Le cœur lourd et l’esprit embrumé, j’avais d’un pas lent vers celui qui pouvait être mon salut… ou tout du moins m’aider à enfin avancer. J’ignorais si je voulais la retrouver ou simplement l’oublier, mais ce dont j’étais sûr c’est que plus que jamais j’avais besoin d’une main tendue. Sans vraiment en avoir conscience, je foulais le pavé pour rejoindre le musicien, le regard vide au point de ne plus voir les coréens qui pressaient le pas autour de moi. Ils n’étaient désormais plus que des figurants, des images lointaines que mes yeux peinaient à distinguer.

Sans plus de force, je poussais une à une les portes qui me conduisaient jusqu’à mon meilleur ami, et sans davantage de conviction, je me laissais tomber dans le fauteuil le plus proche. J’avais trouvé refuge dans son studio, et silencieusement, je le remerciais de me laisser ainsi m’introduire dans son antre sans plus de questions. Bercé par la musique sur laquelle il travaillait, je m’autorisais un moment à fermer les yeux, et ce fut une nouvelle fois son visage qui apparut. Derrière l’opaque de mes paupières se rejouaient inlassablement les même scènes, celles que je voulais retrouver… ou effacer… J’étais incapable de prendre la bonne décision, et quelque part au fond de moi, je restais persuadé qu’il fallait se battre. Le soupire m’échappa, brûlant et lourd de sens, il trahissait la lassitude dans laquelle je me morfondais depuis de nombreuses semaines. Et pourtant, aucun son ne parvint à franchir la barrière de chair lorsqu’il se tourna vers moi pour me couver de son regard inquiet.

________________________________

« Only Human »

But I'm only human, And I bleed when I fall down, I'm only human, And I crash and I break down, Your words in my head, knives in my heart, You build me up and then I fall apart, Cause i'm only human...

©️crackintime

Le casque sur les oreilles, il était totalement isolé du monde extérieur. Loin et perdu dans son studio, il l’était tout autant dans la musique. La cadence de ses projets s’était calmée, moins de commandes lui avaient été demandées alors il avait profité de ce moment pour se concentrer sur ce qu’il aimait réellement. La musique classique. Il n’aimait pas l’appeler ainsi car il était autant dans la musique romantique que baroque. La musique était de la musique, les tendances, les mouvements n’étaient que des codes imposés par des inconnus afin de respecter certaines mesures.

S’il entendit un bruit de porte, entre deux notes sur son clavier, il ne dévoila rien sur son visage. Il avait aussitôt reconnu le rythme des pas qui succéda à la porte du studio qui s’ouvrit et se ferma. Il s’agissait de la personne qu’il décrivait comme un meilleur ami, un lien proche qui ne devrait pas exister chez le coréen, lui, qui avait fait la promesse à son oncle de ne pas s’attacher. Néanmoins, il n’était que humain, et bien qu’il disait être totalement incompétent en interactions humaines, il ne pouvait refuser une amitié lorsque celle-ci se créait de manière aléatoire et inattendue.

Finalement, il se retourna et fit face à son ami, le visage inquiet lorsqu’il découvrit l’état du jeune homme. « Seojoon ? » Juste son nom, mais derrière lequel se cachaient tellement de questions. Beomgyu avait déjà une idée de la raison qui avait mis son ami dans cet état mais il préféra le silence, laissant le temps à l’étudiant de répondre par lui-même. « Tu veux écouter ce que j’ai fait ? » Il ne presserait pas la parole, en attendant, il pouvait bien faire écouter le début de sa création.

@lee seo joon

Je n’aurais pas dû… Si je m’étais promis de ne jamais provoquer cette moue inquiète sur son visage, à cet instant je dérogeais à toutes mes promesses. J’aurais dû le laisser s’immerger dans la musique, être seulement là pour lui apporter un soutien infaillible dans sa passion. Mais dès lors qu’il tourna vers moi son regard, dès le moment ou je pu y lire toute la sollicitude qu’il éprouvait, je savais qu’il serait à nouveau celui qui m’aiderait coûte que coûte à refaire surface. Mais sans grande conviction, je ne sus faire résonner aucun mot, aucune syllabe pour tenter de m’exprimer, et c’est dans ce mutisme latent qu’il vint à nouveau me sauver. « Avec plaisir. » lâchais-je d’une voix éraillée. « Tu travailles sur quoi ? »

La musique était loin d’être un domaine dans lequel je pouvais me targuer d’avoir quelques connaissances, mais Beomgyu comblait mes lacunes. Son intérêt et surtout son talent pour rendre les son harmonieux était tel qu’il était sans doute le seul qui parvenait à me faire écouter pendant des heures des mélodies dont lui seul avait le secret. Je me laissais à mon tour submerger par la musique, elle résonnait en moi si brutalement que je ne pus retenir les quelques larmes de rouler sur mes joues. Mais à nouveau… les mots n’étaient pas assez fort pour exprimer ce que je ressentais, aussi me contentais-je d’écouter en silence tandis que les perles salées dégringolaient sans bruit.

Il savait… il connaissait la raison de cette douleur et pourtant, il m’était toujours aussi difficile de la laisser s’extérioriser. « Excuses-moi, la fatigue sans doute. » tentais-je maladroitement.

________________________________

« Only Human »

But I'm only human, And I bleed when I fall down, I'm only human, And I crash and I break down, Your words in my head, knives in my heart, You build me up and then I fall apart, Cause i'm only human...

©️crackintime

L’avantage d’avoir un meilleur ami, c’était pour Beomgyu qu’il pouvait profiter d’une présence humaine à ses côtés sans se soucier de devoir faire la conversation ou non. Il en avait parfois plus besoin, profitant seulement du fait que l’autre était à ses côtés pour se reposer et se détendre. Lui qui se vantait de trouver son bonheur dans la solitude, lui qui avait fait la promesse à son oncle de ne rien dévoiler de sa vie, de ne pas s’accrocher à quiconque pour ne pas se retrouver pisté et piégé tel un animal sauvage, il appréciait beaucoup trop Seojoon pour continuer sur ces pensées. « Ce ne sont que quelques notes comme ça. » Il restait modeste, ne cherchant pas à étendre son arrogance comme il le faisait pour les autres. Pas avec son meilleur ami. Ce n’étaient que quelques notes, des pensées, des mots cachés derrière celles-ci, cherchant à s’exprimer à travers la musique. Rien n’avait de sens, dans la première partie, cette cacophonie qu’il avait créée du bout des doigts. Les violons s’enchaînaient, se mariant parfaitement avec la mélodie donnée par le piano. La deuxième partie, cependant annonça une couleur plus calme, plus froide aussi. Beomgyu observa son ami, chaque expression, voyant qu’il n’était pas venu avec l’humeur la plus joyeuse. Lorsqu’il aperçut les premières larmes, il ne disait toujours rien. Pourtant, lorsque la musique cessa, le musicien ne put attendre plus longtemps. « Ma musique n’est pas aussi triste, reprends-toi. » C’était dit sur un ton léger, pour ne pas brusquer son ami. Beomgyu se leva de sa chaise et disparu hors du studio quelque temps avant de revenir avec un thé et des cookies. « Tiens pour toi. » Il ne retourna pas à sa place initiale, préférant rester proche physiquement de Seojoon. « Tu sais que peu importe ce que tu me dis, je ne te jugerai pas hein. Je dis ça comme ça. » C’était un peu sa manière de l’inciter à parler, toujours dans la tendresse et la presque patience.

C’était un exercice difficile, presque impossible à réaliser que de se confier sur des maux dont je peinais même à en comprendre le sens. À cet instant autant qu’à un autre, et sous l’influence de la musique qui venait chatouiller mes tympans, les émotions se brouillaient jusqu’à n’en faire plus qu’un nœud. Un véritable méli-mélo de sentiments jamais avoués, de secrets trop lourds à porter et de choix difficiles à assumer… Aussi en laissais-je l’afflux s’extirper du coin de mes yeux humides pour tracer des sillons salés sur mes joues tremblantes. Je ne pus qu’émettre un son à peine audible face à sa remarque. J’aurais voulu rire, d’un rire franc et honnête, mais mon cœur se déchirait un peu plus alors que je ne savais plus me maîtriser. Si l’étudiant en médecine pouvait masquer la souffrance, le jeune homme quant à lui ne parvenait à cacher la douleur de ce passé encore trop récent. Du regard, je le suivais tandis qu’il quittait la pièce. Sans doute un instant qu’il m’offrait afin de refaire surface, de redevenir le léger et enthousiaste Seojoon, l’ami au visage souriant bien loin de cette mine déconfite que j’affichais malgré moi.

Du revers de la manche, j’essuyais les traces de mon cœur brisé, je gonflais mes poumons avant qu’ils ne relâchent brutalement l’oxygène que je leur avais imposé, et je tentais de remettre de l’ordre dans mes pensées embrouillées. Et je me promettais, d’effacer son nom, d’oublier ces instants volés, de ne plus jamais y penser et d’enfin avancer… La porte s’ouvrit de nouveau sur mon ami, les mains chargées de thé et de cookies. Il était de ceux dont je ne pouvais plus me passer, un ami, un frère, une présence à laquelle j’étais devenu accro, et à cet instant je ne ressentais pour lui plus qu’une gratitude intense. Sourire timide accroché aux lèvres, je le remerciais et attrapais avec envie l’un des gâteaux. « Je sais. » répondis-je simplement. Mais comment avouer à son meilleur ami une liaison destructrice ? Le soupire m’échappa alors, lourd et brûlant à tel point qu’il me ravageait et me rongeait. J’éprouvais le besoin irrépressible de me confier, de sortir enfin tout ce mal qui me dévorait de l’intérieur, pour me libérer, pour avancer. « Je ne sais pas trop quoi faire à vrai dire… » tentais-je maladroitement. Nerveusement, je jouais avec mes doigts, comme pour me donne l’illusion d’un courage éphémère. « Je… disons simplement que j’ai connu quelqu’un pendant un temps. Qu’elle est partie sans dire mot et que j’ignore si je dois me lancer à sa poursuite ou non. » Allais-je seulement m’arrêter à cette explication vaseuse ?

________________________________

« Only Human »

But I'm only human, And I bleed when I fall down, I'm only human, And I crash and I break down, Your words in my head, knives in my heart, You build me up and then I fall apart, Cause i'm only human...

©️crackintime

Bien qu’il vivait seul depuis des années, depuis la disparition forcée de son oncle, Beomgyu n’était au fond qu’un enfant qui n’avait pas pu grandir. Du haut de ses vingt-cinq ans que ses papiers indiquaient, la réalité lui enlevait deux ans. Deux seules années mais qui au final faisaient toute la différence dans sa maturité et son identité. Mentir était comme respirer pour lui, seulement en présence de son meilleur ami cette activité devenait de plus en plus compliquée à maintenir. Il lui était impossible de lui expliquer clairement son passé et les raisons de tous ces masques qu’il portait en permanence. Il lui était impossible de lui avouer que Beomgyu n’était même pas son vrai nom, et plus il attendait et plus il lui serait difficile d’arranger la situation. Au final, l’adulte qu’il donnait l’impression d’être n’était qu’une autre de ses multiples facettes.
Alors cette différence de maturité se plaçait entre ses mains, une simple assiette avec des cookies industriels et peut-être loin d’être les meilleurs, et du thé. C’était tout ce qu’il pouvait lui offrir en plus de son temps et son soutien. Il ne savait ce qu’il se passait dans la tête de son ami, ni même ce qui avait pu le mettre dans cet état, cependant devant si peu d’occurrences de cette tristesse sur le visage de Seojoon, Beomgyu ne pouvait que s’inquiéter. Il préférait voir son ami souriant, presque un poils trop taquin quitte à agacer le plus âgé, mais ces larmes, ces perles salées si précieuses, il ne voulait plus les voir. Le musicien n’était ni sportif, ni agressif et ne pouvait pas promettre vengeance à la personne qui avait osé mettre son meilleur ami dans cet état. Néanmoins, il restait très intelligent et pouvait utiliser ses capacités à son avantage.

Posant l’assiette sur la petite table qui séparait le canapé de la table de mixage, le coréen s’affala dans le canapé, à côté de Seojoon tout en prétextant s’installer là par hasard. « Une fille ? » Est-ce que toute cette peine n’était qu’une question d’amour envers une fille ? Beomgyu retint un soupir qui sonnerait bien trop maladroit. Il n’était pas le mieux placé pour ce genre de conseils, lui qui n’avait jamais aimé. Certes, il avait récemment rencontré cette fille l’autre soir qui l’avait chamboulé, et beaucoup de gens se trompaient sur sa relation avec Seizan, mais l’enfant immature qu’il était avait toujours été incapable d’aimer proprement. « Est-ce que tu sais pourquoi elle est partie ? » Il se doutait bien que non, auquel cas son ami ne serait pas dans un tel état, dans son studio. Laissant sa tête tomber en arrière contre le dossier du canapé, le musicien ferma les yeux. « Joon, t’as vu ton état ? Je ne sais pas si c’est une bonne idée cette poursuite. » Rares étaient les fois où Beomgyu mettait des filtres dans ses mots pour ne pas sembler trop brute, pourquoi l’inquiétude derrière était certaine. « Tu me dirais qui était cette fille ? » Il avait besoin de plus d’informations, ayant l’impression d’avoir failli à son rôle de meilleur ami de par cette ignorance.