Ji Hoon était assis dans sa classe, sur une chaise en bois. Ici, pas de bureau du prof, pas de bureau pour les étudiants. Juste une grande salle qui servait aussi pour la danse et dont l’acoustique était géniale, il le reconnaissait lui-même. La pièce était vide. Ne restait que Ji Hoon et ses multiples reflets dans les grands miroirs qui servaient aux danseurs, mais aussi aux chanteurs quand il leur apprenait les meilleures postures pour ouvrir leurs cordes vocales. Les étudiants étaient partis depuis environ vingt minutes et lui était en train de réfléchir. Il savait pertinemment que le jeudi, à cette heure, Jae Ha donnait cours dans la classe à côté de la sienne. La porte de sa propre classe était restée ouverte et à chaque fois qu’un étudiant de Jae Ha sortait, il entendait ce qui se passait de l’autre côté.

Ça le laissait songeur. Il repensait à ce qu’ils avaient vécus ensemble. Et surtout à la façon dont ça s’était terminé. Il savait ce qui s’était passé. Il se connaissait maintenant, même si à l’époque c’était plus difficile pour lui de se cerner. Jae Ha s’était déjà détaché d’eux et lui avait eu besoin de mettre le point final sur cette séparation. Pas de la façon la plus glorieuse, mais de la seule qu’il connaissait vraiment. Maintenant, il était plus intelligent que ça dans ses relations. Pas intelligent. Juste plus intelligent. Il y avait une différence… Sur ces pensées, Ji Hoon se relève. Il pousse la chaise en bois. Elle racle le sol. Dans la pièce d’à côté, il entend Jae Ha donner les exercices à pratiquer pour le cours suivant, signe que la classe était terminée, puisque la porte était maintenant ouverte. C’était maintenant ou jamais.

Ji Hoon sort discrètement dans le couloir. Quelques regards accrochent son visage, mais il les ignore obstinément, surtout lorsque des chuchotements se joignent aux regards curieux. Il attend que la marre d’étudiants se dissipe, puis va jusqu’à la classe maintenant vide. À un détail près. Son enseignant. Un peu comme ce qu’il avait lui-même reproduit pendant une vingtaine de minutes juste avant. Ji Hoon prend une profonde inspiration. C’était encore le moment de tourner les talons. Jae Ha n’avait pas relevé la tête vers lui. Mais il devait arrêter de fuir. Alors il entre. Referme la porte. C’est suffisant pour attirer l’attention de son collègue.

« Bonjour, Jae Ha. »

De simples petits mots murmuré d’une voix rauque, profonde, basse, qui résonnent pourtant dans la pièce à, comme la sienne, l’acoustique parfaite…

Jae Ha n’est pas surpris. Cette constatation surgit soudainement, comme un gros signal d’alarme rouge qui s’allumerait soudainement dans la tête de Ji Hoon. Il glisse une main dans ses mèches peroxydées, les ébouriffant juste assez pour témoigner d’un malaise certain et pourtant, Jae Ha n’avait encore eu besoin de rien dire… Il y a bien un rire du côté de son copain d’enfance, mais quelque chose dans la tonalité du rire en question ne lui plaît pas du tout. Il n’y avait relevé aucune joie et certainement aucune complicité. Il n’était pas partenaire de ce rire-là, simplement spectateur, voire victime. L’autre homme ouvre la bouche et Ji Hoon peut constater qu’il ne s’était pas trompé : il n’était pas le bienvenu. Ce n’était peut-être pas surprenant… mais les paroles qui franchissent le seuil des lèvres de son ancien ami le font grogner. C’était un peu trop…

Il serre les dents. L’envie d’envoyer mourir Jae Ha était forte, très forte. Il avait beau se dire que l’autre homme avait toutes les raisons du monde de lui en vouloir pour cette fameuse nuit où leurs chemins s’étaient séparés pour de bon… il n’en restait pas moins qu’il frappait directement là où ça faisait le plus mal. Pas sympa…

« T’as décidé de pousser ta chance, on dirait… », marmonne Ji Hoon tout en lançant un regard cuisant à l’autre enseignant. Et Dieu seul savait qu’il pouvait avoir des airs de chien de garde quand il avait les nerfs en boule ! « Je prends note que les excuses seront plus difficiles que prévu. »

Petit con. Mais il ne l’ajoute que mentalement, celle-là !

« Attaquer un type sur sa désintox, tu y vas fort, quand même… », signale Ji Hoon. C’était un peu bas aussi, non ? Jae Ha ne lui avait pas laissé un tel souvenir. « Bon. Recommençons. »

Il se hisse sur un bureau d’étudiant posé non loin de celui de l’enseignant, son regard sombre posé sur Jae Ha. Il ne comptait pas lui lâcher la grappe de sitôt. Peut-être que si l’échange avait été différent, plus poli, il aurait accepté de laisser l’homme tranquille. Là, il pouvait s’asseoir dessus. Et tourner un bon coup si ça le détendait. Il semblait en avoir bien besoin…

« J’ai fait le con cette nuit-là, ok. J’admets que j’ai quelque chose à me faire pardonner. Vous vous êtes laissés après ça ? », demande-t-il, attendant la réponse tout en espérant qu’elle soit négative. Mais vu la colère de Jae Ha encore maintenant… Enfin, non. C’était de la rancune. Et ça pouvait être nourri par quelque chose de moins logique que ça. Quoi qu’il en soit… « Mais à ce que je sache, Yoon Ji, il t’a rien fait lui. Et il t’en veut de t’être cassé comme un dégonflé sans jamais te retourner. Alors on est un peu au même point, toi et moi, finalement. C’est comment de se retrouver au même niveau qu’une sale idole déchue doublée d’un drogué et d’un alcolo ? »

Si Liwei l’entendait se réduire à ça, il le taperait… Pour l’heure, ils étaient seuls et il offre donc à Jae Ha un sourire forcé, teinté d’une bonne dose d’amertume.