Allongé sur son lit, il fixe le plafond dont le plâtre, délavé, loin de son blanc d’origine, s’effrite, constellé de légère craquelure, cicatrice dû temps abîmant aussi les murs de la maison que ceux qui y demeurent. Les rideaux sont tirés, la lumière dû jour déclinant filtre assez pour qu’il distingue sans forcer ce gribouillage sur le mur. Une tête de zombie. Sordide selon certains. Son père, en dépit de son amour pour le genre, n’avait pas non plus adhéré à la décoration sauvage. Il l’avait grondé, lui avait demandé de nettoyer et Se Jun ne l’avait jamais fait. En fait, il en avait même dessiner d’autres. Des goules, des crânes, des clopes, des monstres…. Un papier peint neuf et original, tout à fait à son goût.
Et elle, qu’en aurait-elle pensé ?
… A cette interrogation parasite, loin d’être neuve, Se Jun se tourne sur le côté et soupire. Il entend alors le bruit d’une auto qui se rapproche, les pneus qui frottent le bitume, et le ronronnement d’un moteur qui se coupe. Ce n’est pas son père, il le sait au rez-de-chaussée depuis deux heures environ. Il l’a entendu l’appeler une fois, peut-être deux. Se Jun n’a pas bougé. Mais à présent, sa curiosité est piqué. A vrai dire, les visites chez les Kang sont rares. Peu supportent l’atmosphère pesante qui règne entre père et fils.
Se Jun se lève, jette un coup d’oeil par la fenêtre mais n’a le temps que d’apercevoir vaguement la silhouette familière qui sonne et entre. Des voix s’élèvent. Une pause, puis : « Se Jun ? Viens dire bonjour, c’est Sun Ho. » Sun Ho, son grand cousin. Un des rares membre de sa famille qui marque encore l’esprit lointain du garçon.

Quand il apparait dans l’encadrement du salon, il note l’expression stupéfaite de son père. Evidemment, il ne s’attendait pas à ce qu’il se montre aussi docile. Il remarque aussi qu’il essaie aussitôt de cacher sa surprise et hésite sur les mots à choisir. Se Jun s’en fiche, son regard se pose sur l’homme au visage affable à qui son père a déjà servi à boire. D’un mouvement presque trop discret, mais bien réel, Se Jun incline la tête pour saluer son aîné. Il n’est pas certain du temps écoulé depuis leur dernière rencontre. Ca n’a pas d’importance. « Eh bien, ça fait longtemps que tu n’as pas vu Se Jun, pas vrai ? » Son père s’installe dans le salon. Il sent à son ton hésitant qu’il n’ose pas lui proposer de les rejoindre. Un mot de travers pourrait susciter l’envie irrépressible de son fils de faire tout le contraire. Et il n’a probablement pas envie d’essayer un refus trop frontal devant son cousin. « Comment vas-tu ? » poursuit-il tandis que le fils choisit ce moment pour venir s'asseoir avec eux, sans un mot de plus, sans lâcher Sun Ho des yeux. Cela a l’effet d’un ressort chez Kang Jun Seok qui bondit précipitamment et va chercher une canette de soda pour son fils. Il sait qu’il les aime bien celles-là parce qu’elles disparaissent régulièrement du frigo sans qu’il ne les boive.
Pendant ce temps, Se Jun n’a pas détourné le regard, ni décroché un mot à son aîné. Sa main, pourtant, le démange. Il attend. Il songe…. J’ai plus de sucette.

Il avait l'air trop heureux. En fait, il avait toujours eu l'air à part pour Se Jun. Sun Ho, un adulte un peu étrange parce qu'il ne lui prenait pas la tête. Peut-être qu'il s'en fichait tout simplement. Tant mieux. Se Jun ne tenait pas à en savoir plus. Il aurait forcément été déçu. Il préfèrerait rester loin de tout ça, dans son monde. Dans son chaos.
Pourtant, il était assis là à présent, à côté de son grand cousin. Anormalement près de son père. Sage. Silencieux. Spectateur. « Eh bien, le temps file ! » Avait-il entendu son père répondre, d'un ton exagérément léger. Se Jun n'était pas dupe. Il savait que sa présence rendait son père nerveux. C'était sans doute comme s'asseoir à côté d'une bombe à retardement.

Se Jun prit la canette, sans les remerciements qu'on était en droit d'attendre d'un enfant bien élevé. Il n'ouvrit pas la boisson tout de suite cependant, observant les deux protagonistes échanger sans chercher lui-même a participer à la conversation. « La vie à Séoul est plus mouvementée que chez toi, c'est certain ! Mais j'imagine que la bibliothèque t'offre un peu de calme. » Jun Seok garda un instant son regard dans le vague, songeur. Sans que son fils ne puisse le deviner, il pensait à sa femme regrettée. La bibliothèque dans laquelle son cousin travaillait était la même qu'elle avait dû arpenter tant de fois. Son coeur s'était serré dans l'ignorance collective et il avait simplement adressé un pâle sourire à Sun Ho : « C'est une belle université Yonsei. » Ce fut seulement là que Se Jun comprit ce que son père avait en tête et qu'il se tendit sur sa place, envisageant de fuir ce qu'on avait toujours fui. « Très bien, très bien, le garage tourne bien et Se Jun… » Il y eut une pause, une courte seconde durant laquelle leurs regards se croisèrent et Se Jun perçut l'hésitation paternelle :«... m'aide régulièrement. Tu sais, il est plus doué qu'il ne veut le faire croire ! » Se Jun se demanda à quel point son père comptait jouer la comédie. Jusqu'où il irait en prétendant qu'il formait une petite famille fonctionnelle. Tsss. C'était risible. Faire croire que tout allait bien alors que rien n'allait plus depuis des années.

Alors, comptait-il dévoiler la vérité quand son grand cousin eut le malheur de lui poser directement la question ? « … » Il considéra Sun Ho. De longues secondes sans répondre. Puis, un souffle sec finit par lui échapper, comme un rire silencieux dans un rictus tout aussi invisible. Sun Ho n'avait pas envie de savoir. Se Jun, lui, n'avait pas envie de parler pour rien dire. Alors, sa main se tendit vers son grand cousin et s'ouvrit face à lui. Une main vide et blanche, et un regard qui ne demandait qu'une chose . La seule qui l'intéressait ici : mes sucettes.

« Très bien, très bien » répète son père, hochant sa tête avec approbation. « Tant mieux si tu t’y fais bien, oui. » Se Jun le détaille un instant. Les traits fatigués de son père. Depuis quand a-t-il l’air si vieux ? Si usé ?
L’adolescent détourne le regard. Il a envie d’une clope mais la sortir maintenant, c’est déclarer la guerre. Pas qu’il en ai quelque chose à faire ceci dit… Une de plus… Alors ses doigts pianotent sur sa cuisse, à l’abri de la table. Il cherche à s’occuper. il écoute sans écouter cette comédie dramatique. Pourquoi est-ce qu’il est encore là ? Son regard passe lentement de son père à son cousin. S’il ne peut pas fumer, il aimerait au moins qu’on lui file ses sucettes. Il a été sage, non ? Il n’a renversé aucune table, dit aucune grossièreté. En fait, il n’a rien dit dû tout. C’est mieux non ?

Mais Sun Ho veut l’entendre.
Se Jun le toise. Ses sourcils se froncent une seconde. Est-ce que c’est du chantage ? Est-ce qu’il le prend pour un gamin ? Qu’est-ce qui l’empêche de se lever, se tirer et s’acheter ses putains de sucettes ?
Son cul reste pourtant bien vissé sur sa place. Il ne sait pas pourquoi il est là. Il se souvient qu’il aimait bien Sun Ho. Et maintenant ?
Il hésite. Il prend une seconde de plus. Il peut entendre presque la pénible déglutition de son père. Il hésite lui aussi, à l’ouvrir. Il ne doit pas. Peut-être qu’il le sait parce qu’il se tait. Le regard de Se Jun change. Ses sourcils s’arquent en une inclinaison plus maligne et au fond de sa pupille, une lueur dénuée de joie s’éclaire. Pourtant, il leur offre un sourire. Trop large pour être vrai : « Très bien, très bien ! » Sa voix est empreinte d’un faux enthousiasme, imitant celui de son père ainsi que ses mots. « T’as pas entendu ? J’suis un bon garçon qui s’occupe bien des voitures. Tout va très bien ! » A quoi il joue ? Au même jeu que son paternel. Que tous les adultes. A faire semblant. Comme sa grimace qui lui tient lieu de sourire tandis qu’il tend mieux sa main : « J’ai été assez sage, hyung ? Je peux avoir mes sucettes ? » A côté, son père se crispe mais n’ose pas intervenir. Parce qu’il a rien fait de mal, son petit insolent de fils. Il a seulement menti comme on lui a demandé de faire. Il a menti comme son père.

La grimace de son père ne lui a pas échappé. Il sait qu’il meurt d’envie de le reprendre, de lui parler de respect, mais il a trop peur de faire une scène devant son cher cousin. C’est drôle, songe Se Jun, qu’il essaie encore de sauver les apparences. Tout le voisinage les connaît. Pas pour de bonnes raisons. Chez les Kang, ce n’est pas un foyer plein de vie plutôt plein de cris. Espère-t-il mentir encore longtemps à Sunho ? Il savait probablement que tout n’était pas rose ici, mais à quel point ?
Se Jun observe son aîné, tente de déchiffrer son expression à lui aussi. Il le sent tiqué et, dans une vilaine anticipation, sent une pointe d’agacement monter en lui, non sans une mauvaise satisfaction, persuadé que comme les autres, il prendra la défense de son père et lui fera la morale. Il pourra faire passer ça pour un discours cool qui se veut compréhensif et à l’écoute mais qui ne sera pas moins hypocrite que tous les autres. Sun Ho lui a toujours paru un peu différent… mais au final, il est comme tous les autres.
Ou pas ?
Il ne dit rien. Ou alors, il a au moins fait semblant d’aller dans son sens. Une lueur confuse passe dans le regard du plus jeune. Il attend, comme s’il s’attend à ce qu’il ajoute quelque chose mais rien. Se Jun le dévisage, suspicieux, avant d’observer ce paquet de bonbons… qu’il ne mérite absolument pas. « Oh Sun Ho, tu n’aurais pas dû… » entend-t-il son père commencer. « … C’est trop… » Se Jun sert les dents avant de prendre le paquet. Son père, à côté, s’indigne : « Se Jun, remercie ton cousin au moins ! » C’est la première fois qu’il s’adresse directement à lui. Se Jun le regarde puis ses yeux retrouvent le paquet. Il s’attendait à une sucette, pas un paquet entier… Est-il content ? Surpris. Puis, son regard glisse enfin sur celui qu’il n’a toujours pas remercié : « Je me demande plutôt… si on doit pas s’inquiéter que notre cousin se trimballe avec autant de sucettes… » Le culot. « T’en as distribué beaucoup autres enfants ? » - « Se Jun… » - « Je suis p’tet devenu un peu vieux pour toi. » - « SEJUN ! » Cette fois, la voix de son père a résonné dans tout le salon, poing sur la table. Se Jun affiche lui un sourire narquois, fier de sa très mauvaise blague. Cruel quand fut un temps, Sun ho était certainement son seul allié…