Quand le dernier des Beolsae avait quitté le dortoir, Suwon était resté assis là comme le dernier des idiots, accroché à la rampe de l’escalier pendant que l’alarme incendie continuait à hurler et que les dispositifs du plafond continuaient leur travail… Il ne donnait pas cher de tout ce qui se trouvait dans leur dortoir. Leur matériel électronique, les télévisions, les ordinateurs… Tout… Absolument tout allait finir réduit à néant par des batailles stupides. Suwon savait que ça n’était pas une bonne idée, au moment où les autres étaient partis. Il avait voulu en parler à Yanjun, essayer de le dissuader d’y aller… Mais que pouvait-il faire, si ce n’était laisser son petit ami faire ce qu’il souhaitait ? Il n’avait jamais été doué pour s’affirmer et donner son avis. Alors il l’avait laissé partir avec les autres, et quand les Beolsae étaient arrivés… Oh, il n’avait pas mis bien longtemps à comprendre ce qu’il se passait.

Il s’en voulait tellement.

À fixer un point dans le vide, Suwon avait l’impression que ce dernier aurait pu l’avaler tout entier sans qu’il oppose la moindre résistance. Et même cette musique entêtante qui continuait à passer dans le bâtiment n’y changeait rien. Il ne calculait plus rien. Ni la chanson, ni l’eau, ni même l’odeur de l’alcool qui se mélangeait à l’odeur d’orangeade qu’il avait réussi à répandre sur lui…Quel piètre vice-président il faisait...

l'enfer s'était armé de parures bleutées. apparence analogue au dortoir de cette fraternité. à qui mentait-il ? ce n'était, là, qu'un amas de ruines, une conséquence d'une idiotie, et d'une avidité à redorer un blason déjà bien trop meurtri. ô pourtant, yanjun n'avait que faire de cette fierté. il n'avait que faire de ces batailles qu'il jugeait habituellement si futile. à quoi bon perdre son temps ainsi, quand l'intérêt se portait ailleurs ? perte de temps que voilà. pourtant, yanjun céda à l'appel une raison bien trop personnelle l'ayant guidé vers ce faux eden. tous ses gestes, toutes ses décisions étaient guidés par la seule envie de parfaire la vie de suwon. il était au siège de ses caprices, roi de son cosmos. des sentiments comme seule offrande que yanjun était apte à distribuer à cet astre tant chéri. 


hélas, il échoua une nouvelle fois.
seconde erreur au tableau, à croire que yanjun n'était bon qu'à éteindre davantage cet ange dont il était tombé éperdument amoureux. ridicule, n'est-ce pas ? tout comme l'était cette frayeur qui naissait à la seule idée d'aborder suwon. la main fébrile tendue, le mal de crâne rendue encore plus pénible alors que la musique continuait de battre à plein régime. pourtant, de ses peines, il ne s'en souciait guère. son attention entière était prêtée à cet homme qu'il avait tant peur de toucher. suwon... malgré tout, il ne pouvait pas le laisser là. viens, je t'emmène dans notre chambre, tu seras mieux allongé c'était bien là, la seule chose qu'il pouvait faire pour lui, et prier pour que la soirée se passe rapidement. alors, yanjun se mit à sa hauteur afin de laisser à son petit-ami l'opportunité de glisser son bras autour de son cou. pendant ce temps, l'étudiant en médecin se préparait à l'encercler de ses bras, et ainsi le maintenir solidement en équilibre pour éviter tout faux pas.

Suwon ne parvenait pas à lutter contre toutes les émotions qui l’assaillaient à cet instant. L’impression d’être le pire vice-président que cette fraternité avait pu avoir, de n’avoir pas été capable d’empêcher que ces types entrent et mettent à sac le dortoir une fois encore. Une fois encore, oui. C’était mérité, dans le fond. Il le savait. Laisser les autres attaquer leur dortoir n’était pas une idée qu’il aurait dû cautionner, mais en n’osant pas prendre la parole pour défendre son idée, il avait accepté qu’ils se lancent dans cette malheureuse aventure… Et que pouvait-il faire contre tout ce qu’il s’était passé ? Rien du tout. Il baignait dans l’eau, l’alcool et la limonade, sans savoir mettre le moindre ordre dans ses pensées… C’était insensé.

Il était perdu au point où, quand Yanjun s’était approché de lui, il avait à peine réagi à ses propos, gardant les yeux rivés sur ce point invisible qui semblait avoir pris le contrôle sur son regard, sur son être entier… Comme une surcharge de son esprit qui l’empêchait de songer à quoi que ce soit d’autre que ce qui était en train de se produire à cet instant précis. Il n’avait réalisé qu’au moment où son petit ami s’était approché, et son regard s’était posé sur lui. « Yan… »

Sa voix avait craqué en cours de route, alors qu’il passait fébrilement les bras autour de son cou pour essayer de s’y agripper. « Je peux pas me lever… » avait-il murmuré pitoyablement, les sanglots encombrant sa gorge alors qu’il sentait les larmes lui monter aux yeux. « J’aurais pas dû vous laisser partir… C’est ma faute… Je savais qu’ils allaient revenir… Que ça allait recommencer… J’ai même pas pu les empêcher d’entrer… » Mais il ne pouvait pas s’empêcher de pleurer, maintenant qu’il avait commencé, et il avait caché son visage contre l’épaule de Yanjun.

la culpabilité était tel un démon chevauchant son épaule. elle qui l'étranglait de l'intérieur de son corps. elle qui ôtait le moindre fragment d'oxygène de ses poumons. elle qui vivait de ses caprices que le garçon jugeait légitime, ceux réalisés pour le supposé bien de son petit-ami. seulement c'était encore une fois une erreur qu'il avait accumulée. une nouvelle croix tracée sur son palmarès d'échec et de blessures infligés à cet être que l'homme tenait pourtant à protéger de tout son être. il avait jugé bon de le venger. il avait estimé correct de redorer leur blason, et au-delà de ça, de rendre son honneur à suwon. sauf qu'encore une fois, yanjun avait mal estimé. et encore une fois, c'était les autres qui en pâtissaient pour lui.

le décor autour d'eux n'était qu'une représentation physique bien trop réaliste du chaos qui s'activait dans son esprit. elle l'avait absorbé. comme si yanjun n'était plus.

là, présent face à suwon.
mais dans son être, tout était éteint.

pardon les larmes fragiles menaçaient ce fil, qui les retint, de le rompre à tout instant. ô qu'il s'en voulait. idiote amertume que voilà. il s'en voulait. car à présent, suwon n'était plus éclairé de cette somptueuse lumière, comme si l'eigengrau venait d'absorber le soleil. l'angoisse palpite sous sa peau. elle dérange. elle ronge chaque parcelle de lui, si bien que yanjun s'absenta une nouvelle fois. et il avait fallu que la voix de l'être lunaire ne résonne de nouveau pour arracher l'étudiant de ses ténèbres. si seulement il lui était possible de revenir en arrière, alors peut-être aurait-il pu mieux le préserver.

petit à petit, yanjun arriverait à briser suwon.
il n'était bon qu'à ça, après tout. n'est-ce pas ?

non, non non non... non suwon... il ne se sentait définitivement pas légitime de cette accroche. être là, pour son petit-ami, alors qu'il était présumé coupable de cette chute de domino, n'était-ce pas hypocrite ? mais yanjun n'avait pas le temps d'y penser. à dire vrai, il ne pouvait pas se permettre pareil égoïsme. suwon avait besoin de lui, tout ce qu'il pouvait faire en cet instant c'était de le serrer davantage contre lui. les reproches attendraient demain. dis pas ça, tu n'y es pour rien. tu n'es responsable de rien.. t'as fait ce que t'as pu, c'est tout ce qui compte.. c'est nous.. on a tous merdé.. tout le monde, sauf toi car au fond, yanjun s'en doutait. que suwon ait tenté de s'interposer ou non n'aurait inévitablement rien changé. l'envie de vengeance avait déjà semé sa graine en chacun d'eux. et moi compris... j'aurai dû rester avec toi ses bras s'enroulèrent toujours plus autour de suwon, comme si la peur de le voir s'envoler le forçait un peu plus à s'aggriper à lui. ces larmes, ces pleurs.. ces gémissements de culpabilité.. chaque acte causé par un sentiment qui n'était pas censé blesser suwon de cette façon l'insupportait. c'était horrible, que de sentir son cœur se tordre sous le poids d'une peine. cette même peine causée par la seule sensation d'incapacité. yanjun était incapable, oui. incapable de panser chaque plaie marquant l'esprit de suwon. il aurait aimé pouvoir les balayer d'un simple baiser, d'une simple tendresse. pouvoir le rassurer que tout irait bien. il aurait aussi aimé pouvoir effacer tous ces maux qui le torturaient.

mais il était incapable.

je te porte jusqu'à notre chambre, d'accord..? au fond, que pouvait-il faire de plus pour son petit-ami ? peut-être être moins une source de problème. qui sait, sa vie s'en porterait certainement mieux. après tout, peut-être que la mère de suwon l'aurait laissé tranquille, s'ils n'avaient pas pris cet appartement ensemble. peut-être ne s'obstinerait-elle pas à surveiller son compte bancaire à chaque fois que les excès se pendaient à leur couple ?
il était un désastre.
et voir suwon dans cet état n'arrangeait évidemment rien.

pourtant, il l'aime.
maladroitement, peut-être.
mais il l'aime.
sincèrement.

Il ne savait plus quoi faire, coincé dans cette réalité qui le blessait profondément. Ce dortoir dans lequel ils étaient censé vivre ne ressemblait plus à rien. Il était détruit, abîmé, insalubre. Et lui, au milieu de tout ça, misérable vice-président incapable d’aider les esprits à s’apaiser, il était occupé à pleurer en se demandant s’il méritait vraiment sa place. Sans doute que non. Il s’en occuperait plus tard, quand les choses iraient un peu mieux. Quand tout le monde serait calmé et que la vie allait peut-être pouvoir reprendre son cours normal… Peut-être, oui. C’était bien la question.

Et face aux propos de Yanjun, Suwon n’avait pas pu se relever. Il n’avait pas été capable de les accepter, de se dire qu’ils étaient véridiques. Tout ce qu’il avait pu faire, c’était s’accrocher encore plus à Yanjun, hochant la tête à ses derniers mots. C’était tout ce qu’il désirait, au bout du compte : monter, aller s’installer dans leur chambre, si celle-ci était encore potable… Mais il en doutait profondément. Ils avaient activé les alarmes incendies, et il y avait fort à parier que leur matériel informatique avait été abîmé, sans parler de leurs effets personnels… Il n’avait pas envie de voir ça. Il n’y était pas prêt. Il ne le serait jamais. « Le dortoir… On peut pas rester là. » Pas dans un endroit comme ça, pas dans cet état. Il avait essayé de retrouver son calme un moment, toujours accroché à Yanjun. « T’as vu Namsun ? » Parce que malgré tout, c’était leur devoir de présidence, pas vrai ? S’occuper de tout ça, avant que les choses ne partent en sucettes. C’était être certain que tout le monde se portait bien, au bout du compte… Il avait froncé les sourcils à cette pensée. Il ne pouvait pas faire plus que ce qu’il avait déjà fait, pourtant…