« La vie à la Yonsei ? Ca va, je m'y suis faite, mais je me perds encore un peu, c'est tellement grand ! Les étudiants... Disons qu'il y a de tout. Pas mal d'étrangers, la moitié ne parle que de Kpop, mais vraiment que de ça ! C'est assez déstabilisant d'entendre parler du t-shirt de je ne sais quel BTS pendant un cours sur la seconde guerre mondiale en Asie... D'ailleurs c'est nouveau pour certains, le concept de guerre mondiale en Asie. Vraiment, l'éducation occidentale ! J'ai une petite française, elle ne sait même pas ce qu'est le christianisme, jamais entendue parler ! Sérieusement : elle ne savait pas. Et puis le Bouddha est obèse, mais bon ça, à la limite, je peux comprendre, le bouddhisme n'est pas très répandue en Amérique et en Europe. Mais ignorer ce qu'est le christianisme... Et dire adorer la culture coréenne en plus ! Heureusement, dans l'ensemble ils ont plutôt soif d'apprendre, et il y a une vraie ambiance avec les petits groupes. »

Tu parles, tu racontes ta vie dans un flot ininterrompu. Il faut bien rattraper tout ce temps, au moins 2 mois que vous ne vous étiez vus. Qu'est ce que ça t'avait manqué !
C'est une bonne chose finalement, que tes collègues trouvent ton style un peu trop bcbg. Depuis quelques temps, ils t'encouragent à oser quelque chose d'un peu plus "casual" ; « Le tout est de trouver le bon équilibre », selon madame Jang. Ton premier salaire en poche, tu t'es donc empressée d'appeler ton petit frère pour lui proposer une sortie shopping. C'est une tradition dans la famille les sorties shopping. Que ce soit en tête-à-tête avec Seojoon, ou avec toute la fratrie, c'est toujours un moment convivial. Plus jeune, vous vous contentiez de faire du lèche-vitrine, désormais vous avez les moyens d'acheter ce qui s'y trouve - dans la limite du raisonnable - et tu comptes en profiter aujourd'hui.

« Mais assez parlé de moi ! Racontes-moi tout : comment ça se passe les études, ton internat ? »

Il me semblait loin, le temps où nous n’étions que nous sept. L’époque où nous formions une équipe prête à tout pour se protéger les uns et les autres. Et pourtant… chaque jour je les voyais au loin, je les croisais sans pour autant réussir à prendre le temps d’aller les voir. Aujourd’hui était un jour différent, un jour durant lequel j’étais bien décidé à partager quelques moments volés à ma grande sœur. Je l’écoutais d’une oreille attentive, le sourire aux lèvres alors qu’elle me contait ses péripéties au sein de l’équipe enseignante de l’université. Et en dépit d’un quotidien de professeure qui lui imposait de nombreux obstacles, elle racontait ces anecdotes drôles et légères, tellement loin de ce poids lourd et étouffant qui pesait sur ma poitrine.

Elle n’en savait rien… et quelque part, je me félicitais de ne jamais lui avoir révélé cette liaison dangereuse. Et pourtant… elle méritait de le savoir non ? Les yeux rivés sur son visage serein, j’absorbais cette énergie douce et bienveillante qui émanait d’elle, je m’en imprégnais comme quand j’étais petit alors qu’elle prenait soin de tous ces frères et sœurs qu’elle n’avait pas choisi. Elle ne méritait pas que je lui mente, mais je savais au fond de moi que lui révéler cette histoire entrerait en contradiction avec ses croyances. « Tout va bien. » me contentais-je de répondre. Plus tard… je lui en parlerais une fois la douleur oubliée… « J’ai pu réaliser une procédure de A à Z au bloc ! » ajoutais-je. Fier d’une vocation qui pouvait sauver des vies, je n’étais pourtant pas de ceux qui s’étendaient à ce sujet. « Bon et sinon comment est-ce qu’on te relooke ? J’aime ton style tel qu’il est cela dit. »

Rien, absolument rien ne pourrait venir semer le trouble sur cette journée dédiée au shopping avec elle. Et c’est donc un sourire que je lui offrais en regardant les boutiques qui s’alignaient devant nous.

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« Only Human »

But I'm only human, And I bleed when I fall down, I'm only human, And I crash and I break down, Your words in my head, knives in my heart, You build me up and then I fall apart, Cause i'm only human...

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Si j’avais pu, je lui aurais offert le monde. Ma grande sœur ne partageait certes pas le même sang que le mien, mais elle représentait sans doute l’un de mes piliers les plus importants. Douce et forte à la fois, je l’admirais. Au travers d’un regard je pouvais ressentir toute la sérénité dont elle voulait me gratifier, toute la tendresse d’un amour maternel auquel j’avais échappé malgré moi. Et si j’avais pu, je lui aurais offert bien plus qu’une chemise et un jean… Mais les maigres moyens d’un étudiant ne s’étendaient qu’à une collection de vêtement. Et cette grande sœur qui méritait davantage qu’une mine douloureusement enjouée n’eut pourtant qu’une présence modérée. Je traînais malgré moi les boulets d’une histoire compliquée et que je refusais de lui confier. Aussi me contentais-je de lui témoigner la fierté d’un accomplissement professionnel pour lequel je peinais pourtant à éprouver autre chose qu’une certaine lassitude. « Plutôt oui. » répondis-je. Évitant soigneusement son regard, celui avec lequel elle pourrait percer tous mes secrets sans même que je ne prononce un mot, elle accepta de changer de sujet à mon grand soulagement.

L’évocation de ses collègues me fit sourire, le corps enseignant de l’université dans laquelle je me trouvais de l’autre côté de la salle me semblait à des années lumières de mes préoccupations, mais je fus soulagé de savoir qu’elle s’intégrait si bien dans l’équipe du campus. « Casual ? Et ça veut dire ? » Quand bien même j’aimais emmener mes trois autres sœurs faire les boutiques, elles savaient toujours quoi prendre, où se diriger, et il n’était pas nécessaire de maîtriser le jargon textile qui franchissait leurs lèvres. C’est donc perplexe que je regardais Ga Eul une fois passé la porte de la première boutique. « Il me fait penser à mon uniforme bleu… » pouffais-je. « Si tu veux travailler à l’hôpital il serait parfait pour te fondre dans le décor. » Je balayais du regard la pièce, les portants de vêtements qui l’encombrait sans pour autant savoir comment lui offrir mon aide. « Si tu me donnes une définition de casual et de ce que ça sous-entend… je pourrais peut être t’aider. » lâchais-je en contemplant les tissus froissés.

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La moue boudeuse enfantine étirait les traits de son visage une fraction de seconde avant qu’elle n’abandonne le vêtement à son portant, et je ne pus m’empêcher de sourire face à sa réaction. L’aînée de la fratrie n’était parfois pas la plus mature ! Mais j’aimais ce côté d’elle, à la fois rassurant, elle exhalait cette puissance à laquelle on voulait s’accrocher, elle était l’épicentre de ce foyer construit de toute pièce, le repère, le pilier, le phare dans la nuit… mais le sérieux avait ses limites lorsque ses frères et sœurs faisaient les pitres. « Si tu veux, je peux te laisser une de mes blouses blanches pour rentrer en douce à l’hôpital ! » riais-je. Rien que l’imaginer troquer ses tenues élégantes pour arborer le blanc immaculé et terne de la blouse me paraissait étrange.

Le sourire étira mes pulpeuses alors que je me faisais réprimander sur mon manque de connaissances en anglais. Une langue qui me semblait tout droit avoir été inventée tant je ne la comprenais pas. Mes yeux balayaient alors la boutique à la recherche de quelque chose de normal tandis que je l’écoutais d’une oreille attentive et ce fut à l’évocation de nourriture que j’arrachais mon regard des tissus entassés dans un bac. « Là… tu parles mon langage noona ! » arguais-je une main posée sur l’estomac. « Je t’invite dans ce cas ! À défaut d’avoir pu t’aider à trouver une tenue casual. » J’appuyais volontairement sur le dernier mot, juste pour la taquiner à mon tour avant de lui offrir mon bras pour quitter l’espace confiné de la pièce pour m’aventurer vers les échoppes ambulantes de nourriture dont l’odeur me chatouillait déjà les narines. « Prends ce que tu veux ! Je sais que tu as l’estomac large ! » pouffais-je à nouveau. Cette sortie après de longues semaines à broyer du noir entre cours et hôpital était une réelle bouffée d’oxygène, et rien que pour ça, je lui en était infiniment reconnaissant.

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