L’idée même de se sortir de son cocon protecteur lui était insupportable. Le besoin de sortir, voire une population autre, un nouvel entourage, loin de celui auquel il était habitué, où il était bien. Ces pensées relativement dérangeantes pour Heenim, celui-ci se laissait submerger par chacune de ses idées noires, les laissant ainsi déferler par vagues incessantes et puissantes jusqu’à l’épuisement mental, overthinking. Toujours. Jamais, il ne pourrait changer ce mauvais aspect de lui-même, cette maladie qui l’empêchait entièrement d’être parfaitement bien dans sa tête. Et pourtant, Chanhee n’était pas qu’un simple inconnu. Jeune humain rencontré déjà plusieurs fois au détour d’un karaoke ─ Endroit favorisé par Bybe, plus que Heenim, où elle l’y traînait bien souvent sans même lui demander son avis. Néanmoins, qualifier l’être d’ami serait s’avancer bien trop vite dans le temps et dans les exigences. Le styliste n’était personne, une simple créature du jour, perdue parmi les foules et les crises. Il n’était qu’une rencontre furtive, répétée mais seulement une figure sur laquelle pouvait au moins se coller un prénom, une voix qui poussait parfois la chansonnette lorsque Bybe l’en persuadait.

Au final, les dortoirs furent quittés. Loin de l’oubli cependant lorsque chaque pas le poussait violemment contre l’envie de se cloîtrer dans sa chambre. Terrible habitude dont il devait encore se débarrasser alors qu’il hochait parfois la tête pour saluer ses camarades. Bybe lui avait encore soufflé quelques mots, avait insisté pour cette sortie normalement de la solitude où il pourrait crier sa peine dans une chanson qu’il ne pourrait ajuster dans l’harmonie. La justesse de sa voix ne lui était pas permis et il remerciait souvent le ciel que son métier ne lui laissait que les playbacks. Il s'entraînait, pourtant, dans l’espoir qu’un jour il pourrait faire briller les scènes par son talent.

Portes poussées et l’entrée au Karaoke imminente. Heenim s’occupa de toutes les formalités préalablement jusqu’à rejoindre une box qui lui était attribué. De la clarté, quelques regards baissés mais au moins, il serait à l'abri de ceux des autres. Et pourtant. Pourtant, il fut stoppé par une voix. Familière, certainement. Alors qu’il reposait déjà le prénom sur les traits et expressions, un simple coup d'œil confirmait ses pensées. Il n’était plus si surprenant de croiser Chanhee dans ce genre d’endroit et l’étudiant serait bien un idiot de le laisser emporter par une tellement réaction d’étonnement. « Chanhee ! » Clairement plus jeune que lui-même, les formalités étaient déjà disparues de ses propos. La timidité mise de côté, il ne pouvait ne pas saluer cette connaissance qui, petit à petit, avançait au travers des barrières solides. « Décidément, tu es toujours ici. » Un fait, une taquinerie ou simplement un prémisse d’une conversation dont il ne maîtrisait pas l’art. « T’es là depuis longtemps ? T’as déjà chanté ? » Peu désireux lui-même d’y passer si rapidement, il ne pouvait cependant ignorer les chuchotements de Bybe qui lui disait d’aller chanter.

Certains allaient au sport. Courir, frapper dans un sac, taper dans un ballon. Se dépenser d'une autre manière. Oublier ses tracas, ses soucis. Fuir des questions, courir après des réponses. Certains allaient lire, se plonger dans un autre univers pour oublier leurs vies. Pour oublier le monde, les problèmes, les questions – et pourquoi pas trouver d'autres réponses. Certains allaient dormir, laissant le rêve remplacer la réalité, fermant les volets sur un monde trop ignoble pour eux, se délestant sans vraiment le faire des soucis, des questions et ne surtout pas partir à la recherche de réponses. Trouver du réconfort dans l'inconscience. D'autres encore allaient boire, fumer. Pour libérer l'esprit, et élever le corps. Chacun y trouvait son compte, finalement. Toi, tu chantais. Tu jouais de la guitare. Tu écrivais. Tu posais sur papiers ces maux qui te rongeaient le cœur, l'âme. T'y posais tes questions, et ces réponses qui ne viendraient pas. T'y marquais tes peurs, tes craintes. Tes cauchemars, ceux qui te poursuivaient la nuit et hantaient tes jours. T'y dessinais ton existence, te libérant momentanément de son poids quand tu articulais les mots. Ca te faisait du bien, d'écrire. De chanter. Et pas forcément les chansons que tu pouvais écrire. Il y avait des chansons qui existaient et qui arrivaient parfaitement à transmettre ce que tu ressentais. Ce que tu voulais dire. Cette peine que tu voulais crier – mais t'avais toujours les poumons trop secs pour pouvoir le faire, l'air brûlant ta gorge à peine le souffle y passer.

Et ce soir encore tu allais pouvoir chanter. Pas dans la rue avec ta guitare. Pas tes propres textes. Tu allais au karaoke en bonne compagnie, prêt à passer une bonne soirée. Prêt à tout oublier l'espace de quelques heures. Prêt à être un jeune homme libre, heureux, sans ombre au tableau. Sans tâches noirs ternissant sa peau. T'étais prêt à être enfin toi, d'une certaine manière, pour quelques heures. T'étais prêt à vivre. Pas à survivre ou simplement exister. Mais vivre. Vraiment vivre. Sensation de légèreté qui prenait ton cœur alors que tu voyais la bâtisse. Sourire qui se dessinait sur tes lèvres alors que t'y entrais, doucement, le pas feutré, comme si tu avais peur de tout briser si tu marchais trop fort. « Heenim ! », articulas-tu, étonné sans l'être de le croiser ici, la main s'agitant, coupant l'air alors que ton sourire s'agrandissait. Un rire dans la gorge, tu mimas un air malicieux. « Je devrais peut-être songer à m'installer ici », tu désignas un coin plus loin, riant encore. « Non je viens d'arriver. Et toi ? », demandas-tu, les prunelles curieuses cavalant sur son visage. « Je suis content de te croiser en tout cas », soufflas-tu, sincère, l'esquisse satisfaite. « Tu vas bien ? », que tu le questionnas poliment. « Si tu veux... on peut y aller ensemble ? », proposas-tu, l'espoir scintillant dans les iris. « Enfin sauf si tu es avec quelqu'un, bien sûr », tu voulais pas déranger ou l'obliger à te suivre. Mais c'était plus marrant, à deux. « C'est amusant quand on est tous les deux », offris-tu, le sourire timide, le regard brillant, les pommettes finement rosies. « J'aime beaucoup ta tenue d'ailleurs », commentas-tu, clignant des paupières, l'arrière du genou cognant dans un siège alors que tu te reculai, une fine grimace apparaissant sur ton visage. « Pardon » – tu t'excusais au meuble, oui. « Je vais bien », assuras-tu, bougeant un peu la jambe.