La présence de Liwei au centre commercial n’était pas tant vraiment due à son goût pour le shopping. Vivant certainement à 100% dans ce monde moderne, le chinois préférait souvent la rapidité d’une commande en ligne… Tout ne pouvait pas encore s’acheter comme ça évidemment… Il était encore obligé de visiter son tailleur pour des mesures à jours par exemple… Mais globalement, il évitait les centres de ce genre, bondés de monde, de cris, de claquements de chaussures… Dit comme ça, on aurait pu croire qu’il détestait ce genre d’endroit et si ce n’était pas entièrement faux, ce n’était pas entièrement vrai non plus. Liwei était moins pratique que ça !

Bien qu’il n’aime pas la forme de ce genre d’endroit donc, il en appréciait le fond. La vie qui coulait dans les artères saturées de lumières et de néons ou d’enseignes colorées. Il aimait l’aspect sociale que ça représentait pour les familles ou les amis venus se retrouver ici sous le prétexte de quelques emplettes…

Et puis au-delà de tout ça, bien sûr, il y avait ce plaisir rare qui le prenait à aller acheter quelque chose « directement en boutique ». C’était ce qu’il avait fait aujourd’hui. Un comptoir de savonnier pas vraiment donné c’est vrai mais dont il appréciait les grandes compétences en matière de conception de savon. Ici on les coupait à la demande et ça expliquait le sac qu’il transportait, avec quelques parfums qui avaient sa préférence plus un qui était assez inhabituel pour lui mais qui lui avait rappelé Ji Hoon. Il allait le lui offrir, juste comme ça. Ouais… Disons que c’était encore compliqué pour lui de dire que c’était pour le plaisir d’offrir. Pas étonnant qu’avec son ex, la communication ait été un peu chaotique, n’est-ce pas ? Bref…

Ces quelques achats fait, Liwei s’était aventuré dans un petit restau. Il ne comptait pas s’assoir, juste commander quelque chose à emporter avec lui jusqu’à l’hôtel. Il mangerait installé par terre, devant la table basse qui supportait son ordinateur et puis il plancherait sur ce personnage qu’il voulait ajouter à son futur roman et qui l’obsédait un peu depuis son réveil ce matin-là.

Le repas serait simple mais en portant son nez au-dessus du sac que l’employée lui avait remis, Liwei avait eu la certitude qu’il serait bon. C’était le plus important et puis surtout il était heureux de n’avoir pas fait la queue pendant une durée interminable. Là-dessus il aurait pu se contenter de retourner jusqu’au parking pour récupérer sa voiture et rentrer donc… Mais on lui bondit soudainement quasi dessus !

Liwei sursaute, parce qu’il avait beau être de nature stoïque, ça aurait surprit n’importe qui ! Dans un léger effluve de parfum fleurit, une jeune femme s’était suspendue à son bras, en proie à une vive panique, de toute évidence. Ses pupilles étaient dilatés, sa respiration courte… S’il avait pu poser son oreille contre sa poitrine délicate, du côté gauche, Liwei était certain qu’il aurait pu entendre son cœur battre la chamade. Forcément, il est de fait sur ses gardes même si rien dans leur environnement immédiat ne lui semblait être une source de danger en soit… Quelques personnes les regardant en chuchotant, vaguement inquiet si ce n’était légèrement méprisant d’être dérangés…

Le regard du chinois en revient à la coréenne… Puis à sa table, qu’elle désigne plus ou moins. Qu’il la débarrasse de quoi, exactement ? De son plateau ? Tout ça pour ça ?

« Je ne suis pas serveur. »

Et il était un brin froissé qu’elle l’ait cru, en l’état ! Est-ce qu’il était trop en mode détente ? Ou est-ce que sa tenue rappelait un peu trop l’uniforme du personnel qui servait aussi bien à le rendre reconnaissable quand on avait besoin de lui qu’à l’invisibiliser le reste du temps ?

Liwei saisit les bras de la jeune femme, légèrement sous les épaules, pour la repousser doucement mais fermement un pas en arrière, histoire de retrouver sa petite bulle perso. Elle semblait encore en proie à trop d’émotions pour que se soit une simple question d’enlèvement de son plateau, non ? Seigneur… Pourquoi fallait-il toujours qu’il tombe sur les cas un peu spéciaux comme ça ? Heureusement elle semble décidée à préciser un peu quel est le problème… Mais lorsque c’est fait, Liwei ne peut que garder le silence, une minute presque entière !

« Pardon ? »

Son regard va à l’assiette et au morceau de concombre posé au milieu du reste d’une salade copieuse.

« Oui, évidemment. »

Il lui semblait impossible d’en douter à ce stade. Qu’est-ce qu’elle lui faisait là ? Ça sentait presque le gag en mode caméra cachée à ce stade ! En tout cas, Liwei ironise :

« Je crois qu’il est mort cependant. Il y a peu de chance qu’il vous attaque. »

Liwei était d’une nature assez pince sans-rire et peu bavarde. Ho il parlait… Et assez clairement pour s’exprimer de manière parfaitement compréhensible, du moins en général… Mais il n’était pas très expansif quoi.

« C’est quoi, votre problème ? »

En dehors d’avoir l’air un peu folle là, parce qu’on avait clairement dépassé le stade du « bizarre » que son baromètre personnel autorisait !

On pouvait bien dire de Liwei qu’il était quelqu’un de froid, de distant, avec un cœur de pierre et tout le reste… Il avait du mal à tendre la main et il ne le niait pas… Mais croyez-le : si cette femme avait été réellement en danger, il n’aurait pas eu autant envie de tourner les talons que c’était le cas présentement ! Parce qu’il y avait un grain de folie assez gros dans cette histoire et que clairement, la femme le prenait de très très haut !

Ok, elle semblait tout à sa panique… Mais quand bien même il prendrait en compte une peur irrationnelle toute tournée vers la cucurbitacée en question, il trouvait le côté impératif et royal de cette femme un peu trop haut pour les sphères humaines acceptables ! Pour autant il n’est pas insensible à sa détresse en elle-même, ce qui fait qu’il ne s’en va pas pour de bon, ironisant néanmoins :

« Puisque c’est demandé si poliment. »

A coup de « débarrassez moi de ça » ou de « enlevez ça ». Un simple « s’il vous plaît » ne semblait pas pouvoir faire partit de son vocabulaire et Liwei arque un sourcil alors qu’elle lui demande de ne pas le juger… Avant d’assurer qu’elle savait que c’était ce qu’il devait être en train de faire !

« Mais je n’ai jamais prétendu le contraire. »

Oui il la jugeait un peu (beaucoup) à ce stade mais il ne cherchait ni à s’en cacher, ni à s’en défendre, ne lui en déplaise ! D’ailleurs, le restaurant tout entier le faisait et nul doute que si on n’avait pas été en plein rush de midi, un employé ou deux seraient venu à son secours. A son secours à lui, il voulait dire. Et éventuellement au sien à elle. D’ailleurs Liwei claque sa langue contre son palais avant de venir attraper la paire de baguette abandonné sur la table. Il saisit les quelques morceaux de concombre qui sont éparpillés dans le plat pour les faire tomber dans un gobelet vide qu’il attrape finalement avant d’aller le jeter dans une poubelle à proximité. Tout en revenant il attrape un petit flacon de gel hydroalcoolique dont il s’enduit un instant les mains, par principe.

« Il semblerait que vous allez survivre à l’attaque du concombre tueur aujourd’hui. »

Oui il continuait de juger un peu mais bon, elle l’avait un peu cherché ! Liwei ne se moquait pas tellement de l’objet de sa peur (même si c’était assez drôle, on n’allait pas se mentir) mais plutôt de la forme qu’elle revêtait. Et puis quand même, il fait remarquer :

« Il n’était pas caché dans votre assiette. Pourquoi vous l’avez pris si ça vous met dans cet état ? »

C’était complètement incompréhensible à son avis. Elle aurait pu y réagir bien avant, ça aurait évité de jouer les attractions bizarres pour l’ensemble des personnes présente ! Le tube de gel retourne dans le fond de sa poche et Liwei replace correctement les baguettes sur leur petit support.

« Je pense que c’est bon pour le reste. »

Il y avait peu de chance de trouver ce légume sans odeur ni goût ailleurs dans la commande de la jeune femme. En tout cas, si elle avait eu un yaourt au concombre, ça aurait clairement été une très mauvaise coïncidence et Liwei lui aurait proposé de retourner chez elle parce que clairement cette journée n’était pas une « bonne » journée pour elle.

« Ça va aller ? Ou vous avez encore quelques ordres à me jeter à la figure comme si j’étais votre valet ? »

A leur époque où les femmes réclamaient (et à raison !) leur indépendance, il lui semblait injuste d’attendre des hommes qu’ils soient des chevaliers en puissance en permanence. Il n’en avait pas du tout la vocation pour sa part. ça pouvait choquer mais il rendait certainement davantage justice aux femmes à sa façon que bien des hommes qui voulaient les cantonner à leur rôle de petites choses fragiles. Pour autant il ne niait pas le charme que faisait une certaine fragilité oui… Même elle en avait. Elle était jolie avec les joues rouges, le regard égare, les cheveux légèrement décoiffé et le souffle hachuré comme si elle allait bientôt se mettre à hyperventiler !

Mais ça avait été bien trop brutal pour que se soit ce qui prédomine comme sentiment chez Liwei !