentirait s’il disait qu’il ne prenait pas un plaisir pervers à le voir s’excuser ainsi. Forcément, c’était une situation qui était bon pour son égo, qui avait été quelque peu brisé par une jeune femme récemment. Celle-ci ne s’était pas retenue de le remettre à sa place comme il l’avait mérité. « Personne n’est une meilleure personne, tout le monde cache quelque chose après tout. » C’était une chose que son oncle lui avait enseigné. L’être humain était naturellement mauvais et rien ne pouvait y changer quoique ce soit. Tout le monde portait un masque qui risquait de tomber un jour, révélant la laideur de leur réelle apparence. Beomgyu en était le parfait exemple car ce n’était pas seulement un masque qu’il portait mais plusieurs, qu’il changeait en fonction de la personne qui lui faisait face. C’était pour le protéger lui avait dit son oncle.

Presque désintéressé, le musicien joua avec le téléphone volé, tentant de deviner le code lorsqu’il réussit au bout du quatrième coup. Il n’y avait rien d’intéressant dedans, juste un téléphone d’une coréenne lambda qui passait son temps à se prendre en photo et à mettre des photos de son petit-ami partout. Beomgyu tira un grimace et éteignit le téléphone avant de le jeter dans les mains du garçon. « C’est ton jour de chance aujourd’hui, tu gagnes 40,000 won et un téléphone. » Tant que l’appareil était éteint il ne risquait pas d’être traqué. « Si t’es pas une meilleure personne comme tu dis, tu les prendrais vraiment cette fois. » Il s’accroupit, sortit une cigarette et l’alluma.