Ses yeux sombres, criant de douleur, réclamant une once d’humidité alors que Heenim était bien trop concentré sur sa création pour se souvenir de la dernière fois qu’il leur avait octroyé cette grâce. Création pour un projet personnel, à moitié pour son alter égo mais en même temps pour cette collection encore innommable. Très peu de personnes de son entourage étaient au courant de cette ambition personnelle :: celle d’ouvrir un jour sa propre boutique, suite logique de la création de sa propre marque. Pourtant, le nom manquait encore et les idées ne se bousculaient pas au portillon. C’était aussi frustrant qu’insignifiant lorsque toute l’attention de l’étudiant se portait sur les tissus qui filaient entre ses doigts. Il ne s’arrêtait (( presque )) jamais, pas même pour se sustenter régulièrement. Rien de bien alarmant, mais qui pouvait être acteur de malaises réguliers.

Surtout lorsque l’imagination et l’inspiration lui faisaient défaut. Frustration grandissante dans ce corps maigre et son expression en était témoin. Cette fine langue sortie alors que l’aiguille passait entre les mailles, en vain. Puis :: l’abandon. Outils et textile laissés à l’abandon sur le plan de travail, Heenim se laissa tomber en arrière, le dos contre un dossier peu confortable et ferma enfin les yeux. Piquants, une larme ou deux s’échappèrent silencieusement avant que le styliste daigne se redresser. Puis, vint l’arme en main, son énième recours et muse de sa vie, autant que sa meilleure amie. Il ne lui suffit que de quelques mots, une phrase une deux et le message fût aussitôt envoyé. Un appel à l’aide, l’envie de créer à deux. Un mélange de leurs univers qui ne pouvaient qu’être plus intéressant encore. Mari arrivait pour le plus grand bien de l’étudiant qui ne pouvait cacher sa hâte. Rares étaient les personnes qui pouvaient le mettre autant à l’aise ; elles se comptaient sur les doigts d’une seule main. Et si certains les diraient chanceux d’obtenir ainsi la confiance aveugle de Heenim, ce dernier dirait plutôt que la personne chanceuse n’était autre que lui-même.

Enfin, la porte s’ouvrit, annonçant l’arrivée certaine de son amie. Le sourire s’agrandit alors sur les lèvres du garçon, témoin de son excitation grandissante. Témoin de l’amour qu’il portait pour la demoiselle. « Mari ! » Un simple prénom, qu’il chérissait tellement cependant. « J’ai besoin de ton inspiration, créons à deux. Mets-moi des paillettes dans les yeux. » Le respect de cette amitié voulait que Heenim se leva et prit la jeune femme dans ses bras pour la saluer ─ et en même temps cacher cette frustration de ne pas réussir qui se cachait toujours derrière ces lueurs positives. Au diable les bonnes manières et l'éthique qui rendaient difficile l'amitié entre deux sexes (( biologiquement )) opposés.

d'un coup d'œil, l'hésitation. d'une muse présentée sous le bout de son nez, son esprit est dénué de fibre artistique. le néant. son cœur est agité, son esprit embué, ses doigts embêté. des ébauches, des détails quelconques. des teintes grisâtres seront discernées à l'instar de sa large toile. l'inspiration s'est envolée, l'abandon. d'une gestuelle hâtive, la présence féminine sera congédiée afin de délaisser l'artiste désemparée et désabusée de son incompétence. car oui, la frustration est présente. d'un caractère enflammé, ses pieds seront amenés à rejoindre le sol d'une manière bruyante et guère convenable. “ fait chier. „ seront alors, les lignes poétiques qui seront en mesure de se faire entendre. désespoir. de son corps s'offrant le loisir de rejoindre le sol, à son tour. et ce, afin de rassembler ses effets personnels. d'un énième regard à l'intention de sa toile, lèvre inférieure mordillée et soupirs longuets. “ ignoble. „ de ces mots, son art est jugé et négligé.

hâtivement, le moindre outil sera ramassé et jetée au sein de son large sac en tissu, prendre la poudre d'escampette. se vider la tête, l'esprit, le corps. prendre l'air. (. . .) d'un café glacé glissé entre ses doigts, le ciel observé et le silence fut d'un court instant. une mélodie taquine ses tympans et un message sera lu, observé et relu à d'innombrables reprises. un appel à l'aide, son secours est quémandé. amis de toujours, sources d'inspirations mutuelle et folies passagères.
il quémande, il obtiens.

“ je fais aussi vite que j'ai pu, tu connais les bails des transports en commun. „ un ouragan se présente dans la pièce, prénommé mari. d'une accolade qui se souhaitait sincère et amicale, elle l'observe. “ des paillettes, hein. „ les tissus seront observés, touchés du bout de ses doigts, les croquis, le moindre détail. “ le thème ? tu dois me faire rêver. „ de cet univers si différent du sien, un engouement, de la curiosité piquée à vif, une obsession, une affection sans égale. car oui, son ami est différent d'autrui. unique en son genre. spécial. à son humble avis, une perle rare qui ne mérite que le meilleur de ce monde.

se débarrassant alors, de son sac en tissu et de son café glacé à moitié entamé, tourner en rond autour de la table principale. observer le moindre angle, les possibilités. “ tu sais que, j'ai abandonné le studio, je manquais d'inspiration pour mon tableau. mais là, c'est différent... „ d'un sourire qui se souhaitait être rassurant, poursuivre : “ de la silouhette, de la structure. body-ody. „ un mime, un comportement enfantin et ainsi débute, ces folies créatives.

Le désespoir d’un manque d’inspiration créative semblait les avoir contaminés tous deux. Cette frustration deviendrait presque une comédie par la situation. Néanmoins, c’était bien cette atmosphère-là qui était sollicitée à chaque retrouvaille des deux amis. Une accolade et déjà des premiers mots échangés, des excuses qui n’en étaient pas et simplement un appel à l’aide de vive voix. Ces moments n’étaient pas si rares, l’artiste vivait toujours ces périodes de creux pendant lesquelles la création n’était pas permise. « Le thème ? » Idiot qu’il était à répéter une question par automatisme. L’enfant n’était jamais négligeant avec ses études ou son travail, alors il était étrange qu’il soit bloqué dans ce manque de réponse. Ce vide d’idées qui paradoxalement comblait sa cervelle. « Oh oui ! » Un éclair de lucidité, peut-être une réflexion qui pourrait l’accompagner. « C’est pour Bybe, il y aura un show spécial au cabaret et le thème est sur les vilains de Disney. » Un thème très apprécié du coréen bien qu’il était difficile de le deviner avec le manque d’expression sur son visage. Il avait déjà passé des heures à trouver un personnage qui l’intéressait et, surtout, l'inspirait.
Finalement, il avait pris la décision de partir sur Cruella de Vil, comme les tissus le suggéraient mais son blocage partait dans le niveau d’extravagance attendue. Il aurait voulu un vêtement qui pouvait aussi bien faire tourner toutes les têtes des clients au Neon Milk, mais aussi celles des passants dans la rue. Il désirait quelque chose de pas trop sophistiqué et que ça devienne compliqué de se déplacer avec une masse de matière.

Il laissa néanmoins son amie s’installer avant de reprendre ses explications, écoutant avec attention les paroles de Mari. « Comme quoi, on manquait tous deux d’inspiration c’est parce qu’on est trop liés ─ on s'apprécie trop. » L’accompagnement d’un rire discret qui montrait l’auto-dérision de cette phrase vaseuse et gênante. « Je peux aller loin, à part ce thème je n’ai aucune contrainte ─ presque. » Il lui en fallait pour avancer, savoir dans quelle direction marcher, sans se perdre dans toutes les bifurcations possibles et l’imagination et des idées fusantes.

Heenim se redressa alors, se pencha sur la table et déplaça les tissus et autres outils de couture pour en découvrir un carnet dessous. Croquis d’idées, de projets qui au fur et à mesure ont noirci de minéraux le papier immaculé. Les papiers furent rapidement tournées, oubliées dans le passé de projets déjà aboutis, jusqu’à arriver aux croquis du coréen pour ce travail-ci. « Regarde, Ma-mari. » Y figuraient toutes sortes de vêtements de cette bicolorité qui ne laissait aucun doute quant au personnage inspiré. Quelques points de rouge s’y glissaient, timides ou de manière un peu plus imposante, révélant une audace que le garçon cachait très bien. Il y avait de tout, du tissu à ne plus savoir quoi en faire jusqu’au strict minimum que l’on pouvait utiliser sur un corps sans passer dans l’exhibitionnisme. « Tu dirais lequel m’irait le mieux ? ou à Bybe. Mais qui sait, je pourrais l’utiliser pour ma collection aussi. » Ce fil rouge qu’il ne lâchait pas, jamais.

ok, c'est chaotique. digne de ce duo, de cette union qu'ils forment. jeter son dévolu à l'aide d'un coup d'œil ; les tissus seront observés, les croquis jugés et les détails seront interceptés. curiosité piquée à vif, le thème s'offrait le loisir de tourmenter (positivement) son esprit. vilaine caricature de l'être, caractère vil et perfide. vêtu de noir, de blanc, de rouge. figure emblématique d'une production cinématographique animée. ainsi soit-il. “ ok, ok. „ de ses mains plongées à l'instar de sa chevelure noirâtre, une lourde inspiration. se remémorer, réfléchir, s'imaginer, penser. “ je te connais, les détails sont importants. l'esthétique, l'être, le paraître. „ sourcils froncés, les croquis seront planté sous le bout de son nez. de son sac, un crayon sera éjecté afin de rejoindre les feuilles griffonnées de ces idées abstraites. ses détails, ses idées. une union de ces deux êtres, liés. “ jouer sur les textures, ce serait cool. résille, fourrure, cuir... „ de ces tissus jetés à tort et à travers de la pièce, intercepter sa meilleure idée. “ les couleurs, aussi. „ jongler entre le noir, le blanc. finaliser avec des teintes rougeâtres. cela offrait un effet dévastateur et percutant sur ses dessins, il en serait de même concernant le costume.

“ si c'est réussi, ta collection chéri. o-bli-gé. „ l'être que son ami représente, authentique. unique en son genre. différent d'autrui. il se devait de démontrer cela au travers des collections qu'il serait en mesure de démontrer à l'intention de quiconque. ces mondes au sein desquels ils exercent sont emplis de difficultés concernant la reconnaissance, le regard d'autrui. se différencier, se faire connaître, reconnaître. “ je serais ton mannequin. „ à ces mots, agir d'une manière qui ne lui conviens aucunement : de sa chevelure balayée vers le ciel, les cents pas seront réalisés et ces agissements seront clôturés d'une pose qui se souhaitait d'avantage ridicule.

sa gorge taquinée, un sérieux sera repris. elle devait cesser de s'égarer ainsi. “ toi, qu'est-ce qui te plairais ? il faut que ça te plaise, que ça plaise à ton alter égo. „ lui, sa création. ces deux êtres qui ne font qu'une seule et unique entité.

L’idée, le thème et la raison étaient dévoilés, ne restait plus qu’à rassembler l’imagination nécessaire pour créer. Mettre en matière une pensée, d'un coup de crayon sur une feuille de papier. L’étape importante car c’était presque comme un changement d’état, de sentiment qui venait submerger l’étudiant dans ce processus jusqu’au dernier coup d’aiguille, jusqu’au dernier fil maintenu et coupé parfaitement. « Tout est important. » Une légère réponse qui fût appuyée d’un sourire en coin alors que le regard de Heenim se posa sur l’amie. « Et il n’y a de place qu’à la perfection. » Timide, mais certain de la manière dont Bybe dévoilait une partie d’elle à travers le garçon. Il suffisait parfois de quelques mots, une taquinerie lancée sur l’instinct mais surtout une attitude, aussi courte était-elle pour comprendre que la jeune femme se trouvait cachée derrière ce visage apeuré.

L’aide de Mari était si précieuse, si attendue. C’était une vague de douceur et de positivité qui enrobait toujours les pensées sombres de Heenim, pour les faire disparaître. Elle était ce pilier qui lui maintenait la tête hors de l’eau. Ainsi, les dessins se créaient à coup de crayons, parfois un poil trop féroce et la pointe s’en brisait. Matières, couleurs, textures. Tout était réfléchi et travaillé pour en faire naître le meilleur. Cette perfection recherchée qui, parfois, brisait totalement l’étudiant. À trop vouloir en faire, il pouvait s’en détruire. L’idée de créer sa marque, ses collections, était déjà un projet conséquent en soi. Peut-être trop ambitieux pour la jeunesse que représentait le garçon. Peut-être pas assez pour son imagination et l’envie qui le poussaient à faire ce pas en avant, toujours. « Tu serais la plus belle des mannequins. » Il était d’ordinaire son propre mannequin, profitant de sa morphologie et de son physique entretenu pour poser couvert de ses propres créations. Profitant de cette femme en lui qui jaillissait une fois les paillettes éclatées pour se plaire dans de plus grandes extravagances encore. « On devrait même faire un shooting duo. » L’idée n’était pas si étrange, Mari était une femme magnifique aux yeux de Heenim et lui-même représentant physiquement (( pour les autres )) le genre masculin, ils pourraient très bien fusionner dans ces vêtements non genrés.

Imitant son amie, un coup de main dans la chevelure et le sérieux revint rapidement. Les yeux fixes sur les croquis, les examinant. Parfois sa main ne pouvait s’empêcher de crayonner une forme, un semblant de matière, de rajouter, ne serait-ce qu’un trait. « Plus c’est extravagant, plus Bybe aime. » Un fait maintes fois vérifié. « Elle veut du sexy, je la connais. » Et cette étrange façon de parler de son alter égo comme d'une entité à part. Étrange, mais surtout dangereuse. « Mais peut-être que moi aussi… ? » L’hésitation quant à ses goûts et ses envies. Une hésitation qui était lancée par sa timidité. Sortant tissus qui traînaient sur la table, il en assembla quelques-uns malgré les couleurs qui n’étaient pas celles sollicitées. « Faudrait pour en dévoiler sans en faire trop ? personne fatale ? » Et il fallait une coupe qui aille au plus grand nombre de morphologies.

créateurs, artistes. à la recherche de l'inspiration, d'une idée, d'une révélation. contre le grès d'autrui, briser les règlementations et repousser les retranchements. inventer, renouveler, surprendre. ainsi, sont les critères. ils se devaient de jouer ces cartes, égoïstement. “ la perfection „ ; un aspect inévitable, lorsque cela concernant les créations de son ami. à la recherche du moindre détail, de la moindre imperfection à gommer, de la moindre critique qui oserait se faire entendre. fermer, la porte à ces aspects. d'un onomatopée, surgit une idée : “ et si, on jouait sur les genres : masculin, féminin. une création unique, authentique, surprenante. mélangeant les deux à la perfection, un reflet de toi, elle. „ lui, son alter égo féminin. deux êtres à part entière pourtant, semblables. ils se reflètent l'un, dans l'autre. “ une mascarade des genres. „ ainsi, se nommait son idée.

“ et je note l'invitation, ça aidera mon sœur à comprendre que mes vêtements sont de goût, contrairement à ses idées préconçues et son désir de changer ma garde robe. „ sa sœur cadette, à la pointe de la mode dernier cri. jugeant avec une once de dégoût les choix esthétiques de son aînée ; ces vêtements usagés, vieillots, vintage (une histoire). contre son grès, elle ne souhaitait aucunement changer ces habitudes, au contraire. c'est un critère en son fort intérieur, une stabilité, un confort indéniable. “ justement et si, tu utilisais des pièces de quelques vêtements que tu possèdes ? les ajuster à la future création, la rendre d'avantage “ toi „ ; est-ce une bonne idée ? je ne sais pas. „ réfléchir, à voix haute. la moindre idée qui osera traverser son esprit sera amenée à être dévoilée. faire le tri, ne garder que le meilleur de ce foutoir organisé.

“ tu sais que j'affectionne tout particulièrement l'excès alors, qui suis-je pour te contredire. „ l'extravagance du monde qu'est le “ drag „ ; un monde qui n'est aucunement sien et pourtant, aimé en son âme et conscience. un monde, où réside l'affection de la différence, d'autrui. “ quand est-ce qu'est ton prochain show, d'ailleurs ? j'ai besoin de décompresser. „ à ces mots, elle espérait entendre une date qui serait courte sur la durée entre l'instant présent, l'instant futur.