« Il y a beaucoup trop de monde », tu retroussas un peu le nez, le regard allant et venant dans la salle, cherchant une table, une chaise, un coin – qu'importe. Le temps que tu trouves une place pour te poser et manger en paix. Ou plutôt fixer ton plateau pendant de longues minutes avant de finalement abandonner et de tenter de redonner les aliments à quelqu'un pour éviter de les jeter. Prendre quelques bouchées et jeter ou tout jeter ? – te posais-tu souvent la question. Dans les deux cas tu allais regretter et t'en vouloir jusqu'au soir. Pour recommencer le lendemain. Tu ne savais même pas pourquoi tu continuais tout ce cirque finalement. T'avais pas besoin de venir ici si tu ne comptais pas manger finalement. Alors pourquoi ? Parce que t'étais bête, et que tout ça faisait parti du planning de la journée. Comme une habitude trop mauvaise pour être arrêtée, t'avais pas le choix, tu suivais ton programme, heure par heure. Comme une jolie poupée qui s'articulait en fonction des fils que l'on tirait. Aujourd'hui cependant ton plateau repas n'était pas bien rempli : deux fruits, une bouteille d'eau et un dessert. Tu te faufilas discrètement entre les tables, observant, guettant. Une place se libéra et tu t'avanças, forçant un petit demi-tour en voyant le reste des chaises occupées par des étudiants un peu trop énergiques pour toi. Etait-ce un signe pour te dire de ne pas manger ? Peut-être. Si tu ne trouvais pas de places d'ici les prochaines secondes tu allais tout poser – et allais certainement te perdre dans la bibliothèque. C'était pas bête en soit, ça te permettrait de réviser, pensas-tu, alors qu'une chaise se pointait devant ton nez. Juste là. Tu observas la place, la table, la silhouette à côté du siège libre. Te raclant la gorge discrètement. « Excuse-moi... », articulas-tu doucement, le sourire poli aux lèvres alors que tu te courbais en captant ton attention. « Est-ce que la place est libre ? », demandas-tu, le siège désigné du menton. « Ca te dérange si je m'assois ? », l'interrogeas-tu encore, timide et hésitante mais l'esquisse toujours présente. « Il n'y a plus de place nulle part et... », l'autre chaise n'était pas loin, libre, et tu grimaças. « Presque plus de place », t'avais pas trop envie de te mettre là-bas cela dit. 

Dambi se demandait parfois, pourquoi elle prenait encore la peine de venir ici, tout ce bruit et cette agitation à en donner mal au crâne, cette ambiance n'était pas pour elle. Elle ne se sentait pas à l'aise au milieu des autres, pourtant c'était un des derniers semblants de normalité auquel la jeune femme s'accrochait, si elle devait subir ça tous les midis qu'elle passait sur le campus pour avoir l'impression que sa vie était encore normale et bien soit... Cela valait bien le sacrifice de sa tranquillité. Elle devait avoir été masochiste dans une ancienne vie, il n'y avait que cela pour expliquer l'enfer qu'elle acceptait de vivre, à se demander si elle n'allait pas juste mettre son casque sur les oreilles pour se couper du monde extérieur, faire semblant d'être là alors que son esprit était ailleurs lui, piochant des petits bouts de son sandwich alors que l'appétit lui manquait, trop perturbé par les bruits autour d'elle et par ce qui lui traversait la tête pour réellement apprécier le maigre repas qu'elle avait avec elle aujourd'hui. Perdue dans ses pensées et ses hésitations, elle met un certain temps avant de comprendre que l'on s'adressait à elle, relevant son visage vers la jeune fille qui se trouvait devant elle, semblant perdue dans la cafétéria à la recherche d'une place apparemment. « Oh, je... » Elle s'arrête, Dambi, regardant autour d'elle avant de porter son attention sur la jeune femme une fois sur l'étudiante. « Oui, bien sûr. » Elle murmure, hochant la tête légèrement, elle n'avait pas le coeur à lui dire non, pas alors que ça se voyait qu'elle était gênée. Posant son casque à côté de son sac, les premières minutes se passent dans le silence, Dambi continuant de piquer des bouts ici et là de son repas, carnet ouvert pour y retranscrire des notes de ses cours, parfois son regard allait sur la jeune femme, ne sachant pas trop si elles devaient rester ainsi ou non. Avant peut-être, elle aurait cherché à faire la conversation mais c'était une autre époque, quand sa carapace n'existait pas encore. « C'est... un peu chaotique ici. » Ridicule comme phrase, mais elle ne pouvait pas faire mieux.

T'avais vraiment aucune raison valable d'être là dans le fond. Vraiment. Tu perdais du temps – mais c'était sur ton planning de la journée d'être là. T'étais un peu trop à cheval sur ça, parfois. Ton planning, tu le suivais comme tu suivais une partition de musique. Chaque note était importante et si t'en loupais une, tu ratais tout. T'avais pas le droit à l'erreur, pas le droit de rater. De louper. Ce n'était pas pour toi. Ton père ne voulait pas que tu rates tes cours – ta mère refusait que tu fasses une fausse note sur ton piano. Et tu ne pouvais toi-même accepter d'en faire une. Ton emploi du temps, c'était pareil. Hors de question pour toi de louper une heure, une minute, une seconde là où rien n'était inscrit. Impossible pour toi de rater un cours, une heure à la bibliothèque, ou même ton détour ici. Même si c'était trop bruyant, trop plein, trop « trop ». Tu restais. T'allais rien manger, encore, probablement. T'allais pas toucher à ton plateau, tentant de donner la nourriture sur celui-ci ici ou là. Peut-être. Peut-être que tu garderais quelques aliments dans ton sac, au cas où. Tu n'avais rien pris de trop lourd. En attendant tu devais trouver une place et même si l'une d'elle était libre elle ne tentait pas trop. Tu préférais te placer là, à côté de cette jeune étudiante. Tu te sentais plus à l'aise, pas moins intimidée mais plus à l'aise. « Merci », soufflas-tu doucement, le sourire fin et les pommettes rosies, déposant ton plateau avant de t'installer, venant caler ton dos contre le dossier en espérant faire le moins de bruit possible. Les prunelles vagabondes, tu observas ton plateau, le sien, son visage, sans rester plus de trois secondes sur chaque, les lèvres finement pincées. Tu finis par fixer ta nourriture, le nez faiblement retroussé, clignant des paupières dans un air penaud à la voix qui résonna près de toi. Tu lanças ton regard autour de vous. « Oui. Pas qu'un peu. C'est toujours bruyant à cette heure-ci », confias-tu lentement dans un petit mouvement du visage, lui lançant un sourire timide. « Byeon Min Ji », dis-tu tout aussi doucement, te penchant quelque peu en avant, gardant le sourire sur tes lèvres. « Encore merci pour la place. J'avais pas vraiment envie de me mettre... là-bas... », murmuras-tu lentement, désignant l'autre place libre d'un regard, le baissant rapidement, gêné. « J'aurais préféré manger dehors que m'asseoir là-bas »

Pour quelqu'un qui aimait sa tranquillité, surtout ces derniers temps où elle avait l'impression que sa vie lui glissait entre les doigts, Dambi avait fait un choix plutôt particulier, et contradictoire on va pas se mentir, de venir prendre son repas dans l'endroit du campus où l'on était certain de trouver un maximum de monde, les étudiants se bousculant presque à faire la queue pour récupérer de quoi manger, ou alors à déambuler entre les tables dans l'espoir d'en trouver une se libérant. Mais Dambi n'avait jamais prétendu être logique dans ses choix, alors elle était là, à prier que tout ce capharnaüm se termine à un moment ou à un autre, mais cette prière - elle le savait bien - ne serait pas exaucée avant un petit moment, non en vérité elle ne pensait pas cela possible sur le campus d'une université, il y avait toujours du mouvement. Et elle aurait dû se douter qu'elle n'allait pas rester seule très longtemps, relevant le visage quand elle entend une voix féminine s'adresser à elle, une étudiante qui semblait totalement perdue dans cette masse de gens et qui semblait chercher un endroit pour se poser et manger tranquillement. Hochant la tête en silence quand elle entend la jolie étudiante la remercier, ce n'est pas comme si elle pouvait lui dire non, si elle était venue c'était qu'elle n'avait pas trouvé de place ailleurs, et quand elle voyait certaines tables, elle pouvait facilement comprendre pourquoi l'inconnue ne voulait pas y aller. Une grimace qui traverse les traits de Dambi en voyant une particulièrement bruyante, elle laisse ensuite un soupir lui échapper, le silence qui s'installe entre les deux jeunes femmes n'est pas désagréable en soit, mais l'étudiante finit par le briser en murmurant quelques mots à l'adresse de l'inconnue. Une tentative de faire la conversation, aussi maladroite était-elle. « C'est à se demander si ils n'ont pas l'occasion de le faire ailleurs. » Elle souffle en retour, lui renvoyant un sourire timide à son tour. Piochant un nouveau bout de son repas, elle observe les alentours avant de poser à nouveau son attention sur la brune, Minji. « Myoh Dam Bi. » Elle se présente à son tour avant que son regard ne suive la direction que Minji indiquait, retombant sur la table de tout à l'heure. « Je comprends, je pense que j'aurais passé mon tour également à ta place. » Elle grimace une fois de plus, de vrais singes. « Tu... tu penses que ça leur apporte quoi d'être comme ça ? »

Tu pensais à côté de beaucoup de choses dans la vie. Tu passais même à côté de ta jeunesse, de ton insouciance. Tu ne te permettais même pas de découvrir les choses, tu ne faisais qu'en entendre parler. Tu ne te permettais rien, dans le fond. C'était à peine si tu te laissais vivre – si tu te laissais respirer. T'avais ce poids constant sur les épaules, cette pression monstre et cette angoisse palpable dans le cœur. T'avais toujours peur de ne pas être assez bien, de ne pas faire assez bien. T'avais peur de décevoir tes parents, de voir leurs regards basculer vers la déception. Tu voulais toujours être cette petite fille modèle – tu devais être cette petite fille modèle. C'était facile, au début. Maintenant tout devenait plus compliqué, comme si le poids de la vie était devenu trop lourd. Tu prenais trop conscience des choses, tu te posais trop de questions. T'avançais pas, tu stagnais et parfois, tu reculais. Tu ne savais pas vraiment ce que tu faisais tout en assurant le contraire. Mais au final t'étais juste paumée. Tu errais sans vraiment but comme tu errais dans cette cafétéria pour trouver une table, loin du raffut, du chaos. Au calme. Pourquoi t'étais là finalement, Min Ji ? Le visage faiblement penché, tu fronças un peu les sourcils à sa question. « Peut-être que non », opinas-tu doucement dans un faible mouvement d'épaules. A la bibliothèque il était impensable de faire un boucan pareil. Et peut-être qu'ailleurs ils ne pouvaient pas non plus. Peut-être était-ce une façon de décompresser. T'en savais rien. « Enchantée », offris-tu dans une esquisse fine, le contemplant un instant avant de détourner le regard vers ton repas. Tu grimaças. Tu redressas le regard vers elle, un rire discret dans le fond de la gorge. « On est mieux au calme », tu secouas un peu le visage, d'accord avec toi-même, jouant plus que tu ne mangeais avec ta nourriture. Tu pris tout de même une bouchée, que tu mastiquas bien longtemps. « Je ne sais pas trop », tu te pinças les lèvres, songeuse. « Peut-être qu'ils ont de l'attention, de cette façon ? », l'attention de leurs ami.e.s, des autres autour. Les regards braqués sur eux. « Peut-être que ça ne leur apporte rien, et c'est juste leur façon de décompresser », t'étais trop gentille, dans le fond. Trop naïve aussi peut-être, n'osant parler mal de ceux qui te perturbaient. Tu observas ton repas à nouveau, retenant un soupir, les pupilles voyageant vers celui de Dambi. « Tu as encore faim ? », demandas-tu, les prunelles relevées vers les siennes, les pommettes rougissant doucement. « J'ai pas... enfin j'ai déjà bien mangé », une bouchée, oui. « Tout à l'heure. J'ai mangé tout à l'heure », c'était vraiment à se demander ce que tu faisais là.

Elle aurait pu aller manger ailleurs, dans un coin plus silencieux puisque c'était ce qu'elle recherchait au début, et pourtant la voilà, mais Dambi n'avait jamais brillé par sa logique, ses choix étaient aussi contradictoires les uns que les autres, elle pouvait dire une chose un jour et faire le contraire total le lendemain. Il ne fallait pas chercher à la suivre parfois, elle était comme ça, elle avait son fil de pensée, aussi illogique était-il parfois, tant qu'elle s'y retrouvait elle n'était-ce pas le plus important au bout du compte ? Ce n'était pas comme si elle cherchait à être comprise par tout le monde, juste les personnes proches d'elle et essentielles dans sa vie et à ses yeux. En attendant, malgré tout le brouhaha la jeune femme était dans sa bulle, cette dernière qui fut percée par la jeune femme qui entra dans son champ de vision, lui demandant si elle pouvait s'installer à la même table qu'elle et l'étudiante n'avait pas le coeur à lui dire non, pas quand elle avait de la place et que les autres tables étaient plus bruyantes les unes que les autres. Dambi comprenait parfaitement qu'elle ne souhaite pas aller ailleurs. « Le campus est grand, ils auront toujours de la place autre part. » Elle rétorque, pas parce qu'elle voulait la contredire mais plutôt parce qu'elle ne comprenait pas que ces personnes ne voient pas le problème à se comporter ainsi. Offrant un léger sourire à la demoiselle, elle se présente à elle en retour quand cette dernière le fait, prenant les devants entre les deux, hochant la tête à ses mots, oui effectivement on était tellement mieux au calme. « C'est tout à fait ça. » Elle murmure, sourire qui s'élargit doucement, avant de disparaître en observant à nouveau les lieux, les gens, la demoiselle. « Oui, après tout, ça doit être bien d'être au milieu de toute le monde et attirer les regards ? » Pas pour elle, elle ne le souhaitait pas, pour rien au monde au contraire, elle préférait être une petite souris le plus souvent. Pour ce qu'elle faisait en dehors, dans son temps libre, c'était mieux de ne pas attirer l'attention sur elle. Quand elle volait, elle ne voulait pas qu'on la remarque. « Ils ne sont pas obligés de gâcher le repas des autres au passage, » elle souffle en retour, même si elle pouvait comprendre aussi pourquoi ils auraient besoin de ça, comme Minji le disait : décompresser. La question de la brune qui la prend par surprise, elle jette un coup d'oeil à ce que l'étudiante avait pris avec elle. « Tu es sûre ? » Elle n'avait pas l'impression de l'avoir vu beaucoup manger. « On peut partager si tu veux, » elle avait déjà avalé quelques bouchées, ce n'était pas comme si son estomac était plein, et Minji ne tarde pas à préciser un peu plus la situation, Dambi hochant doucement la tête. « Oh, et tu es quand même venue ici ? »