Jung Su n’a pas grandi dans les plus beaux quartiers de Busan, c’est même plutôt l’inverse en réalité. Un habitat pas très joli, un frigidaire peu rempli mais au moins de quoi vivre quand bien même le dernier yaourt qu’il reste n’inspire aucune confiance. « Mais le jeter serait gâcher » se dit sa mère. La télévision sûrement bien plus âgée que lui tourne en boucle dans le salon. Face à elle, son père. Les yeux fixant le vide, se balançant machinalement sur son fauteuil, possédant sûrement bien plus de psychotrope dans les veines qu’il n’a de vie en lui. Lorsque Jung Su entre dans l’appartement, il ne remarque même pas que de la bave commence à couler de la bouche de son paternel. En fait, il ne fait jamais attention à lui. C’est comme si il n’existait pas, il ne le mentionne jamais par ailleurs. Lorsqu’on lui demande de parler de sa famille, il ne parle que de sa mère. C’était une femme courageuse et aimante. Néanmoins, elle n’était pas souvent à la maison. Mariée à une huître collée à la télévision, elle n’avait d’autres choix que de travailler jours et nuits pour tenir la famille à flot. Jung Su a donc bien vite été livré à lui-même. Par chance, il était bien entouré. L’avantage dans ce genre de quartier c’est que tout le monde se connait et tout le monde s’entraide. Le voisin du dessus en situation de handicap physique l’aidait à faire ses devoirs, lui apprenait tout un tas de trucs et en échange il lui montait ses courses. Celui du dessous lui a appris à faire du vélo et à réparer toutes sortes d’objets. La voisine d’en face, une femme âgée et seule, lui a appris à faire à manger contre un peu de compagnie. Il n’était jamais tout seul et n’avait jamais l’occasion de s’ennuyer. C’est sûrement grâce à cette dynamique qu’il n'a pas mal tourné. Enfin, il en a fait des petites bêtises mais il avait au moins le mérite de pouvoir se vanter de ne jamais avoir été raccompagné chez lui par la police. C’était un bon garçon Jung Su. Agréable, drôle, serviable et studieux, il a toujours fait de son mieux pour être quelqu’un de bien.

Et puis le drame est arrivé. Elle est arrivée comme une tornade dans sa vie. Un seul regard lui faisait virevolter le cœur. Il n’a jamais su ce qu’elle lui trouvait. Il était l’opposé de ce qu’elle était, il était l’opposé de ce qu’elle méritait. Elle était incroyable, formidable. Issue d’une famille bien plus qu’aisée, génie du piano, major de sa classe, belle, drôle, intelligente et pourtant, elle avait fait le choix libre et éclairé d’être avec lui. Il l’avait rencontré sur le chemin en se rendant au lycée, le sien, privé et très sélectif, se trouvant sur sa route. Lorsqu’il l’a vue pour la première fois, il a failli faire le soleil le plus impressionnant de l’univers avec son vélo tellement il avait été frappé par sa beauté. Jung Su, quinze ans, venait non pas d’être frappé en plein cœur par la flèche de cupidon. Non, l’enfoiré avait sorti le bazooka. Elle était le premier grand amour de sa vie. Elle le rendait heureux à un point inimaginable. Elle était parfaite, tout entre eux était parfait …

Ce jour-là, Jung Su n’a rien compris de ce qu’il se passait. Il y avait tellement de confusion et de questions qui se bousculait dans son esprit qu’il avait l’impression que son cerveau avait cessé de fonctionner. Tout ce qu’il voyait c’était cet homme en costume trois pièces, extrêmement propre sur lui, sa montre en or massif agressant presque ses yeux tellement elle brillait. Le père de sa petite amie, était là, descendu de sa tour d’ivoire pour venir chez lui, là où le papier peint a tellement vieilli qu’il se décolle tout seul. Il ne l’avait aperçu qu’une fois ou deux, de loin, de très loin et pourtant même à une distance aussi importante, il avait pu sentir qu’il n’approuvait absolument pas cette relation.
L’homme lui hurlait dessus à plein poumons, une folle rage illuminant ses yeux. Derrière lui, la mère de Jung Su pleurait à genoux, le visage vers le sol, suppliant tous les dieux pour que tout ceci ne soit qu’un immense malentendu. Il l’accusait d’avoir enfanté sa fille, qu’il avait toujours eu de grands projets pour elle et que maintenant tout était gâché par sa faute. Qu’aujourd’hui c’était trop tard, son avenir était ruiné parce qu’elle allait devoir s’occuper de cet enfant qu’elle avait conçu avec le moins que rien qu’il était. Jung Su était mitigé entre tout un tas d’émotion. La colère face à cet homme qui lui manque de respect et le rabaisse sous son propre toit mais aussi le choc le plus total. Il allait être papa ? Non. Ce n’est qu’en lui rendant visite à l’hôpital, quelques courtes minutes après que son père soit venu tout cassé chez lui, qu’il a compris qu’il était papa. Elle avait fait un déni de grossesse jusqu’au terme. Elle s’était réveillée dans la nuit avec des douleurs insupportables et avait été amenée en urgence à l’hôpital. Ce n’est que là-bas qu’elle a découvert que non seulement elle était enceinte mais également qu’elle était entrain d’accoucher.
Bien que dans la même pièce, ils ne se sont pas beaucoup parlés ce jour-là. Jung Su, 17 ans à l’époque, a passé de longues heures en silence, les yeux rivés sur sa fille qu’il tenait dans ses bras. Il était encore sous le choc évidemment mais dès l’instant où son regard s’est porté sur ce tout petit être il a su immédiatement qu’il remurait terre et ciel pour elle. Il n’y avait pas de doute, elle avait tout pris de sa mère, sa fille Sun Hee était merveilleuse.

Les choses ont rapidement pris une tournure plus dramatique. Si au cours du premier mois Jung Su a pu voir quotidiennement sa fille, il a été bien vite mis à l’écart. Au départ il ne pouvait plus aller la voir au domicile familial parce que son beau-père ne voulait plus de lui chez lui. Alors ils se voyaient à l’extérieur jusqu’à ce que la mère de sa fille ne se mettent à toujours annuler à la dernière minute. Décidé à ne pas se laisser faire, il parvenait tout de même à avoir des nouvelles par téléphone. Et soudainement, du jours au lendemain, la mère de sa fille a cessé de le contacter. Il l’appelait tous les jours, parfois toutes les heures, se rendant même parfois devant chez elle à taper à la porte pendant des heures mais il n’a jamais reçu la moindre réponse. Cette situation a commencé à le rendre fou. C’est sûrement à ce moment-là que « l’autre » est né.
Ce n’est que quelques semaines plus tard qu’il a reçu une lettre. Celle-ci lui indiquait que la mère de sa fille était partie sans laisser de trace, comme volatilisée, que de ce fait il avait été estimé qu’elle avait abandonné sa fille. Mais surtout que comme il n’était pas en mesure de subvenir à ses besoins, qu’il avait été estimé que la garde était officiellement donnée aux parents de cette dernière. Attendez, quoi ? Il n’avait aucune idée d’où cette lettre sortait, comment pouvaient-ils prendre des décisions aussi importantes sans le consulter ? Sans qu’il n’ait le moindre rendez-vous ? Il a bien essayé de se défendre, il est parti à la rencontre de bien des avocats mais le verdict était sans appel. Effectivement la procédure n’avait pas été faite correctement et si elle avait été suivie cela ne serait jamais arrivé mais le père de mademoiselle est bien trop influent. "Et puis vous êtes encore au lycée, vous êtes sûr de vouloir faire ça ? Peu importe, de toute façon, on ne peut rien faire pour vous je suis désolé."

Malgré ces refus perpétuels, Jung Su ne s'est jamais découragé. Au contraire, il a décidé de tout donner pour récupérer la garde de sa fille. Alors lorsqu’il a découvert qu’ils avaient mis les voiles à Séoul, il a décidé qu’il en ferait de même. Il a essayé de tout déchirer aux examens pour être accepté à Yonsei et il a réussi. Bon, à la base il s’est inscrit en chimie pour pouvoir créer un poison pour tuer son ex beau-père mais finalement, il s’y plait bien. Il enchaîne les petits boulots pour pouvoir mettre un maximum de côté et essaye d’être le plus droit possible afin d’avoir un dossier solide pour pouvoir récupérer la garde. Et surtout, il a réussi à gagner la confiance de la petite sœur de son ex. Il a donc aujourd’hui quotidiennement des nouvelles et surtout, il peut voir secrètement sa fille. Elle sait qu'il est son papa et que c'est leur secret juste à eux. Son coeur se brise à chacun de leur au revoir mais c'est cette douleur qu'il transforme en force. Bien sûr, il sait qu'il ne pourra certainement jamais lui offrir le train de vie luxueux qu'elle possède actuellement mais il est prêt à tout sacrifier pour qu'elle puisse être avec lui.
Une chose est sûr, il n'abandonnera jamais. Cet homme n'a pas la moindre idée de ce qu'il a provoqué.