Elle sent l’inquiétude crépiter sous son épiderme. Celle qu’elle ne ressent que très rarement ; et qui pourtant se fait plus intense à chaque instant. Malgré le silence dont elle fait preuve, ses petits aller-retours entre sa chambre et le grand miroir de la salle commune ne mentent pas. La représentation qui l’attend fait mettre une anxiété ; la même qu’elle ressentait en montant sur scène à ses débuts, celle même qui n’a pas refait surface depuis des mois, des années. Sena se doit d’être parfaite – c’est ce qu’on lui a appris, ce qu’elle n’oubliera jamais. Tout le temps, partout. Briller en toutes circonstances, taire les défauts qui pourrait éclipser sa condition idole – ou d'ancienne idole dans son cas. C’est inscrit dans son esprit et sur sa peau jusqu’à la fin des temps. Mais ces habitudes s’essoufflent sous les autres importances de sa vie, sans même qu’elle ne le remarque. Une nouvelle fois, ses pupilles fixent la tenue qu’elle vient d'enfiler ; non, toujours pas. Silencieusement, elle disparaît une fois encore dans l’intimité de sa chambre de dortoir en quête de l’ensemble parfait ; celui qui pourrait faire de sa prestation la clé d’un nouveau succès, d’un nouveau départ. Ce n’est pas gagné, cela dit. Nième essai et son petit soupir s’écrase lourdement contre la glace qui lui renvoie une image qui ne lui convient pas réellement. Ce reflex n’a rien de la perfection. Sena n’est pas la seule à penser ainsi – elle le sait, elle le sent. « Ce n'est pas terrible, n’est-ce-pas ? ». La question est adressée au second silla dans la salle, ce n'est pas la première fois que Sena pique sa curiosité, elle l'a remarqué. Heenim, elle connaît tout le monde ici ; une partie de son rôle de vice-présidente. Ce regard qui se lève de temps en temps vers elle, une milliseconde à peine. À chaque fois qu'elle remet un pied dans la salle commune. Cela ne la gêne pas plus que cela, elle a l'habitude d'avoir l'attention sur elle, d'attirer les regards curieux, on lui a appris. Mais si cette curiosité pouvait l'aiguiller dans ses choix, elle ne dirait pas non. Cette fois, elle en a assez ; assez de se changer toutes les deux minutes, laissant un désordre grandissant derrière elle. Alors un peu contrariée mais pas démoralisée pour autant – il en faut bien plus pour faire disparaître son sourire éternel – elle vient s'asseoir sur le canapé. En tailleur et les yeux levés vers le plafond. « Oh. ». Du coin de l'œil, Sena observe un carnet posé sur la petite table ; une feuille dépasse et elle est presque sûre de reconnaître un dessin. Cette fois, c'est sa curiosité à elle qui est piquée et ses doigts attrapent de leur propre initiative le bout de papier. Un croquis ; les courbes de la silhouette humaine d'une superbe tenue qui semble sortir de tout ce qu'elle a vu jusqu'à présent. « C'est magnifique. C'est le tien ? ». Ses pupilles brillantes se lèvent vers Heenim, l'excitation commence à bouillir dans son cœur mais sa voix transpire le calme qui la caractérise si bien. Pas un mot plus haut que l'autre, combien même son cerveau fuse déjà d'interrogations – d'idées – de demandes.

Ses iris qui se posaient sur la photo, peu de jalousie qui s’y reflétait et pourtant. Pourtant, sa lippe coincée entre ses dents était témoin de cette graine de négativité qui germait dans les entrailles de l’étudiant. Ce n’était qu’une photo, mais qui dévoilait tellement d’émotions, tellement de questions qui bouleversaient sans cesse les cheminements de pensée du coréen. Une simple photo, de plusieurs personnes qu’il connaissait, parfois un peu trop mais dont sa propre absence le dérangeait. Absence de sentiments, de lui-même, car il était pourtant présent sur cette photo. Le sourire radieux et l’énergie qu’elle dégageait à en aveugler plus d’un. Ce n’était pas Heenim, mais bien Bybe. Ce n’était pas cet être effrayé par les contacts humains mais ce soleil brillant de mille feux qui était né pour vivre parmi les hommes. La drag queen avait toujours eu ce talent pour plaire à autrui, pour se fondre dans les foules et en même temps laisser une trace sur son passage. Un ouragan de paillettes et de bonheur qui passait entre les corps, chantant, dansant. Elle avait toujours été l’exact opposé de l’étudiant et c’était ce qui commençait à l’inquiéter. Légèrement d’abord, mais les pensées enracinées dans sa cervelle ne le quittaient que difficilement.

L’écran verrouillé, alors que ses yeux se levèrent. Simple geste innocent mais qui lui permit de se faire une idée sur son entourage. Jeune femme arrivée dans une tenue qui ne lui sied guère. Or, il ne pouvait le dire. Pas de sa voix, pas alors que sa timidité et son introversion le maintenaient par la gorge pour le taire à jamais. Rapidement, son regard descendit sur son carnet :: page blanche qui attendait ses premiers coups de crayon. Heenim avait presque peur d’être surpris à observer. A regarder pour vraiment voir et s’inspirer. Il fut néanmoins surpris par une voix,, chose à laquelle il ne s’attendait pas. Lui, qui restait cloîtré dans son silence en aurait presque oublié que la parole était si… humaine. « Ça va. » Mentit-il, tout bas. La voix à peine audible, il en avait réussi à créer sa première trace noire sur sa page. Dans sa tête passait déjà une ribambelle de designs, tous différents et qui pourraient améliorer la tenue présentée.

Finalement, il n’était que peu proche des autres. L’idée d’une fratrie avait toujours semblé agréable sur le papier, pour le sortir de ses peurs mais la réalité était tout autre. Alors :: un verre d’eau. De quoi soigner cette gorge sèche due à l’angoisse. Une absence anticipée et très courte mais qui bouleversa le retour à la réalité. La vice-présidente était enfin posée, mais tenait entre ses doigts les idées du coréen. Des idées qu’il ne montrait que rarement car pas encore abouties. Le rouge lui monta aussitôt aux joues alors qu’il resta planté devant la demoiselle, debout, à finir son verre d’eau. « Oui mais ce n’est pas ─ » Coupé dans son élan car il manqua de laisser ce verre glisser entre ses mains devenues si faibles. « Je ─ peux le récupérer ? » Osa-t-il enfin s’imposer bien qu’il semblait si petit aux côtés de la jeune femme. Son introversion était un réel handicap et son manque d’expérience sociale continuait à le maintenir au fond. Pourtant, il s’assit aux côtés de Sena. Doucement, timidement et en gardant un minimum de distance. Pourtant, il récupéra son carnet pour l’ouvrir et en dévoiler le contenu. « Tu ─ veux regarder ? Je, peut-être que ça pourrait t’aider. » Comment dire à une personne sans risquer de la vexer qu’il pouvait lui donner des conseils quant à son style vestimentaire. Comment le faire alors qu’il semblait si difficile d’articuler le moindre mot.

L’impression d’être dénue face à la situation ; elle est encore légère à l’instant mais pourtant, bien présente. Sena sent que les choses lui échappent un peu, cela fait longtemps que l’ancienne idole ne s’est pas retrouvée à devoir choisir une tenue de scène. Une vraie tenue de scène – loin du confort de ses vêtements d’entrainement où le confort prône avant toute chose. Alors la difficulté est là ; loin d’être une fashion terrorist, la mode n’est pas non plus son plus grand talent. Les tenues de scène, pire encore quand elle se doit d’être parfaite, assez parfaite pour que l’attention de toute une salle se focalise sur elle. Dramatique sur l’instant – peut-être – mais rien ne lui va aujourd’hui. Désespoir ; elle désespère de réussir cette mission aujourd’hui – pas après le dixième essayage. Reporter la tâche à demain semble une bonne option sur le moment, le temps presse pourtant. Mais la fatigue monte, et elle n’est pas plus avancée qu’il y a une heure sur son choix. Alors, Sena se met en quête d’un avis – de conseils, peut-être aussi. Quelque chose auquel elle pourra se raccrocher. L’occasion nait dans ses pupilles curieuses de Heenim, la silla n’hésite pas à l’interroger sur la question. Le mensonge qui lui ait renvoyé la fait sourire – c’est gentil de sa part de la rassurer, ou de se refuser à la vexer. Mais non nécessaire, l’étudiante connait déjà la réponse et ‘ça va’ ne semble pas être une réponse acceptable. Une simple hm onomatopée glisse hors de ses lèvres alors que son regard se pose un nouvelle fois sur son reflex. Elle contemple avec intérêt – un intérêt critique ; avant de choisir d’en rester là. Finalement, c’est sur le sofa de la salle commun qu’elle trouve refuge le temps d’un instant de tranquillité. Curiosité piquée par une petite observation et le silence repart. La curiosité la pousse à prendre la feuille ; le regret de cette audace s’ancre en entendant la réaction de son camarade. « Ah, oui bien sûr. Pardon, c’était très malpoli de ma part de toucher tes affaires. » dit-elle avec un petit sourire en se pressant de remettre la croquis à son emplacement, loin d’elle l’idée de perturber le silla. « Mais je le pense vraiment quand j’ai dit que c’est magnifique. » un ajout qui lui parait nécessaire quand le dessin est à présent imprimé dans son esprit. Et même si elle s’en empêche, ses pupilles continuent de se poser sur le carnet – qui, dans les mains de Heenim, finit par se retrouver à quelques centimètres d’elle. C’est ainsi qu’elle remarque que l’étudiant est venu s’installer à ses côtés. Sena remonte son regard vers lui ; autant d’hésitation que d’envie dans ses yeux. « C’est vrai ? » petite précaution qui arrive un peu tard probablement, mais tout de même. Le contenu se dévoile devant elle, comme une boîte de pandore qu'elle a longtemps rêvé d'ouvrir. « Ce sont donc toutes tes créations… Je peux te demander où tu trouves ton inspiration ? » demande-t-elle avec hésitation. Même si Heenom fait l’effort de s’ouvrir à elle, elle observe facilement la timidité de son aîné et loin d’elle l’envie de le brusquer, de le sortir trop vite de sa zone de confort. Mais elle se doit de demander. Parce que l’information pourrait peut-être me servir pour trouver ma propre inspiration. Ou peut-être parce qu’avec un peu de chance, tu trouveras l’inspiration à travers moi ; pour moi. Quand ses iris se reposent sur les croquis, Sena n’a aucun mal à s’imaginer enfiler une de ses tenues – briller dans une création unique, d’original.

La politesse était pourtant une chose qu’on lui avait inculquée. Jeune créature qui avait grandi dans une famille aux airs hautains et dont la mondanité n’était un secret pour personne. Le respect d’autrui venait de ces moments partagés avec sa sœur, à ouvrir leurs yeux, à s’ouvrir les esprits et découvrir un monde qui ne leur était pas accessible par le passé. Combattants, Heenim s’était libéré de ses chaînes (( mais à quel prix )) :: s’était enfui de cette prison dorée qui finirait par l’étouffer ; sa sœur avec. Jusqu’à combien de temps en avait-il encore de cette liberté ? Dérangeante question face à laquelle le styliste préférait fermer les yeux :: coward.
Ainsi, il avait pensé être dans le juste lorsqu’il répondit sur la fausse positive à la demoiselle. Il ne la connaissait que très peu ; voire pas du tout et la vexer ou démarrer une conversation sur un mauvais pied n’était pas de ses désirs. Seulement, l’effet inverse rencontra l’étudiant. Perdu dans l’incompréhension d’une telle réaction ; stupide au possible alors qu’il ne touchait même pas du bout des doigts les règles des relations humaines.

L’angoisse grimpante, il profita d’un temps de désaltération pour remettre ses idées en place. Envahissant et envahi, peu sûr d’apprécier ces sensations. Chaque cellule de ce corps déréglé lui criaient de fuir. Si la demoiselle voulait son carnet de croquis, elle pouvait très certainement le garder ─ il n’avait aucune raison de rentrer en conflit. inexistant. Stupides pensées toxiques qui corrompaient cet esprit pur. Néanmoins, il faisait un travail sur lui-même. Adulte et responsable :: il arrivait à s’imposer (( parfois )). L’agressivité n’avait lieu d’être et simplement quelques mots, bégayé, puis une question. Intérieurement c’était le gouffre interminable ; les ténèbres qui l’y attendaient en bas. Il n’était rien ─ pas capable d’aligner correctement deux mots alors qu’il portait cette étiquette d’aîné.

Raclement de la gorge, pour dégager cette gêne inventée. Ses lippes restaient scellées même lorsqu’il aurait eu l’envie de répondre que ce n’était pas un problème. Alors, d’un hochement de la tête, il se contenta. Comme d’un miracle, cette nouvelle page qui s’ouvrait sur les deux silla ; deux enfants qui finissaient par trouver ce fil qui les reliait. Les sourires de Heenim devinrent moins crispés, plus naturels. L’angoisse restait néanmoins cachée dans un coin, non loin :: prête à rebondir à la moindre occasion. « ce ne sont que des croquis, mais merci. » Rares étaient les fois où il passait du croquis directement à la création mais ce fut arrivé. C’était plus compliqué et le résultat était bien souvent étrange cependant c’était dans ces moments que Heenim s’ouvrait totalement à l’inspiration. Portée par celle-ci, chacun de ses mouvements étaient guidés, contrôlés jusqu’à la pièce finale :: une transe artistique. « je m’inspire de tout. » L’ouverture de la parole, la fin de cette tremblote qui l’empêchait de rester stable. Il se permit de s’asseoir, soufflant discrètement un bon coup. « de la nature bien souvent. des cultures et des histoires ou mythes. » Ses iris plongèrent dans ceux de la plus jeune, cette fois avec beaucoup d’assurance. « parfois de mon entourage, les rencontres que je fais, mes amis… » La moindre chose pouvait devenir source d’inspiration à ses yeux que ce soit pour les coupes, les formes et le style, mais aussi les matières utilisées dans ses créations.