⇝ Une minute.
Les pupilles divaguant un instant, tu te repris, posant les prunelles sur ton professeur, te concentrant sur ses paroles. Tu tentais de comprendre, de suivre, de tout enregistrer, retraçant à la pointe de ton stylo un court résumé de ses explications. Mais rien ne faisait sens une fois dessiné sur papier. Tu fronças les sourcils – tu verras ça plus tard, ce soir, en faisant tes révisions. Avec les autres paragraphes où tu semblais avoir du mal. Un regard sur ta montre, tu soufflas. Quelques secondes. Après ta leçon de piano. Tu avais bientôt un concours auquel ta mère t'avait inscrite. Tu devais remporter un trophée, cette fois. Interdiction d'échouer, même la seconde place n'était plus permise. Madame Park attendait cette victoire, aussi. Tu ne pouvais pas les décevoir. Madame Park. La dernière leçon avait été une autre catastrophe – t'entendais encore ta mère te dire au téléphone que tu ne travaillais pas assez. Devrais-tu te rajouter des cours ? La question ne s'était même pas posée, ta mère calant une nouvelle leçon aujourd'hui. Les révisions. Tu avais dû les repousser, calant le piano et le trajet du retour sur ton planning serré. La cloche retentit, le cours était fini – et tu voulais de louper les derniers mots du professeur dans un regard affolé. Tout le monde s'en allait et tu restas là un instant avant de te mettre à bouger aussi. Tu ne pouvais pas perdre du temps inutile.

Les affaires dans ton sac, tu passas rapidement par le dortoir pour récupérer une veste, filant directement vers ton cours de piano. Pourquoi le temps allait trop vite quand on voulait qu'il passe doucement ? Et pourquoi semblait-il plus long quand on voulait que tout aille plus vite ? La leçon de piano avait été longue, et éprouvante. Agitant les doigts dans une petite grimace, tu baissas les épaules dans un souffle. T'étais épuisée – la leçon avait duré plus longtemps que prévu, madame Park insistait pour que tu t'entraînes un peu plus sérieusement. Un son plaintif te brûla les lèvres, le premier depuis longtemps. « Pourquoi c'est si compliqué », articulas-tu avec peine, la joue contre le bras de Taeran alors que tu te vautrais presque à ses côtés. « J'ai mal partout », que tu marmonnas, le regard vide, les cheveux dans tous les sens, une moue au visage à cause de ta position. « Et ma montre a plus de piles »

⇝ Taeran avait voulu lui faire une surprise, après une longue journée de cours et autres rendez-vous pour diverses activités ici et là, la jeune femme savait que sa mère ne la laissait jamais réellement en paix, et ça ne fit que se confirmer quand elle reçut le message de sa meilleure amie. Une nouvelle leçon, une de plus, ce n'était pas prévu et elle ne peut retenir la moue déçue qui s'inscrit sur son visage quand elle relit le message, bon cela décalera sa venue aux dortoirs alors, le temps de faire un détour pour acheter de quoi manger (et boire un peu) pour elles deux quand Minji sera libérée de son cours de piano. Il lui arrivait de se plaindre de ses parents, tous les enfants faisaient bien ça un jour où l'autre, l'étudiante ne faisait pas exception à la règle et elle était à peu près sûre que Taeri se plaignait d'avantage qu'elle avait bien pu le faire, des trois filles Kang, la dernière était celle qui avait le plus fort caractère, et en plein début de crise d'adolescence. Un véritable feu d'artifice. Mais au fond Taeran savait qu'elle avait de la chance, ses parents n'avaient jamais été à l'encontre de ce que leurs filles voulaient, ni ils ne les considéraient comme des poupées à manipuler à leur guise, à leur dire quoi faire et comment penser. Non, elle avait de la chance. Et ça le peinait de voir Minji être mise sous pression par sa mère, bien qu'elle ignorait probablement beaucoup, elle n'allait pas demander à son amie de tout lui déballer si elle ne se sentait pas de le faire.

Taeran était arrivée avant Minji aux dortoirs des Silla, ses cheveux roses ondulant dans son dos, elle était restée planter devant la porte bien dix minutes avant qu'une âme charitable lui demande ce qu'elle venait faire ici, un semblant de familiarité qui avait dû lui mettre la puce à l'oreille car on lui mentionna rapidement Minji, elle remercia la personne quand elle lui permit d'entrer et de rester pour attendre sa meilleure amie dans sa chambre. Et quand Minji finit par arriver, à peine une vingtaine de minutes plus tard, Taeran ouvrit en grand ses bras pour accueillir la brune sur son lit, la joue de cette dernière reposant contre son bras. « Tu veux que je réponde pour toi à ta mère la prochaine fois ? » Elle murmure, à moitié sérieuse, bien que Taeran avait quand même un minimum de respect pour les adultes, ça ne voulait pas dire qu'il fallait tout accepter, mais pas sûr que Madame apprécie. « C'est ça qui te turlupines le plus, ta montre ? » Elle rit doucement, passant sa main libre à travers les mèches brunes de son amie. « Tu sais que je suis là, » Taeran finit par murmurer avec douceur.

⇝ Tu paniquais déjà à l'idée de ne pas réussir ce concours. Tu ne voulais pas décevoir ta mère ni Madame Park. Tu n'aimais pas les décevoir – car ta mère t'avait appris à ne pas le faire, en quelque sorte. Elle était toujours fière de toi, de tes accomplissements. Elle était fière et heureuse et toi.. toi t'étais simplement là. T'étais que son pantin. Pire. T'étais le pantin de tes parents. Un pion qu'ils déplaçaient quand ils le voulaient, te mettant là où eux voulaient que tu sois. Tes rêves, tes ambitions.. tu devais tout laisser de côté. Tout abandonner. Si bien qu'à l'heure actuelle tu ne savais même pas ce que tu aimais réellement ; mais une chose était sûre : tu n'aimais plus le piano et surtout, tu n'aimais plus le droit. Tu n'étais cependant pas assez courageuse pour le dire à ton père, encore moins à ta mère.

Heureusement Taeran était là. Taeran vers qui tu plongeas presque sans attendre, te calant contre elle dans un besoin de réconfort. « J'aimerais bien », marmonnas-tu dans un air bougon. « Mais elle va s'inquiéter. Je le ferai, t'en fais pas », tu connaissais ta mère et tu savais déjà sa réaction si Taeran répondait à ta place. Tu ne voulais pas la voi débarquer à l'université, soucieuse. « Elle a plus de piles », que tu répétas dans un air dépité. Oui, ça te perturbait. « Elle tombe jamais à plat. Jamais », la lèvre inférieure trembla rapidement avant que tu ne la mordes. Etait-ce une façon de dire que toi aussi, t'étais à plat ? « Je prévois toujours les choses. J'anticipe au maximum parce que je ne peux pas avancer si j'ai pas de montre. Mais là.. je l'ai pas vu venir. Pourtant j'avais calculé à quel moment la pile devait lâcher mais elle a lâché plus tôt. Ou alors j'ai mal calculé », et pauvre lèvre qui subissait les attaques sans rien dire. Tu soufflas, venant serrer ta camarade contre toi, fermant les yeux pour profiter des mouvements dans tes cheveux. « Merci beaucoup », susurras-tu avec douceur. « Ca me fait du bien que tu sois là », avouas-tu, les pommettes colorées, rouvrant les paupières et faisant grimper ton regard vers le sien. Tu restas ainsi quelques secondes avant de te redresser brusquement, passant tes mains dans tes cheveux pour te coiffer. « Désolée », les joues rougies, tu lui lanças un regard coupable. « Je devrais pas... », tu agitas un peu les mains, les sourcils froncés. « Comment tu vas ? Tu vas bien au moins ? », t'inquiétas-tu, tes doigts prenant les siens pour les serrer avec délicatesse. « Désolée j'aurais dû demander plus tôt », l'air attristé, tu baissas les yeux vers vos mains, gardant ton regard là. Et tu ne bougeas plus, comme un robot qu'on venait d'éteindre. « Je suis tellement fatiguée », finis-tu par admettre dans un chuchotement léger.

⇝ Taeran n'était pas à la place de Minji, et tout ce qu'elle savait de la situation c'était ce dont sa meilleure amie avait bien voulu (ou réussi) à lui confier, et des observations qu'elle avait faites elle-même de son côté sur la situation. Mais ça la rendait triste de voir Minji revenir aussi fatiguée et elle sentait cette part de tristesse qui émanait d'elle, même si son amie ne l'exprimait pas à voix haute. Mais elle ne voulait pas la forcer à parler si elle ne le voulait pas encore, elles se connaissaient depuis un moment maintenant et Taeran savait que si Minji voulait se confier, elle le fera quand la brune se sentira prête. Elle n'avait pas besoin de tout savoir, se contentant de montrer à la jeune femme qu'elle était là pour elle, physiquement et émotionnellement. Taeran sentit une moue naître sur son visage, mais elle pouvait comprendre pourquoi Minji disait cela, sa mère se rendrait bien compte que ce n'était pas sa fille qui lui répondait si Taeran le faisait à sa place, elle n'aura pas la délicatesse de la brunette, parce qu'elle oserait lui dire d'aller voir ailleurs si elle y était et de laisse sa fille respirer. « On changera les piles alors, Minji, ou mieux même je t'en offrirai une nouvelle pour ton anniversaire. » Elle murmura avec douceur, ses doigts continuant de glisser entre les mèches brunes de sa meilleure amie, comme si elle cherchait à la calmer, à la rassurer. Dans le fond il y avait de ça. Et à ses mots le coeur de Taeran se brisa lentement dans sa poitrine, elle savait oui comment était Minji mais la voir aussi en détresse pour une montre, elle savait qu'il n'y avait pas que ça. « Minji, tu sais qu'on ne peut pas toujours tout prévoir non ? Parfois les choses se font sans qu'on s'y attende, et c'est pas grave, ça arrive. » Il n'y avait rien de mal à ça, que les choses soient différentes de ce qu'elle attendait. Mais clairement le jour où Taeran aura l'occasion de parler avec la mère de son amie, elle en verra des vertes et des pas mûres. Elle sourit en sentant Minji resserrer son étreinte, même si elle sursauta quand tout d'un coup celle-ci se redressa brusquement, ne s'attendant pas à ce changement de position soudain. « Désolée ? » Elle bascula son visage, ne comprenant pas pourquoi elle s'excusait. « De quoi tu ne devrais pas ? Minji, tu as le droit d'avoir des coups de mou hein, tu n'as pas à être parfaite tout le temps, pas avec moi tu le sais n'est-ce pas ? » Elles pouvaient se voir au plus haut comme au plus bas toutes les deux. « Je vais bien, Minji, crois-moi là le plus important ce n'est pas moi, mais toi. » Elle serra en retour les mains de son amie, avant de souffler à nouveau. « Reviens faire un câlin alors. » Elle se doutait que Minji ne devait pas parler que d'une fatigue physique. « Je sais que ça ne changera pas grand chose, mais ça fait toujours du bien. »

⇝ L'idée de tout avouer te terrorisait presque tout autant que celle d'échouer. Car, selon toi, les deux allaient ensemble et l'une entraînerait forcément l'autre. Mais le pire de tout était d'imaginer la déception de tes parents. Tu ne pouvais pas leur faire ça. Sauf que la fatigue était parfois trop accablante, que la pression était parfois trop lourde et que les doutes te bouffaient de l'intérieur. T'avais pas l'impression de vivre ta vie mais plutôt l'impression de la subir. Tu voudrais pouvoir arrêter mais tu savais que tu n'en aurais jamais le courage. Mais peut-être que ton esprit lâchera bien avant. « Oui mais ça pardonnera pas pour aujourd'hui », tu semblais t'affliger tant de choses pour quelque chose de banal. T'avais pas un esprit identique aux autres. Encore moins une manière de vivre. Tu ne profitais pas comme les autres. Tu profitais des mouvements de Taeran dans tes cheveux, le coin des lèvres glissant vers le bas alors que tu voudrais dormir. Dormir pendant des jours, ne plus avoir conscience de rien ni de personne. Juste dormir et oublier. « Je sais. Mais je prévois toujours au maximum et là c'était une pile donc le calcul était simple mais... », mais le temps t'avait échappé. Tu soupiras, le désespoir pliant ta frimousse dans une grimace déçue. Et tu voudrais pouvoir profiter du moment, rester ainsi, laisser Taeran te caresser les cheveux tout en profitant de ses câlins. « Si. Non. Oui. C'est juste... Je fais que me plaindre et râler au lieu d'assumer mon erreur et en plus ça se fait pas parce que je t'ai pas demandée comment tu allais. C'est pas comme ça.. Maman m'a toujours dit de faire bonne figure et que c'est pas beau une femme qui se plaint tout le temps et.. », tu soufflas, les pupilles se redressant vers ta meilleure amie, les joues quelque peu rougies, le regard humide. « Promis ? », l'interrogeas-tu dans un chuchotement. Elle ne disait pas ça pour te faire plaisir pas vrai ? Elle allait bien pas vrai ? Tu reniflas discrètement à ses mots, retournant contre elle avec timidité. « Merci. Ca fait du bien », que tu confirmas ses paroles en te calant plus confortablement, ta tête se posant sur son épaule. « J'ai juste paniqué un peu », tu savais pas ce que ça donnait quand tu paniquais beaucoup. Tu te mordis la lèvre, songeuse, silencieuse. « Est-ce que tu crois que c'est grave si je révise un peu plus tard ? », osas-tu lui demander. « J'ai pas envie », marmonnas-tu comme une gamine prête à fondre en larmes. « J'ai plus envie », ajoutas-tu dans un chuchotement. Puis à nouveau le silence alors que tu reniflais discrètement. « Parle-moi de ta journée un peu »,vins-tu articuler, redressant un peu ta frimousse pour la regarder, ta lèvre inférieure tremblant à peine. « Je veux juste t'écouter parler. J'aime bien t'écouter. Ca me change les idées », et tu la serras un peu plus comme si tu craignais qu'elle s'éloigne.