Ryu Jin n’était pas attendue. Du moins, elle ne l’était pas par son paternel. Quand il avait appris que sa femme était enceinte d’une fille, il ne cacha pas sa déception. Il voulait un fils, un héritier, pas une héritière. C’est dans cette atmosphère que naquit Ryu Jin et que la petite fille évolua. Elle tenta de tout faire pour satisfaire son père, pour daigner avoir un regard de sa part. Elle était la meilleure en tout, elle excellait à l’école, ne se faisait jamais disputer. Elle était sage, bien trop sage, bien trop docile, bien trop gentille. Il la façonna alors, comme il l’entendait. Elle faisait tout ce qu’il voulait alors forcément, il pouvait bien l’utiliser et faire d’elle une vraie marionnette. Il avait bien compris qu’elle désirait avoir un peu de reconnaissance de sa part, un peu d’attention, lui qui la donnait presque uniquement à son fils et lui laissait tout passer. Alors qu’elle, elle a la première faute, elle se prenait une soufflante…

Ce qui fonctionna durant des années s’arrêta à la crise d’adolescence. Si depuis toujours, elle écoutait constamment ce qu’on lui disait et faisait ce qu’on lui disait, ce ne fut plus le cas quand elle entra au collège. Pour la première fois, elle s’amusait, pour la première fois, elle se sentit libre. Ryu Jin n’en faisait qu’à sa tête et même si c’était tendu à la maison, elle continua. En grandissant, elle ne s’assagit pas vraiment. Elle rentra sans aucune difficulté à la Yonsei, ayant toujours d’excellentes notes. Elle a bien profité de sa vie estudiantine, à faire la fête à tout va. Quand elle quitta la faculté, elle s'assagit, rentrant dans le monde du travail.

Et puis, sa mère lui présenta un homme en avril 2021. Charmant, séduisant, il lui plaisait bien, contrairement aux autres prétendants que son père l'obligeait à rencontrer. Si elle était réticente à le voir, parce que c’était pour les affaires familiales, elle se laissa finalement convaincre. Elle tomba sous le charme de ses belles paroles. Ils entamèrent une relation et pendant de longs mois, Ryu Jin était heureuse et pensait enfin avoir trouvé l’homme de sa vie après quelques relations catastrophiques. Mais elle déchanta rapidement. Il devint violent et si jusque-là, il n’avait jamais levé la main sur elle, il le fit, un soir, et puis un second… Elle sortit de ce calvaire grâce à son meilleur ami et s’il n’avait pas été là… Peut-être ne serait-elle plus de ce monde.

Si sa vie sentimentale n'était pas au bout fixe, sa vie professionnelle n'était pas vraiment mieux. Elle avait pendant plusieurs années travailler dans l’entreprise de son père, à un poste pas assez qualifié pour elle. Elle espérait plus, bien plus, mais son géniteur ne lui a jamais offert ce poste qu’elle voulait et qu’elle méritait amplement. Alors, elle a décidé récemment de quitter l’entreprise pour devenir professeur à la Yonsei, ayant déjà fait quelques interventions auprès d’étudiants et ayant eu des stagiaires.

« Ryu Jin, tiens-toi droite. »

« Ryu Jin, souris. »

« Ryu Jin, ne sois pas si gentille, ça te perdra. »

« Ryu Jin, ne sois pas si sensible. »

« Ryu Jin, arrête de pleurer pour rien. Il va vraiment falloir t’endurcir. »

Ryu Jin, sois simplement un robot sans cœur et à l’écoute de mes ordres. Voilà ce que voulait son père, et voilà ce qu’elle a tenté d’être. Elle l’a toujours écouté et a toujours fait de son mieux pour être parfaite, pour le satisfaire, pour qu’il s’intéresse un peu à elle. Mais elle n’était pas un garçon alors qu’importe ce qu’elle faisait, ça n’allait pas. Ça ne va jamais et ça n’ira jamais. Pourtant, elle se tuait à la tâche depuis gamine. Studieuse et rigoureuse, elle a toujours été la meilleure, elle a toujours obtenu les meilleures notes, toujours les meilleures mentions. Elle a toujours eu le nez dans les bouquins, elle ne sortait jamais et se tuait à apprendre, à réviser. Elle n’avait pas beaucoup d’amis ou alors les faux qu’on lui donnait parce qu’ils venaient eux aussi de la haute société. Elle avait toujours un comportement exemplaire et faisait toujours ce qu'on lui demandait de faire.

Si elle a été docile pendant des années, la crise d’adolescence a tout brisé en éclats. Elle n’écoutait plus. Elle faisait ce qu’elle voulait. Elle vivait, tout simplement. De toute façon, ses parents ne s'en préoccupaient pas. Aux premiers abords, elle paraît froide et sèche. On pense, à tort, que c’est une pétasse à cause de son regard qui semble vous juger et son répondant tranchant. Mais elle n’y peut rien, elle a été élevée ainsi. C’est une mauvaise habitude qu’elle a, de vous regarder ainsi, et tente de s’en défaire mais c’est difficile. Les premiers contacts ne sont pas simples, il faut réussir à passer la première barrière. Ensuite, elle se montre souriante, drôle, sympathique. C’est une femme rigoureuse et carrée, loin de la débauche de sa vie étudiante. Elle choisit scrupuleusement ses ami(e)s, ne laissant pas n’importe qui rentrer dans sa vie, ayant appris qu’il fallait se méfier de tout le monde mais aussi savoir accorder sa confiance. Ce qu'elle fait difficilement et c'est d'ailleurs pour ça qu'elle peut compter ses proches ami(e)s sur les doigts d'une main. Elle a aussi appris à masquer ses sentiments et émotions, à les garder. Elle les enfouit à la perfection. Elle se lâche uniquement quand elle est seule ou auprès de personnes de confiance.