Spoiler:

REMINISCENCES DE L'ENFANCE

— Une douce musique se faisait entendre en provenance du salon et le petit garçon de 5 ans se dirigea, intrigué, vers la source de cette musique. Il arriva dans la grande pièce et la vision qu'il eut ce jour-là devait le marquer à tout jamais et déclencher sa passion pour la musique : sa mère était assise devant la grande chose noire et brillante et bougeaient ses mains en rythme avec les sons qui sortaient de cette chose qui portait le nom de piano. Les yeux fermés, un sourire aux lèvres, elle ressemblait à un ange dans la lumière de l'après-midi qui la nimbait d'une aura presque surnaturelle. Elle remarqua sa présence, se tourna vers lui et lui tendit la main pour l'inviter à prendre place sur le banc à côté d'elle. C'était le début d'une longue histoire d'amour qui commençait avec la musique.

— « Qu'est-ce que tu fais là ? Tu crois que je te paie tous ces cours particuliers pour que tu traînes ici à ne rien faire ?! Sors de cette cuisine tout de suite et retourne au bureau avant que je ne me charge de t'y emmener, et ça ne se fera pas en douceur, je te le dis ! » Le petit Harang se figea sur son tabouret, la cuillère en bois au-dessus de la casserole, les yeux écarquillés. Il n'avait pas prévu que son père le surprenne ici ; c'était son repère, qu'il avait réussi à garder secret jusqu'ici. Il entendit le cuisinier s'excuser platement et le vit se pencher très bas. Pour lui éviter les ennuis, il reposa son ustensile et descendit de son perchoir : il avait compris qu'il était inutile de faire des histoires et suivit sagement son paternel, gardant les yeux fixés au sol sur le trajet du bureau où l'attendait un de ces nombreux précepteurs qui ne lui laissaient pas une minute de tranquillité.

— Ses yeux s'ouvrirent doucement et, encore à moitié endormi, il se demanda ce qui avait bien pu le réveiller en pleine nuit. « Harang ? » La couverture bougea légèrement, comme tirée par à-coups et il se redressa aussitôt. Sa petite sœur se tenait là, à côté de son lit, sa peluche serrée contre elle. « J'ai fait un cauchemar .. » Elle n'eut pas besoin d'en dire plus : il souleva le coin de sa couverture et la vit grimper à côté de lui. Ils se recouchèrent tous les deux et elle finit par se rendormir, serrée contre lui, tandis qu'il lui caressait les cheveux et lui murmurait une douce berceuse à l'oreille. Les absences répétées de ses parents pour voyages d'affaire ou autres raisons en tout genre avaient bien plus d'impact sur sa petite sœur que sur lui et du haut de ses quelques années en plus, il prenait très à cœur son rôle de grand frère. Cela ne devait jamais changer.



SOUVENIRS D'ADOLESCENT

— Quelqu'un lui secoua l'épaule doucement et, groggy, il se réveilla difficilement, les paupières lourdes et la bouche sèche. « Monsieur Do, nous sommes arrivés. Monsieur Do.» Il regarda autour de lui pendant un instant avant de se rappeler où il se trouvait et pourquoi. Il semblait que quelque chose devait le déranger mais il ne savait plus bien quoi exactement. Le grand gaillard qui l'avait réveillé l'attendait visiblement et les souvenirs lui revinrent : il venait d'arriver à Paris pour entrer au conservatoire, et ainsi passer une ou deux années ici. Il sentit un curieux sentiment désagréable monter en lui et une fois relevé et prêt à suivre l'homme de main de son père, il se rappela : l'effet des médicaments que le médecin de famille lui avait administrés s'estompait lentement. Et il était dans un avion. Enfermé. Il se dépêcha de sortir avant de là avant de pleinement réaliser et une fois entrés dans l'aéroport, il oublia étonnamment vite cet épisode en regardant tout autour de lui. En France, il était en France. Une pointe d'excitation le fit sourire en coin avant qu'une image de sa sœur ne s'impose à lui, lui serrant quelque peu le cœur. Il saisit aussitôt son téléphone et l'appela, comme promis.

— « 16 ans, hein ? Tu iras loin, petit. » lui dit le président doucement dans un sourire tout en lui tendant son prix. Les mains serrées autour de la médaille, il affichait comme à son habitude son masque d'impassibilité mais il bouillait à l'intérieur. Il avait réussi. Premier. Il s'inclina devant le président du jury qui venait de lui remettre sa récompense et se tourna vers le public pour s'incliner plus bas encore, reconnaissant. Ils étaient debout pour lui, applaudissaient pour lui. La sensation était incroyable. Il était reconnu pour son travail, son talent, sa musique. Il se redressa et s'inclina à nouveau quelques secondes. C'était sa première victoire à un concours international prestigieux et le fierté et la joie qu'il en retirait étaient difficiles à contenir.

— Montre leur encore qui est le meilleur et reviens vite pour tout me raconter!! ~~ Un sourire apparut sur ses lèvres et il prit le temps de répondre en attendant que quelqu'un vienne le chercher pour lui annoncer que c'était l'heure. Ce soir, c'était Prague, et la dernière date de sa deuxième tournée internationale. Les papillons dans son estomac ne se calmaient pas mais il savait qu'une fois assis devant le piano sur scène, il oublierait tout pour ne faire qu'un avec l'instrument. Il enfila sa veste de costume et se releva tandis que quelqu'un toquait finalement à la porte : ça y est, le moment était venu. Il prit une dernière grande inspiration et ouvrit finalement la porte pour suivre la personne jusqu'à la scène.



EXPERIENCES ADULTES

— « Vous arrive-t-il encore d'en rêver, Harang ? » Il leva les yeux vers cette femme qui le suivait depuis de longues années maintenant et qui l'avait énormément aidé depuis son enfance. Ils en étaient arrivés à développer une relation de confiance et grâce à elle, il s'était peu à peu, non pas remis, mais amélioré par rapport à cette claustrophobie développée dans l'enfance. Il hocha la tête pour acquiescer mais compléta par un « Ca m'arrive. » Cet accident avait eu de lourdes conséquences pour lui. Son père avait trop bu ce soir-là et, de la plus irresponsable des manières, avait décidé de conduire quand même, malgré la présence de ses enfants derrière. Personne n'avait été gravement blessé dans leur voiture mais en face, la personne ne s'en était pas sortie aussi bien. Le choc de l'accident devait le traumatiser profondément et il développa ce trouble anxieux qui s'était aujourd'hui, après de longues années, atténué. Les crises d'angoisse s'étaient estompées mais la sensation terrible était toujours là, bien que plus aussi prenante et insurmontable, et il évitait toujours autant que possible les lieux clos et étriqués.
Harang n'avait appris bien plus tard en plus que son père avait échappé à la justice en remettant un pot de vin aux bonnes personnes et leurs relations s'étaient dégradées à partir là ; le travail de la thérapie portait sur ce sujet aussi, avec moins de résultats cependant.

— Trois jours. Il avait passé trois jours enfermés chez lui sans donner de nouvelles à personne. Un de ses proches qui connaissait le code de son appartement l'avait trouvé enroulé dans les couvertures de son lit, les yeux gonflés de trop de larmes et des cernes marquées sous les yeux. Elle l'avait quitté. Beaucoup trop attaché, beaucoup trop amoureux, il ne comprenait pas et tout ce dont il était capable au bout de trois jours, vidé de ses larmes, était de rester éteint, étendu dans son lit. Il s'est, après un temps, jeté corps et âme dans la musique et ses chansons les plus belles et les plus poignantes ont été écrites après cette rupture, comme une source d'inspiration vicieuse et inspirante à la fois. Cette rupture lui a fait particulièrement mal et aujourd'hui, après plusieurs mois, il n'a pas tout à fait guéri.