Non, non et non. C'est la goutte d'eau qui fait déborder le vase, la larme qui émerger l'océan. Trop, c'est trop. Et cette semaine est la définition même du beaucoup trop aux yeux de Chaeyi. La jeune femme n'est pas du genre à se laisser submerger par ses émotions, au contraire, elle a une capacité monstrueuse à les taire et à les garder pour elle. Est-ce une méthode saine d'affronter les choses ? Certainement que non mais jusque-là tout allait bien – ou presque bien. Peut être qu'au final cela fait des mois que le 'presque' est accolé au bien et que le problème se situe ici. Un 'presque bien' qui dure depuis des mois et qui suffit par s'accumuler pour se métamorphoser en un 'pas du tout bien'. Alors peut-être que ce miroir explosé en milles morceaux au sol est la goutte d'eau de trop en effet, mais il faut dire que le vase de Chaeyi était déjà bien rempli. "AAAAAAAAAAAAAAAA—". Un hurlement de frustration, un premier. Ses pupilles n'arrivent plus à quitter les éclats de verre au sol qui brillent dois la lumière du néon comme pour se moquer d'elle. Vilain miroir. Il a bien mérité cette mort atroce, si bien qu'elle piétine un instant un des morceaux le réduisant un peu plus en poussière. "Non mais c'est pas vrai, ma vie est une enfer. D'abord mon brouillon qui est refusé, après c'est unnie qui me harcèle pour savoir où j'en suis, parlons même pas Suwon… Je— Je—" débite-elle sans prendre en considération qu'elle parle — ou crie — toute seule au milieu d'un des couloirs de l'université, en pleine journée. La fatigue – oui, oui la fatigue et dieu sait combien ce mot n'a jamais fait parti du vocabulaire de Chaeyi auparavant. Le dépit — elle qui est pourtant optimiste comme personne, dont l'enthousiasme et la joie feraient pâlir n'importe qui. "AAAAAAAAAAAA—". Un hurlement de frustration, le second. Chaeyi tape du pied un instant, comme une enfant qui se fâche pour une raison idiote. Elle en a trop sur la patate, elle explose comme une cocotte trop pleine. Ne prenant même pas le peine de ramasser son sac abandonné au milieu des brisures réfléchissantes, elle vient poser dramatiquement son front contre sa porte de cassier. Ce petit bout de placard renferme sa vie de journaliste – de sa documentation vitale à son matériel d'enregistrement portable. Et ce fameux miroir. "Et maintenant… Et maintenant, c'est un miroir. Sept ans de malheur ? Comme si ma vie était pas assez un désastre comme ça." couine-t-elle en frottant son visage contre le métal. Sans délicatesse, Chaeyi donne un coup de tête venant écraser son front la porte, tant pis pour la douleur. "J'en ai marre." chouine-t-elle. Franchement, sa vie est nulle ces derniers temps, vraiment nulle.

Un cri perce à travers les murs. Tu t'interromps un instant, puis reprends le déroulé de ton cours. Mais ça continue, des phrases débitées si bruyamment qu'elles en deviennent inintelligibles. Tu prends une grande respiration, puis reprends le déroulé de... non ! Un nouveau hurlement. Tu leur files une lecture et sors pour voir ce qu'il se passe. A quelques mètres de l'entrée de ta salle, une étudiante à le front collé contre un casier. Elle marmonne avant de se frapper la tête sur la paroi métallique. Un petit rassemblement de curieux assiste à la scène, et toi, dans l'entrebâillement de la porte. « Ya ya ya ! » Tu t'approches en les pointant du doigt. « Qu'est ce que vous faites là, vous n'avez pas cours ? Retournez étudier, allez vite ! ». Ils s'excusent poliment avant de s'en aller Dieu sait où. Arrivée à sa hauteur, tu t'adresses maintenant à la jeune femme qui "en a marre". « Étudiante, Qu'est ce qui vous prend ? Respectez le matériel de l'université. » Remarquant le sac et les éclats de verre au sol, tu hoches la tête en signe de désapprobation. Tu n'es pas particulièrement à l'aise dans ce genre de situation. Est-ce qu'il faut se montrer ferme et sévir, ou bien faut-il laisser couler ? Proposer son aide peut être mal reçu... Tu le prendrais probablement mal. Et tu ne peux te permettre de lui consacrer trop de temps, tu ne peux pas laisser ta classe trop longtemps... Puisqu'il faut bien faire quelque chose, tu adoptes une tonalité plus douce et tente de la calmer « Enfin, ressaisissez-vous... Ce n'est pas l'endroit... »

Une étrange envie de s'éclater le front contre le mur le plus proche. Après le vacarme qu'elle vient de provoquer au milieu du couloir, son cri et ses plaintes traversant probablement les murs pour venir s'écraser avec douleur et étonnamment contre les oreilles des étudiants et des professeurs, il n'y a pas de doute que les gens la regarde de travers. Au milieu de son malheur, de son envie d'être enterrée vivante, Chaeyi ne se rend pas compte du petit attroupements qui s'est formé autour d'elle. Les chuchotements qui fusent ne l'atteignent même tant elle est absorbée par ses problèmes et ses propres marmonnages. La voix d'un professeur s'élève et Chaeyi tourne finalement un œil vers la scène. Les étudiants se dissipent. Chaeyi grince des dents avant d'écraser son front sans délicatesse une nouvelle fois sur le métal ; elle est la prochaine sur la liste. Celle qu'elle reconnaît comme Yi Gaeul finit par s'approcher de la petite brune pour demander des explications. « Je– » la voix de Chaeyi meurt dans sa gorge, étouffée à moitié par la honte d'avoir dérangé un enseignant pendant ses heures de cours, à moitié par son envie de pleurer qui fleurit au fur-et-à-mesure dans son coeur. L'étudiante en journalisme lâche un petit couinement piteux en tendant de se reprendre pour s'expliquer. « Je devais l’en–enmener à l’atelier, c’est–c’est un bout du décor pour le photoshoot du journal de l’école. Et il–il est tombé quand… Quelqu’un m’a basculé et il est tombé. » répond-t-elle d'une voix saccadée, brisée par l'épuisement évident qu'elle ressent à cet instant. L'envie de tout abandonner ici et d'aller se rouler dans son lit de dortoir est grande – et continue de grandir encore et encore. Ses pupilles se lèvent enfin vers la professeur avant de se poser sur les débris de miroir qui gisent sur le sol, brillants fièrement comme pour lui rappeler son échec du jour. « Je suis désol– » tente-t-elle alors que ses excuses se concluent que un sanglot que Chaeyi essaie de ravaler et se taire. Pas besoin de s'humilier devant le corps enseignant, elle en a déjà trop fait. Mais ce n'est pas l'envie qui manque pourtant de laisser les larmes la secouer sans retenue. « Je suis désolée, je ne me laisse pas submerger par mes émotions en temps normal. Mais, mais… ». La jolie brune balbute difficilement ces mots essayant de conclure cet échange. Ramasser ces satanés bouts de miroir et aller chialer sous sa couette lui apparaissent comme un plan tout à fait acceptable, un plan dont elle a terriblement besoin. Mais trop tard, elle sent déjà les perles humides dégringoler sur ses joues sans permission. Rapidement, Chaeyi porte ses mains à ses joues pour gommer les premières traces de désespoir. « Pourquoi je pleure ? C’est ridicule. » fait-elle en continuant d'éponger ses joues rosés du dos de ses paumes en priant pour que les larmes finissent par se taire dans les secondes qui suivent.

L'étudiante balbutie des explications à propos d'un photoshoot pour le journal de l'université. Tu ne saisis pas tout, mais visiblement, ça a rapport avec les éclats de miroir au sol. « Ce miroir ? C'est pour ça que vous avez crié et dérangé mon cours ? » Depuis que tu enseignes à Yonsei, et même avant cela, tu as pu constater le manque de discipline et de respect de la jeunesse. Bien que tu aies toi-même eu ta phase à l'adolescence, tu as du mal à comprendre ce désir de liberté, cette difficulté à rentrer dans le moule qu'éprouve cette tranche de la population. Très vite, très jeune, tu as pris conscience de ta place dans la société. Tu n'avais qu'une ambition, t'intégrer. Tu priais Dieu pour ça. Tu voulais juste en faire partie, ne pas être une exclue. Mais c'était irréalisable, juste hors de portée. Cette constatation, ce désir inatteignable t'enrageait. Une souffrance et une colère à la base de cette "phase" à l'adolescence. Ainsi, comment pourrais-tu comprendre ? Oui, tu es en colère contre cette étudiante qui dérange ton cours pour une futilité. Cette jeunesse indisciplinée et irrespectueuse se plaint sans arrêt. Ca t'exaspère. Ils réclament plus de considération, remettent en cause les traditions et critiquent à tour de bras. Ils militent même pour faire accepter les déviances sexuelles. Et maintenant, tout ce cinéma pour un miroir brisé ? Tu ne peux pas laisser passer. La cause du dérangement se décide enfin à s'excuser mais l'émotion l'empêche de finir sa phrase. Tu ne t'attendais pas à cela. Mal à l'aise d'avoir affaire à un être humain plutôt qu'au stéréotype du jeune impertinent, tu ne sais plus comment réagir. Faut-il tout de même sévir, ou préférer la manière douce ? Prise d'un sursaut d'empathie devant la détresse de la jeune femme, tu penches pour la seconde option. « Enfin, ressaisissez-vous... Ce n'est pas l'endroit... » L'étudiante tente de se contenir et s'excuse pour son manque de retenu. Son attitude te touche. Tu commences à t'en vouloir de l'avoir mal jugée. Ses yeux de plus en plus brillants finissent par déverser leurs larmes. Tu détournes le regard par politesse. Maladroitement, tu veux tapoter son épaule. Mais le contact physique risque d'exacerber sa sensibilité. Et tu n'es pas vraiment à l'aise à l'idée de la consoler. Tu arrêtes donc ton geste à peine entamé. « Vous allez bien mademoiselle ?  » Les mots que tu hésitais à prononcer sortent dans un murmure compatissant. Tu te tournes quelques instants vers l'entrée de ta salle. Il ne faudrait pas oublier que tu es au milieu d'un cours... et que tes étudiants t'attendent. « Ça va aller ?  »

Bien sûr que c’est ridicule comme raison de crier. Chaeyi le sait. Tout le monde le sait. Mais à force d’accumuler les choses sans rien dire, tout finit par sortir en une seule et unique fois. Une bouteille sous pression qui finit par exploser violement. Pour autant, peut-être n’aurait-elle pas du hurler comme elle l’a fait. Elle s’en rend compte maintenant qu’elle entend la voix de ce professeur, sévère mais qui a raison. Un miroir brisé au sol est une raison bien futile de déranger tout le bâtiment. Mais vraiment, sur le moment, il n’y a absolument rien d’autre qui a traversé son esprit, autre que l’envie de tout lâcher dans sa voix. Chaeyi en est absolument désolée. « Pardon. ». Elle donnerait n’importe quoi pour ne pas se retrouver dans cette position. Elle donnerait n’importe quoi pour que ce ne soit pas un professeur qui soit en face d’elle. Elle donnerait n’importe quoi pour qu’un de ses amis soit là pour la sauver, l’emmener loin d’ici et la laisser pleurer dans ses bras. Mais Chaeyi est bien connue pour avoir une malchance bien tenace depuis bien des années. Ce miroir n’est qu’une preuve supplémentaire de sa chance négative. Mais finalement quand elle fait face à la douceur improbable de Gaeul, elle laisse couler ses larmes qui menacaient de s’échapper de plusieurs minutes déjà. Et si elle va bien ? Excellente question. « Oui ? Non ? Je sais pas ? ». À l’instant t, elle est très clairement plus proche du non que d’autre chose. Mais elle n’a pas vraiment envie d’épiloguer sur le pourquoi du comment. Chaeyi se voit difficilement dire à un enseignent qu’elle est en train de s’attacher à un garçon qu’elle doit volontaire blesser à la demande de sa meilleure amie à qui elle ne peut rien refuser. La situation est trop compliquée, même pour l’étudiante. Alors quand Gaeul lui demande si cela va aller, elle hoche énergétiquement la tête en continuant d’essuyer ces vilaines larmes sur ses joues. « Je– je vais nettoyer ces– éclats de miroir et je vais rentrer. Ça va aller. » dit-elle en essayant de se ressaisir une bonne fois pour toute. Puis elle s’approche des débris de verre au sol en se disant qu’elle va débarrasser les morceaux les plus imposants puis qu’elle passera au service technique pour un balais pour le reste. Mais bien sûr avec elle, rien n’est aussi simple. À peine a t-elle mis une main sur un éclat qu’elle sent la peau de sa paume se percer violement. Ne s’en occupant pas plus, elle continue de rassembler quelques morceaux avant de remarquer le sang qui commence à perler entre ses doigts. « Mais c’est pas vrai… » râle-t-elle en lâchant les quelques débris au sol. Les quelques gouttes de liquide rouge lui rappelle une nouvelle fois qu’elle aura dû rester coucher ce matin.

Alors que tu détournes poliment le regard, tu te rappelles tes obligations. Tes étudiants t'attendent... Tu dois y retourner. Distraitement, tu demandes si ça va aller. Tu veux avoir la conscience tranquille avant de rejoindre ta salle. Elle te dit que oui. Sa voix sanglote encore. Tu fais le choix de la croire. « Entendu. J'y vais alors. » Elle se penche vers les éclats de miroir coupant et tu tournes les talons. Quelques pas plus loin, tu entends les débris de verre s'écraser sur le sol. Et la voix de l'étudiante qui se plaint, encore. Tu hésites, juste une petite seconde, avant de finalement te retourner. Elle a la main en sang. Tu t'approches rapidement et saisis son poignet. « Vous saignez ? Ca à l'air profond. Vous auriez dû faire attention ! ». À la fois en colère et inquiète, tu fixes la jeune étudiante d'un air sévère. Tu voudrais avoir ignoré ses premiers cris, maintenant tu te retrouves obligée de t'en occuper. La saisissant par l'épaule, tu l'extrait un peu brusquement des brisures du miroir. « Vous voulez vraiment ruiner mon cours... ? » Râles-tu en attrapant son sac. Un soupir remonte de tes poumons avec lenteur pour s'évanouir entre tes lèvres. Oui, tu n'as plus guère le choix. Tu te retrouves obligée de t'en occuper maintenant. « Je dois vous emmener à l'infirmerie... » La colère gagne du terrain sur l'inquiétude. Mais tes yeux s'attardent sur son visage et ton regard se fait plus doux. Elle sait comment t'attendrir... Tu sors ton téléphone de ta poche et appelles le service technique de l'université. « Oui, Yi Gaeul à l'appareil. Il y a des éclats de verres au troisième étage du bâtiment Sejong, aile Ouest. Il faut les débarrasser au plus vite. - Oui, entendu. Merci. » Ils envoient quelqu'un. Il faut juste t'assurer que personne ne s'approche trop près d'ici-là. Tu as fixé la blessure de l'étudiante qui a ruiné ton cours pendant toute la durée de l'appel. Tu culpabilises. Tu n'aurais pas dû la croire. Tu n'aurais pas dû la laisser nettoyer le verre brisé. Quelle enseignante médiocre tu fais. « Désolée, nous devons attendre la maintenance. Je vous emmène à l'infirmerie dès que quelqu'un arrive. »

Chaeyi a presque encore de remercier l’enseignante de la prudence et de la pudeur avec laquelle elle l’a traite sur le moment, parce que ce n’est pas vraiment son genre de se mettre à pleurer au milieu d’un couloir. Bien sûr, elle a toujours beaucoup de choses sur le cœur mais elle préfère les garder pour elle ; et c’est probablement ça le problème. Chaeyi préfère se concentrer sur autre chose, et c’est ce qu’elle fait sur l’instant, s’essayant à ramasser les bouts de miroirs qui gisent au milieu du couloir. Les dents serrées sous le petit picotement de douleur qu’elle ressent et à la vision du sang qui glisse sur sa peau, la jeune fille s’écrase encore un peu plus au sol en entendant la voix sévère du professeur. Très vite relevée par l’aide de son ainé, Chaeyi agite ses mains devant elle d’un air désemparé. « Non, pardon ! Je suis sincèrement désolée. ». La dernière chose qu’elle veut, c’est bien de déranger quelqu’un mais elle suppose que c’est trop tard à présent. Dieu sait combien elle donnerait pour avoir su retenir ses émotions jusqu’à ce qu’elle soit dans la sécurité de son lit de dortoir. Ses deux grands pupilles brunes fixés fixés sur la femme qui l’aide, elle l’observe appeler le service technique en silence avant de reprendre la parole une fois l’appel terminé. « Merci beaucoup… J’aurais dû appeler quelqu’un plutôt que d’essayer de nettoyer par moi-même. » souffle-t-elle en se mordant la lèvre, parce que comme à son habitude, elle ne réfléchit pas avant d’agir. Ironique pour quelqu’un comme elle qui cogite toute la journée pour tout et pour rien. Chaeyi fouille un instant dans son sac pour y trouver un mouchoir qu’elle pose doucement sur sa plaie. Et elle secoue vivement la tête quand Gaeul s’excuse lui disant qu’il faudra attendre pour l’infirmerie. « Ne vous en faites pas, Madame Yi. Je peux me débrouiller toute seule, cela ne saigne pas beaucoup. » et pour illustrer ses propos elle montre sa paume à l’enseignant sur laquelle est plaqué le papier légèrement rougi. Au fond, même si la plaie est profonde, il y a plus de peur que de mal, les mains cela saigne toujours beaucoup. Chaeyi se blesse assez souvent pour le savoir. « Vous devriez retourner à votre cours, je ne peux pas vous déranger plus. ». Elle trouve qu’elle l’a déjà bien assez déranger comme cela, elle ne veut pas abuser de la gentillesse et de la patience du professeur, sans même parler des étudiants qui doivent l’attendre dans l’amphithéâtre.