Il est bien loin ce temps où ta mère t’emmenait partout avec elle  sur ces lieux de shooting parce que tu étais sage comme une image. On ne t’entendait jamais pleurer ou te plaindre de quoi que ce soit. Et tu l’observait, brillant de mille feux sous les projecteurs. Oui, de l’eau à coulé sous les ponts et cette époque où tu aimais aveuglement tes parents en silence est révolu, et le portrait de la famille heureuse s’est étiolée au fil des ans.

Tu t’es mise à parler, à prononcer de vraies phrases, à l’âge de 4 ans. Mais tu n’a su faire autre chose que d’utiliser ta voix pour exprimer tes doléances, te plaindre et te disputer avec Micaela depuis que cette dernière est née en laissant sans vie ta mère sur un lit d’hôpital. Elle, le soleil de leur vie et le cauchemar de tes nuits. L’enfant vivace qui a très vite dit papa pour le plus grand bonheur de celui-ci. Tu le sais bien qu’elle n’a pas demandé un si grand sacrifice, qu’au fond elle n’y est absolument pour rien. Pourtant tu n'arrives pas à te raisonner et tu ne veux même pas la voir en peinture. Ca n’a toujours pas changer jusqu’à ce jour. Parce que tu as perdu l’être auquel tu tenais le plus et qu’on t’avait volé les plus moments que tu aurais du (et devrais) passer à ses côtés.

Madame Graziano n’avait prévenu personne lorsqu’elle décida de ne pas suivre les recommandations de son médecin quant à sa grossesse à haut risque. Et pour le restant de ta vie, jusqu’à ton dernier souffle, tu lui en voudras d’avoir pris ce risque. Si elle a préféré préserver la vie d’un être qui n’était même pas encore né plutôt que de vouloir rester en vie pour ses deux enfants en bas âge qui comptaient sur elle ; alors c’est que sur la balance, son amour pour vous ne devez pas peser bien lourd, personne ne saurait te persuader du contraire. Tu n'avais que 5 ans quand elle t'a quitté et que ton univers s'est effondré.

Et ton père c’est la même chose, lui qui a finit par t’abandonner comme on se sépare d’une vielle chaussette. Il t’a envoyé en Australie quand tu as atteint l'âge de 10 ans, pour suivre ta scolarité dans une école privée. Puis il a finit par refaire sa vie avec une autre, qui a su se faire une place dans le cœur de Micaela. Leur union, leur famille recomposée te laisse de marbre puisque tu n’en fais plus partie. Tu es seule, mise en exile car incomprise toi la seule tâche au tableau parfait qu’il essaie de peindre ! La seule famille qu’il te reste c’est Julian : il s’est installé en Corée du Sud et tu a fini par accepté de le rejoindre à Séoul à l'aube de tes 21 ans. Ton père aussi te réclame mais le fossé qui vous sépare te semble infranchissable, malgré toutes ses bonnes intentions.

Tu as repris ce qui te revenait de droit lorsque ton père prévoyait de donner les biens de ta mère à une œuvre de charité. Apparemment ça ne suffisait pas de les placer dans un entrepôt, il fallait se débarrasser de ses souvenirs bien trop douloureux. Le pire c’est que tu ne saurais expliquer pourquoi tu y es tant attaché. Tu ne cherches pas à creuser, à investiguer sur cette blessure qui te fait encore mal. Pour toi, c’est juste une occasion, un moyen de rappeler à Micaela qu’à tes yeux elle n’a pas eu une mère pour la bercer la nuit, pour rester à son chevet lorsqu’elle avait de la fièvre ou pour assister à un de ses spectacles. Non, pas de mère, juste une génitrice. Ce qui ne serait jamais suffisant pour lui accorder le droit de conserver la moindre relique du passé. Oh Olivia, tu es si jeune, beaucoup trop pour te montrer déjà si catégorique, si dure et impitoyable. Tu le sais mais tu n’arrives pas à la prendre en pitié parce qu’à chaque fois, tu as une piqûre de rappel que c’est pour elle que ta mère a tout sacrifier. Alors tout ce que tu lui a laissé c’est ce magazine où elle faisait la couverture avec son ventre rond de femme enceinte.

Tu as tiré un trait derrière toi, tentant tant bien que mal de laisser l’Olivia remplie d’amertume dans le passé. Tu vis dorénavant pour toi-même et pour les quelques personnes qui forment la famille que tu t’es choisi, ceux qui savent qui tu es derrière ta carapace de glace et qui t'apprécie malgré toutes les creux et les bosses qu'il y a dessus, et même avec quelques araignées au plafond.

Tu t'es débattu pendant si longtemps contre des moulins à vents, certainement à tord. Le combat que tu penses mener contre ta sœur est déraisonnable, arbitraire et injuste. Que feras tu quand vos chemins finiront par se croiser de nouveau ? Tu crois pouvoir éviter que ça n'arrive ? Il ne faudrait pas que ce que tu pense impossible ne chamboule à nouveau ta vie. Pourtant tu es sur la bonne voie, tu t'es tracé ton propre chemin avec tes rêves et tes ambitions d'arriver un jour à la hauteur d'Anna Wintour. Ce que tu veux c'est faire partie de ceux qui influence la mode, qui la dicte et la refaçonne. Alors sois vraie, et la plus belle des découverte que tu pourrais faire en dehors de toi-même, c'est que rien n'est jamais figé tant que ce n'est pas gravé sur la pierre, pas même ton sale caractère d'âne têtu.