Seule, elle préférait être seule à cet instant – aucun témoin de sa douleur, de son désespoir qui l'attire vers le fond. Pourtant, c'est cette même solitude qui l'a amené jusqu'ici, seule à affronter le monde, seule à affronter ses problèmes. Alors pourquoi, pourquoi au moment où peut-être Sena a le plus besoin d'être entourée, elle n'a qu'une envie : être seule. Trop tard ; cette pensée résonne dans son esprit. Trop tard pour être entourée, trop tard pour recoller les morceaux de sa vie mais il n'est pas trop tard pour que le jeune homme l'ignore, continue son chemin. Elle a assez déçu ceux qu'elle aime, elle n'a pas d'inscrire une blessure indélébile sur l'âme de cet inconnu. Alors pourquoi reste-t-il, pourquoi échanger ces quelques mots avec ce corps qui veut s'oublier, partir. Sena veut disparaître dans le silence, l'intimité de la solitude et du désespoir qui pèsent sur ses épaules. Mais cette voix, encore et encore, l'en empêche.
« J’ai tout perdu. ». Elle ne sait pas pourquoi elle prend la peine de répondre, sûrement que l'homme ne se décidera pas plus à l'abandonner à son sort après cela, pourtant il le faut. Pour le vide l'embrasse finalement. Vider son esprit de toutes ses pensées qui l'érodent, vider son cœur de toute la peine qui s'y accumule.
« Tout ce pourquoi j’ai sacrifié ma vie, j’ai tout perdu… ». Après tant d'années d'efforts – gâchés – il est temps de ne plus en faire, de lâcher prise. Une jeunesse entre parenthèses, une vie en pointillée dans l'ombre d'un espoir de briller sous la lumière.
« On m’a tout arraché alors à quoi bon ? ». Des années de noir pour six mois de soleil ; et le soleil s'est couché à l'horizon, éternellement. Ses larmes brûlent sur ses joues; et brisent sa voix dans des sanglots agonisants. Pour la première fois, Sena relève ses pupilles vers le jeune homme. Erreur, le courage de faire le dernier pas s'envole un peu plus. Mais il le faut, pourtant.
« Je suis fatiguée… Tellement fatiguée. ». Ses jambes tremblent et bientôt, elles se dérobent sous son poids – elle s'accroupit dangereusement proche du vide et de l'eau bleutée qui l'hypnotisait tant jusqu'alors. Ses phalanges se crispent sur la rembarre quand sa main glisse le long des barreaux.
« Je veux juste que cela s’arrête… ». Mais sa main refuse de lâcher la barrière de sécurité, ses yeux refusent de lâcher ceux de l'homme qui s'approche toujours un peu plus, son cœur refuse de lâcher son attention sur la voix chaude qui ravive doucement ses battements. Pourquoi est-ce si dur de dire adieu ?
jamais plus elle ne fut éblouit
une âme pour ne plus fleurir
et si dans cette belle nuit,
il ne restait plus qu’à mourir