Changer d’environnement. Réfléchir calmement. Prendre une décision logique et rationnelle. Aliyyah avait tout un plan en tête pour aboutir à une seule et unique chose : vendre la maison de sa grand-mère. Située à des centaines de kilomètre de la capitale et donc par extension de l’apprentie vétérinaire, qui n’est plus habitée depuis le décès de l’apriori dernier membre de sa famille, qui coûte une petite fortune en entretien – facture de fin d’année à l’appui – mais aussi en taxe d’habitation – relance de 2021 à l’appui – et dont Ali n’avait absolument rien à faire. Pourtant, elle trainait cette maudite baraque comme un boulet au pied. Jusque-là, elle avait été plus ou moins patiente ; pas qu’elle ait eu le choix vu la tête de mule avec qui elle avait à faire pour prendre cette décision. Mais cette accumulation de facture, d’un montant effrayant était la goutte d’eau. Et elle savait d’avance que la négociation pour arrêter une bonne fois pour toute serait longue et douloureuse – il suffisait de voir la tête de l’étudiant qui l’attendait à la table du café pour le deviner. Aliyyah était fatiguée et agacée avant même les premiers mots échangés. « Je suppose que t’as reçu les factures. » commença-t-elle en prenant place face au jeune homme, étalant tout de même les dites factures dont les montants à régler étaient surlignés d’un agressif orange fluo. Pas de salutation prononcée – depuis qu’elle avait reçu ses deux bouts de papier, Ali n’avait pas vraiment envie de saluer qui que ce soit. Et certainement pas celui qui se trouvait être la raison pour laquelle elle se retrouvait avec une telle somme à payer pour une maison qu’elle n’avait jamais vu de sa vie. Eoh Min Jae. Le second héritier d’une fortune partiellement immobilière qui arrivait d’une grand-mère qu’Aliyyah ne connaissait ni d’Eve ni d’Adam et qui n’avait aucun lien de parenté avec Minjae. Un joli foutoir dont l’étudiante se serait volontairement passée. À croire que le bon dieu se plaisait à la jeter en milieu de situations plus compliquées les uns que les autres. Elle avait vraiment hâte de mettre un point final à cette histoire ridicule. Mais pour cela, il faisait que le plus jeune se montre un peu coopératif ; mot dont il semblait visiblement avoir du mal à saisir le sens. « Bon. Par pitié, facile-moi la tâche et accepte qu’on se débarrasse de la baraque. » soupira-t-elle en se passant une main épuisée sur son visage. Ce n’était pas comme s’ils avaient déjà eu cette conversation avant, hein. Le pire était qu’Aliyyah connaissait d’avance la réponse du garçon : un ‘non’ catégorique. Mais la raison de ce refus restait quelque chose d’obscur pour la jeune vétérinaire. Peu importe combien de fois, les deux avaient eu cet échange, ce débat ou plutôt cette engueulade chez leur notaire – à qui ils avaient très probablement filé de nombreux maux de crâne – la plus vieille ne parvenait pas réellement à comprendre les motivations qui poussait Minjae à vouloir absolument garder une maison dans laquelle il n’habitait même pas.

Planté devant le café, le visage baissé vers l'écran de ton portable, tu laisses échapper un soupir – de ces soupirs qui en disent vraiment très long - avant de finalement pousser la porte d'entrée. Faut dire que c'est un peu à contre cœur que tu te retrouves là, Min Jae. Et, qu'on se le dise, c'est pas souvent qu'on y arrive à te faire faire des choses que tu ne veux pas faire. Cela dit, il y a bien plus surprenant encore – du moins, assez pour être souligné – puisque, contre toute attente, tu n'es pas en retard. A vrai dire, pour une fois, c'est même toi qui est arrivé le premier et, si on en croit l'heure qu'affiche ton iPhone, tu es même un tout petit peu en avance. Un jour à marquer d'une pierre blanche, donc... Pourtant, on ne peut pas dire que tu ais réellement fait quelque chose – loin de là - pour que ce soit le cas. Un simple concours de circonstances qui a fait que tu étais dans les parages et que tu n'avais plus rien d'autre à faire, si ce n'est venir t'installer dans ce café. Alors, après avoir rapidement passé commande au comptoir – et, pour toi, ce sera un simple chocolat chaud – tu viens prendre place à cette petite table, située tout près de la baie vitrée, en attendant sagement que La Folle débarque. Petit surnom, loin d'être original mais séant parfaitement à la jeune femme que tu es censé rencontrer aujourd'hui...

Shim Aliyyah. Une vraie plaie, cette nana. Et l'origine de bon nombre de tes cauchemars, ces derniers jours. Faut dire qu'entre toi et la jeune femme, c'est pas tellement l'amour fou. Encore moins depuis que cette dernière te harcèle presque pour que vous vendiez la maison que Nani t'a légué. Ou, plutôt, qu'elle vous a légué. Sauf que, toi, t'en as pas envie. Cette maison, tu y tiens énormément. Et pour cause, elle possède une valeur sentimentale à laquelle tu ne saurais définitivement pas renoncer. Partant de là, cela fait donc des semaines que ça dure. Des mois, même, que vous essayez de trouver un terrain d'entente. Mais sans grand succès malheureusement, aucun de vous deux n'ayant pour l'instant envie de faire des concessions. D'ailleurs, quand cette dernière finit par se pointer, étalant sur la table tout un tas de papiers, tu ne peux t'empêcher de soupirer une nouvelle fois, avant de reposer le chocolat chaud que tu t'apprêtais pourtant à porter à tes lèvres. Puis, feignant de ne pas l'avoir écouté, tu ne jettes même pas un œil aux factures, te contentant simplement de repousser celles qui empiètent un peu trop sur ton coin de table, avant de t'exclamer sur ce ton quelque peu ironique : « Bonjour Aliyyah ! Moi aussi je suis content de te voir ! » Spoiler alert : non. « T'as passé une bonne matinée ? C'est que t'as l'air crevée, dis donc ! » Et ce n'est clairement pas toi qui risques d'arranger les choses... « Pourquoi ne prendrais-tu pas un petit café ? Ou un thé, peut-être ? » Après tout, et même si, toi comme elle, n'êtes pas ici de votre plein grès, c'était bien là l'objet de votre rendez-vous : discuter – ou du moins tenter de discuter – calmement, autour d'une bonne boisson chaude...

Tout le monde savait qu’Aliyyah était loin d’être la personne la plus patiente de l’univers. Et pourtant, elle estimait avoir largement fait preuve de patience cette fois-ci. Plusieurs mois, plusieurs discussions et la situation n’avait toujours pas évoluée. La jeune vétérinaire se disait même qu’elle avait empiré quand elle reposait les yeux sur les factures qui s’accumulaient et qu’elle était dans l’incapacité totale de payer. Son emploi d’interne à la clinique vétérinaire de la digital city lui suffisait à ouvrir ses frais universitaires ainsi que son logement, mais certainement pas à entretenir une maison familiale à plus de cent cinquante kilomètres de là. Après ses efforts pour rester patience, pour attendre que Minjae soit prêt à vendre – chose qui semblerait finalement ne jamais arriver – il était grand temps de passer à la vitesse supérieure. Et si les échanges au cabinet avec leur avocat en guise d’arbitre n’avaient pas été fructueux, il fallait peut-être tenter une nouvelle méthode. Encore des efforts que Aliyyah était prête à faire, si cela signifiait dire enfin adieu à cette maison de malheur. Pour autant, la jeune femme n’y alla pas par quatre chemins en retrouvant le plus jeune dans un café de la ville ; aucun intérêt à prendre des pincettes, Minjae savait pertinemment pourquoi elle voulait le voir. Alors quand Ali se heurta au ton ironique du garçon, sa mâchoire se crispa automatiquement. Cela s’annonçait encore plus dure qu’elle n’aurait pu le penser et l’étudiant avait déjà une folle envie de se tirer d’ici. « C’est toi qui me fatigues. » grogna-t-elle en avançant de nouveau les factures devant les iris du plus jeune. Il allait les regarder dans le blanc des yeux, même si Aliyyah devait lui coller au visage pour cela. D’un geste de la main, elle interpella un serveur. « Un thé vert à la menthe, s’il vous plait. » demanda-t-elle dans un sourire fatigué, avant de se tourner de nouveau vers Minjae en fronçant les sourcils. « Et c’est toi qui offres pour toute l’énergie que tu me pompes depuis des mois. ». Le tout pour une chaos qu’elle n’avait absolument pas demandé ; pour elle qui vivait encore à distance à l’époque et qui n’avait reçu les informations que par mail, tout s’était passé bien vite et dans un flou total. Revenue sur place, elle pensait naïvement que sa présence à Séoul simplifierait les choses, éclaircirait la situation pour elle, pour tous. Grossière erreur ; les choses se présentaient encore plus désordonnées qu’auparavant. « Ecoutes, je vais être claire : je n’ai pas l’argent pour payer ces factures, et encore moins tous les ans. » souffla-t-elle en passant un main lasse – ou bien agacée dans sa longue chevelure noire. Un disque rayé qui tournait en boucle, c’était l’impression que lui donnait chacune de ses paroles ; mais pourtant, Minjae refusait encore de comprendre qu’aujourd’hui le choix n’existait plus. Pas quand un tel montant leur était demandé pour une maison laissée à l’abandon de l’autre côté du pays. « Il faut qu’on trouve une solution, maintenant. Et j’en vois qu’une seule : vendre. » ; encore et encore, ce mot vendre. Aliyyah savait qu’il ne faisait pas plaisir à son cadet – il lui avait bien faire comprendre –, pourtant vendre était la seule réponse à une dure réalité qu’aucun entre eux n’était capable d’affronter.