Léandre était submergé par le travail. C’est qu’il débarquait à Séoul seul… alors tout le travail qu’il devait fournir avant l’ouverture et, surtout, avant de trouver des employés dignes de confiance, il devait le fournir seul. Il était entouré par un nombre incroyable de boîtes. Le type le plus décourageant du marché, d’ailleurs : des présentoires à monter soi-même. Il avait fait une erreur en commandant… et du coup, il allait devoir jouer du tournevis s’il voulait arriver à quoi que ce soit. Lui qui était si heureux de pouvoir enfin aller chercher ses bijoux au coffre-fort de sa banque. Il allait devoir revoir ses projets. Il songeait à appeler un certain écrivain qui allait peut-être regretter d’avoir flirté avec lui !

Mais pour l’heure, Léandre mesurait l’étendue des dégâts, assis sur le comptoir qui venait avec la jolie boutique qu’il avait achetée. Apparemment, elle avait fermé suite à une réouverture dans la Digital City, plutôt. Une boutique de vêtements de luxe, en plus. Ça lui avait fait se demander un bref instant s’il ne serait pas mieux là-bas… mais non. Il ne croyait pas que des étudiants puissent avoir plus d’argent à dépenser que ceux qui fréquentaient Gangnam, pour ce qu’il connaissait de la ville. Pris dans ses pensées, il ne voit même pas la silhouette qui se profile devant la porte vitrée. C’est quand la clochette mélodieuse résonne dans l’espace qui deviendrait bientôt une boutique haut-de-gamme qu’il relève la tête, surpris.

Un sourire étire aussitôt ses lèvres, parce que Léandre était comme ça : il n’oubliait jamais l'interaction positive avec le client. Même quand la boutique n’était pas ouverte !

« Bonjour et bienvenue ! », s’exclame Léandre en s’approchant. Il effectue une petite courbette d’usage, espérant qu’elle était assez prononcée pour ne pas être malpolie, mais pas assez pour ne pas être carrément du léchage de bottes. Les nuances de l’étiquette coréenne lui échappaient encore beaucoup. « Excusez-moi, mais la boutique n’est pas encore ouverte. Je crains qu’il n’y ait pas grand-chose à voir. Les bijoux ne sont même pas encore arrivés. »

Le coffre-fort de son atelier avait déjà été installé. Le dernier cri en matière de sécurité. Les joyaux pas encore travaillés s’y trouvaient. Ceux avec lesquels il avait déjà des projets prévus. Certains n’en avaient pas. Dont une magnifique opale australienne qui allait faire bien des jaloux lorsqu’elle serait montée sur deux boutons de manchettes luxueux !

« Mais je peux tout de suite vous donner… »

Léandre glisse deux doigts dans une petite poche de son tailleur un peu plus féminin que masculin, le pantalon épousant joliment ses courbes. Puis, il tend à la jolie demoiselle une petite carte noire agrémentée d’écriture et d’arabesques en or rose.

« Ma carte. Est-ce que je peux vous aider avec quelque chose d’autre ? »

Après tout, peut-être qu’elle n’était pas là pour acheter quelques bijoux hors de prix…!

Tiens… La demoiselle s’inclinait bien bas ! Même s’il n’était pas très au fait des moeurs du coin (enfin, ce n’était pas une catastrophe… mais ça pouvait vite virer à l’incident malencontreux disons !), il comprend rapidement que jamais une cliente n’aurait agit de la sorte. À moins que cette toute jeune femme - maintenant qu’il la voyait de plus près il réalisait à quel point elle n’était pas bien vieille - ne soit du genre timide qui offre un peu trop de politesse à tout le monde, mais ça l’aurait étonné. Léandre n’en perd toutefois pas son sourire, heureux d’accueillir qui que ce soit pour briser un peu sa morne solitude. Et elle avait forcément une raison d’être là, qu’il était plutôt impatient de découvrir. C’était le genre de pensées qui traversaient la tête d’un extraverti dès qu’il était en contact avec des gens, oui…!

Son sourire s’accentue, chaleureux, alors qu’elle lui demande quelques minutes de son temps.

« Bien sûr, j’en serai ravi. De quoi avez-vous besoin ? », demande le délicat Français tout en observant avec curiosité la demoiselle. Une enveloppe lui est tendue. Léandre étire sa main manucurée et baguée sans même y penser pour la prendre, écoutant attentivement la jeune femme. Rapidement, la raison de sa présence ici lui est donnée et Léandre a une petite exclamation ravie ! « Ah, alors tu es un ange envoyé par la Providence ! »

Son ton était blagueur, mais son regard brillait de ravissement. Il passe derrière le comptoir qui contiendrait non seulement des bijoux, mais aussi le nécessaire pour que ses vendeuses puissent travailler, dont la caisse enregistreuse. Bientôt, disons. Pour le moment, c’était vide de chez vide, mais c’était aussi le seul meuble qui était monté. Il pose l’enveloppe sur le comptoir pour l’ouvrir et en sortir le CV.

« Je dois justement commencer à annoncer l’embauche demain et je me sens un peu dépassé par… ». Léandre s’interrompt, regardant les boîtes autour d’eux avec découragement. « J’ai commandé les meubles d’exposition… mais à cause d’une mauvaise compréhension, j’ai commandé en pièces détachées sans service de montage. Mon accent le trahit probablement, mais je suis Français. »

Enfin, il ne trahissait probablement pas d’où il venait précisément, mais au minimum qu’il était plus étranger que ses traits ne voulaient bien le faire croire. Il a un sourire pour la jeune femme, l’observant un moment sans rien dire, juste pour voir si elle lui renvoyait le genre d’impression qu’il aurait aimé avoir pour sa boutique. Elle était très jolie, même s’il ne comptait pas employer à la beauté non plus. Mais on ne pouvait pas y être insensible. Elle portait des vêtements choisis avec goût, qui faisaient ressortir ses origines asiatiques à ses yeux, et qui étaient sobres tout en renvoyant une impression de chic. Il aimait beaucoup. Puis, Léandre baisse les yeux, observant le CV qu’il avait là, entre les mains.

« Yi Dong Joo, 18 ans… Tes études te prédisposent à ce genre de travail. Wow, tu es très occupée. Et très sportive. », fait remarquer Léandre avant de relever les yeux vers elle. « Puisque tu es étudiante, je peux te donner 20h par semaine. Je ne veux pas que tu négliges tes études. Mais j’aurai vraiment besoin de vendeuses à temps partiel la fin de semaine. La boutique ouvrira de 9h à 21h dans un premier temps. J’aviserai ensuite si les heures conviennent vraiment à Gangnam et à ma clientèle. Est-ce que quelque chose dans ces heures-là le samedi et le dimanche te conviendrait ? »

Il préférait aviser tout de suite avant de commencer à entrer dans le vif du sujet avec plusieurs questions. Ça leur sauverait un peu de temps.