Myung Jin baissa la tête. Il se faisait, encore, réprimander par la femme de son père. Il resta silencieux, les yeux rivés sur ses pieds alors qu’elle continuait de le disputer. Il avait cassé son vase préféré mais il n’avait pas fait exprès. « Tu n’es vraiment qu’un bon à rien maladroit ! Tu ne peux pas faire attention ? » Hurlait-elle sur l’enfant à qui les larmes montaient aux yeux. Le pauvre enfant ne comprenait pas pourquoi il devait subir cette femme qui le détestait autant qu’il la détestait. Il ne comprenait pas pourquoi il devait vivre ici, parmi cette famille qui ne l’aimait pas. Mais pour sa mère, il faisait l’effort. Chaque matin, elle lui disait de bien se tenir, de faire ce qu’on lui disait, surtout bien obéir à son père et d’être gentil avec son grand frère.


Le garçon était derrière le siège conducteur, regardant par la fenêtre. Il restait silencieux alors qu’on le conduisait, lui et sa mère, à la résidence principale. Elle était venue le chercher à la sortie de l’école. Aux yeux des autres, elle était la secrétaire de Ko Man Sik, son père. Elle ne faisait que son travail. Myung Jin ne comprenait toujours pas pourquoi ils devaient vivre ainsi, pourquoi il devait cacher qu’elle était sa mère. Perdu dans ses pensées, il ne comprit pas ce qui lui arriva. L'accident. Ce camion qui venait de percuter la voiture de plein fouet... Sa mère... Myung Jin ouvrit les yeux difficilement et la vit le protéger. Cependant, elle laissa s'échapper son dernier souffle. Il pleura, tenta de la secouer mais rien n'y fit. Il venait de perdre sa mère. Cette mère qu’il ne pouvait pas pleurer à son enterrement, qu’il ne pouvait pas pleurer comme il le voulait. Pourquoi pleurer autant pour la secrétaire de son père ? Aux yeux des autres, il était le second fils de Ko Man Sik et Kim Eun Jung, il n’était pas né d’un adultère, il n’était pas un fils illégitime. Son père avait pris grand soin de payer grassement les journalistes qui avaient voulu révéler la vérité, et il l'éleva comme son fils légitime, exigeant et dur envers lui, prévoyant déjà de le mettre à la tête d’une de ses filiales et de le marier à une bonne famille.


« Ce n’est pas vrai… Mais comment puis-je avoir un fils aussi incapable que toi ? Comment cela se fait-il que tu ne sois que troisième ? » Demanda-t-elle, secouant le bulletin avec ses notes. Elle se pinça l’arête du nez, soupirant, excédée. « Tu ne peux pas être un peu plus comme ton grand frère ? Lui, à ton âge, était premier et avait même déjà sauté une classe. Pourquoi, toi, tu n’es qu’un bon à rien ? » Se lamenta-t-elle en lui envoyant les papiers au visage, l’incitant à retourner dans sa chambre pour réviser. L’adolescent s’installa à son bureau et se prit la tête entre les mains. Pourquoi devait-elle constamment le comparer à son grand frère ? Il n’était pas si parfait que ça, d’ailleurs. Il n’était pas gentil, il n’acceptait jamais ses cadeaux et il lui parlait si froidement… Myung Jin savait qu’il n’était pas désiré par cette femme, qu'elle le détestait, lui, preuve de la tromperie de son mari. Il savait aussi que son grand frère ne l’aimait pas et ne le considérait pas de la famille.


« Pff, franchement, tu ne le trouves pas chiant, Myung Jin ? » Demanda l’adolescente à son amie. Myung Jin se trouvait derrière la porte, la main sur la poignée. Il ne bougea pas, baissa la tête et se mordit la lèvre. « Oh, ne m’en parle pas ! Si on l’invite, c’est juste parce que c’est le fils de Monsieur Ko. J’adore ses produits de beauté. J’espère avoir des réductions en étant amie avec son fils. » Répondit-elle. L’adolescent déglutit et prit son courage à deux mains pour ouvrir la porte. Il afficha un sourire, faisant comme s’il n’avait rien entendu et salua ses camarades qui l’invitèrent à sortir. Si pendant plusieurs mois, Myung Jin accepta, il refusa par la suite et s’isola des autres chaebols de son école privée.


Le voilà enfin sur les bancs de l’université. Myung Jin avait réussi à intégrer la Yonsei grâce à ses bons résultats qui, bien évidemment, n’étaient pas suffisants aux yeux de sa famille. On lui imposa son cursus, et le garçon ne rechigna pas. Il accepta sans rien dire, comme il avait accepté le mariage arrangé avec Yûko. Il n’avait jamais son mot à dire, il faisait ce qu’on lui disait mais, il se rendait bien compte que ça n’allait jamais, que, quoi qu’il fasse, il décevait toujours.


Myung Jin posa son regard sur la jeune femme allongée sur le lit d’hôpital. cela faisait déjà plus d’une semaine qu’elle était dans le coma. Lui tenant la main, le garçon baissa la tête. « Réveille toi, Yûko… J’ai vraiment besoin de toi… » Souffla-t-il, dans un murmure, tandis qu’une larme silencieuse coula sur sa joue. à ce moment-là, sa mère rentra dans la pièce. Le jeune homme se leva, essuya rapidement sa joue et se tourna pour la regarder. Il ne voulait pas être dans la même pièce qu’elle. Elle le fusilla du regard. « Tu pleures ? » Demanda-t-elle, jouant les mères inquiètes. Mais il savait que c’était faux. Il attendait la remarque cinglante, celle qui allait le briser encore un peu plus. « Un vrai homme ne pleure pas. Reprends-toi et ne fais pas honte à la famille. » Cracha-t-elle froidement. Les poings fermés, la mâchoire serrée, il ne répliqua rien. Il resta silencieux alors qu’il bouillait. Il quitta la chambre sans rien dire.

Myung Jin a souvent montré la facette que son père a construite. L’enfant docile et très respectueux, l’enfant obéissant qui dit oui à tout et fait sans rechigner. Vous ne l’entendrez jamais se plaindre. Parce qu’il est très résilient. Il encaisse tout, sans rien dire. Du moins, avant. Maintenant… Il commence beaucoup plus à répondre, à dire non, à aller contre sa famille, même si, devant son père, il reste encore intimidé et obéissant. Il a de plus en plus de mal à faire ce qu’on lui demande sans lui demander son avis, à écouter les directives de sa famille, à encaisser les comparaisons avec son grand frère. Il a trop souvent entendu sa mère le rabaisser depuis tout jeune alors il supporte assez mal les critiques. Pour autant, il ne le dira pas, niera juste qu’il n’est pas blessé et partira ou se mettra en colère, chose qui arrive plus rarement parce qu’il a appris à être maître de lui-même, à masquer ses émotions, à se contrôler. Un homme de son rang doit toujours se maîtriser, qu’importe les situations.

Il fait toujours de son mieux, toujours, et n’est pas du genre à baisser les bras. Courageux, il en fait beaucoup pour lui faire baisser la tête et lui faire peur. Il n’a aucunement peur de tenir tête aux autres, sauf une personne : son père. Myung Jin est travailleur, très, voire trop. Il est têtu aussi, une vraie tête de mule. Impulsif, aussi, ce qui l’implique bien trop souvent dans des problèmes et déçoit énormément son père. Mais Myung Jin aimerait surtout pouvoir se montrer tel qu’il est réellement. Pas ce fils de chaebol froid et cruel qu’il doit être, cet homme d’affaires en devenir qui doit simplement penser au business, à mentir, à être hypocrite. Ce n’est pas lui. La sincérité et la loyauté sont des principes qu’il chérit particulièrement. Vivre dans ce monde d’hypocrites où tout le monde se fait des coups bas, le garçon ne le supporte plus. Il aimerait se montrer tel qu’il est : souriant, amical, chaleureux, drôle. Il l’est avec ses amis mais jamais devant sa famille où il se renferme. Pourtant, il est très loyal envers ces personnes qui pensent qu’il n’est qu’un moins que rien. Il l’est encore plus envers ses amis pour lesquels il ferait tout et n’importe quoi, quitte à décevoir sa famille. Qu’importe. Il le fait déjà rien qu’en respirant.

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