2020 ⇝ Un souffle contre les lèvres, le regard vers le sol, tu avançais machinalement, le pas lent et pourtant léger. Tu étais épuisé, aujourd'hui. Comme les autres jours. T'étais épuisé et t'étais pas sûr que le sommeil pourrait régler le souci. Tu voudrais te reposer mais ton esprit ne te le permettait pas. Trop emmêlé à des idées sordides et noires. Trop noyé dans des pensées sombres. Il ne semblait pas vouloir que tu te reposes, le confort ne suffisant même plus à te détendre. Ton corps entier te faisait mal, tes muscles tiraient – brûlaient. Tu gardais le sourire face à tes parents mais l'envie n'était pas vraiment là. Elle n'était plus vraiment là. T'étais effrayé et perdu. Plus le temps avançait, plus les questions grondaient et moins les réponses venaient à toi. Plus le temps passait, plus tu comprenais et plus tu voyais les gens s'en aller. Tu les perdais tous, un à un, petit à petit. Et si ce n'était pas toi qui les perdais, c'étaient eux qui allaient te perdre pas vrai ? Comme Sandeul. Tu l'avais perdu et ça t'accablait encore aujourd'hui. Il te manquait un peu plus chaque jour. Retourner dans cette chambre où il n'était plus était un déchirement – mais heureusement, tu n'étais pas seul. Pourtant, une fois la nuit venue, une fois seul dans ta chambre d'hôpital ou dans ton lit, tu te sentais seul. Seul face à quelque chose de trop grand, de trop fort. Tu n'arriverais à rien, seul, et la finalité qui s'offrait à toi te terrorisait plus que tu ne l'avouais. Une petite voix disait cependant avoir accepté. Le sommeil éternel ne sonnait pas si mal, tout compte fait. Redressant le regard, tu observas les alentours, te rapprochant de la maison, le pas de plus en plus lent. Tu sentais ton sac glisser sur ton épaule, le retenant d'un geste mou, un autre soupir aux lèvres. Les pupilles curieuses se mirent à briller en découvrant une silhouette un peu plus loin. Tu fronças les sourcils, perplexe, t'avançant prudemment. Tu restas un moment là sur le côté, à simplement regarder. « Yeonghun ? », articulas-tu, la surprise évidente dans la voix et sur le visage. « C'est pas toi, si ? », tu clignas des paupières, comme si tu ne voyais là qu'une hallucination. Si c'était le cas, que devais-tu en conclure ? « Je vous ai pris pour quelqu'un d'autre, désolé », articulas-tu dans un léger mouvement du visage, te courbant quelque peu. Encore quelques pas et tu seras chez toi, tu pourras te reposer.

2020 ⇝ Yeonghun avait posé le pied sur le sol coréen il y a quelques semaines maintenant. Et la première chose qu’il avait fait, c’était de tenter de retrouver Euijoo. Le garçon lui avait terriblement manqué. Il n’avait jamais cessé de penser à son meilleur ami qu’il avait abandonné du jour au lendemain... Il s’en voulait, parce qu’il n’avait jamais pu le contacter, sa mère lui ayant pris un nouveau téléphone et un nouveau numéro, perdant alors tous ses contacts. Le jeune homme avait disparu pendant des années et il revenait maintenant. Il ne savait pas comment le prendrait son ami. Mal, sûrement. Il débarquant de nouveau dans sa vie comme une fleur, c’était compréhensible et Yeonghun ne pourrait pas lui en vouloir. Oh non, au contraire, il s’en voulait aussi ! Et encore une fois, l’étudiant traînait non loin de chez Euijoo. Il espérait le croiser mais il n’avait pour le moment jamais réussi. Enfin, jusqu’à aujourd’hui. Car il le repéra plus loin dans la rue, rentrant chez lui. Il se faisait tard et il n’avait sûrement qu’une envie : rentrer chez lui et dormir. Mais le skatteur ne pouvait pas passer à côté de l’occasion. Alors il s’avança, éclairé faiblement par la lumière du lampadaire. Il posa son regard sur son meilleur ami, sourire désolé aux lèvres. Il était si heureux de le revoir. Mais plus il s’avançait, plus Yeonghun remarquait qu’il avait l’air fatigué. Mais pas simplement fatigué par sa journée, non. Il y avait autre chose. De grave. Il le sentait, le voyait. Le garçon fit encore quelques pas, cherchant le regard de Euijoo quand il s’arrêta et lui fit face. Il l’appela par son prénom et l’étudiant ouvrit la bouche pour lui répondre. Cependant, rien ne sortit. Aucun son. Et s’il le détestait réellement ? Et s’il ne l’acceptait pas de nouveau dans sa vie ? Cette pensée lui serra le cœur. Et puis, il vit l’espoir dans ses yeux disparaître. Il ne se trompait pas, pourtant, mais l’étudiant comprenait pourquoi il pensait avoir confondu. Il avait disparu de sa vie durant des années. « Non, Euijoo, tu ne te trompes pas. » Finit-il par dire, son regard trouvant celui de son ami. Il fit un pas vers lui. « C’est bien moi, Yeonghun. » Dit-il, baissant légèrement la tête. « Désolé de réapparaître comme ça... Je comprendrais que tu n’aies pas envie de me parler mais... » Souffla-t-il, relevant la tête. « Laisse-moi t’expliquer. » Dit-il, le suppliant du regard. S'il lui expliquait, il comprendrait. Il comprendrait forcément. Non ?

2020 ⇝ Combien de temps avant qu'on te perde ? Combien de temps avant que tu ne sois capable que d'errer sans jamais trouver ton chemin ? Sans jamais trouver la paix. Tu aimerais revoir Sandeul une dernière fois, partager quelques instants avec lui à nouveau. Il t'avait aidé. Il t'avait soutenu. Tu avais l'impression de l'avoir laissé tomber : il était parti seul, toi t'étais encore là. Tu t'étais rendu compte que la vie était injuste. Sandeul méritait de rester, de voir sa fille grandir. Il ne méritait pas ça. Et toi ? Que méritais-tu ? La réponse n'était pas aussi évidente. Tu savais pas de quel côté de la ligne tu te plaçais et tu voulais pas demander aux autres de choisir pour toi. T'avais que dix-huit ans, la voix devant toi et pourtant tu n'arrivais à rien imaginer. Tu essayais, pour tes parents mais t'étais épuisé. Tu te souvenais de ce jour où tu avais avoué à ta mère être prêt. Tu te souvenais de son regard, de son désespoir. Tu savais que ça la détruirait si tu partais mais... pouvais-tu seulement rester ? Tu voulais rester. Tu ne voulais pas partir. Mais ce n'était pas toi qui décidais. Si c'était le cas jamais tu te serais collé tous ces soucis. Jamais t'aurais décidé de tomber malade. C'est la vie, que tu avais entendu. La fatigue trop présente, tu te demandais si tu hallucinais maintenant. Etait-ce un signe ? De quoi tu savais pas mais tu supposais que ça voulait dire quelque chose d'imaginer Yeonghun ici non ? Tu clignas des paupières, l'information se faufilant lentement jusqu'à ton cerveau. « Sérieux ? », tu le fixas, surpris, les sourcils levés. Tu le fixas sans rien dire, comme incertain qu'il soit réellement là. « Mais tu... », l'index bougeant dans l'air, tu savais même pas ce que tu désignais. Tu l'observas une nouvelle fois sans rien dire. Le coin de tes lèvres se leva quelque peu et tu secouas faiblement la tête. Tu bougeas brièvement la main, l'incitant à te suivre alors que tu entrais lentement chez toi. Tu retiras ton gilet, lui montrant l'endroit où poser ses affaires s'il en avait. « Tu as soif ? Ou faim », que tu le questionnas. Tu lui désignas le salon, lui faisant comprendre qu'il pouvait s'installer alors que tu partais en cuisine récupérer ce qu'il fallait. Tu posas le tout sur la table, t'installant sur le canapé dans un souffle épuisé mais contenté. Tu gardas le silence un instant, te contentant simplement de l'observer, comme si tu cherchais à graver son visage dans tes pensées. « Tu vas bien ? », le questionnas-tu doucement. « Tu es revenu depuis longtemps ? », tu marquas une pause, te calant plus confortablement. « Je pensais pas te revoir mais je suis content que ce soit le cas », avouas-tu, l'esquisse attristée, le regard humide. Tu l'auras revu avant de partir, au moins. « Raconte-moi tout »

2020 ⇝ Yeonghun venait souvent dans le quartier où habitait son meilleur ami. Depuis qu’il était revenu en Corée, depuis quelques semaines seulement, il cherchait à le revoir. Il voulait lui expliquer. Renouer les liens, si possible. L’étudiant ne savait pas comment Euijoo prendrait son retour. Bien ? Lui en voudrait-il d’avoir disparu du jour au lendemain ? Des questions qui trouveraient réponses uniquement quand l’étudiant retrouverait son ami. Et c’était le cas, ce soir. Surpris de le croiser mais content, le skateur sourit au jeune homme qui semblait bien fatigué. Il s’en voulait déjà d’avoir mis autant de temps à revenir, il commençait à s’en vouloir aussi de l’empêcher d’aller dormir. Parce que Euijoo accepta de l’écouter. Il lui fit gentiment signe de le suivre et Yeonghun n’attendit pas qu’il le lui dise une seconde fois. Il se pressa pour le rejoindre, rentrant dans cet endroit qu’il connaissait bien. Ça n’avait pas changé. Le jeune homme retira ses quelques affaires en trop, se déchaussant, avant de suivre le garçon à l’intérieur. « Je veux bien un verre d’eau s’il te plaît. » Demanda-t-il avec un petit sourire, venant s’asseoir sur le canapé quand il lui indiqua le salon. Ses yeux parcouraient les lieux avant de se reposer sur Euijoo quand il revint. « Ça va… et toi ? » Demanda-t-il, fronçant légèrement les sourcils. Il sentait, voyait, que quelque chose n’allait pas bien. Du moins, que quelque chose avait changé. Il y avait quelque chose, il en était certain. « Quelques semaines seulement. » Indiqua-t-il. « Et je passais tous les jours par ici dans l'espoir de te croiser... » L’informa-t-il, lèvres pincées. « Je ne pensais pas revenir un jour… » Souffla-t-il, baissant la tête et regardant ses mains qu’il venait de joindre. « Je suis heureux de te revoir. Vraiment. » Dit-il en posant son regard sur lui, lui adressant un sourire tandis que sa main venait affectueusement serrer son genou. A sa demande de tout lui raconter, Yeonghun passa sa main sur sa nuque, nerveux. Il posa ses coudes sur ses cuisses, l’air grave en tenant son visage. « Tu te souviens de mon père ? Et de ce jour où… j’ai appelé la police parce que je pensais qu’il allait tuer ma mère ? » Demanda-t-il, resituant les évènements. Des évènements douloureux, et durs. Ce n’était vraiment pas joyeux. « Il est allé en prison après ça mais tu le sais. » Continua-t-il, se redressant, n’osant pas regarder Euijoo. Parce que ça faisait toujours aussi mal d’en parler. « Il est sorti pour bonne conduite en mai 2014. T’y crois, toi ? Bonne conduite… Alors qu’il tapait ma mère tous les jours… » Souffla-t-il, le regard triste mais rempli de colère aussi. « Il m’a retrouvé. Quelques jours après sa sortie. Et… » Il s’interrompit. Parce que c’était dur. Parce que les mots avaient du mal à sortir. Il inspira profondément, attrapant son verre pour boire une gorgée et trouver du courage. Mais c’était si dur, si douloureux… Il avait dû quitter toute sa vie à Séoul à cause de lui. Il avait dû abandonner tout le monde du jour au lendemain sans pouvoir les prévenir…

2020 ⇝ Tu étais heureux de revoir Yeonghun. Soulagé, même. Tu avais pensé halluciné au début mais voilà qu'il te faisait comprendre que ce n'était pas le cas. Et tu étais juste heureux de pouvoir le revoir. De le croiser avant qu'il ne soit trop tard. Tu aurais été attristé de ne pas pouvoir l'entendre une dernière fois ou de ne pas pouvoir lui dire que tu ne lui en voulais pas le moins du monde – lui dire qu'il était pardonné depuis longtemps. « Je te ramène ça », que tu dis simplement, faisant l'aller-retour entre le salon et la cuisine pour lui ramener ce qu'il voulait. Un petit sourire aux lèvres, tu bougeas simplement le visage, heureux de savoir qu'il allait bien. Tu espérais que ce soit réellement le cas, qu'il ne te dise pas ça pour te faire plaisir. Tu savais que ça se voyait que t'allais pas bien. Tu savais que tu pouvais pas mentir – et tu voulais pas mentir. « J'ai connu mieux. Bien mieux... », une esquisse triste aux lèvres, le regard brillant, tu étais vraiment soulagé de le voir aujourd'hui. « Tous les jours ? Je t'ai jamais vu désolé », tu lui offris une frimousse coupable de ne pas avoir fait assez attention. « J'ai pas toujours les yeux en face des trous en ce moment. C'est compliqué », tentas-tu de plaisanter, un rire à peine audible dans le fond de la gorge avant que tu ne redeviennes sérieux, écoutant attentivement ce qu'il disait. Tu hochas doucement le visage, te souvenant de son père – et le souvenir n'était pas bon. « Je sais », chuchotas-tu, intrigué mais surtout angoissé de savoir ce qu'il allait dire. « Il devait être plus calme en prison », ce n'était pas pareil. Se retrouver en face d'une femme et en face de plusieurs hommes... Les sourcils levés, tu mimas un air surpris avant de poser ta main sur son dos. Dans des gestes aériens, tu lui montrais ton soutien. « Prends ton temps », susurras-tu doucement. « C'est pour ça que tu es parti ? A cause de lui ? », que tu l'interrogeas avec douceur, effrayé à l'idée de le brusquer. « Tu es parti pour le fuir ou... il t'a forcé ? », tu mimas un air inquiet mais aussi coupable. « Je suis désolé. J'aurais pu t'aider à l'époque. J'aurais dû t'aider », tu te pinças les lèvres, la culpabilité dans les pupilles.