Sejun a quelque chose qui lui appartient. Ce n’est pas sa fierté, elle aurait préféré. Mais non, apparemment, le jeune homme serait un Serpentard. Pourquoi tout son entourage a cette chance-là quand elle doit se retrouver à rugir à côté des Weasley ? Le monde est injuste, elle le sait. C’est juste qu’elle aimerait qu’on puisse prouver le contraire au moins une fois dans sa vie. En attendant, Yujin va pouvoir manger à l'œil. Elle observe la façade du restaurant. Ce dernier en vaut peut-être le coup. En réalité, elle n’est pas difficile concernant la nourriture. Disons que c’est une sacrée gourmande, même si les circonstances font qu’elle ne se sent pas dans son état normal. Elle aimerait ne pas lui donner trop d’importance mais comme toujours avec Sejun, les choses finissent toujours par déraper. Elle voudrait bien s’épargner une énième dispute. Alors, elle devrait songer à mettre de l’eau dans son vin. “ Non du tout. Je m’en rappelais plus. “

Après avoir pris connaissance de la carte, les deux échangent sur des banalités. “ Je transmettrai le message au gérant. “ Elle esquisse un sourire avant de montrer de l’incompréhension sur son visage. Il fait du porc sauté ? Alors, il est restaurateur ? Elle a du mal à l’imaginer avec un tablier et une toque. Non pas qu’elle veut le sous-estimer mais ce travail demande beaucoup de rigueur et de temps. Sejun est un électron libre qui serait malheureux s’il était coincé en cuisine. Elle commande son bibimbap tandis qu’elle apprend ses occupations. Mécanicien et dog sitter. Un drôle de mélange. “ Le garage se porte bien ? “ Demande-t-elle, ne sachant pas comment rebondir sur ses activités professionnelles. Elle attrape les couverts rangés dans la boîte sur le côté de la table et tend ceux du garçon, quand il est occupé à s’enfoncer dans son siège. Quelque chose semble le tracasser… A-t-elle envie d’en connaître la couleur ? A vrai dire, non. Yujin doit continuer à garder ses distances avec lui, du mieux qu’elle le peut. “ Oh, à l’époque, je pensais m’y connaître en maquillage mais j’ai énormément progressé depuis. “ Pour des raisons personnelles. “ Je fais du fx maintenant. C’est un domaine assez niche et je n’ai pas forcément envie de me lancer dans de l’artistique. L’avenir serait trop incertain et puis j’ai d’autres objectifs. Ça restera un loisir dont je ne compte pas me priver tant que ça ne ruine pas mes études. “ Puis, elle lui propose de lui servir un verre d’eau. Une vraie maman, pas vrai ? “ Un peu comme toi avec le football, par exemple ? “ Enfin, les études en moins de ce qu’elle a pu comprendre. Puis, elle racle sa gorge. “ Tu veux voir ce que je fais ? “

Elle ne s’en rappelait plus. Les mots sonnent dur. Se Jun tente de ne rien laisser paraître mais son regard s’assombrit et ses lèvres se pincent. Il ne dit rien. Ça fait juste mal. Et ça l’agace que ça fasse mal. Il se sent comme un idiot bloqué dans le passé. Un passé qui n’a pas tant d’importance que ça au regard de sa partenaire.

Il tente de laisser couler. Il commande. L’estomac plein, il sera peut-être moins irritable. Il s’efforce de se détendre : c’est lui qui a insisté pour passer un moment avec elle. Dans quel but ? C’est presque une énigme pour lui aussi. Mais ils sont là, il a faim et le sujet de la conversation dérive de nouveau vers des pentes glissantes. Parler de lui, ce n’est clairement pas la bonne idée : « Très bien. » Il répond peut-être un peu vite. Il n’a pas vraiment envie de parler du garage et, par association, de son père. Il aurait préféré qu’elle pose des questions sur les chiens. Il récupère les couverts, la remercie d’un mouvement de tête et s’efforce de retourner la conversation sur elle. Après tout, il y certainement plus à dire au sujet de la blonde que sur lui. Le café Harry Potter, le maquillage…
Se Jun laisse un peu tomber son renfrognement quand elle s’exprime. Ca l’intéresse plus qu’il ne veut l’admettre. Où elle en est dans sa vie, ce qu’elle a fait de ses rêves, celle qui se cache derrière ces traits légèrement changés… « T’étais déjà douée avant, » qu’il commente avant de regretter. Amer, une partie de lui lui siffle qu’il n’a pas à la complimenter, que si elle n’est pas fichue de se souvenir de leur moments ensemble, il devrait faire de même, faire mine d’avoir oublié. Mais il écoute, se penche légèrement sur la table pour ne rien manquer par dessus le petit brouhaha ambiant. Ses traits trahissent sa surprise, son intérêt. « Ah oui ? C’est cool ça. » La curiosité est piquée. Une part de lui veut l’encourager, lui dire qu’elle s’en fiche de l’avenir incertain… mais il se souvient qu’elle n’est pas comme lui. Qu’elle ne se fout pas de tout, elle. Quelle ironie. Se Jun hoche la tête, des questions au bord des lèvres…. Mais la suite lui cloue le bec. Le foot. Décidément. Yu Jin a surtout un talent pour mettre les pieds dans le plat. Se Jun se tend, s’efforce de ne pas laisser s’échapper l’agacement. A nouveau, il retrouve le fond de son siège et croise les bras. Il se donne un air “je m’en foutiste” mais on dirait surtout un gosse qui boude. « J’ai arrêté. » C’est tout ce qu’il répond. Il ne veut pas épiloguer. Lui expliquer pourquoi. En fait, même si elle lui demandait de se justifier, il mentirait. Hors de question de donner raison à la Yu Jin du passé…

« Ouai, fais voir. » Il balaie son malaise, non sans difficulté. Il lâche l'intérieur de sa joue et ignore le goût métallique du sang. Idiot. Un autre effort pour se pencher à nouveau sur la table et admirer le travail de son ancienne amie. C’est saisissant. Se Jun écarquille les yeux. Son expression change du tout au tout. « Wow. C’est carrément cool. » Il ose même un sourire quand le maquillage se fait plus horrifique. « Totalement ma came. » Yu Jin a du talent. C’est presque énervant qu’elle définisse ça comme un passe-temps. « Et du coup c’est quoi tes objectifs ? Parce que là, tu peux carrément postuler pour le ciné. »


  

Il lui rappelle sans cesse leur passé en commun. Ses compliments en sont la preuve, à vouloir commémorer leur amitié qui n’est plus vraiment d’actualité maintenant. Tout n’est plus si évident entre eux et c’est ce qui rend la demoiselle morose. La rancune est tenace. C’est ce qui peut arriver quand une personne que vous estimez vous blesse. Yujin a l’impression d’avoir fait beaucoup de concessions mais elle ne doit pas se négliger pour autant. Elle aimerait lui parler librement de ses ambitions professionnelles. Si le maquillage n’est pas la voie privilégiée, c’est celle de la psychologie qui l’intéresse. Sujet sensible. “ Je m’amuse bien. Ça demande beaucoup de créativité et de patience. Il y a des jours où ce n’est pas évident mais bon. “ Ca finit par revenir, c’est ce que disent les gens quand elle s’arrache les cheveux sur un projet. Dans ces moments-là, l’étudiante tente de profiter de l’art des autres. Bien sûr, elle s’en inspire et se ressource sans plagier, ou de façon très discrète (c’est faux). Elle l’interroge à son tour sur le football. Sejun garde un ton neutre mais quelque part, l’absence d’excitation sur le sujet est un indice sur son véritable ressenti. Il a arrêté ? Mais pour quels motifs ? Elle se sent incapable de lui tirer les vers du nez. “ C’est dommage. Tu as trouvé autre chose qui te plaît autant ? “ La vie est remplie de contrainte et elle espère qu’il puisse s’évader, profiter réellement d’une passion qui l’anime au quotidien. Elle lui souhaite bien évidemment. Malgré les rancœurs, il est loin d’être son ennemi. Discrètement, Yujin pose son regard sur lui, se demandant à quoi il pouvait songer. Par chance, ses photos sont une source de divertissement et même d'émerveillement. Difficile de faire genre, la demoiselle affiche un grand sourire devant sa réaction. “ Hey, t’as l’air surpris. Tu t’attendais à quoi au juste ? A un peu de sauce tomate sur le menton et c’est fini ? “ La blonde va se vexer. “ Tu as toujours un goût pour le frisson ? “ Halloween est la meilleure saison de l’année pour elle. Elle s’offre même des marathons au cinéma sans pour autant participer aux films diffusés. A une exception près. “ Je ne veux pas trop me vanter mais… Sache que j’ai déjà participé à la réalisation d’un film. Enfin, de très loin. J’ai un contact qui m’a proposé de venir sur un tournage et il était hors de question de dire non. Je me suis occupée de deux-trois prothèses pour des figurants. C’était vraiment drôle. “ Où sont les fleurs ? Comment vont les chevilles ?  “ Comme je t’ai dit, c’est assez niche et ce n’est pas évident de se faire une place… Je ne dirais jamais non à une telle opportunité si celle-ci s’offrait à moi mais, je dois me rendre à l’évidence. “ Elle soupire. “ Je me sens incapable de faire tout ça, sur du long terme ou que sais-je. “ Car Yujin a d’autres démons à exorciser pour se sentir mieux dans sa peau. Une bonne fois pour toutes. “ Tu aimerais une personne célèbre ? “ Elle ne serait pas célèbre en tant que maquilleuse mais apparemment le cinéma a l’air de le faire rêver. “ Un acteur ultra prisé invité dans toutes les cérémonies bon chic bon genre ? “

De ses yeux sombres, il l’observe. Il sent la réserve dans sa voix, dans ses gestes… ils parlent comme si de rien n’était, mais ils savent tous les deux qu’ils font semblant, qu’ils marchent sur un terrain miné… et c’est à celui qui déclenchera la première explosion.
Toutefois, Se Jun s’intéresse sincèrement à ce qui passionne Yu Jin. Il replonge dans le passé, là où c'était plus simple, et imagine son présent. Il hoche la tête, curieux de voir son oeuvre…
… Mais il faut d’abord désamorcer la mine sur laquelle la blonde vient de marcher. Le foot. Faut vraiment qu’elle foute les pieds dans le plat… Néanmoins, elle a l’intelligence de ne pas insister alors que Se Jun ne développe pas sur la question. Il ne veut pas en parler. Pas avec elle. « Non. » Aucun sport ne lui plait plus que le foot. Il court, tape dans des balles… mais les clubs, c’est fini. De toute façon, à son âge, il faut aller à la fac et lui… Bref.
Le sujet passe. Ils sont toujours à table. Miracle.

Yu Jin lui montre son travail, enfin. Et Se Jun se laisse prendre au jeu. Plus détendu, il lui décroche même un sourire : « J’ai pas dit ça. C’est juste cool. Fin vraiment cool. Ca fait pro’, quoi. » Oui, c’est un compliment et ça ne le surprend pas vraiment parce qu’il sait Yu Jin douée. Il n’a pas oublié les maquillages d’halloween… Une pointe dans son coeur lui siffle qu’elle, si. « Bah, y’a clairement rien de mieux qu’une soirée horreur, non ? » C’était un peu leur truc, à l’époque. Il chasse la pensée noire. Ses iris se braquent de nouveau sur le téléphone pour mieux détailler le travail, tout en écoutant son ancienne meilleure amie. Puis il relève des yeux ronds vers elle, réprimant à peine un petit hoquet de surprise : « Sérieux ? Quel film ? » Son regard pétille d’excitation. Il oublie presque le reste et une partie de lui se réjouit sincèrement du parcours de la maquilleuse. « Attends, c’est un zombie… Me dis pas que c’est le Dernier train pour Busan ?? Tu déconnes ?? » s’exclame-t-il en découvrant une photo du tournage. Il sauterait presque sur place mais il se tient. Il faut dire qu'au-delà de l’horreur, le jeune Kang est un fana de zombie… alors bien sûr qu’il a vu le meilleur film du pays à ce sujet ! Et savoir que Yu Jin y a participé… Merde, ça lui fait un truc.
Clairement, elle a sa place sur le grand écran mais ça ne semble pas être son avis. Se Jun pince les lèvres dans une petite moue. « Bah… il parait qu’une fois qu’on a mis le pied dedans… T’as fais le plus dur déjà. » Il hausse les épaules mais la suite l’encourage à ne pas insister. Si Yu Jin ne s’en sent pas les épaules… « Ouai… je peux comprendre… C’est sûr que le ciné, c’est pas l’ambiance la plus chill… » Il peut entendre même s’il est un peu déçu… Il aurait souhaité savoir qu’une proche participait à la réalisation de films qu’il adore.
Une proche ?
Bref.
Il lui rend son téléphone et entame son plat. A sa question, il relève la tête vers elle, réfléchit le temps d’avaler et lui adresse un sourire amusé : « Bon chic bon genre ? Tu crois pas que ça tâche avec moi ? » Il est sûr qu’elle le pense. Il ne se vexe pas, il secoue plutôt la tête. « Nah… c’est pas mon truc. » Toute cette attention sur soi… Il ne veut même pas imaginer l’état des célébrités en question. Pas étonnant que certains pètent des plombs. « Toi aussi, non ? T’es plus une fille de l’ombre…. et c’est mieux. On se prend moins la tête. » Et pourtant. Mais Se Jun ignore beaucoup de choses sur elle, même si une partie de lui se convainc qu’il la connaît toujours. Il se ment. Chasse à nouveau les mauvaises pensées. Une bouchée de plus et il reporte son attention sur la belle : « Mais du coup, tu veux faire quoi d’autre ? » Si les fx ne sont pas sa voie, quelle est-elle ?