Des jours que j'y pense. Enfin, si on est honnête, j'y pense depuis qu'elle me les a offerts, le mois dernier. Pourquoi, déjà ? Pourquoi une étudiante m'a-t-elle donné ces chocolats le 14 février ? Ca ne pouvait pas être en signe de remerciements, je ne la connais même pas. Tout un tas de questions me trottent dans la tête. Je ne devrais pas me prendre la tête et plutôt laisser filer ça sans y prêter attention mais je ne veux pas passer pour malpoli ou quoi. Si je trouve quelque chose de tout à fait basique, ça ira non ? Sans aucune sous-entendu, il ne manquerait plus que ça. Je me surprends à tapoter le bout de mon menton pensivement. Bon, je vais surtout ne plus y réfléchir vingt ans et me décider pour quelque chose de simple qui fera l'affaire. Peut-être la meilleure idée pour éviter tout malentendu serait de lui offrir quelque chose de totalement impromptu ? Comme ça je règle les deux problèmes d'un coup : l'attention est retournée mais de manière improbable et ce sera peu sujet à se méprendre. Okay, c'est la bonne. Je suis content de moi et continue à déambuler dans le centre commercial jusqu'à trouver une enseigne qui attire mon œil.

C'est avec un petit paquet dans le sac que je ressors, content d'avoir résolu le problème, remontant sur ma moto pour aller à l'université. Je n'ai que peu de cours à donner aujourd'hui, ça me laissera le temps d'essayer de trouver cette fille. Bizarre quand même de m'avoir donné ça sans aucune expression, ni un seul mot. On verra bien si ça va lui faire plaisir. Je ne suis même pas sûre de la croiser. Je ne connais ni son nom, ni quoi que ce soit d'elle en vrai. 14 mars aujourd'hui, exactement le même jour qu'en février, j'ai de la chance, si je me rends dans le même couloir que le mois dernier, j'ai des chances de tomber sur elle non ? Je jette un coup d'oeil à ma montre : on est dans les temps. BINGO. Il ne me faut pas attendre longtemps avant de la repérer, enfin, j'espère que j'ai suffisamment bonne mémoire et que c'est elle là, qui passe. Je l'intercepte parmi toutes les autres personnes et la salue poliment avant de lui tendre le petit paquet. « En réponse à ce que tu m'avais donné le moi dernier. J'espère que ça te plaira. » Oui et non : le cadeau est tellement random pour éviter toute méprise que c'est à moitié vrai. Un cd de relaxation avec le bruit des vagues et de la mer et une boule à « neige » avec tout un tas de paillettes dans al mer et un petit bateau qui flotte. Pas de doute possible, on est sur de la politesse simple là.

Atelier de cuisine fini. Comme quasiment toutes les semaines, la japonaise participait aux cours ou plutôt aux séances organisées par le club de cuisine dont elle était membre depuis son entrée à l’université. Les recettes s’accordaient aux saisons et aux événements, les lançant dans des revisites de cookies décorés de trèfles verts pour la saint patrick en ce milieu de mars. Rien de nouveau à apprendre alors Yuko était bien contente de voir la fin de cet atelier arrivée. Après avoir retiré son tablier plein de farine et savonné consciencieusement ses mains, elle quitta enfin les cuisines pour retourner s’enfermer dans sa chambre de dortoir, probablement pour trier ses dernières photos pendant des heures. Malheureusement, ses plans furent contrecarrés par la présence d’une silhouette qui l’interpella avant de la saluer. L’étudiante ne répondit pas, fixant silencieusement l’homme, était-ce vraiment à elle qu’il parlait ? Lorsqu’il reprit la parole en lui tendant un petit paquet, ses pupilles descendirent un instant vers l’objet avant de remonter vers le visage adulte face à elle. « Vous êtes qui ? » demanda-t-elle d’une voix plate, monotone qui traduisait sur ses lèvres le manque d’envie de parler à cet homme, ou à toute autre personne. La solitude qui l’habitait lui convenait, elle berçait ses journées avec tranquillité et sécurité. En aucun cas, la jeune japonaise ne souhaitait qu'elle ne soit perturbée – et encore moins par un inconnu. Yuko analysa l’homme de la tête aux pieds, cherchant une explication valable et raisonnable au fait qu’il l’a arrêté sur le chemin du retour au dortoir. Puis lentement, la jeune étudiante relia les mots prononcés – mois dernier, donner – au visage du plus vieux en face d’elle avant de froncer les sourcils. Ah, les chocolats ratés. Yuko se souvenait vaguement avoir refilé la première fournée de ses chocolats de saint valentin à quelqu’un, ceux n’étaient pas assez parfaits pour être offerts à son fiancé. Son interlocuteur était très certainement la personne à qui elle avait tendu les sucreries, après avoir décidé de les donner plutôt que de les jeter à la sortie du club de cuisine. Mais voir l’homme en face d’elle lui faisait presque regretter sa bonne action contre le gaspillage. Un long soupir lui échappa lorsque ses pupilles louchèrent sur le paquet dont elle semblait être le destinataire. Le confusion était totale quant à la raison qui poussait l’homme à lui donner quelque chose en retour. « Pourquoi est-ce que vous m’offrez un cadeau ? ». Puis elle repensa à la date du jour ; quatorze mars, le white day. Le jour même où elle attendait que Myungjin lui offre quelque chose en retour de ses chocolats de la saint valentin ; pas par amour mais juste parce qu'elle était sa fiancée. Cela n’arriverait pas bien sûr, tant que Yuko ne lui dirait pas ses attentes. Mais au moins, maintenant tout était clair – il s’agissait d’un cadeau pour le white day. Et rien que l’idée le fit reculer de deux pas en arrière. La situation ne lui plaisait pas du tout.

L'un dans l'autre, je me demande quand même ce que je fais ici, au milieu de tous ces étudiants, en face de cette fille en particulier. Ne pas vouloir blesser quelqu'un d'absolument inconnu au bataillon, est-ce normal ? Une fois encore, trop de politesse peut me mener à des situations plutôt saugrenues, qui ne sont pas forcément toujours des plus agréables. Je ne peux cependant m'en prendre qu'à moi-même quand je décide d'agir de la sorte. La prochaine fois, je pourrai certainement éviter ce genre de choses .. c'est ce que je me dis à chaque fois en tout cas. Elle me regarde de haut en bas, en silence. Jusqu'ici, rien de déstabilisant, du moins ce n'est pas la première fois que je dois faire avec ce genre de situations, c'est même grâce (ou à cause ?) de rencontres similaires que je suis tel que je suis, impassible, distant. On doit avoir l'air fin comme ça, moi tendant ma main vers elle, figé en quelque sorte dans le temps, attendant qu'elle veuille bien daigner me répondre, ou au moins réagir d'une quelconque manière. Inspection de ce que je lui tends, puis ses yeux remontent vers les miens et j'ai l'impression qu'elle ne remet pas ma .. tête. Ah, et bien non à en croire les mots qui viennent de sortir de sa bouche. C'est la meilleure. Rien ne se lit sur mon visage mais ce n'est pas pour ça que je ne me pose pas quelques questions intérieurement. Bon, je suis bien avancé, là. « Hmm. » Ma main retombe légèrement et je ne vois pas trop l'intérêt de me présenter. Encore une fois, je ne devrais peut-être pas être ici, ça se précise même : ma présence n'est visiblement pas la bienvenue. « Tu m'as offert des chocolats le mois dernier. » Trop dur de s'en rappeler apparemment, soit elle fait exprès, soit je ne l'ai vraiment pas marquée et dans ce cas, je ne comprends pas trop le pourquoi du comment. Moi qui pensais faire ça pour ne froisser personne, je me rends compte que c'est peut-être exactement l'inverse qui est en train de se produire. Le soupir qu'elle pousse me fait encore plus rester coi. Quelques secondes de silence et sa question suivante me fait soupirer à mon tour, intérieurement. Je m'apprête à lui répondre et la vois reculer soudain. Okay, on va tout de suite éviter que la situation empire, j'ai l'impression de déjà voir les rouages s'activer dans sa tête. « Je te donne ça en retour de l'attention, par principe. » Certainement un mauvais choix de date pour le retour, je ne pense que maintenant à la manière dont ça peut être interprété. Pourquoi ai-je choisi ce jour, je n'aurais pas pu lui donner simplement au cours du mois écoulé ? Bon, on y est maintenant. « Prends le au moins, ça ne t'engage à rien. » J'essaie d'employer le ton le plus monocorde dont je suis capable histoire de ne pas accentuer l'image qu'elle semble se faire, tendant à nouveau le paquet vers elle.

Alors qu’elle réalisa enfin qui était cet homme et comment il la connaissait, la jeune japonaise sentit son cœur s’affoler. Chocolats. Saint Valentin. Cadeau. White day. Les points se reliaient peu à peu dans sa tête au fur et à mesure qu’elle analysait la situation dans laquelle elle se trouvait. Et tout à coup, toutes les paroles de l’homme tournaient dans une tempête sans fin dans son esprit. Offert. Yuko n’aimait pas vraiment ce terme, son coréen n’était pas parfait bien que bon de façon générale mais elle était un peu près sûre que le verbe ‘offrir’ indiquait une intention volontaire de sa part de faire cette action. Ou encore que cela était préméditée. Mais cela la gênait qu’un tel mot soit employé pour qualifier le fait qu’elle avait refiler des chocolats à un inconnu pour éviter de gaspiller. Alors elle recula par instinct. Cela ne suffit pas à faire fuir son interlocuteur. Elle fronça un peu plus les sourcils à tous ses mots avant de finalement répondre. « Il n’y avait pas d’attention et refourguer serait un mot plus approprié. ». Ce n’était très certainement pas très sympathique voire carrément antipathique de sa part mais elle n’aimait pas que ses actions soient mal comprises ainsi. Et elle n’avait vraiment aucune envie que cet homme pense qu’elle est pu lui donner ses chocolats en espérant quelque chose de sa part, ou en ayant une quelconque attirance pour lui. Les raisons étaient multiples et relativement évidentes. Alors que ses nerfs fumaient et que ses doigts commençaient à trembler sous la panique qui l’envahissait, le plus âgé reprenait de nouveau la parole avant de lui remettre le paquet cadeau sous les yeux. Puis encore une fois, sa réaction fut à retardement. « Parce que vous voudriez que cela m’engage à quelque chose à la base ? » demanda-t-elle d’une voix aiguë, approchant pourtant ses doigts du paquet. Hésitante, la main fébrile de la japonaise attrapa l’offrande doucement et nerveusement ; Yuko manqua presque de le faire tomber tellement elle osait le prendre de pleine main. Yuko fixa l’emballage de ses yeux écarquillés, devait-elle l’ouvrir ? Non, elle n’avait pas le droit, elle était fiancée, ce n’était pas correcte d’accepter le cadeau d’un autre homme le jour du white day. Mais elle était presque certaine que Myungjin se fichait pas mal de ce qu’elle pouvait faire. Alors en torturant sa lèvre sous le stress et presque la colère de se poser tant de questions, elle ouvrit sans délicatesse l’emballage. Yuko y découvrit un cd et une boule à neige, qu’elle sortit pour l’observer de plus près. Instantanément, ses doigts lâchèrent le reste du cadeau laissant le cd tomber au sol dans un claquement. Et ses phalanges se resserrent à en pâlir autour de l’objet ; l’eau, un bateau. Ses yeux ne pouvaient quitter cette vision d’horreur enfermée dans la bille de verre. « C’est une blague ? Cela vous amuse ? Comment vous êtes au courant ? ». Si tous deux n’étaient pas au milieu d’un couloir, elle aurait probablement hurlé ses phrases avec toute la colère qui l’animait. Ce n’était pas bon pour elle de s’emporter ainsi, mais comme d’habitude, elle était incapable de s’en empêcher.

Je pense qu'intérieurement, je dois en être à mon cinq ou sixième soupir de frustration lié à ma bêtise : je suis du genre à réfléchir avant d'agir mais sur ce coup-là, je dois dire que mon cerveau s'est fait la malle. Je ne m'attendais tellement pas à une telle réaction de cette fille. J'aurais peut-être mieux dû l'oublier mais non, il a fallu que je fasse le malin. En même temps, c'est vrai que je n'ai jamais imaginé obtenir quoi que ce soit en retournant l'attention mais note à moi-même, toujours envisager tous les points de vue possibles. La situation en est presque risible. « Refourguer ? » J'étais déjà un peu perdu avant mais alors là c'est le comble : qu'est-ce qu'elle veut dire par là ? Quelque chose semble complètement clocher dans tout cet échange, j'en arrive même à me demander si elle n'a pas un petit problème de compréhension ou si elle n'est pas ancré dans sa propre réalité.

Je me retrouve ainsi dans la même position qu'au départ, attendant une réaction de sa part, la main à nouveau tendue vers elle. C'est pour aujourd'hui ou pour demain ? Je secoue la tête doucement de droite à gauche à ses paroles suivantes. « Non, du tout, rien de rien, c'est ce que je dis. En tout bien, tout honneur. » Elle fait finalement mine de le prendre et je ne bouge plus, figé comme devant un animal sauvage qui pourrait prendre peur à tout moment et dont la réaction est toujours inattendue. Fiou Le paquet n'est plus dans ma main mais dans la sienne, il est peut-être temps de déguerpir histoire de mettre fin à ce moment presque gênant. Et si elle se met à raconter partout que je la courtise ? Je suis mal dans ce cas. Je me traite intérieurement de deux trois noms d'oiseaux sélectionnés spécialement pour l'occasion et je suis tiré de cette absence de quelques secondes par un bruit sec. Le CD est par terre, mes yeux le fixent avant de remonter sur le visage de l'étudiante. « Il y a un problème ? » Oui, c'est certain même. J'ai l'impression qu'elle est au bord d'une crise d'hystérie et cela renforce définitivement le sentiment que j'ai eu plus tôt : je crois que je suis tombé sur une drôle de personne. Je me penche pour ramasser le CD, retraçant du doigt une fissure apparue sur la boîte neuve et lui tend à nouveau. « Qu'est-ce qui devrait m'amuser ? Est-ce que j'ai l'air de plaisanter ? » Je ne comprends pas sa réaction, qu'est-ce qui peut bien se passer dans sa tête ? Je ne sais pas si l'air absolument détaché de tout ça que j'affiche va plaider ma cause en tout cas, ça semble mal parti pour moi. Si on m'avait dit ce matin que ça allait tourner un peu au vinaigre comme ça, j'aurais certainement offert ça à quelqu'un d'autre au hasard plutôt qu'à elle, j'aurais eu bien moins d'ennuis.

Yuko avait du mal à imaginer que refuser de mettre des chocolats à moitié ratés allait la mener dans une telle situation. Sinon, il était plutôt clair que ces petites boules marrons auraient fini dans la première poubelle du campus qu’il aurait pu trouver. Cela lui apprendrait à vouloir faire une bonne action… La japonaise se retiendrait à l’avenir d’avoir de telles idées. Crispée, Yuko n’avait même pas envie de s’enfoncer dans les détails du pourquoi et du comment elle s’était retrouvée à donner ces chocolats à cet homme il y a un mois alors la question du plus âgé resta en suspens. L’étudiante hésita grandement à accepter l’offrande, ou plutôt le remerciement qui n’aurait jamais dû en être un. Son esprit réfléchissait beaucoup trop pour son propre bien et des milliers de possibilités sur les attentions de l’homme s’accumulaient dans sa tête. Mais fort heureusement, les paroles prononcées coupèrent court à sa panique – enfin pour l’instant – et Yuko attrapa avec précaution le paquet offert à son interlocuteur. En tant normal, la japonaise appréciait recevoir des cadeaux, principalement de ses propres, mais dans le cas présent, c’était gênant d’accepter un cadeau d’un parfait inconnu. Sans même parler de ce mauvais pressentiment qui lui torturait les entrailles lorsqu’elle posait ses pupilles sur l’emballage. Et probablement qu’elle n’aurait dû suivre son instinct, probablement qu’elle n’aurait jamais dû ouvrir ce cadeau. La boîte plastique qu’elle lâcha sous la surprise tomba au sol, troublant le calme plat qui régnait autour d’eux. Ses doigts tremblaient autour de la boule en verre – de peur, de colère. Bien sûr qu’il y avait un problème. Yuko sentait déjà son cœur s’affoler et cela ne présageait rien de bon. Elle ne retint pas ses mots, un mélange de confusion et de haine qui la faisait nager en eaux troubles. « L’eau… Le bateau… C’est – ». Sa voix était nerveuse, nouée quand elle força l’homme à reprendre la bille en verre, objet de malheur qui ne semblait à rien de lui déclencher une nouvelle crise d’hystérie. Pourtant ces dernières avaient été calmes, l’esprit tranquille et reposé, loin de toute éventualité de la rendre au bord du précipice. Yuko ne voulait qu’un simple objet comme celui, aussi insignifiant vienne troubler tant ce calme interne. Ses doigts s’enfoncèrent dans ses mèches brunes, puis ils descendirent ses tempes où elle enfonça légèrement ses ongles dans sa peau, parfois la douleur l’aidait à rester saine d’esprit, l’aidait à éviter la crise. « Non, non, je ne veux pas me rappeler de ça ! » murmura-t-elle en secouant la tête, comme si cela allait chasser les émotions négatives de son cerveau et que tout allait revenir à la normale. Mais rien n’était normal : de sa respiration forte et saccadée à ses yeux rouges, ses pupilles dilatées sous la peur et la colère. Ses muscles tremblaient toujours plus sous les émotions, mais elle parvint à relever le regard vers l’homme en face d’elle. « Pourquoi vous faites ça ?... » couina-t-elle répétant à nouveau sa question, rien de cela ne pouvait être une coïncidence, ou bien Yuko était définitivement la personne la plus malchanceuse de cette planète.