« Ne ris pas trop fort, tu m’embarrasses. Tu ne veux quand même pas qu’ils te prennent pour une folle ? »

« Tais-toi. »

« Ne t’avise surtout pas de le contredire même si il a tort. Tout le monde se fiche de ton avis. »

« Maquille-toi plus, tu as une mine de déterrée et les invités vont bientôt arriver. »

« Souris. »

« Personne ne te demande de comprendre, les femmes ne sont pas faites pour être intelligente, contente-toi d’être jolie. »

Des mots, des phrases, qui tournent en boucle, encore et toujours dans sa tête. Des reproches qui ont rythmé toute son enfance et l’intégralité de son adolescence, continuant encore aujourd’hui de la hanter malgré les années qui ont passés.

Sur papier, la vie de famille semble idyllique. A vrai dire, ce serait complètement indécent d’affirmer le contraire. Malia n’a jamais connu la pauvreté, elle n’a jamais connu la faim et elle n’a jamais vécu de terribles drames familiaux. Bien au contraire. Fille d’un chirurgien plastique extrêmement réputée, possédant des cliniques aux quatre coins du monde, elle fait partie des ultra-privilégiés. Une maison gigantesque, des résidences secondaires luxueuses un peu partout sur le globe-terrestre et une dizaine de voiture hors de prix dans le garage. Le genre de gamine a qui on offre un poney avec pour unique raison le fait qu’elle se soit amusée à répéter continuellement Dada, complètement aléatoirement en réalité un beau matin. Vous voyez le genre ?

Sa mère n’a jamais travaillé de sa vie et ne le fera probablement jamais. Elle a fait le bon investissement dès le départ : épouser un plein aux as. Beau projet n’est-ce pas ? Alors pourquoi se démènerait-elle à faire quoique ce soit ? Alors elle se contente d’être une femme au foyer entre énorme guillemet. Pas le genre de femme au foyer qui s’occupe des enfants ou qui prépare un bon repas pour son mari le soir. Non, vous rigolez, il y a déjà des gens employés spécialement pour ça. Non, sa vision de la femme au foyer c’est … d’être là. Physiquement présente, toujours parfaitement apprêtée et levant presque immédiatement la tête pour acquiescer dès que son époux ouvre la bouche. Voilà. Il n’y a rien de plus à dire à son sujet …

Si vous lui posez sincèrement la question, Malia vous dira sûrement que ses parents auraient mieux fait d’acheter une poupée plutôt que de concevoir un enfant. Tous deux complètements obsédés par la beauté et l’image de la famille parfaite, il fallait bien évidemment qu’elle soit à la hauteur. Malheureusement, à leur sens, elle ne l’était pas. Une spontanéité qui leur était dérangeante, un caractère un peu trop marqué et une énergie difficilement contrôlable. Quoi ? Personne ne leur a dit que contrairement aux objets les enfants bougeaient et parlaient ? Peu importe, parfois il vaut mieux tout casser pour tout parfaitement remodeler pas vrai ? Alors c’est ce qu’ils ont fait. Rabaissement, humiliation, rires moqueurs, coups de griffes sous la table, regards noirs depuis l’autre bout de la pièce … Malia a très rapidement compris que si elle voulait plaire à ses parents, il fallait qu’elle endosse le rôle qu’ils avaient préparés pour elle. Et quel enfant ne veut pas plaire à ses parents ? Alors au fur et à mesure, la flamme a diminué. Elle en est venue à se perdre elle-même, confondant la personne qu’elle est réellement et ce personnage qu’elle déteste tant même lorsqu’il n’y a pas de témoin pour rapporter ses faits et gestes. Pourtant bien qu’elle ait fortement diminuée, la flamme brûle toujours. Sa lueur est à peine perceptible derrière cet immense masque de marbre mais il ne suffirait que d’un peu d’amour, de bienveillance et de confiance pour qu’elle se ravive.
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