Un sourire aux lèvres, So Hyun quitte le bar en saluant le patron d’un mouvement de main et s’attarde à regarder, pendant quelques secondes, la façade de l’endroit. La première fois qu’elle y a mis les pieds, environ quatre ou cinq ans auparavant, elle tremblait de la tête aux pieds ; la vision des personnes en train de boire, l’odeur de l’alcool, l’ambiance général de l’endroit la ramenaient aux pires souvenirs de sa vie. Pourtant, elle s’était forcée à y rentrer et à proposer ses services de chanteuse et pianiste afin de combattre ses peurs la tête la première. Ses premières performances avaient frôlé la catastrophe, mais le patron avait compris et ne l’avait pas licencié. Désormais, elle s’était habituée à venir ici régulièrement pour une performance, connaissait les employés et même les clients réguliers – un grand pas en avant, ainsi qu’une page qui se tourne. Car maintenant qu’elle a quitté l’université, So Hyun a annoncé au patron qu’elle ne viendrait plus.

Toujours souriante en repensant aux divers souvenirs qu’elle a créés dans ce lieu, So Hyun marche dans les rues de la ville qui ne dort jamais. Autour d’elle, l’agitation est la même que d’habitude, un soir de week-end à Séoul : des groupes d’amis font la fête. Quelques années auparavant, elle aurait décrit le brouhaha de la ruelle comme insupportable, mais maintenant elle arrive à traverser cet endroit sans peur.

Pendant un moment, So Hyun reste dans cet état passif, ses pensées occupées par les souvenirs ; mais soudainement, un visage familier apparaît dans son champs de vision et cela la réveille automatiquement. Elle s’arrête même de marcher pour fixer le jeune homme, qui ne l’a pas encore vue. Elle hésite un moment mais finit par se rendre à l’évidence : ça ne peut être que lui, elle le reconnaîtrait parmi mille. Ji Hae est un garçon qu’elle a toujours beaucoup apprécié. Malheureusement, seulement en tant qu’ami, et quand il avait appris qu’elle n’était pas prête à dépasser cette limite, il n’avait plus jamais donné signe de vie. Or, cette histoire remonte à longtemps maintenant, et So Hyun espère qu’elle ne sera pas rembarrée quand elle marche vers lui et s’arrête face à lui. « Salut, Ji Hae oppa !  Tu te souviens de moi ?» s’exclame t-elle avec un sourire pour qu’il la remarque enfin. Mais quand elle croise son regard, elle fronce les sourcils. Elle ne sait pas d’où lui vient ce sentiment, mais quelque chose d’étrange émane de lui. Comme s’il n’était pas entièrement lui-même, ou pas complètement entier. Et pourtant, elle ne sent pas l’odeur de l’alcool venant de lui. « Tu vas bien ? » demande t-elle timidement.

Bien que peu social, Jihae faisait des efforts pour sortir de sa bulle et voir du monde. Il n’aimait pas spécialement quitter ses écrans et son environnement qui le protégeait, mais il avait appris avec le temps que s’il voulait évoluer et ne plus être ce garçon qui avait été harcelé à l’école, il se devait de changer. Et c’était ce qu’il avait fait. Il s’était métamorphosé, tout d’abord physiquement parlant. Il n’était plus le même garçonnet frêle et fragile qu’il avait été. Le service militaire l’avait aidé dans ce sens et il avait aussi fait quelques tatouages, le rendant quelque peu plus bad boy aux yeux de la société. Mais ce n’était qu’une façade. Jihae n’avait pas drastiquement changé. Juste fait des efforts pour ne pas être lui-même et c’était exactement ce qu’il était en train de faire là, alors qu’il était accompagné par quelques connaissances. Il avait lâché son pc et ses lignes de codes pour sortir faire la fête. Il avait sûrement trop fumé d’ailleurs et prit de crimson, mais il était encore dans un état potable. Jihae n’était pas vraiment en train de planer. Il se sentait euphorique mais pas assez pour dire qu’il était un peu sous l’emprise de la drogue.

D’ailleurs, il entendit son prénom et il chercha des yeux la personne qui venait de l’appeler. C’était sûrement une fille, parce qu’il avait entendu également entendu oppa. Il fronça les sourcils un peu pour voir mieux. C’était totalement débile et il avait l’air ridicule, mais cela fonctionna. Il vit Sohyun dans son champ de vision. Il lui sourit maladroitement, alors que les souvenirs avec elle refaisaient surface. Elle avait été son point de repère quand il avait totalement abandonné Sohee et elle l’avait rembarré quand il lui avait dit qu’il était amoureux d’elle. Était-ce du véritable amour ou simplement ses sentiments pour Sohee qu’il avait transposés sur elle ? Il ne savait pas réellement, mais il l’avait mal pris de se retrouver dans cette zone qu’était la friendzone.

Jihae continua de sourire un peu à l’ouest alors qu’elle reprenait la parole. « Salut Sohyun… Bien sûr que je me souviens de toi… Comment oublier ? » demanda-t-il légèrement amer par rapport à la situation. Il ne lui en avait pas réellement voulu mais ne l’avait pas vraiment bien pris non plus. « Oui je vais bien merci et toi ? » Il se rapprocha alors d’elle, les yeux légèrement vitreux et sans aucun point fixe. Il souriait toujours comme un idiot alors qu’il se plaça en face d’elle. « Qu’est-ce que tu viens faire dans ce genre d’endroit ? » Ce n’était clairement pas un endroit pour les jeunes femmes dans son genre. C’était bien trop noir et malfamé. Puis, elle pouvait tomber sur des gens comme lui, défoncés ou complètement bourrés.

Elle n’arrive pas à pointer exactement ce qui ne va pas avec le jeune homme mais elle voit bien qu’il n’est pas dans un état normal. Ça n’a rien d’étrange, en réalité, car tout le monde autour d’eux est dans un état particulier – l’alcool, principalement – mais lui, ça a l’air encore différent. Déjà, il ne dégage pas particulièrement l’odeur de l’alcool et, en plus, son instinct lui dit qu’il y autre chose. Ce qui ne l’aide pas à savoir quoi.

Rassurée qu’il se souvienne d’elle, pourtant elle comprend qu’elle ne lui rappelle pas que des bons souvenirs. C’est le contraire pour elle : bien sûr, la finalité de leur relation n’a pas été idéale, mais à part ça, elle a toujours passé de bons moments avec lui. Elle est contente de le revoir et d’avoir des nouvelles de lui. Fronçant les sourcils tandis qu’il prétend aller bien et se rapproche d’elle, comme pour mieux la voir (pourtant ils n’étaient pas à une distance importante), elle reste silencieuse quelques instants. « Ça va aussi » finit-elle par dire, sans grande conviction. Elle va bien, oui, mais elle est occupée à observer d’un air suspicieux le jeune homme. « Je viens de finir ma dernière soirée de travail dans un bar du coin. » explique t-elle sans cesser de le dévisager avec insistance. « Et toi, qu’est-ce que tu fais dans le coin ? Et dans cet état ? » Parce que dans les souvenirs de la jeune femme, Ji Hae n’est pas le genre de garçon à passer ses nuits dans les rues bondées de la capitale, à se mettre dans des états étranges, que ce soit par la boisson ou d’autres substances.