L'université n'avait pas été un moment pénible de la vie de la jeune femme. Le plus dur avait été sa double vie d'idole, mais c'était sûrement les meilleures années scolaires de sa vie. Elle n'avait pas vraiment eu le temps d'avoir des amis, elle était toujours restée aux côtés des filles de son groupe plus que d'autres personnes et ça lui avait suffit. Il fallait dire qu'elle n'avait pas une grande expérience des amis, à part peut-être vers le lycée où la petite grosse avait perdu des kilos et était devenu une stagiaire pour une grande agence. Cependant cela n'avait pas suffit à apaiser ses bourreaux qui avaient toujours de nouvelles idées pour la traiter comme une moins que rien. C'était difficile, elle ne pouvait pas le nier, son égo avait été touché, écrasé, brûlé, mitraillé, torturé, mais elle avait toujours su qu'un jour ces personnes se retrouveraient à travailler pour elle ou à faire un métier socialement moins prestigieux que le sien. Elle marchait aujourd'hui la tête haute, essuyant les blessures du passé et fière de ce qu'elle avait accompli. Yu Ri avait toujours eu confiance en elle et avait toujours su que ce n'était que des années difficiles à vivre mais que le chemin serait plus capable ensuite. La vie était cheminée d'embuches mais ce n'était pas ça qui l'arrêtait. Au contraire, elle s'efforçait d'éviter que d'autres enfants vivent la même chose qu'elle, et c'était pour cette raison que même à l'université elle était particulièrement vigilante au harcèlement.

Enseigner sa passion était un plaisir pour Yu Ri. Elle adorait recevoir des messages de l'université lui demandant d'assister tel ou tel professeur. La jeune femme sortait d'un cours de chant et discutait des progrès des élèves avec la professeur attitrée. Cette dernière appréciait particulièrement l'intérêt que l'artiste portait à ses élèves et n'était pas là simplement pour se pavaner en temps que idole. Au contraire, Yu Ri avait fait un carnet spécial avec le nom de chaque élève des cours qu'elle assistait pour noter chaque fois les progrès, les choses à revoir et surtout les points positifs. Elle avait très envie de les aider à aller loin dans la vie. Les deux jeunes femmes discutaient justement d'un élève particulièrement en difficulté qui rêvait d'une carrière dans le chant mais dont la voix n'était pas très harmonieuse. Elles avaient foi en lui, mais les agences ne pouvaient pas se baser sur de la bonne volonté pour l'embaucher. Yu Ri suggérait de travailler avec lui en dehors des heures de cours lorsqu'elle sentit qu'un regard était posé fixement sur elle. En soit, elle avait l'habitude, mais cela ne semblait être ni de l'admiration ni de l'excitation comme elle en avait l'habitude. Elle se décala un peu pour regarder au dessus de l'épaule de son interlocutrice et croisa le regard d'un homme qu'elle ne connaissait ni d'Adam ni d'Eve. Yu Ri fronça les sourcils en croisant les bras, pas très enthousiaste par ce comportement. La professeur se poussa de son champ de vision et elle regarda de haut en bas l'inconnu - pas si inconnu. « Im han Jae. » En l'entend dire son prénom elle reconnut son ancien compagnon de galère. Elle le regarda de haut en bas. « T'as du culot de te montrer devant moi. » Plus d'une personne semblait surprise par la jeune femme, d'ordinaire si adorable. Les gens les contournaient sans oser passer sur leur terrain d'affrontement. « Normal. C'est parce que j'ai raison. Si la campagne n'existait pas, les gens se déplaceraient moins et il n'y aurait pas autant de pollution. Il n'y aurait pas de vaches non plus qui sont la raison de la destruction de la couche d'ozone. » Même à son âge et plus de dix ans après, Yu Ri ne savait même pas de quoi elle parlait.

Le plus incroyable chez Yu Ri était de passer à autre chose chaque fois que quelque chose devenait nocif pour elle. Elle avait poussé cette qualité un peu trop loin en brisant des amitiés pour très peu ; déjà avait-elle eu du mal à se faire des amis à l'école. Après tout dans ce pays où la beauté et la minceur était un critère social important, la petite fille potelée qu'elle avait été n'entrait pas dans toutes les cases - dans tout les sens du terme. Pourtant elle avait su trouver en Han Jae un ami fidèle, un soutien moral bien qu'ils n'aient jamais été des confidents. Elle ne savait pas grand chose de lui, le minimum, même si pour des adolescents ils n'avaient pas un passé profond à se partager. Ensemble ils avaient essuyé les insultes, les critiques, les moqueries, ce qui, au final, était bien plus fort que la plus grande des confidences. Les jeunes étaient très cruels et la moindre différence devenait une faiblesse. Elle n'avait jamais compris en quoi le fait de venir de la campagne était un soucis. Elle ne connaissait pas grand chose de la campagne non plus, mais à part des grandes étendues vertes et des vaches, elle n'imaginait pas grand chose de différent. Peut-être qu'ils captaient moins bien internet, mais Han Jae n'était pas un extraterrestre pour autant. La preuve, il savait lire comme elle, en justifiaient leurs heures à la bibliothèque à faire leurs devoirs et il mangeait aussi la même nourriture qu'elle, en tout cas elle ne l'avait jamais vu aller se faire vomir après avoir été à la cantine ensemble. Mais parfois elle avait eu la sensation d'être un poids pour lui - ce que c'est ironique - parce qu'elle se trouvait bien plus difficile à fréquenter étant donné son physique peu attrayant alors qu'elle avait été bien dotée en gène, alors que lui, sa seule différence, c'était de ne pas venir de la capitale.

Les bras croisées, campée sur ses positions et un faux rire agacé, elle le fusilla du regard. Les années les avaient séparés autant qu'un débat puéril. « Parce qu'en plus tu te moques de moi ? J'ai toujours eu raison. » Ils avaient l'air de leurs anciens bourreaux à se battre pour une histoire de territoire, celui qui avait la plus longue, celui qui aurait le dernier mot. A vrai dire, elle n'avait pas souvenir du commencement de cette histoire. Une discussion bête et un avis différent, le problème c'était qu'elle était têtue et qu'il ne lui avait pas laissé avoir le dernier mot. « Et tu respires quoi là ? De l'air périmé ? Tu vis sans ta campagne et tu n'es pas mort que je sache. » Les vaches n'étaient pas responsables du changement climatiques. La pollutions, les voitures, les usines, si. « Si ta chère campagne n'existait pas, s'il y avait juste une ville immense qui faisait tout le pays, il n'y aurait plus de déplacements vers les forêts et donc moins de pollution des voitures. » Ils n'étaient même plus des adultes à l'heure actuelle, mais des adolescents. Yu Ri ne voyait plus les gens autour d'elle mais simplement un toit une journée ensoleillée avec des jeunes qui se disputaient, avant que l'un d'eux ne claque la porte pour partir sur un débat inachevé.  « Oh parce que toi tu es devenu prof d'écologie maintenant ? Pardon, je ne savais pas que nous étions en présence de Im Han Jae, candidats aux élections présidentielles, partie de écolo et option chiant à en mourir ! » s'exclama-t-elle avec une révérence théâtrale. Elle savait qu'elle avait tord, mais elle souhaitait juste soutenir la Yu Ri qui avait commencé ce débat. « Si tu ouvrais moins ta bouche pour dire des bêtises ça serait déjà moins pollué !  » Elle n'avait même pas d'arguments parce qu'elle avait de toute évidence tord, mais c'était trop dur à admettre. « Les personnes, tu les reloges en ville. Mais tes tracteurs ils fonctionnent comment ? Avec le soleil ? Les voitures électriques mais est-ce que c'est le cas des tracteurs ? Ta voiture électrique tombe en panne t'as des stations, et toi, au milieu de tes champs tu ferais comment ? »  Yu Ri, 16 ans, regrettait de ne pas avoir donné cet argument plus tôt.

Mon dieu... C'était les mots qui passaient dans la tête de Yuri, à cet instant précis. Pourtant pas plus croyante que ça, elle priait tout les dieux de l'univers pour le faire taire. Elle se retenait même de s'arracher les cheveux et de se mettre à hurler comme une folle tant il lui sortait par les yeux. Ils jouaient clairement au plus idiot et même si Yuri était effarée de réussir à caser tellement d'ineptie à la minute au point d'établir un nouveau record mondial, elle ne lâcherait pas le morceau. Non, la Yuri adolescente avait raison et elle se battrait jusqu'à la fin pour prouver qu'elle avait raison. « Argh. Quitte à analyser l'air, oui. » Un cri de rage avait envie de sortir de ses tripes. « Ah parce que les feux rouges ça pollue ? C'est vrai qu'ils devraient en faire à l'énergie solaire. C'est pas quand une voiture est à un feu rouge ou à un stop qu'elle pollue, peu importe le déplacement !  » Yuri cherchait la moindre tournure de phrase mal réalisée pour le contredire. Elle leva les yeux au ciel, les mains sur les hanches. Les bons arguments, aucun des deux ne les avait. Ils étaient juste deux têtes de mules qui, pourtant, avaient compté l'un sur l'autre à une période, ne se souvenaient même pas pourquoi ils avaient commencé à se disputer.  « Eh bien tu as de la chance de pouvoir marcher jusqu'à chez toi. Ce n'est pas le cas de tout le monde. Je suis sûre que même dans ta cambrousse je me ferais arrêter tout les mètres pour avoir un autographe, à moins que vous n'ayez pas la télé ? Je préfère encore prendre la voiture. » C'est vrai que Yuri étant connue, dans tout les cas elle ne se voyait pas se balader à pieds, même à la campagne. Même lorsqu'elle n'était pas connue de toute façon elle avait été trop feignante pour marcher, heureusement qu'il y avait beaucoup de transports en communs à Séoul. « En attendant que la ville s'étendent, les gens peuvent loger dans les appartements qui sont disponibles et puis tu vas pas me dire qu'une ville comme Séoul ne se construit pas vite. On ne fait plus des maisons en terre cuite, hein. Tu peux laisser des champs à côté pour les cultures, ça n'empêche rien. Y a aussi des pays qui font des serres sur les toits des immeubles. C'est un gain de place avec la surpopulation. » Yuri n'était pas trop mécontente de ses arguments qui tenaient pas trop mal la route pour certains. Mais bon, le développement durable et l'expansion n'avaient jamais été ses sujets préférés à l'école. « Je n'admettrais pas que j'ai tord, parce que j'ai tout simplement raison. »

Yuri aurait pu simplement ignoré Han Jae. Après tout, ils n'étaient plus amis, et elle ne lui devait pas plus d'explications. En plus, tout ça n'avait aucun sens, elle ne comprenait même pas ce qu'elle disait et ils se ridiculisaient simplement. Mais elle voulait avoir raison. Elle devait avoir raison. Ils s'étaient quittés sur cette conversation qui restait ouverte et aucun n'avait réussi à mettre de point final. Enfin, ils avaient bien essayé, mais l'autre renchérissait toujours. Comme gâcher une belle amitié qui s'était créée dans la difficulté et la compassion. Ils n'étaient vraiment pas différents, décidément. Deux têtes de mules. « Tu n'es pas obligé de polluer si tu t'arrêtes au feu rouge. Genre, complètement. » Elle avait déjà vu des amis faire ça pour ne pas gaspiller de l'argent. Elle trouvait ça plutôt intelligent, même si elle n'en avait jamais ressenti le besoin. De toute façon, elle ne conduisait pas tant que ça, ayant toujours quelqu'un pour l'emmener où elle avait besoin. Alors la compagne, la pollution, tout ça... elle ne se sentait pas vraiment concernée ni légitime pour en parler. Un sourire immature lui échappa lorsqu'il supposa qu'elle utilisait une licorne. Elle était presque à deux doigts de lui répondre que oui, juste pour lui donner tord même si c'était évident que ce n'était pas le cas. « Ils polluent pas tes transports en commun ? » Yuri avait surestimé sa popularité, parce que même si elle était très populaire, elle n'était sûre de se faire arrêter pour autant tout les mètres. Une fois ou deux, peut-être, mais dans les campagnes avec une majorité de vieilles personnes, ils n'avaient sûrement pas que ça à faire. Cependant elle s'offusqua à sa question. Bon, d'accord, ils n'étaient plus amis, mais il n'allait quand même pas prétendre qu'elle était une artiste si nulle que ça ? « Mais y a des gens qui m'aiment. » répondit-elle, supposant que Han Jae savait qu'elle était devenue idol. Il avait sûrement déjà dû entendre son nom et faire le rapprochement, non ? Yuri avait quitté les bancs de l'école depuis longtemps, mais elle était presque sûre d'avoir déjà vu dans un manuel scolaire des serres sur des immeubles. Le summum du développement, parait-il. Si les gens pouvaient avoir la conscience tranquille en se disant que ça reculait le réchauffement climatique, soit. « Pourquoi pas ? C'est une bonne solution alternative après tout. » Même si objectivement, la campagne, c'était mieux. Yuri conclu sur le fait qu'elle avait raison, et alors qu'elle crut qu'il allait lui laisser le dernier mot, il renchérissait. L'actrice avait envie de s'arracher les cheveux et d'hurler à plein poumons. Qu'est-ce qu'il était têtu ! « Mais tu vas me rendre folle ! » Elle haussa un sourcil à sa question, comme s'il était étonné qu'elle puisse enseigner. « J'enseigne le chant, pourquoi ? » Maintenant il allait remettre en question son domaine de prédilection. « Et toi tu es quoi ici ? Agent d'entretien ? » Elle était vraiment mauvaise langue.

Le débat était complètement stérile, et pourtant il avait réussi à briser une belle amitié qui avait pris ses sources dans des moments douloureux. Quand est-ce qu’ils avaient pu oublier ça ? Est-ce que ces cris, cette mésentente justifiait ça ? Ca n’en valait pas la peine et pourtant Yuri le savait. Parfois elle avait repensé à son amitié avec Han Jae et s’était faite la réflexion qu’il lui manquait, que c’était quand même dommage. Mais elle avait préféré se battre à propos de la campagne, alors qu’elle n’y avait jamais mis les pieds, simplement pour le plaisir d’avoir raison. Elle aurait pu faire de la politique, elle aurait été une candidate redoutable avec son entêtement, mais avec les bons arguments. Parce que là, clairement, elle ne les avait pas. “Je suis d’accord.” Au moins, ils avaient réussi à se mettre d’accord sur une chose, que les gens devraient éteindre leur moteur en arrivant à un feu rouge, ça polluerait moins. Mais qui était Yuri pour faire des commentaires sur l’environnement alors qu’elle n’avait jamais été attentive quand les cours parlaient de ça ? Est-ce que même elle avait vraiment été sensibilité à ça ? Ce n’était pas vraiment une priorité dans les programmes des lycéens. Elle soupira de nouveau. Elle ne pouvait même pas trouver un contre-argument débile pour le simple plaisir de lui donner tord, parce que Han Jae soulignait l’évidence et même la chanteuse n’était pas assez bête pour le nier. Alors elle haussa simplement les épaules, comme si cette conclusion lui était égale. Parce qu’en soit, pollution ou non ce n’était pas ça qui l’empêcherait de dormir de toute façon et tant qu’un gros nuage toxique ne l’empêchait pas de poursuivre ses activités, elle ne pouvait rien faire à son échelle, et la propagande écologique, ce n’était pas son truc. Puis il la questionna sur ce qu’elle enseignait, et elle répondit comme si c’était une évidence. Elle ne pouvait qu’enseigner le chant. La comédie, peut-être à la rigueur, mais elle avait été formée au chant et pouvait donc plus facilement reprendre son enseignement. “C’est la pollution qui t’a bouché les oreilles ?” renchérit-elle, alors qu’il n’avait pas été agressif, mais il n’était pas en reste pour lui rendre la pareille. Elle fit la moue et leva les yeux au ciel. “Haha. Très drôle.” Mais il répondit malgré tout à sa question, sincèrement. Elle hocha la tête, s’étant plus attendue à le voir ici en tant que professeur plutôt que... accompagnateur ? Mais elle ne poussa pas sa curiosité, ne voulant pas être impolie. La conversation semblait partie sur un ton plus cordial mais ils n’avaient pas parlé depuis des années après tout. “C’est arrivé tout à fait par hasard mais oui, j’aime beaucoup ce que je fais.” Yuri aimait aider son prochain et espérait repérer des pépites pour les aider à se développer et à réaliser leurs rêves. Un petit rire glissa de ses lèvres à sa question. Elle ne voulait pas se vanter, mais ses élèves étaient particulièrement attentifs avec elle. “Ils sont vraiment adorables mais je me demande si ce n’est pas aussi parce qu’ils sont un peu intimidés.” Elle ne voulait pas faire la diva mais elle ne pouvait pas nier que même si son groupe avait été actif quand ses élèves étaient très jeunes, ça devait sûrement faire quelque chose de savoir que ses cours étaient donnés par une personne connue. Yuri regarda autour d’elle et remarqua qu’effectivement, de nombreux étudiants la saluaient ou chuchotaient en la voyant, mais elle ne les avait pas en cours pour la plupart. Cependant, elle trouvait étrange que Han Jae pense à la questionner pour son rôle à l’université et pas son travail en général. “Dis-moi Han Jae... Est-ce que tu sais que durant toutes ces années, je suis devenue idole ? Et que maintenant je suis actrice ?” Elle avait bien parlé du souhait de devenir chanteuse durant sa scolarité, et ses parents actrice et réalisateur qui faisaient souvent des dons importants à l’école, mais finalement, elle avait été acceptée dans son agence seulement après leur dispute.