Père aimant, père admiré, famille idéalisée. Calomnie. Autrefois elle avait tout, à présent elle n’avait plus rien. Parce que cet homme qui avait été, fut un temps, son héros n’était en réalité qu’un escroc, qu’une pourriture – comme on aimait le désigner dans les médias – et que cette justice qu’il avait toujours valorisée n’avait existé que dans les mots. Saebyeol le revoyait quitter la maison, vêtu d’un costard parfaitement repassé, une cravate toujours correctement ajustée, alors qu’elle lui disait au revoir d’un signe de la main, une esquisse joyeuse au bord des lèvres. Son père, elle en était fière ; il était ce modèle qu’elle mentionnait tout le temps dans ses cours à l’école ou pour qui elle vantait les mérites auprès de ses camarades de classe. Puisque Monsieur Han était un homme bien, n’est-ce pas ? Il était celui qui condamnait et punissait les plus grands criminels qui terrorisaient la nation. Il était valeureux, il était juste et honnête… Mais corrompu. Un acte qui était impardonnable même pour le meilleur des pères. Un acte qui avait détruit plus d’une famille en plus de la sienne. Un acte qu’elle ne réalisait pas. Qu’elle ne comprenait pas. L’image de ce héro qu’elle avait longtemps admiré s’estompait de plus en plus dans sa mémoire. Pourquoi avait-il détourné le regard sur ses principes et ses valeurs d’autrefois ? Pourquoi avait-il accepté cet argent sale qu’on lui glissait sous la table ? Pourquoi était-il devenu si avide de pouvoir au point d’étouffer toutes ces affaires ? Non, définitivement, elle ne le comprenait pas. Et elle refusait même de le comprendre. Toutes ses croyances, toutes ses espérances avaient éclaté en morceau et sa famille avec. Elle n’avait plus de père, plus de mère, son frère avait disparu dieu ne savait où. Il n’y avait plus qu’elle. Seulement qu’elle.

Foutue vie. Sacrée vie. Karma, diraient certains, d’autres diraient jalousie et elle, elle n’en savait rien. Peut-être était-ce de sa faute de ne pas avoir vu quel genre d’homme était son géniteur, de pas avoir été en mesure de l’empêcher de commettre l’irréparable et de ne pas avoir réussi à sauver sa famille, tout simplement. Les joues imbibées de larmes, les genoux au sol, elle n’avait même pas été fichu de retenir son frère qui s’en allait, incapable de deviner qu’il s’agissait, en vérité, de la dernière fois qu’elle le voyait. Et sa mère, cette femme stricte mais pleine d’élégance, cette femme qu’elle aimait sincèrement mais avec qui elle n’était pas aussi proche qu’elle aurait désiré l’être. Cette femme qui aurait dû être son héroïne, à la place de son père, pour l’avoir mise au monde, pour avoir fait au mieux pour préserver sa famille malgré sa personnalité froide et distante, pour n’avoir toujours souhaité que leur bien au final. Ne disait-on pas que l’on se rendait-compte de la valeur des personnes qu’après les avoir perdues ? Ô bien sûr que Saebyeol l’avait aimée sa mère cependant elle ne le lui avait malheureusement pas assez montré et il était désormais trop tard pour lui prouver quoi que ce soit. Trop tard pour lui déclarer à quel point elle l’aimait et à quel point elle était désolée. Tout ce qui restait désormais n’était qu’une horde de regrets, et qu’est-ce qu’elle rêverait pouvoir lui dire ô combien elle avait besoin d’elle en réalité mais surtout ô combien elle lui manquait.  

Naïvement, elle avait toujours cru que la vie était facile hors elle avait été obligé de redescendre, très vite, trop vite, de son petit nuage… Ce n’était pas que la vie était facile, elle l’avait eu facile parce qu’elle croyait en ce qu’elle avait mais désormais qu’elle ne l’avait plus, elle s’en voulait d’avoir tout pris pour acquis. Rien n’était acquis dans la vie, elle aurait pourtant dû le savoir. Saebyeol, pleine de grâce et d’élégance, n’était plus que négligence et disgrâce. Son visage bourré de charme était désormais marqué par la fatigue, par la crasse de son travail, la brillance dans son regard avait disparu, remplacé par un vide qu’on ne saisissait pas. Même sourire sincèrement, la jeune femme semblait avoir oublié comment le faire. La vie était compliquée, la vie ne lui avait fait aucun cadeau, cependant la vie continuait malgré tout. Tant pis si elle vivait dans la honte, tant pis s’il ne lui restait rien d’autre qu’un cœur lourd et empli de culpabilité. C’était de sa faute si elle n’avait pas été en mesure de préserver sa famille, et bien qu’elle en voulait à cet inconnu d’avoir tout brisé en dévoilant la vérité, elle ne s’en prenait qu’à elle-même d’avoir cru en un héro qui n’en était pas un. Hier, elle avait tout. Aujourd’hui, elle n'avait plus rien. Famille déchirée, famille bousillée.