Particulièrement cher... c'est le prix que lui a coûté sa garde-robe ce soir-là. Et tout ça pour quoi ? Impressionner le commun des mortels dans un bar minable de la ville— aux apparences de squat et proprement indigne de son rang. Mina ressemble à une Princesse. En décalage avec son temps et les jeunes de son âge. Elle ressemble à une poupée de porcelaine au milieu de tous ces gens. Seule au milieu de tous les autres. Et le temps qui passe n'appelle aucun invité à sa table. Elle semble attendre quelqu'un cependant ; depuis tout ce temps. Une fille comme elle à l'évidence ne peut pas être seule. Ce soir, pourtant, Mina n'attend personne. Elle trinque en solitaire. Sirote ses verres fruités dans un silence assourdissant. Le goût de l'alcool de plus en plus lourd sur sa langue et il coule sans difficulté dans sa gorge avec une pointe d'amertume qu'elle n'a aucune difficulté à supprimer. S'enivre avec élégance— de cette élégance chic et morose, de ce regard sombre et perdu dans le vague. (Une vague de nostalgie. De mélancolie. De regrets ? De remise en question sans doute.) Parce que Mina, toi que l'on trouve toujours entourée... pourquoi es-tu si SEULE ce soir ? pourquoi sembles-tu si triste alors que la vie paraît te sourire et te chérir à longueur de journée ?

@Joo Han Sung

Dos au comptoir, à fixer les bouteilles, il ne retient plus ce bâillement qui l'appelle depuis un bon moment maintenant. La soirée a été vraiment éprouvante, dynamique. Il ne l'a pas vu passer mais maintenant que tout semble être calme, proche de la fermeture, il se sent soudainement vidé de son énergie. C'est toujours comme ça. Encore un peu d'attente et il pourra bientôt se vautrer dans son lit, se plaignant de son mal de dos et ignorant le repas laissé sur la table par sa mère. Il fait toujours ça. Il compte les pourboires offerts ce soir, voilà de quoi remplir le frigo pour la semaine encore. Il déposera l'argent dans une enveloppe, sur l'oreiller de sa mère comme à son habitude. Parfois, elle râle, parce qu'il ne garde rien pour lui. Mais il a assez pour remplir le réservoir de son scooter et s'acheter quelques vêtements par moment. Fini de rêvasser, il étire son dos et se tourne, remarquant que la salle s'est vidée bien plus rapidement qu'il ne l'avait pensé. Ou a t-il simplement trop rêvassé ? Un peu des deux pour le déculpabiliser. Et le voilà qui se remet au travail, nettoyant le bar, le rangeant soigneusement. C'est en revenant du stock qu'il remarque alors qu'une cliente esseulée semble encore attendre quelque chose. Ou peut être quelqu'un. Peut être trop ivre pour se lever. Après avoir déposé les bouteilles ramenées, il s'approche de la demoiselle presque à pas de loup. « Excusez moi mais... On va fermer... » Il n'aime pas trop ça, quand il met les gens à la porte. Mais après tout, il ne va pas rester là toute la nuit à attendre qu'elle se bouge et qu'elle quitte les lieux. Alors oui, il la met un peu dehors, comme il l'aurait fait avec n'importe qui d'autre.

La voix du garçon l'interpelle. Un silence long de quelques secondes qui s'ensuit tandis que son regard cherche celui de son interlocuteur. Ses vêtements sont de seconde main. Son tablier est resté sali par la faute de son labeur. Son visage est rond ; ses cheveux partiellement décolorés. Et son élocution laisse à désirer tant il semble hésiter à lui parler. Alors, les opales sombres de la demoiselle qui a oublié ce qu'elle faisait là ce soir se posent enfin sur le visage de ce garçon à la voix tendre. Elle est sur le point de lui rétorquer quelque chose lorsque ses lèvres légèrement entrouvertes n'émettent aucun son et qu'elle les referme en fuyant ce regard trop insistant à son goût. « Je reprendrai la même chose. » Dit-elle en poussant doucement son verre sur la table. Sa voix n'est qu'un murmure à peine audible et le bout de ses doigts érafle brièvement la surface de la table lorsqu'elle prononce ces quelques mots qui ne font aucun sens. On va fermer... avait-il pourtant prévenu. Mais Mina ne pense pas être prête à partir encore. Pas maintenant. Pas tant qu'elle n'a pas trouvé de sens à cette soirée misérable et que ses questions n'ont pas été répondues. « Je ne sais plus ce que c'était. » Admet-elle cependant en jetant un rapide coup d'œil aux nombreux verres vides qui habillent sa table. « Faites donc ce que vous voulez ; peu m'importe. » Elle soupire, lasse et finalement éprise d'un regard un peu plus franc pour le serveur. [Regard brumeux. Vitreux. Transparent.] Prête à boire n'importe quoi, vraiment.

Il hausse un sourcil à la réaction de la brune. Il a du mal s'exprimer. Peut être que son coréen n'est pas aussi bon qu'il le pense. Peut être que la demoiselle n'entend plus très bien à cause de la musique trop forte toute la soirée. Il pince les lèvres, mal à l'aise à l'idée de devoir se répéter. Et tous les verres qu'il doit ramasser et nettoyer. Lentement, il glisse son index dans le verre qu'elle a poussé vers lui, le ramenant vers les autres. D'une main, il en attrape quatre. De l'autre, il prend le reste. « Hum... » Et elle insiste sur quelque chose à boire. Il retient presque un léger soupir, observe la salle en quête d'un collègue qui serait sûrement plus à main de virer cette fille qui ne veut rien entendre. Non, rien à faire, c'est à lui de pousser un peu. Quand il est dans le feu de l'action, quand la musique couvre les paroles, il peut ignorer les gens comme elle, faire comme s'ils n'existaient pas. Continuer de servir et de vaquer à ses occupations. Mais maintenant que le silence est là, il ne peut pas se dérober. Aussi, jusqu'à aller puiser dans le sol lui même, il fait remonter tout le courage possible qu'il possède. « Mademoiselle, on ferme. On ne sert plus personne. Vous devez partir s'il vous plaît... » Et c'est la voix timide mais douce qui lance les mots à l'intention de la jolie brune. Il ne peut pas la laisser rester comme ça. « Il y a sûrement d'autres bars encore ouvert si vous voulez continuer de boire des verres. Mais nous, on a terminé notre soirée. » Et il ne fera pas exception quoi qu'il arrive.

Elle ne sent pas la gêne de ce garçon sans doute trop poli pour venir la brusquer. Mais elle sent son empressement et elle entend les nombreux soupirs qu'il étrangle pour ne pas paraître offensant envers le client— elle. Car Mina est du genre à penser fermement que le client est roi et prendre cet adage très à cœur dans son quotidien. Mais elle comprend qu'elle n'est pas dans l'un de ces endroits qu'elle a l'habitude de fréquenter. Jouer les sottes qui n'a pas compris n'a pas plus d'effet sur lui que d'aligner des billets de pourboire pour prolonger la fête au-delà du raisonnable. Mais elle le comprend. Il doit avoir des amis qui l'attendent probablement. Une famille à retrouver en rentrant. Et à l'écouter Mina pourrait n'être qu'une ivrogne de plus à renvoyer terminer sa tournée dans le bar d'à côté. « D'autres bars ? » La voilà qui est un peu piquée par ce que ses propos peuvent bien vouloir induire. « A vous entendre je n'ai pas déjà assez bu. » Et c'est une triste vérité qu'elle a déjà dépassé le seuil de ce qu'elle devrait normalement s'autoriser. Il est celui qui venait de récupérer ses verres— prétendait-il ne pas le savoir ? « Je vous mets dans une situation délicate, pas vrai ? » Tirailler entre l'irrépressible envie d'en finir pour pouvoir rentrer chez soi et d'avoir à mettre une jeune femme soûle sur le trottoir. Mina ricane d'un rire sans joie. Puis elle soupire. « Oubliez. Je devrais probablement rentrer. » Les actes suivent rapidement les mots. L'atmosphère est anxiogène. Elle lui pèse chaque seconde un peu plus sur la conscience [cette même conscience qui s'embrume à mesure que le t r a i t r e alcool se rappelle à ses bons souvenirs]. Et Mina le sait— que sa grandeur s'effiloche. Sa tête est lourde ( non ) elle est légère ? tout tangue autour d'elle et c'est aussi délicieux que ça l'effraie de sentir qu'elle n'a plus de contrôle sur rien. Sa main enserre le coin de la table par réflexe et elle se sent doucement basculer. Perte d'équilibre au milieu de ce bar qui ne veut pourtant plus d'elle.

Les opales brillantes de fatigue qui observent la demoiselle. Pas décidée à partir visiblement. Et Hansung se dandine une jambe sur l'autre, mal à l'aise à l'idée de devoir insisté. Il a besoin que tout se déroule sans colère, sans combat. Mais elle, elle est juste déterminée à l'enquiquiner quand lui ne cherche qu'à la faire partir en douceur. Ça ne tiendrait qu'à lui, il la laisserait là, sûrement qu'il nettoierait juste autour d'elle et s'en irait rejoindre Morphée. Mais voilà qu'elle se vexe quand il parle, elle se braque la brune, l'envoie peut être un peu balader. Mais il ne s'en formalise pas. Il la regarde sans un mot, ne sachant pas quoi répondre. Mais elle lui tend presque une perche quand elle lui pose la fameuse question. Et il ne peut pas s'empêcher de sourire. « Un peu, c'est vrai... » Et le sourire doux du garçon disparaît bien vite. « Oui, je crois aussi... » Enfin, au fond, qui est-il pour lui donner son avis de cette manière. Il soupire doucement, prêt à retourner nettoyer les verres qu'elle a laissé sur sa table. Mais, du coin de l’œil, il remarque qu'elle tangue, part à la dérive. Sûrement que le trop plein d'alcool est activé par le fait de se lever. Et par reflex, il lâche les verres qu'il tenait, les entend s'éclater au sol alors que sa main empoigne le bras de la jeune femme. Et aussitôt, il la tire verre lui pour la faire se redresser. « Ça va ?! » Qu'il demande, inquiet de savoir l'état de santé de la brune. Peut être qu'il se sent un peu responsable de son état. Et il se rend compte aussi qu'elle est trop prêt. Il la lâche aussi vite qu'il l'a attrapé et se recule d'un pas. « Euh... V-Vous n'avez personne pour venir vous chercher ? » Qu'il demande en baissant les yeux, remarquant alors les dégâts qu'il a provoqué en voulant la rattraper. « Sinon je peux vous appeler un taxi... » Il marmonne, les sourcils froncés alors qu'il va devoir nettoyer tout ça, l'air presque pitoyable.

Le verre vole en éclats contre le sol de l'établissement. De ses deux mains plaquées tout contre ses oreilles, Mina essaie d'en atténuer le bruit assourdissant et dans sa quête d'une accalmie soudaine, lorsque le silence revient et que ses opales terrifiées se posent sur le garçon, elle jurerait que le rose lui monte aux joues de l'avoir si proche. Sans même s'inquiéter de savoir p o u r q u o i. « Pas vraiment... toujours mieux que vos verres ceci étant dit. » Elle peine à se redresser mais il ne lui laisse pas d'autres choix quand ses mains quittent sa silhouette frêle et qu'il se recule si brusquement qu'on pourrait croire qu'il s'y était brûlé. « Je n'allais pas tomber vulgairement sur le sol comme une pauvre fille... » Risque-t-elle à se justifier d'un air faussement assuré. Car s'il avait tout jeté pour s'enquérir de sa sûreté, Mina n'était pas prête à admettre ses loupés. Tout ça ne lui ressemblait pas. Ce n'était pas digne d'elle et dans ses silences et ses quelques regards perdus, elle espérait qu'il voudrait bien la croire et ne pas lui affubler la mauvaise étiquette trop hâtivement. Sa fierté cependant s'assombrit un moment à l'entendre lui demander si elle n'avait pas quelqu'un à contacter pour venir la chercher. Ses épaules s'affaissent ; et ses yeux perdent leurs dernières lueurs d'éclat. « Si... bien sûr. » Non. Pas vraiment, en fait. « Mais je— je ne peux pas appeler Minsu parce qu'il n'aimerait pas me voir dans cet état. Et si j'appelais mon chauffeur... il raconterait tout à mon père, ce serait un désastre, Mina ne fait surtout pas ça, alors peut-être... » Dans ses murmures et ses tribulations, son doigt effleure le contact de son ex sur l'écran de son téléphone. « Je... » L'idée lui traverse brièvement l'esprit. Non. Certainement pas. Sa gorge se serre à l'idée que son image lui soit si importante qu'elle n'ait personne de suffisamment proche pour l'en sortir. Elle doit se résigner. « (un long soupir) Bonsoir je voudrais commander un taxi... » Le téléphone à son oreille lui semble inutilement lourd et elle peine à comprendre la voix à l'autre bout du fil. « Je... je ne sais pas. Est-ce que je peux vous passer quelqu'un ? » Et son regard— celui de l'apparente détresse, se pose sur le serveur à quelques pas d'elle. « Est-ce que vous pourriez...? » Pourriez... quoi ? Elle mord délicatement dans sa lèvre en même temps qu'elle lui tend son smartphone. « Je ne sais pas où nous sommes. » Ou alors elle ne sait plus. Elle n'a jamais su ? Elle serait incapable de s'en souvenir ou de le chercher.