La soirée était déjà bien avancée. Loin, si loin de sa zone de confort, Heenim tentait de maintenir les deux bouts. Les verres continuaient de s'enchaîner sur la table basse qui se trouvait devant eux et les pensées du garçon s'embrumaient de plus en plus. Les paupières étaient déjà si lourdes, alors que la fatigue montait petit à petit atteignant alors tous ses sens et capacités. Son sourire ne le quittait pas pourtant. En compagnie d’une amie, il ne pouvait continuer de rester dans son coin, perdu et étouffé par la timidité. Non, c’était son moment. Moment de briller alors que Bybe était tout aussi loin que lui-même de la sobriété. C’était comme si les deux personnas se mélangeaient dans cette tête qui était la sienne. Ce n’était pourtant pas déplaisant. Pas alors que l’alcool l’aidait à ne pas trop tomber dans ce gouffre d’incompréhensions, gouffre sans fond qui le faisait chuter et chuter. À jamais.
Il tombait ailleurs, et c’était sur le canapé, aux côtés de Jiwoo. Le rire qui lui raclait la gorge était pourtant si joyeux, si rare provenant de Heenim. Jeune enfant perdu mais qui devenait cet être sans problème dans l’ivresse. « Tu veux encore un verre Jiwoo noona ? » Le raisonnable n’était pas permis ce soir-là et les cadavres de verres sur la table en étaient la preuve de cette indécence. Situations rares mais qui parvenaient à se frayer un chemin dans le quotidien de l'étudiant, lorsque celui-ci se le permettait. Lorsqu’il autorisait son amie à le sortir ─ de son cocon familier, littéralement.

Son corps continuait de bouger sur le rythme de cette musique aussi forte dans la pièce qu’elle était devenue sourde aux oreilles de l’homme ivre. Des coups d’épaule, de coudes, cognaient parfois la demoiselle à ses côtés mais jamais rien très douloureux alors que l’étudiant cherchait surtout un certain sens de l’équilibre. Difficile de se maintenir sur ses deux jambes dans cet état. Le monde tournait autour de lui et lui seul tournait autour du monde. Alors il s'assit une dernière fois sur le canapé. Les foules dansantes au milieu de la boite étaient déjà oubliées. Heenim n’avait que peu apprécié les rejoindre car le too much de contact physique avait le don de réveiller ses angoisses et insécurités. Il ne supportait pas ces mains baladeuses qui se permettaient des choses indécentes. Il avait donc abandonné pour la soirée. Un verre d’eau fut vidé, suivi d’un nouveau shot qu’il partagea avec Jiwoo. « Après celui-là, c’est bon non ? » L’état de son amie n’était pas des plus inquiétants mais restait éloigné de l’image qu’elle renvoyait lorsque l’alcool ne la contrôlait pas. Loin d’être réellement dérangeant, Heenim cherchait tout de même à éviter de s’éloigner beaucoup trop, jusqu’au point de non retour. Les deux devaient réussir à retourner chez eux après cette soirée et, déjà cette simple action, ce chemin qu’ils connaissaient tous les deux semblait si difficile. « T’es encore avec moi noona ? » Une étreinte fut démarrée, sans aucune place pour la gène et les bonnes manières. Ne s'inquiétant pas du regard des autres qui étaient tous dans leur propre monde. Ainsi était le styliste lorsqu’il était sujet à l’ivresse.

Boire, Ji Woo en avait l’habitude bien que le plus souvent, lorsqu’elle le faisait, c’était accompagné d’un bon repas… C’était ce qu’elle préférait, manger, boire, puis discuter, rigoler en agréable compagnie. Hors, pour ce soir, c’était dans une boîte de nuit qu’elle s’était rendue avec son ami, parce qu’elle avait voulu le changer d’environnement, parce qu’elle voulait danser à ses côtés puis ne pas compter les heures qui défilaient. Et en effet, elle n’avait pas réellement prêté au temps qui s’était écoulé ni aux nombres de verres qu’ils s’étaient enfilés au cours de la soirée. En règle générale, elle ne buvait jamais au point de se rendre dans un état misérable, son problème à elle était qu’elle n’agissait pas correctement avec un large taux d’alcool dans le sang. Ses actions étaient toujours irréfléchies et c’était d’ailleurs peut-être pour cela qu’elle ne s’était pas gênée d’envoyer balader ce mec trop pot de colle un peu plus tôt dans la soirée, lui balançant ses quatre vérités qui étaient loin d’être agréables à entendre. Heureusement pour elle, le garçon ne semblait pas lui en avoir tenu rigueur puisque, mis à part avoir affiché une mine offensée, il était parti et n’était jamais revenu pour l’attaquer.

« Toujours. » Avait-elle déclaré à son camarade du soir, un grand sourire au bord des lèvres tandis qu’elle lui tendait son verre afin qu’il ne la serve de plus bel, échangeant ensuite les rôles pour le servir à son tour. Ils avaient quitté leur canapé pour retourner danser, titubant un peu, alors que la musique devenait de plus en plus assourdissante. Ji Woo adorait se dépenser, s’éclater et faire son show sur la piste de danse, néanmoins les discothèques n’étaient pas non plus son endroit préféré. Disons qu’elle appréciait y venir de temps en temps parce qu’elle avait beaucoup d’énergie à évacuer cependant elle n’était jamais à son aise non plus. Et c’était certainement la raison pour laquelle, elle n’avait pas résisté à suivre Heenim qui était retourné s’assoir sur le divan. « Faisons ça, Hyung ! » Hyung ? Il ne valait mieux pas se poser de questions, elle n’avait plus complètement toute sa tête à présent puis, de toute façon, quand on savait qu’elle appelait l’une de ses amies « oppa », c’était probablement un peu normal venant d’elle. Ou pas. Parce qu’elle n’avait jamais son camarade de la sorte et que l’esquisse présente sur son visage était peut-être beaucoup plus large qu’elle ne l’était à l’origine. « Un peu à l’ouest mais oui. » Avait-elle ajouté, son shot avalé plus tôt cul sec, alors qu’elle tentait, difficilement, de se relever. « De l’air fera du bien. » Est-ce que les magasins étaient encore ouverts à cette heure-ci ? Non, ce n’était pas une question qu’on était censé se poser en sortant de discothèque hors il y avait cette paire de chaussures qu’elle rêvait d’avoir depuis des lustres et en observant ses pauvres souliers, elle aurait bien voulu les changer. « Je dois changer de chaussures. Celles-là vont plus, et j’en ai besoin. » Ji Woo, les boutiques sont assurément fermées maintenant. « et la musique fait mal aux oreilles. » Des paroles qu’elle avait prononcé tout en se frappant vivement les oreilles, comme si cela lui permettrait de diminuer le son. Vu son état, il était probablement plus judicieux de quitter cet endroit au plus vite parce que si cela continuait, la jeune femme était tout à fait capable d’aller débrancher les platines du DJ.

Titubant, alcoolisé. Deux termes qui revenaient souvent pour qualifier cette soirée. C’était là une vérité des plus pures alors qu’entre les allers et retours entre le canapé et la piste de danse, témoin de leurs pas mal accordés, maladroits, leurs rires incessants et mots mal employés. Un tout composait ce portrait de la débauche qui avait atteint les deux amis ce soir-là. Certes, sortir de son quotidien triste et monotone ─ loin de celui que Bybe qui, au contraire, projetait des millions de paillettes dans les yeux des foules (( parfois littéralement )) ─ lui permettait de changer d’air. De souffler loin de ses angoisses alors que la boisson et l’ivresse lui faisait oublier ses responsabilités et le stress qui s’y accrochait. Il pouvait grandement remercier la jeune femme pour ce souffle de liberté qu’elle lui offrait. Pour cette ouverture sur un monde qui l’effrayait (( encore maintenant )). « Hyung ? » Surpris, mais rapidement oublié. C’étaient pour Heenim des termes dérangeants car si leur langue maternelle leur permettait d’oublier les pronoms, ceux-ci étaient rappelés par ces termes, cloisonnant alors chaque individu. Or, lui-même continuait de les employer à défaut de trouver mieux, ou alors car il était conditionné par sa grammaire.

Ainsi, il riait.
Il riait tellement que ses muscles abdominaux tiraient de plus en plus sous sa peau. Il le regretterait le lendemain, lorsque s’y ajoutera le mal de tête d’une gueule de bois. La soirée touchait cependant à sa fin, comme toute bonne chose. Mais il était préférable pour l’étudiant de s’arrêter là. Peu désireux de se retrouver six pieds sous terre, à ne plus pouvoir ouvrir les yeux car il sera torturé entre l’alcool et la fatigue. Il ne serait plus que l’ombre de lui-même, un déchet bon à oublier au coin de la rue. Il sentait ce verre de trop, cet alcool qui coulait dans sa gorge, et lui tirait des grimaces sous le goût et la brûlure. L’état de Jiwoo, bien que différent n’était pas mieux alors était soulevée l’idée de s’en aller.
Rapidement, ses mains vinrent arrêter l’auto flagellation des oreilles de la demoiselle. « Noona, stop tu te fais mal. On va sortir, la musique va s’arrêter ok ? » Son ton ressemblait à celui qu’une personne utilisait pour parler à un enfant. Néanmoins, Heenim pensait bien que le retour ne serait pas des plus simples. Et il ne pouvait se permettrait de simplement laisser la jeune femme dans un taxi pour la faire rentrer chez elle. « Garde tes chaussures, on les changera chez toi, d’accord ? » Il l’aida à se redresser, titubant tous deux jusqu’à la sortie. Ce spectacle qu’ils offraient n’était pas des plus rares dans ce genre de lieux et l’indifférence des foules en était la preuve.

L’air frais faisait un grand bien ─ remontait aussi certains malaises dus aux effets de l’alcool. « Noona, on est sortis. Ça va les oreilles ? C’est mieux non ? » Ils devaient absolument retourner chez Jiwoo avant que l’un des deux ne tourne trop malade. « Si on prend un taxi, tu sais donner ton adresse ? Ou on rentre à pied ? » Il ne se voyait pas se balader à une telle heure, mais l’idée de marcher était agréable rien que pour atteindre la sobriété et aider son amie à en faire de même.

Ivre, Ji Woo ne prêtait pas réellement attention à ce qu’elle disait ni aux mots qui pouvaient potentiellement vexés. Puis en soit, jamais elle n’aurait pu deviner que l’appellation « hyung » aurait pu blesser son camarade, parce qu’il s’agissait à ses yeux d’un signe d’affection. Hors, peut-être même qu’elle le nommerait différemment si elle était sobre, des surnoms, elle en avait tout plein son répertoire donc Heenim n’était sûrement pas sorti de l’auberge avec une jeune fille comme elle. Pour le moment, elle voulait juste de l’air mais également changer ses chaussures, les siennes ne lui convenaient plus. Elle devait rapidement les troquer contre les nouvelles, elle en avait vu des belles en plus aujourd’hui et elle se souvenait même de la boutique où elle les avait vus. Après tout, ce n’était pas comme si Ji Woo était resté de longues minutes à fixer ses souliers qui lui faisaient de l’œil mais qu’elle n’avait jamais pu acheter à cause du prix exorbitant. Un prix qu’elle avait apparemment oublié ce soir, qu’elle oublierait encore si elle avait la possibilité de se rendre dans ce magasin pour les acheter. « Oui, sortons ! » Avait-elle automatiquement rétorqué les yeux brillants, à cause de la musique qui lui cognait les tympans mais aussi « Faut que je change mes chaussures. » Ne l’avait-elle pas déjà dit ? Prête à les enlever, manquant de tomber, la demoiselle s’était arrêtée dans son élan à la remarque du jeune homme. « Je les enlève pas ? » Une petite moue s’était formée sur sa figure, indécise. « J’en veux des autres ! Tu sais celle de la boutique au coin, les noires ! » Et de ses mains, elle avait commencé à tenter de mimer la forme de ses fameuses chaussures. Même en se dirigeant vers l’extérieur, elle avait continué d’en parler, titubant, alors qu’elle était plongée dans sa dissertation. C’était qu’elle y tenait à ses souliers.

A l’extérieur, son regard s’était perdu tout autour d’elle, observant le ciel obscur, les rues illuminées avant d’échapper un « ah oui. » puisque en effet, ils ne se trouvaient plus au sein du club, et les bruits assourdissants s’étaient dissipés. « Ça va, oui. » Et bêtement, elle riait sans même savoir pourquoi elle riait. Elle était juste d’humeur joyeuse et elle l’avait été encore plus après avoir attrapé le bras de son compagnon de soirée. « On rentre pas, je dois acheter mes chaussures. » Si on pensait elle avait abandonné l’idée, ce n’était que le début. « puis plein de sacs ! Je suis riche, je peux ! » Non, tu n’es pas riche, tu es plus du côté pauvre que du côté aisé pauvre idiote. « Une future procureure doit être présentable ! » Et pour sûr qu’il était préférable de ne pas trop la lancer sur ce sujet parce qu’elle allait commencer à citer des morceaux du code civil ; des morceaux qui ne feraient certainement aucun sens hors dans sa condition, cela n’avait pas grandement d’importance.