@An Ryu Jin
Des gestes mesurés, une posture droite et un sourire faussement amusée. L’art d’écouter sans entendre les exploits d’un nouveau prétendant. Flatter son égo sans trop en faire, paraître intéressante mais ne pas trop se mettre en avant, sois belle et tais-toi… une devise que je tentais d’appliquer du mieux que je pouvais tout en remplissant mon estomac de ce que je ne pouvais déguster que rarement. À vrai dire, je portais bien plus d’attention à mon assiette qu’au bellâtre qui fanfaronnait. D’un « Hmm… », je ponctuais de temps à autres la conversation stérile. Il n’y en avait visiblement que pour lui et ses placements en bourses auxquels je ne comprenais que peu de choses. « Et donc… pourquoi devrait-on se marier ? » lâcha-t-il abruptement. Je n’en sais rien, peut-être parce que tes parents veulent te caser avec une bonne à tout faire qui ne trouvera jamais rien à redire à son égoïste et égocentrique d’époux ? Qu’il va falloir que tu engendre des héritiers à ton tour un jour mais que sans un vagin sous la main tu ne pourras rien faire ? Que visiblement ton cerveau est aussi développé que ta conversation et que peu de femmes réussisse à tenir une soirée en ta compagnie… Mais la tirade resta silencieuse, et en guise de réponse, je me contentais de lui offrir un sourire presque amical avant d’ajouter « Je ne cherche pas à me marier, mais à trouver un partenaire avec qui je puisse vieillir. Quelqu’un à qui je pourrais concocter de bons repas et que je pourrais chérir. » Une phrase toute faite, un speech préparé à la virgule près, simplement pour contenter ces messieurs de la haute et tenter de ferrer l’un d’eux. Mais j’exécrais ce discours sans saveur, j’avais la nausée rien qu’à l’idée de devoir me plier en quatre pour un homme qui se prenait pour le centre du monde.

Certaine d’avoir une nouvelle fois étouffé ses doutes, je me détendais à peine avant de me prendre une nouvelle humiliation brutale. « Hm… Mais pourquoi toi ? Je veux dire, tu t’es vue ? Bon ok tu as l’air pas mal, il faudrait voir sans les vêtements… » Je déglutissais alors qu’il avalait une gorgée de vin, me préparant à la salve suivante. « Mais tu n’as rien… tu n’es rien à vrai dire. Je t’accorde mon temps, tu pourrais faire un effort ! » J’avais eu l’audace de penser que cette soirée serait différente, que peut être sous cet air hautain, il y avait un semblant d’humanité… en vain. Et la pluie de reproches tombait alors. Mendiante. N’ayant pas fait d’études. Croqueuse d’homme. Pauvresse… Il passait en revue chaque information qu’il avait pu trouver sur moi et m’écorchait un peu plus à chaque argument, mais n’avais-je pas l’habitude ? Combien de fois les avais-je entendus ? Même une encyclopédie n’aurait pas suffi à contenir toutes les insultes et les humiliations que j’avais pu recevoir jusqu’à cet instant.

Instinctivement, je serrais les poings et contractais la mâchoire en attendant que la tempête ne passe. Je me sentais plus petite à chaque mot qu’il éructait si bien que je m’autorisais laisser chuter le rideau de cil comme pour me cacher derrière l’opaque de mes paupières… puis plus rien. Un soupire d’effroi et un grognement agacé me força à ouvrir les yeux pour découvrir mon rendez-vous dont le verre d’eau avait été vidé sur sa tête. Et à son côté se tenait une femme que je ne connaissais pas. Une ex ? pensais-je. Mais aucun son ne put franchir l’ourlet de chair alors que je la fixais bouche bée.

@Suh Mi Ho
Ryujin laissa échapper un soupir. Elle n’était pas intéressée par l’homme qui était face à elle, comme d’habitude. Son père s’entêtait à lui arranger des rendez-vous avec des bons partis – ou plutôt des bons toutous – sans jamais prendre en compte l’avis de sa fille. La jeune femme ne voulait pas se marier, encore moins à un inconnu imbu de sa personne. Il ne faisait que parler de lui, encore et encore, comme si ça intéressait la professeure. Absolument pas. Elle était ennuyée et ne le cachait pas. Cependant, ça ne semblait pas faire tilt dans la tête du garçon. Malheureusement. Et Ryujin vint même à penser à Heejun, à ce rendez-vous qu’il lui avait épargné en faisant fuir l’homme que son père avait choisi. Un bref sourire s’empara de ses lèvres avant de disparaître aussitôt qu’il était venu. Pourquoi pensait-elle à lui ? La fille An se reprit, se redressant sur sa chaise et finissant par poser son regard sur son interlocuteur. « Vous êtes ennuyant. » Dit-elle calmement, clouant le bec à ce caqueteur. « Je perds clairement mon temps. » Ajouta-t-elle. « Vous aussi, d’ailleurs. Je ne me marierai jamais avec vous. » Lança-t-elle, ayant clairement jeté un froid. Elle s’en fichait bien, elle voulait juste partir. « Je vais y aller. Au revoir. » Déclara-t-elle en se levant, remettant son manteau et récupérant son sac. Elle commença à partir, le laissant en plan mais des mots la firent s’arrêter. Qui était cette personne qui parlait ainsi ? Et à qui s’adressait-elle de la sorte ? Ryujin tourna lentement son visage vers les deux jeunes gens assis un peu plus loin. La jeune femme observa la demoiselle, voyant bien qu’elle prenait sur elle et encaissait les coups. La pauvre… Puis, finalement, la professeure se décida à s’approcher. Elle ne pouvait pas la laisser comme ça, se prendre une vague de critiques. Arrivée à leur hauteur, Ryujin baissa les yeux vers le verre d’eau et n’hésita pas. Elle le prit, interrompant le flot de paroles de cet imbécile, et renversa son contenu sur sa tête avec un sourire satisfait. « Pour qui vous prenez vous pour parler de la sorte ? » Demanda-t-elle, reposant avec délicatesse le verre. Même elle n'était pas aussi méchante quand elle rejetait un homme. Elle tourna son visage vers la jeune femme. « Quel est donc cet abruti avec lequel vous dinez ? » L’interrogea-t-elle, outrée qu’elle passe la soirée avec un idiot pareil. Elle se moquait bien du regard que l’homme lui lançait et se moquait encore plus qu’il se lève, tentant de se montrer menaçant. « Osez me toucher et je vous colle un procès. » Déclara-t-elle froidement.

@An Ryu Jin
Le monde pouvait bien s’arrêter de tourner que je n’en avais absolument pas conscience. Et s’il s’était étouffé ? Aurais-je seulement réagi ? Sans doute que non, je n’avais pas même idée de ce qui pouvait se dérouler à proximité... Les yeux clos, je mâchais difficilement la nourriture qui perdait son goût à mesure qu’il me faisait le compte rendu d’une analyse fine et détaillée me concernant. Pauvre. Sans connexions. Sans éducation. Visiblement seul mon physique semblait trouver grâce à ses yeux. Je ne relevais pas, c’était une lutte que je savais perdue d’avance. Au contraire, j’affichais un air faussement serein, une expression presque imperturbable alors que je me sentais devenir plus petite à chacun de ses mots.

Ce fut le son interloqué et étouffé de mon vis-à-vis qui me força à lui accorder de nouveau mon attention. À son côté, une femme que je n’avais jamais vue et qui venait de lui vider son verre d’eau sur la tête. Face à cette scène, je restais ébahie, à la fois choquée et admirative de l’audace dont je ne savais faire preuve. Mais elle ne s’arrêta pas en si bon chemin, et elle le lacéra de quelques répliques acerbes jusqu’à s’adresser directement à moi. « Je… » Une répartie magistrale… Mais je n’eus pas davantage le temps de m’expliquer qu’il soufflait de nouveau face à son opposante. Furibond, le visage rouge de colère et d’embarras, il osa un pas vers celle qui le fit de nouveau reculer d’une gifle bruyante et sans aucun doute douloureuse.

J’avais appris à me tenir, savoir répondre, me comporter comme la lady que je n’étais pas… et elle venait briser absolument toutes les croyances que j’avais ingérer toutes ces années. Elle dégageait une puissance rare et si elle tournait finalement les talons pour fuir le chaos ambiant de mon rendez-vous raté, il me fallut quelques minutes pour me remettre de son passage. « Tu la connais ? » éructa-t-il. « Ça ne va pas se passer comme ça ! » Fou d’une rage peu commune, je le vis saisir son téléphone… sans doute pour se plaindre à son papa… Il me fallut quelques minutes de plus pour me ressaisir et finalement me lever et fuir sans un mot.
Je voulais la retrouver, lui demander. Et là, juste à l’entrée de l’hôtel, elle attendait. « Excusez-moi… mais… wow ! » parvins-je à lâcher. « J’ai une question si ça ne vous dérange pas… vous n’avez pas peur des représailles ? Je veux dire… il est plutôt influent, ou du moins sa famille l’est… » soufflais-je, quelque peu inquiète de ce qui m'attendais.