Il y a des nuits comme ça. Des nuits où compter les moutons ne suffit plus et où Morphée a décidé de se faire la malle, tu ne sais où. Et tu n'aimes pas ces nuits. Tu ne les aimes pas parce que t'arrêtes pas de penser, de te torturer l'esprit. Pour des choses complètement cons, parfois. Alors, dans ces moments là, plutôt que de te tourner, puis te retourner dans ton lit, dans l'attente d'un sommeil qui, tu le sais, ne viendra probablement jamais, tu attrapes ta guitare, faisant bien attention à ne pas réveiller tes colocs de chambre qui, eux, dorment profondément, et tu te barres. Où ? Un peu n'importe où, à vrai dire. Tu n'as pas vraiment de coin de prédilection. Ça peut être le jardin qui entoure le dortoir des students, le parc qui se situe non loin de là ou bien le fleuve Han. D'ailleurs, ce soir, ton choix s'est porté sur ce dernier et alors que tu longes le point d'eau sur plusieurs centaines de mètres, ta guitare bien fixée dans ton dos, tu décides finalement de te poser sur un joli petit parterre d'herbe, non loin du bord. Tu respires alors ce bon air frais (du moins, aussi frais qu'il puisse être dans une ville polluée comme Séoul) et tu installes ton instrument sur tes jambes, avant de laisser tes doigts glisser sur les cordes.

Rapidement, les mélodies s'enchaînent, tu laisses ton inspiration te guider. Puis, une voix, la tienne, qui commence à se mêler aux notes. Tu ne chantes pas beaucoup en général, tu te contentes de jouer. Non pas que tu chantes mal, c'est même tout le contraire, mais tu n'es pas forcément à l'aise avec ta voix. Pourtant, ce soir, tu te laisses aller. Et, alors que tu continues de chanter, tu ne vois pas ce garçon qui en a profité pour s'approcher de toi, discrètement. Ce n'est que lorsque tu viens à bout de ta chanson et que le calme s'empare de nouveau des alentours que tu la sens enfin. Sa présence...

D'abord surprise, tu le regardes, bouche bée. Puis, finalement, lorsque tu reprends enfin tes esprits, tes sourcils se froncent et tu t'exclames simplement : « Quoi ? Tu veux ma photo ?! » 

Blood like lemonade - Morcheeba

Kikunae est familier avec les insomnies. C’est régulier chez lui. Il a bien tenté de prendre des comprimés pour l’aider à dormir, mais ce n’est pas toujours efficace et l’idée que son sommeil dépende d’un traitement chimique ne lui plaît pas. Alors il fait avec. Certains matins, c’est difficile de ne pas s’endormir en cours. Parfois il aimerait pouvoir dormir plus, d’autres, il se dit que découvrir la ville, à moitié endormie, tard dans la nuit, est tout de même une chance. C’est plus calme. Il aime particulièrement cette ambiance. Il ne fait pas des insomnies toutes les nuits, mais c’est assez régulier pour que sortir tard le soir, un casque sur les oreilles pour se changer les idées et espérer rattraper ce sommeil qui le fuit, soit devenu une habitude. Son casque sur les oreilles, il longe la rivière Han. La lente mélodie d’un morceau de Morcheeba raisonne dans ses oreilles : Blood like lemonade, pour être précis. Il aime bien l’ambiance que dégage cette chanson, un peu westerns. Le bord de l’eau, c’est un de ses endroits préférés pour se promener la nuit. Par endroit, il n’y a pas grand monde et ça lui va très bien comme ça. Il croise parfois des couples, des groupes d’amis qui rentrent de soirée, des personnes seules accompagnées d’un animal, souvent un chien. Un soir il a vu une jeune femme promener son chat et ça l’a fait sourire. Le félin n’avait pas l’air effrayé le moins du monde, il était curieux et reniflait tout ce qui passait. Nae s’est dit que Stradivarius aimerait peut-être pouvoir redécouvrir l’extérieur… Il l’a recueillit quand il était tout petit, après l’avoir trouvé dans la rue et depuis il a toujours vécu en appartement, ce qui ne semble pas le déranger.

En continuant sa marche, Kikunae aperçoit une jeune femme installée au bord de l’eau. En s’approchant, il remarque une guitare entre ses bras. Curieux, il retire son cas, qu’il laisse pendre à son cou et il écoute discrètement. Sans vraiment s’en rendre compte, il se surprend aussi à ralentir sa cadence pour l’écouter plus longtemps. Nae n’est pas la personnification de la sociabilité, mais s’il y a bien quelque chose qui l’attire comme miel attire les abeilles, c’est la musique. Violoniste depuis qu’il est enfant, et pianiste occasionnel, les instruments de le fascinent. Puis une voix accompagne la mélodie de la guitare. La voix de cette inconnue. Kikunae ne chante pas, il ne se trouve pas compétent pour cela, mais il est toujours admiratif, en tout discrétion, des musiciens capables de maîtriser cet instrument que nous possédons tous, mais qui est si difficile à apprivoiser. Nae s’est arrêté de marcher. Il ne s’en rend pas vraiment compte non plus. Il écoute la jeune femme, elle a une très jolie voix. Il sort de ses rêveries lorsque la jeune femme le remarque enfin et s’adresse à lui. Il se renfrogne, il n’apprécie pas le ton qu’elle emploie. En même temps… Il faut la comprendre. Un inconnue qui s’arrête pour l’observer, en pleine nuit, son malaise est compréhensible. Même si Nae n’est pas grand, 1m58 tout au plus, il a une carrure trapue et musclé malgré le fait qu’il ne fasse jamais de sport, si ce n’est ces longues marches nocturnes.

- Peut-être qu’une photo serait plus polie au moins, il marmonne.

Logique puisqu’une photo ne parle pas de toute façon.

- Vous faites de la guitare depuis longtemps ?

Nae tout craché. Il serait capable de vous parler de musique avant de vous demander votre prénom ou comment vous aller. Pas qu’il s’en moque, mais il a des priorités et n’aimant pas s’étendre sur ses sentiments, il est toujours mal à l’aise de poser à quelqu’un une question aussi simple que « Comment vas-tu ? », il a l’impression d’être intrusif. 

D’aussi loin que tu t’en souviennes, la musique a toujours eu cet effet apaisant sur toi. Même petite, il suffisait que ta grand-mère vienne se poser à tes côtés, interprétant à la perfection cette magnifique berceuse dont elle avait le secret, pour que tu te laisses aussitôt aller dans les bras de Morphée. C’était quasi instantané. Presque magique… Et, aujourd’hui encore, même si la douce voix de ta mamie n’est malheureusement plus là pour te bercer les nuits d’insomnie, c’est dans la musique que tu trouves le réconfort dont tu as besoin lorsque tu es contrariée ou que ta petite tête est un peu trop submergée de pensées parasites. Cette fois-ci ne fait d’ailleurs pas exception à la règle et, alors que les premières notes s’échappent de ta guitare, tu ne penses plus à rien, si ce n’est à cette mélodie qui se dessine peu à peu dans ton esprit. Tu es dans ton monde. Complètement. Et tu n’entends, ni ne vois plus rien. Pas même ce mignon petit chien abandonné - semble-t-il - qui vient tourner autour de toi quelques secondes, puis te renifler, avant de finalement rebrousser chemin.

Pour autant, ce petit moment de parfaite symbiose avec toi-même ne dure qu’un instant et, alors que la dernière note disparait dans l’air, tu ressens comme une sensation étrange dans ton dos. Cette sensation quelque peu désagréable d’être observée par quelqu’un et tu fais alors aussitôt volte-face, croisant le regard de ce jeune homme qui s’était arrêté pour t’écouter. Et, à ta réaction, il est assez facile de deviner que tu es légèrement irritée de le trouver là. D’ailleurs, à sa réponse, tu ne peux t’empêcher de répliquer, toi aussi en marmonnant : « Parce que c’est polie de stalker les gens, peut-être ?! » Bon, ok… T’exagères peut-être un petit peu. Ce jeune homme n’était sans doute pas en train de te « stalker ». Seulement de t’écouter… Mais c’est plus fort que toi. Le seul fait de savoir que ce garçon est resté là à t’écouter - tu ne sais depuis combien de temps - alors que tu pensais être seule a le don de t’agacer. Et puis, mince… Il n’avait qu’à pas te surprendre comme ça !

D’ailleurs, en parlant de surprise, tu ne peux une nouvelle fois réprimer cette dernière lorsque le jeune homme te demande si tu joues de la guitare depuis longtemps. C’est qu’après la façon dont tu l’as accueilli, tu ne t’attendais pas vraiment à ça. « Depuis une dizaine d'années… » que tu réponds alors, dans un souffle, avant de finalement reprendre, étonnamment curieuse : « Et toi ? Tu joues d’un instrument ? » Le jeune homme semblant tout particulièrement intéressé par l’objet posé sur tes jambes, tu te dis que lui aussi doit certainement faire de la musique. « Du piano ? De la guitare ? Du triangle ? » finis-tu donc par demander. « Ou peut-être que tu chantes ? » Déposant ta guitare à côté de toi, tu relèves la tête vers le jeune homme. « Au fait, j'me permets de te tutoyer ! J'espère que ça ne te dérange pas ?! » De toute façon, même si c'était le cas, tu ne te gênerais pas pour autant. Puis, ce n'est pas comme si le jeune homme avait l'air bien vieux. A vrai dire, tu dirais même qu'à vue d'oeil vous avez certainement le même âge...

Blood like lemonade - Morcheeba

Kikunae n’est pas l’incarnation même de la sociabilité. Il préfère être chez lui, qu’entouré de personnes qu’il ne connaît pas. Il est rarement de meilleur humeur que lorsqu’il a son violon entre les mains, bien au chaud chez lui, avec Stradivarius qui fait probablement la sieste dans un coin. Cependant, il peut faire des efforts quand on l’aborde. Quand on l’aborde poliment, il ne comprend pas pourquoi cette fille l’apostrophe de cette façon. En réalité… Il aurait probablement fait la même chose si les rôles avaient été inversés. Pire, il n’aurait pas adressé la parole à la personne qui l’écoutait, il se serait probablement contenté de la fixer, attendant qu’elle fasse le premier pas. Sinon, il aurait été capable de partir sans rien dire. Je vous ai déjà dis que Kikunae et les relations humaines ce n’était pas toujours ça ?

- Je te stalke, moi ? Tu joues en plein milieu d’un lieu public, si tu ne veux pas qu’on t’écoute, va le faire ailleurs.

Loin de se laisser impressionner et parce que, mine de rien, la musique le radoucie, Nae tente tout de même d’engager la conversation. Il ignore quel âge a la jeune femme en face de lui. Elle doit sensiblement avoir le même âge que lui, donc elle joue depuis l’enfance. Comme lui aussi.

- Je joue du violon. Depuis un peu moins de dix ans.

Le violon est un instrument assez technique. Il est plus difficile de le mettre entre les mains de jeunes enfants. Il a donc commencé les cours de violon vers l’âge de sept ans.

- Mais j’ai fais du piano avant, pour le coup, ça doit faire une dizaine d’année.

Sa mère a voulu qu’il joue du piano. Elle est elle-même pianiste. Aujourd’hui, Nae déteste cet instrument. Il en joue rarement. Sa mère était trop stricte, elle avait trop d’attente pour son fils. Kikunae a commencé le violon, parce qu’il était curieux, mais aussi parce qu’il savait que ce ne serait pas sa mère qui lui dispenserait les cours et ça l’arrangeait bien. Elle a aussi essayé de le pousser dans la voie de la danse classique, comme elle, avant qu’une blessure au genou n’avorte sa carrière. Il n’en a fait que quelque année et ce n’est pas non plus un sport qu’il porte dans son coeur. On se demande pourquoi.

- Je ne chante pas. Je préfère épargner les oreilles de mon colocataire.

Son seul colocataire, c’est Stradivarius en réalité. Son chat. Mais les félins ont l’ouïe fine, ne l’oublions pas et il a des voisins aussi.

- Même si je te disais que ça me dérange, je ne suis pas sûr que tu en tiennes compte.

Il se met aussi à la tutoyer dans ce cas. La jeune femme a l’air d’avoir un caractère bien trempé. Malgré sa façon de l’aborder assez brutal, Nae apprécie plutôt. Il préfère les gens qui ont du répondant.

La bouche légèrement entrouverte, tu fronces les sourcils à la réponse du jeune homme, quelque peu prise au dépourvu. Et c'est vrai... Tout au fond de toi, tu sais très bien qu'il a parfaitement raison. Que si tu n'avais pas envie que l'on t'écoute, tu aurais simplement pu trouver un autre lieu, plus intime que celui-ci. Mais c'est plus fort que toi ! Tu aimes avoir le dernier mot. Alors, avec un peu de mauvaise fois dans la voix, tu finis par t'exclamer, en haussant doucement les épaules : « Tu aurais pu au moins annoncer ta présence. Ou alors te placer dans mon champ de vision... C'est chelou d'observer les gens alors qu'eux ne te voient pas... » Gonflant les joues, tu n'en demeures pas moins contrariée. Pour autant, quand le jeune homme commence à t'interroger sur ta passion qu'est la musique, et plus particulièrement sur la relation qui te lie depuis maintenant dix ans à cet instrument à cordes qu'est la guitare, tu te laisses complètement happer par la discussion, allant même jusqu'à lui poser quelques questions, toi aussi. Et, très rapidement, au fil de la discussion, tu commences à te rendre compte que toi et le jeune homme semblez avoir pas mal de points en commun. Tu ne peux d'ailleurs t'empêcher de tiquer légèrement quand il te dit avoir également fait du piano. « Oh, vraiment ?! Moi aussi, j'en ai fait ! » En effet, tu en as fait... Et, même si tu étais loin d'être mauvaise – en tout cas pour une enfant de 7 ans – ton attrait pour cet instrument n'a pas duré très longtemps. Tout juste 5 petites années, avant que tu ne l'abandonnes au profit de la guitare, au grand dam de tes parents et surtout de ta mère qui aurait largement préféré que tu continues d'effleurer le joli clavier d'un Bechstein plutôt que les cordes d'une Fender. « M'enfin, je suis bien plus douée avec une guitare dans les mains... » Et ça, peut-être que tes parents le comprendront un jour. Mais, pour l'instant, ce n'est pas gagné... Cela dit, ce n'est pas comme si t'en avais grand chose à faire de savoir ce qu'ils en pensent. Comme tu n'en as rien à faire de ce que pensent les autres en général. D'ailleurs, à la réponse du jeune homme, tu ne peux retenir un léger rire. « Tu as totalement raison ! Je m'en fous complètement que cela puisse te déranger... » Tu es honnête, Min Ju. Parfois un peu trop, d'ailleurs... Ceci étant dit, pour une raison qui t'échappe, t'as pas l'impression que le jeune homme soit du genre à s'offusquer pour si peu. Et, pour le coup, on peut dire que ça te change pas mal car tu as beaucoup trop l'habitude des gens qui se vexent au moindre mot « de travers » que tu leur dis... « Au fait ! Moi, c'est Min Ju ! » En effet, maintenant que vous êtes tous les deux passés au stade du tutoiement, il serait peut-être temps de vous présenter... « Mais, dis moi... J'ai l'impression qu'on s'est déjà croisés quelque part ?! Tu n'étudierais pas à la Yonsei, par hasard ? » T'aurais très bien pu le croiser autre part mais la Yonsei te semble être l'endroit le plus probable, et pour cause, c'est celui où tu passes le plus de temps...

Blood like lemonade - Morcheeba

Observer les gens sans qu’ils ne le voit… Kikunae y passe son temps… Par pour stalker qui que ce soit, il a autre chose à faire que de s’intéresser à la vie de parfait étrangers. Il est juste observateur. Il ne peut pas s’empêcher de regarder comment le monde tourne autour de lui, et parfois si on ne le voit ce n’est pas qu’il se cache, c’est qu’il est suffisamment discret pour qu’on l’oublie. Peu loquace, il ne prend pas beaucoup de place. Ce n’est pas souvent lui que l’on remarque en premier.

- Et c’est tout aussi « chelou » de râler parce qu’on te regarde jouer alors que tu es dans un lieu public.

Il reprend la manière de parler de cette jeune femme, bien que ce ne soit pas du tout le vocabulaire qu’il emploie en temps normal. Observateur, Nae remarque tout de suite qu’elle s’adoucit quand il lui parle de musique. Il a l’impression d’être face à un miroir. Il a cette même habitude, la musique l’attire irrésistiblement. Si vous voulez morceler sa carapace pendant un instant, il faut lui parler de musique. Si les premières paroles qu’ils ont échangées étaient peu amicales, les deux musiciens semblent avoir plus de points communs qu’il n’y paraît.

- Je suis plus doué avec un violon aussi.

Nae joue du piano depuis plus d’une dizaine d’années, mais il a arrêté d’en jouer pendant un certains temps. Il voulait tenir tête à sa mère qui voulait choisir pour lui. Heureusement, elle ne l’a jamais empêché de jouer du violon. En tant qu’artiste, elle ne pouvait qu’être fière que son fils s’intéresse au même monde qu’elle. Elle aurait juste préférée qu’il vive pour le piano, comme elle, mais les enfants ne sont pas des copies de leurs parents. Ils grandissent et deviennent leur propre personne, ils font leur propre choix. Kikunae a choisi le violon. Ou le violon l’a choisi, et il restera son instrument de coeur à jamais.

Le Japonais lève les yeux au ciel. Cette fille a l’air d’être une vraie peste sous ses airs de musicienne hors pair. Nae ne s’en vexe pas pour autant, il lui en faut bien plus. Par contre, elle pourrait l’agacer. Elle semble aussi avoir du caractère, ce qui n’est pas pour lui déplaire. Il a beau ne pas faire de vague, il préfère échanger avec des personnes qui ont du répondant.

- Kikunae, je ne sais pas si je dois te dire que je suis enchanté. Tu m’as un peu agressé la première fois que tu m’as adressé la parole.

Il n’est pas vexé. C’est une pique. Nae ne cherche pas le conflit, mais Nae peut-être très taquin quand il s’y met.

- On s’est déjà vu ? Et après c’est moi qui te stalke ? Qui me dit que ce n’est pas le contraire du coup…

Cela dit, c’est fort possible qu’ils se soient déjà croisé. Kikunae étudie effectivement à la Yonsei. Plus pour très longtemps, c’est sa dernière année, en mars il sera libéré des études. Une page qui se tourne et un nouveau chapitre qui s’écrit. C’est excitant et terrifiant à la fois.

- Oui, j’étudie à la Yonsei, plus pour très longtemps d’ailleurs. Toi aussi j’imagine.

De plus, si Min Ju est musicienne, il y a aussi des chances qu’ils se soient croisés aux environs des salles de musique. Il n’est pas rare que des groupes de musiciens ou des solistes les occupent pour répéter. Elles sont insonorisées et cela permet d’épargner les oreilles des voisins quand l’envie de jouer le prend assez tard.

C’est toujours impressionnant de voir le pouvoir que la musique peut avoir sur toi. Pas seulement quand tu en joues ou l’écoutes, mais également quand tu l’évoques. Après tout, il suffit de te parler instruments de musique, compositions et autres partitions pour que tu te radoucisses sur le champ. En témoigne ta réaction lorsque le jeune homme commence à s’intéresser à ta guitare, et tu en oublierais presque les circonstances de votre rencontre, alors que tu te mets toi aussi à lui poser plusieurs questions. Cependant, si de ton côté tu semblais prête à tirer un trait sur vos débuts un peu « tendus », voilà que le jeune homme décide de ramener le sujet sur la table et tu ne peux alors retenir ce petit rire amusé. « Agressé, qu'il dit... Tout de suite, les grands mots... » Tu ne l'as pas « agressé », non ! Tu lui as simplement demandé s'il voulait ta photo. D'ailleurs, qu'il s'estime heureux ! Tu aurais pu lui  proposer ton poing dans la figure à la place... « Il t'en faut vraiment peu, dis donc... » que tu finis donc par lâcher en haussant légèrement les épaules, tandis qu'un petit sourire en coin vient légèrement déformer le coin de tes lèvres. Toutefois, ce sourire disparaît aussi vite qu'il est apparu quand Kikunae – maintenant, tu connais son prénom – te « traite » de stalkeuse, à son tour. Et ta réaction ne se fait bien évidemment pas attendre... « Moi, te stalker ? Ahahah, quelle bonne blague ! » Voilà que Monsieur tente d'inverser les rôles, maintenant... « Je te ferais remarquer qu’il y a quand même un fossé entre observer une personne qui ne sait pas qu’on est là – ce que tu étais en train de faire, pas plus tard qu’il y a quelques minutes – et reconnaître une personne parce qu’on l’a peut-être déjà croisée au détour d’un couloir à l’université… » Tu dirais même qu'il y a tout un monde... « D'ailleurs, je suis sûre que si on demandait quelques avis, beaucoup s’accorderaient pour dire que c’est le premier qui se rapproche le plus de ce que l’on pourrait qualifier un stalker… M'enfin... » Une nouvelle fois, tu hausses les épaules, un sourire accroché au visage. Tu sais très bien qu'il s'agissait là d'une simple boutade. Que le jeune homme cherchait juste à te piquer. Mais c'est plus fort que toi, il faut toujours que tu essayes d'avoir le dernier mot. Heureusement pour Kikunae, tu décides assez rapidement de passer à autre chose, te re-focalisant sur votre conversation et tu hoches légèrement la tête à ses paroles. « En effet, je suis aussi à la Yonsei. » Depuis quatre longue années, déjà. C'est fou comme le temps passe vite. « J'étudie le commerce international... Pas les études les plus intéressantes, si tu veux mon avis ! » Non, il ne le voulait certainement pas. Mais, là encore, tu t'en fiches un peu. « J'aurais bien aimé suivre un cursus d'arts du spectacle spécialisé dans la musique mais... C'est compliqué... » A cause de tes parents, bien évidemment. « Du coup, je me contente du club de musique ! »

Blood like lemonade - Morcheeba

Nae n’a pas l’impression d’exagérer. La jeune femme na pas été des plus accueillantes… Ce qu’il peut comprendre, on ne sait jamais sur quel type bizarre on pourrait tomber. Heureusement qu’il n’est pas mal intentionné et qu’il n’a pas mal pris cette agression verbale. Agacer un inconnu, ce n’est pas toujours une excellente idée. Kikunae ne se gêne pas pour inverser les rôles.

- Je ne t’observais pas. J’écoutais.

Il joue sur les mots. Même s’il y a aussi du vrai dans ce qu’il dit. Il ne voulait pas spécifiquement observer Min Ju avec de mauvaises intentions. C’est la musique qui a piqué sa curiosité. En tant que musicien, c’est souvent ce qui l’interpelle en premier. Nae n’est pas le plus sociable des jeunes hommes de son âge, par contre si vous voulez le rendre plus loquace, la musique est le sujet de conversation idéal.

- Je ne te stalkais pas, sinon je t’aurais suivi ici et ce n’est pas le cas.

Ce sont ses insomnies qui l’ont conduit jusqu’à la rivière Han. Nae est régulièrement sujet aux troubles du sommeil. Ce n’est pas la première fois qu’il décide d’aller prendre l’air pour se changer les idées et espérer s’endormir plus facilement une fois rentré. Il n’avait pas l’intention de croiser Min Ju. Il ne l’a connaissait même pas avant aujourd’hui. Son visage lui dit vaguement quelque chose, il se sont peut-être déjà croisés à l’université comme semblait le sous-entendre la guitariste, mais cela s’arrête là.

- Pourquoi tu n’as pas choisi un cursus qui te plaisait davantage ?

Tout le monde n’a pas le courage de tenir tête à ses parents… Ni de se moquer de leur avis. En qui concerne Kikunae, sa mère a tellement essayé de lui imposer sa vision des choses quand il était plus jeune, qu’il en a eu marre. Même s’il n’a pas été bien difficile pour lui de s’orienter vers la musique puisque sa mère est elle-même musicienne, pianiste pour être exacte. Elle enseigne au collège et au lycée à Tôkyô. Par contre, quand il a claqué la porte pour partir en Corée du sud, ce n’était pas du goût de sa mère. Elle a toujours voulu le façonner à son image, pour qu’il réalise ses rêves déçus. Plus jeune, elle était douée en danse classique. Si elle ne s’était pas blessée, elle aurait pu en faire son métier… Quand Nae était enfant, elle choisissait toutes ses activités extrascolaires : balle, piano, violon, solfège… Il a eu la chance de trouver la passion de sa vie dans tout cela, mais il a rapidement abandonné le reste. Il garde aussi un mauvais souvenir des leçons de piano avec sa mère, trop stricte, peu patiente, elle voulait que son fils soit parfait… Trop parfait. En arrivant à Séoul, il n’a pas hésité une seconde à s’émanciper d’elle. Quant à son père, de toute façon, il était déjà bien trop absent dans son quotidien.

- Il y a un club de musique ?

Si tu étais plus sociable Nae, tu le saurais… Cependant, son cursus arrivant à son terme, il ne va sans doute pas s’y inscrire maintenant… Ce qui ne le retient pas d’être curieux, puisqu’il s’agit de musique.

Est-ce que tu penses réellement que le jeune homme est un stalker ? Bien sûr que non. Est-ce que tu vas quand même continuer à l’embêter avec ça ? Évidemment que oui. Peut-être pas éternellement – tu n’es même pas certaine de le recroiser un jour, à vrai dire – mais au moins jusqu’à ce que vous ne vous sépariez pour retourner dans vos dortoirs respectifs. Plissant d’ailleurs les yeux quand ce dernier se défend une nouvelle fois de ne pas t’avoir suivi et de seulement s’être arrêté pour t’écouter, tu ne peux t’empêcher de répondre sur ce ton faussement suspicieux : « Mouais… C’est ce qu’ils disent tous… » Décidément, tu ne comptes pas le lâcher avec ça. Quoique... Le jeune homme a quand même droit à un petit moment de répit, quand votre conversation s'oriente sur la musique et vos études et, à sa question, tu hausses simplement les épaules comme si la réponse était des plus évidentes. « Mes parents ne sont pas très ouverts d'esprit. Enfin, surtout ma mère... Et la musique, c'est pas vraiment un métier pour eux. Ils auraient préféré me voir avocate, comme ma grande sœur. Ou alors future médecin, comme mon grand frère... » C'est de leur faute à eux aussi, d'être trop « parfaits » ! Forcément que tes parents allaient en attendre autant de toi, avec des aînés pareils. « Alors tu te doutes bien qu'il était hors de question pour eux que j'étudie la musique. » Et c'est vrai que tu aurais pu leur envoyer un gros fuck dans la gueule, en leur disant que c'est ta vie et que tu en fais ce que tu veux. Mais, à l'époque, tu sortais tout juste du lycée et t'étais encore dépendante d'eux financièrement. Qui plus est - et malgré tout - tu connais l'importance d'avoir un diplôme dans ce pays qu'est la Corée du Sud. Alors tu ne pouvais pas te permettre de tout plaquer après le lycée. De leur claquer la porte au nez... Et finalement, en te renseignant un peu plus sur la Yonsei - université qui avait accueilli tes aînés avant toi et où tes parents voulaient absolument que tu entres – tu as appris l'existence de leur club de musique et de tous les équipements qu'il mettait à la disposition des étudiants. Et ça a un peu été ta condition : tu acceptais de suivre ces études de commerce qu'ils t'imposaient mais, en échange, tu pouvais intégrer  le club de musique. Hochant d'ailleurs la tête, quand le jeune homme te questionne à propos du club, tu finis par répondre : « Évidemment qu'il y a un club de musique ! C'est d'ailleurs grâce à lui que j'ai réussi à tenir tout ce temps ! » Laissant échapper un rire amusé, tu reprends : « D'ailleurs, tu devrais y passer, à l'occasion ! En plus, je crois qu'il y a un super violon à disposition ! » Bah dis donc... Plutôt étonnant comme proposition de la part de quelqu'un qui se plaignait d'être stalké par cette même personne qu'elle est maintenant en train « d'inviter ».

Blood like lemonade - Morcheeba

Quand on dit que la musique adoucie les mœurs, en voilà un bel exemple. Cette conversation qui ne semblait pas commencer sur de bonnes bases prend un tournant… Inattendu. Le pouvoir de la musique, aurait envie de penser Kikunae. Elle agit miraculeusement sur lui en tout cas. Elle délie sa langue et rend plus sociable le loup solitaire qui sommeille en lui.

- Ah, tu as des parents comme ça toi aussi… dit-il songeur.

En réalité, ses parents ne l’ont jamais empêché de faire de la musique. Sa mère est elle-même musicienne et son père… Était bien trop absent pour s’en soucier. Il est de la vielle école, le mari travaille et l’épouse s’occupe de l’éducation des enfants. De leur fils unique en l’occurrence, dans le cas de Nae. Cependant, il sait que sa mère aurait préféré le voir faire de la danse classique, pour qu’il réalise ses rêves à elle. Ou qu’il joue du piano pour suivre les traces de sa mère. Il a abandonné la danse classique aussitôt qu’il a pris conscience de toute la pression que sa mère voulait lui mettre sur les épaules. Et il s’est orienté vers le violon, comme si inconsciemment il voulait déjà s’émanciper d’elle, alors qu’il était tout jeune. Par contre, sa mère a l’impression d’avoir encore un droit de regard sur sa vie personnelle et surtout sentimentale. Les parents de la jeune femme veulent lui donner leur avis sur le métier qu’elle va exercer et la mère de Nae veut lui imposer un schéma familial qui ne lui fait absolument pas envie. De toute façon, dernièrement, il fuit les contacts avec sa mère. Non, il n’est pas en couple, non, il n’a pas l’intention de se marier prochaine, voire même jamais et avoir des enfants… N’en parlons même pas.

- Ce qu’il y a de bien avec la musique, c’est que si tu travailles de ton côté et que tu as de bonnes compétences, tu peux toujours essayer d’en vivre même sans avoir fait d’études dans le domaine. C’est toi qui vivra ta vie, autant que tu sois heureuse de tes choix, non ?

Il peut comprendre qu’elle n’ait pas envie de décevoir ses parents. Il n’a pas la même vision des choses, puisqu’il a claqué la porte du domicile familiale, il y a plusieurs années maintenant. Il a même quitté son pays natal. Si ce n’est pas l’expression d’un énorme ras-le-bol, je ne sais pas ce qu’il vous faut. Nae rit amusé.

- Tu n’as plus peur que je te stalke ? il rétorque pour l’embêter, comme elle ne s’est pas gênée pour le faire avec lui. C’est gentil, mais j’ai mon propre instrument.

Et il a du mal à être à l’aise avec un autre… Un peu comme un patineur artistique a ses propres patin ou un boxeur ses propres gants.

- J’ai presque terminé mes études, mais je passerai à l’occasion.

En réalité, il a probablement déjà croisé des membres du club. Il traîne souvent du côté des salles de musiques de la Yonsei et quand l’une d’entre elle est libre, il s’y installe. C’est un peu son refuge… Entouré d’instruments de musique, c’est le paradis pour lui.