J’ignorais comment les choses avaient pris une tournure aussi particulière, entre Mingyu et moi. Il y avait eu comme un bouleversement que je ne pouvais expliquer dans notre relation, un changement si soudain que je n’y étais moi-même pas préparé. Et la vérité, dans toute cette histoire, c’est que j’ignorais moi-même ce que j’attendais de ce lien si particulier qui nous unissait. J’étais incapable de supporter l’idée qu’il puisse voir quelqu’un d’autre que moi, et de la même façon, j’avais accepté de ne plus aller voir ailleurs que dans ses bras… Ce qui rendait la chose autrement plus compliquée. Alors, les yeux posés sur mon téléphone, je regardais encore et encore le message que j’avais envoyé à mon colocataire, profitant d’un moment où Kô était absent pour saisir l’occasion et discuter avec lui, s’il était libre et acceptait de venir me parler. C’est que je ne savais pas exactement ce que j’allais pouvoir lui dire. Comment tourner la chose sans trop lui en laisser croire ? Comment cesser de m’interroger sur ce que nous faisions, ce que nous étions… J’avais besoin de réponses. Peut-être des réponses sur ma propre personne, dans le fond. Ou sur lui ? Je n’en savais trop rien. Le seul moyen, c’était d’en parler avec lui.

Il m'arrivait, parfois, de me demander comment j'en étais arrivé à un tel stade de flou quant à ma propre vie amoureuse. J'avais agi au fil des jours, laissant Jaewon me guider plus qu'autre chose, n'émettant que cette condition, tardive, d'être le seul à partager son lit. Mais il y avait bien quelques mois désormais que je savais que, de mon côté, il y avait plus qu'une simple histoire d'attirance physique. Je l'avais compris, dès lors que j'avais réalisé à quel point l'idée qu'il puisse aller se réfugier dans les bras d'un autre me dérangeait. Pour autant, notre relation n'était pas censée porter plus de sens que l'actuel - deux amis qui avaient étendu leur relation à un aspect physique, quand bien même les choses semblaient parfois être plus, quand bien même je ne pouvais m'empêcher d'espérer. Et je m'en accommodais comme je le pouvais, effrayé à l'idée que demander plus veuille dire le voir s'en aller - j'avais trop besoin de l'attention qu'il me donnait, trop besoin du repère qu'il représentait pour oser prendre ce risque.

Qu'il désire me parler éveillait en moi bien trop d'interrogations. De craintes, également. Peut-être que ce n'était rien, au fond. Ou peut-être qu'il voulait tout arrêter. Je ne pouvais pas savoir, ce qui m'était très difficilement tolérable. Je n'avais qu'à...faire face à ce qui m'attendait, peu importe ce que cela pouvait bien être. Le cœur fébrile, je poussais la porte de notre chambre partagée pour l'y découvrir. Toujours aussi dangereusement beau - idiot que j'étais, la réflexion m'était venue naturellement, et je secouais légèrement ma tête comme pour me remettre les idées en place, avant de m'avancer vers lui, sourire mal assuré plaqué sur mon visage que les rattrapages avaient fatigué.

"Salut..." Après m'être débarrassé rapidement de mes chaussures, je m'asseyais en tailleurs sur un des lits. "Tu voulais me voir ?" Me parler. Mon cœur battait un peu plus vite à chaque fois que j'y repensais, et que je ne pouvais que m'interroger.  

Avais-je envie d’en discuter avec lui ? De me prendre la tête pour des raisons qui, à mes yeux, n’en étaient pas ? Je n’en savais rien. Il le fallait cependant, si je voulais pouvoir mettre un peu d’ordre dans mes propres pensées et trier ce flux incessant qui m’accablait un peu plus chaque jour. Alors, quand Mingyu s’était présenté à moi, j’avais froncé les sourcils, toujours perdu dans mes réflexions. Oui, je voulais le voir. Je devais lui parler… Mais comment commencer ? Par où ? J’en perdais mes moyens, à un point qui ne m’était pas habituel. Du coup j’avais avancé vers lui, un sourire aux lèvres. Le même que toujours. Pourtant, aujourd’hui, je ne le forçais pas réellement. Avec Mingyu, quoi que je fasse, c’était différent… Troublant et différent. « J’aimerais… » Mes lèvres s’étaient pincées et j’avais poussé un soupir, attendant quelques secondes avant de continuer. « J’aimerais qu’on discute un peu. Qu’on parle de tout ce qui a pu se passer entre nous… » Des coups d’un soir, certes, mais j’avais remarqué, depuis quelques temps, que notre comportement avait encore changé… Encore un peu plus. « J’ai besoin de voir clair dans tout ça… Ça ne te dérange pas ? »

Jaewon savait être, pour moi, une source de mystère. Parce que j’avais parfois l’impression de ne pas savoir ce qu’il pensait réellement, sur moi, mais pas uniquement - c’était à se demander pourquoi je m’étais autant attaché à sa personne, d’une envie bien plus forte que moi d’être avec lui. Alors oui, j’avais bien du mal à savoir ce qu’il avait derrière la tête, lorsqu’il cherchait à discuter. Ce que je savais, en revanche, était que ça ne me plaisait pas beaucoup, tant j’avais peur du résultat final. Peur de le perdre, alors même qu’il n’était pas vraiment mien - j’étais tout à fait ridicule, à m’accrocher ainsi à un garçon qui m’avait clairement fait comprendre que nous n’étions pas ensemble. Mais ses actions juraient parfois avec ses paroles d’antan. Au fond, qu’il désire y voir plus clair n’était peut-être pas si surprenant - mais moi, dans le flou tout autant que lui, ne savais pas comment l’aider.

« Beh...ce qu’il s’est passé, tu entends quoi, précisément ? » J’avais besoin d’y voir clair, moi aussi, pour en discuter. « Mais non, ça me dérange pas... » J’avais réfléchi un instant, avant de reposer les yeux sur lui. « Je pense...que c’est probablement une bonne idée. » Avais-je fini par murmurer. Même si tout ça me faisait peur, je savais, au fond, que rester par confort dans cette sorte de flou finirait par m’être dommageable, que j’en sortirai sûrement déçu - j’avais simplement du mal à l’accepter. « Alors vas-y. Je t’écoute. » Les oreilles ouvertes, mais la tête et le coeur pleins d’appréhension.  

Prendre une décision par rapport à Mingyu était une chose que j’avais beaucoup de mal à faire. C’est que nous discutions souvent, tous les deux, mais jamais des choses importantes, ou du moins pas assez pour parvenir à y voir plus clair. Alors mon regard s’était attardé sur le visage de mon colocataire, alors que j’essayais de donner un sens à chaque parole, à chaque mot… Ah, les mots. Ils me rendaient fou, ces derniers temps. Trop de mots et peu de réponses qui s’y associaient. J’avais l’impression de ne plus savoir aligner quelques phrases sans trébucher sur ma propre langue.

« Je… » Ah. Devoir parler moi n’était pas dans mes plans. Cela impliquait tellement de choses. Admettre des faits que je refusais encore de voir, quand bien même ils s’imposaient à moi comme le soleil s’imposait au jour. Un soupir avait filé entre mes lèvres entrouvertes et j’avais regardé autour de nous, cherchant un point auquel m’accrocher… Cette lampe, peut-être ? Non. Ce drap. Ah. Des draps, oui. J’étais idiot. « Je ne sais pas où on va, maintenant. On a couché ensemble, tu m’as demandé de ne pas aller voir ailleurs… Ce que j’ai fait. Mais ensuite ? C’est censé nous mener où, tout ça ? Qu’est-ce que tu attends de moi ? »  C’était stupide, comme question. Je le savais, oui. Pourtant, une part de moi était incapable de formuler les mots qui me pendaient aux lèvres depuis un peu trop longtemps maintenant. Cette possessivité qui s’affirmait de plus en plus et qui grignotait de jour en jour le plus de distance qui existait entre Mingyu et moi.

Les questions de Jaewon m’avaient pour le moins décontenancé, laissé perplexe. J’avais peur d’y répondre, tant je craignais que le faire en suivant ce que je désirais, ce que je ressentais, ne vienne pas satisfaire ce qu’il voulait entendre. Alors j’aurai voulu savoir pourquoi il me les posait : était-il réellement et simplement confus ? Avait-il peur que je m’emballe ? En cet instant, je ne désirais rien de plus que d’être capable de lire dans son esprit, de savoir quoi faire. Au fond, une part de moi me murmurait d’être simplement honnête, pour une fois, plutôt que de tenter de me construire pour exister chez les autres : parce que si c’était ce que je faisais toujours, inconsciemment, avoir peur de le perdre justifiait-il tout ? Seulement, la vérité faisait peur lorsqu’elle devait quitter mes lèvres. Elle m’était même terrifiante, et je cherchais le courage de la dévoiler, quelque part sur le mur où je promenais mon regard, comme si les indications quant à ce que j’aurai du dire se trouvaient, quelque part, inscrites sous la peinture. La vérité, elle ne savait pas quelle forme prendre, comment s’articuler en mots - il le fallait bien, pourtant, alors j’ouvris la bouche sans rien dire quelques instants, le temps de trouver comment m’exprimer convenablement.

« Je...sais pas vraiment comment répondre. » Un soupir, et mes doigts faisaient nerveusement tourner la chaîne d’un de mes bracelets. « Si c’est assez flou pour moi....si je sais pas trop où ça nous mène actuellement, je sais ce que je veux, mais...j’ai peur de trop t’en demander, en fait. » Et n’était-ce pas déjà un aveu ? Sûrement pas suffisant. La voix faiblarde, je poursuivais. « Tu...me plais, Jaewon, enfin...enfin c’est plus que ça. C’est plus qu’une histoire de sexe, j’veux dire. Tu m’as dit une fois qu’il fallait pas s’attacher aux gens, mais tu vois, moi, j’me suis attaché quand même. Mais j’veux pas...te forcer à quoi que ce soit. Alors bon. On fera comme tu voudras. Tu sais pas où on va, mais au fond, on va où tu veux. » N’avais-je pas l’air tout à fait ridicule, d’assurer ainsi me plier à tous ses désirs ? Cela montrait seulement à quel point je détestais, non, ne supportais pas l’idée de perdre un des seuls regards qui s’étaient posés sur moi, sans me donner trop l’impression qu’ils appartenaient plus à d’autres, une fois passé un certain incident. « J’veux juste...pas que tu partes. » Ces mots-ci, je les avais murmurés, cachés sous un regard qui fuyait toujours, un regard qui avait peur de trouver le sien pour le voir aussitôt s’enfuir.