Nerveuse. Le mot parfait pour décrire sa situation. Pourtant cela fait des semaines qu'elle joue à ce jeu dangereux, l'habitude devrait s'être installée et Chaeyi devrait plus que bien maîtriser ses cartes. Seulement, ce n'est pas elle qui est le maître du jeu et les règles sont imprévisibles. Deux jours et une nuit. C'est le temps que lui a donné son aîné pour gagner la partie. Le temps d'une excursion vers les étoiles, hors de la ville et de son animation. Le temps d'une sortie de club. Ni plus ni moins. Cependant, la goguryeo n'est pas sûre de pouvoir mettre si facilement l'ennemi en échec. Pas quand ses beaux yeux châtains se posent sur elle et lui font détourner le regard vers le tissu délavé des sièges autour d'elle. Pas quand l'ennemi lui sourit doucement depuis le fond du bus à peine a-t-elle mis un pied dans l'allée. Pas quand la première chose dont elle a réellement envie est d'aller s'installer à ses côtés. Pas quand la seconde chose dont elle a réellement envie est de gagner la partie avec lui. Shin Joohan. Le nom qui fâche dans son groupe d'amis mais dont ils parlent sans arrêt. Le grand brun qui fait faire des cauchemars à sa unnie favorite mais qui commence à faire rêver Chaeyi. Ce jeu est trop dangereux et il n'en vaut même pas la chandelle. Mais son envie de ne jamais décevoir ses proches est plus oppressante que sa rationalité. Et alors elle s'enfonce un peu plus dans cette seconde réalité – réalité régie par la vengeance et qui n'apportera que tristesse. C'est un jeu perdu d'avance et Chaeyi le sait – elle semble parfois être la seule à s'en rendre compte. Un soupir lui échappe et elle se pince les lèvres pour éviter que d'autres lui succèdent. Ses pas sont lents, encombrés par son sac en cuir qui tape contre ses cuisses à chaque mouvement. Ses yeux font des allers-retours entre l'homme à qui elle doit briser le cœur et le sol terne. Arrivée à sa hauteur, des doigts fins se resserrent autour de la lanière et elle tente un petit sourire vers son président de club. « Bonjour… ». La salutation est plus hésitante qu'elle ne le voudrait et plus hésitante qu'elle ne l'a été ces derniers temps. La pression qui pèse sur ses épaules, probablement. Après quelques secondes à hésiter entre la place à côté de l'étudiant et celle de l'autre côté de l'allée, Chaeyi choisit finalement la facilité. La sac collée contre la fenêtre, elle s'installe à l'opposé de Joohan et pourtant à un petit mètre seulement de lui. Sa unnie la féliciterait de se faire désirer ainsi, comme elle aime tant lui dire. La cadette s'insulte intérieurement d'agir de façon aussi embarrassée et embarrassante ; alors qu'elle n'a honte de rien. D'être si silencieuse ; alors qu'elle a toujours plein de choses à dire. Elle a plein de choses à dire à Joohan, toujours, et pourtant les mots restent cloîtrés dans sa gorge nouée.

Impatient et euphorique - sans toutefois le montrer - Joohan s’était préparé à cette excursion depuis plusieurs semaines. Un combat de longue haleine pour obtenir cette autorisation de sortie, dont il était le principal investigateur. Sa détermination n’était plus un secret pour personne. Lorsque le jeune homme avait une petite idée derrière la tête, il était bien difficile de la lui retirer ! Son rôle de président, il le prenait très à coeur. Intimement persuadé qu’il était de son ressort de transmettre sa passion et l’envie poussant à la curiosité dans ce domaine très précis. Il était devenu presque primordial de casser la routine et de s’exiler le temps d’un week-end jusqu’à d’autres contrées inexplorées. Joohan s’attendait aussi par cette démarche à souder l’équipe et permettre aux membres les plus discrets de s’affirmer dans un environnement différent, et qu’il devinait plus propice à la bonne humeur. Cela faisait aussi parti de ses attributions que de s’assurer du bien-être de ses membres en leur concoctant un programme agréable dont ils se rappelleraient longtemps ! Les hanok réservée pour la nuit, et la location du bus finalisée pour ces deux prochains jours, il ne leur restait plus qu’à se rendre jusqu’à l’Observatoire Cheomseongdae, le plus ancien observatoire astral existant, en Asie. Avec pas moins de quatre heures et demi de trajet annoncé, Joohan avait avisé le coup en confectionnant suffisamment d’encas pour tout le monde afin d’écourter la faim et la fatigue des uns et des autres. Si tous ses calculs étaient bons, leur groupe arriverait dans les alentours de 20h afin de profiter du domaine historique. Cela leur laisserait deux bonnes heures pour s’adonner pleinement à leur activité et à la contemplation des étoiles. Passé ce délai, Joohan s’était bien évidemment renseigné sur les évènements du coin et il se trouvait non loin du site touristique, un festival organisé chaque année sur la place de Gyeongju. Sur les faits, le cadre idéal pour se restaurer et pour s’essayer à diverses boissons traditionnelles dans une ambiance des plus festives !

Le programme ainsi assurée, il ne lui restait plus qu’à mener tranquillement sa barque tout en gagnant quelques points auprès de Chaeyi… Cette junior qui lui donnait constamment du fil à retordre. Pourtant ce jour-ci, elle se montra étonnamment plus en retrait. Il la connaissait bien moins discrète d’ordinaire - ce qui n’était pas pour lui déplaire sur les faits - mais ce changement soudain de comportement tiqua immédiatement sa curiosité. Pourtant bien hilare jusqu’à ce qu’elle ne surgisse dans son champs visuel, Joohan la scruta avec précaution au moment où elle se rapprocha de lui. Bien qu’hésitante, la politesse dont elle fit preuve lui arracha un petit rire silencieux. Pourquoi semblait-elle aussi nerveuse ce jour-ci ? « Bonjour, Chaeyi. » répondit-il d’une voix bien enjôleuse, pour ne pas dire amusée. Il ne fut pas plus étonné que ça de la voir s’installer depuis l’autre côté de la banquette. Il était davantage celui lui qui lui courrait après, et non l’inverse. Cela devait même crever les yeux… Si bien que personne ne fit d’objection lorsqu’il se releva pour changer de place, s’autorisant un nouveau sourire à sa cadette duquel il imposa sa compagnie. Désormais installé à ses côtés, il ressortit une paire d’écouteurs de son sac à dos - qu’il laissa choir à ses pieds - sans toutefois les placer directement à ses oreilles. Son regard fut circulaire au moment où il s’assura de la présence de tous ses camarades. «  Si tout le monde est là, on pourrait peut-être y aller ? » quémanda t-il à son auditoire, mais aussi à l’encontre du chauffeur à qui il adressa un signe distinctif, le pouce levé dans les airs. Un soupir d’aise traversa la barrière de ses lèvres et les premières secousses se firent ressentir à bord de l’autocar. A présent soulagé d’avoir bravé cette première étape, le jeune homme s’accorda un peu de calme, non sans oublier la présence de Chaeyi à ses côtés à qui il adressa un sourire plus sincère cette fois-ci. Quoi que l’on dise, jouer les chefs n’avait rien d’une partie de plaisir. «  Tu peux utiliser mon épaule comme d’un appuie-tête si l’envie te prends de dormir. Ça restera entre nous. » ajouta t-il comme pour consolider un secret. Il se montrait plus prévenant qu’il ne l’était en temps normal. Sans doute pour profiter un peu de la situation… Peut-être aussi pour briser la glace, qui sait ? Elle semblait toujours assez nerveuse et il n’allait pas l’obliger à parler, outre mesure. Le silence lui convenait très bien. Elle était même préférable à toutes les conversations futiles. Ce pourquoi il s’attela à sélectionner une playlist electro-chill de son répertoire, parfaite pour se maintenir en éveil sans trop solliciter sa concentration.

Sur le papier, ce petit séjour en terre inconnue a tout pour lui plaire ; si on considère le sud de la corée comme une terre inconnue, bien sûr. Chaeyi aime bien l’idée de pouvoir s’évader de la capitale pour une fois, elle qui y a grandi une bonne partie de sa vie et qui la quitte que très rarement – et encore moins depuis que son train de vie s’est heurté au dynamisme de la vie universitaire. De plus, depuis qu’elle a intégré le club d’astronomie, la femme commence réellement à trouver du plaisir à se renseigner et à en apprendre plus sur ce qui se passe dans l’infinité de l’espace. Il s’agit vraiment d’une occasion en or pour décompresser mais – parce qu’il a toujours un mais – c’est sans compter sur les résultats qu’on attend d’elle à son retour. Chaeyi préfèrerait les oublier ; impossible pourtant d’effacer ce qu’on lui a répété toute la semaine. Alors quand elle pénètre dans le bus après une nuit de sommeil sommaire et agitée, elle sent l’anxiété lui grignoter le bonheur de partir en week-end avec le club, le bonheur de partir en week-end avec Joohan. Sa nervosité n’échappe pas à son président – forcément – à entendre la voix presque amusée avec laquelle il répond à sa salutation. Le cœur battant, la plus jeune se faufile sur les sièges opposés, les mains fermement serrées autour de son sac sur ses genoux. Quelques secondes plus tard à peine, le siège de sa gauche s’affaisse et la goguryeo n’a pas besoin de relever les yeux pour savoir que l’étudiant qui provoque ses pincements de cœur vient de s’installer à ses côtés. Les yeux fixés sur ses mains, Chaeyi l’entend vérifier que tout le monde est présent avant d’officiellement annoncer le début du weekend. Elle ne rate pas le soupire qui s’échappe des lèvres de Joohan alors elle lui offre un petit sourire et elle presse doucement son épaule contre la sienne, une petite forme d’encouragement pour celui qui est responsable de leur groupe d’étudiant pour les prochains jours ; sourire qui lui ait bien vite rendu avant que le garçon s’adresse de nouveau à elle. À la proposition, un rire nerveux lui échappe, résonne dans une tonalité bruyante dans la quasi-totalité de leur bus. Personne ne semble s’alerter de ce bruit soudain ; l’habitude de l’entendre rire plus fort que nécessaire a fini par s’installer chez les membres du club, comme il a fini par s’installer chez les goguryeo. Chaeyi est une des personnes les moins discrètes de l’univers, c’est bien connu, il n’y a rien à faire qu’à attendre qu’elle se finisse par se calmer. Aujourd’hui, le silence revient aussi rapidement qu’il a été troublé, la nervosité qu’elle sent bouillonner dans son ventre depuis hier soir lui fait pincer les lèvres, taisant ce rire sonore et saccadé qui traduit toute son agitation interne. La main plaquée contre ses lèvres, l’étudiante ose un nouveau regard vers son président. « Si je n’ai aucune envie de dormir ? Je n’ai pas le droit ? » demande-t-elle dans une petite voix qui détonnent avec le puissance de l’éclat de rire qu’elle vient de contrôler. Pour autant, rien que sa réponse indique qu’elle réussit doucement à se détendre ; si bien qu’elle finit par lâcher définitivement son sac qui vient glisser à leurs pieds. Chaeyi n’engage pas plus la conversation que cela, le poids des directives qu’elle a reçu encore suffisamment présent pour lui éviter de jouer au moulin à paroles. Cependant, après quelques secondes de silence où le bus s’éloigne du campus, la jeune fille finit par pointer du doigt un des écouteurs de Joohan. « Je peux ? ». Les lèvres pincées et ses grandes pupilles brillantes – et suppliantes – tournées vers le garçon, la plus jeune est un peu près convaincue que celui-ci ne lui refusera pas. Elle demande par politesse uniquement, avant totalement s’immiscer dans le champ privé de son ainé en attrapant le dit-écouteur entre ses doigts – tant qu’à passer le trajet côte-à-côte, autant partager la playlist, surtout que Chaeyi n’est pas quelqu’un de difficile en termes de musique. Sans tarder, elle se penche pour observer l’écran de téléphone et la playlist de Joohan. Bientôt, la petite brune fait défiler les musiques du bout des doigts avant de s’arrêter sur un morceau en particulier. « Oh ! » et sans plus de commentaire, elle clique sur la chanson avant de déposer l’écouteur volé dans son oreille et inciter l’étudiant à faire de même. Sans reprendre sa distance précédente avec le jeune homme, elle se laisse glisser contre le dossier. Ses ongles tapotent doucement sur l’accoudoir alors que son regard se perd au-delà de la fenêtre du bus.