Trop courtes semaines passées loin de l'université, il lui avait semblé qu'une poignée de secondes s'étaient écoulées avant que ne commence la nouvelle année. Et dès les premiers jours de cours, fidèle à sa réputation, à défaut d'être fidèle dans bien d'autres aspects de sa vie sentimentale, elle répondait présente à ses responsabilités.

Aller en cours. S'accorder une pause de moins de vingt minutes. Etudier. Assister aux nombreuses réunions qui jalonnaient son statut de vice-présidente. Ouvrir ses gros bouquins de médecine et quitter les bancs de la bibliothèque à la nuit tombée.

Il y avait un temps, une époque qui lui semblait aujourd'hui lointaine, où toute cette pression lourdement posée sur ses épaules trouvait un terrain exquis pour se faire oublier ; le temps de quelques heures, d'une nuit tout au plus et si ce n'était pas le toucher fantôme de ce garçon qui se remémorait à elle sous la forme de frissons, peut-être était-ce le froid mordant des derniers soirs d'hiver qui se rappelait à elle une fois la porte du grand bâtiment franchie.

La veste resserrée autour de sa silhouette, elle dévalait les marches de l'escalier. Un soupçon de liberté pourrait-on penser, mais dans ces rares instants où elle ne pensait à rien, c'était une porte ouverte à son esprit pour penser à tout le reste. Ces choses enfouies, volontairement, mises de côtés, délibérément pour ne plus avoir à se torturer l'esprit avec ses échecs, ses déconvenues et son lot de déceptions.

Heejun avait quitté l'université. Peut-être qu'enfin une page allait se tourner ? Elle ne pouvait simplement pas s'y résoudre. Et voilà que depuis quelques semaines, le nom de Hyo se murmurait à nouveau dans les couloirs de la faculté. Il emportait dans son sillage une traînée de poudre et des souvenirs en pagaille que Juee s'était pourtant jurée de ne plus ressasser. Fierté malmenée mais qui, une fois mise en balance avec son cœur, jouait finalement à jeu égal sur le terrain de ses désillusions.

Pourtant, ce n'est pas une illusion que le son de la moto qui gronde au bord de la chaussée. Le cuir sur les épaules larges et les cheveux d'ébène sous le casque reconnaissable. Et elle se revoit, sourire mutin au coin des lèvres, approcher le garçon, l'attirer par le col de son tee-shirt et glisser ses lèvres contre les siennes en priant ardemment ne pas être prise sur le fait.

Aujourd'hui, c'est un silence assourdissant qui bourdonne à ses oreilles lorsqu'elle l'aperçoit. Difficile d'y croire. Il se tient sans formalité, dans sa nonchalance et cette étrange familiarité. Trop naturel, trop casuel, trop lui pour ne pas se trouver charmée à l'idée d'effacer ce sourire suffisant qui trône à ses lèvres.

Juee passe à côté de lui. Ne veut plus entendre parler de lui. Mais la provocation effleure sa peau comme une subtile caresse et la Goguryeo n'avait jamais été de celles qui se refusaient à livrer bataille lorsqu'on l'interpelait. D'un rire sans humour, un simple souffle sarcastique glisse entre ses lèvres. « Je dois en déduire que c'est moi que tu cherchais ? » Elle a de l'attitude lorsqu'elle s'exprime et une amertume qui ne passe pas inaperçue. Il y a du sarcasme dans son voix, un peu de mépris dans son phrasé. Mais est-ce qu'elle aurait envie d'y croire, espérer ne serait-ce qu'une seule seconde que la provocation reflète le fond de sa pensée ? Idiote. Si c'est le cas, tu n'as manifestement pas appris ta leçon. « Pour ta gouverne, j'étudiais. » Elle était brillante et se devait de le rester. « Et toi, tu…? » Sa phrase reste en suspend, volontairement, cherchant sans honte à mettre en évidence le fossé qui les séparait. Elle, du haut de sa tour d'ivoire et lui, à qui l'ambition manquait cruellement. Haussant un sourcil, elle ne manqua pas de remuer le couteau dans la plaie. « …éclaire-moi, qu'est-ce que tu fais là au juste ? » Peut-être était-ce vrai qu'il était là pour elle. Idiote. Mais il fallait être fou pour oser se présenter à elle avec un tel sourire que Juee ne pouvait résolument l'interpréter autrement qu'en signe de pure provocation. Idiot.

Sa première erreur avait été de ne pas l'ignorer. Toutes celles qu'elle commettrait ensuite seraient pour la postérité. Elle n'était pas dupe. Il avait toujours été très compétent à la tirer de ses sentiers battus. Raison pour laquelle sa rédemption laissait un goût amer. Ce n'était pas suffisant de lui tourner le dos, de s'enfuir comme un voleur et de ne plus donner aucune nouvelle. Il fallait en plus qu'il s'en serve comme d'une arme contre elle. Semblant de provocation minable que Juee avait beaucoup de mal à ne pas associer à de l'humiliation.

Tout ça l'amusait. L'attraction qu'il avait pu exercer sur elle et cette satisfaction d'être celui qui avait ruiné son conte de fée. Il avait retourné son monde en un rien de temps et fait miroiter dans chacun de ses baisers des rêves jusque alors inaccessibles. Good Girl. Bad Boy. Elle n'avait rien fait pour l'arrêter non plus ni même cherché à dissuader cet intérêt grandissant qu'il avait pour elle et dans lequel elle s'était révélée bien plus femme que nulle part ailleurs.

Si Princesse elle était, son Royaume à n'en pas douter serait celui des Idiots. Un jour alors, il serait bien contraint de l'appeler Ma Reine.

« Je vois que deux ans de réflexion ne t'ont pas mené bien loin. Ai-je l'air étonnée ? » Le désir de se placer au-dessus de lui est bien trop fort. Complètement déraisonné, il lui apparaît comme viscéral pour ne pas perdre pied. Dans son regard, elle veut être celle qui ne l'a pas attendu pour aller de l'avant. Brillante, elle l'était. A n'en pas douter. Combien de fois on avait pu lui dire comme c'était plaisant à voir, lorsque le Corps et l'Esprit s'alignaient sur un même niveau d'exigence ? Juee le savait déjà. C'était tout ce qu'elle avait toujours voulu et ce pourquoi elle existait jour après jour après jour. Formée à l'Excellence, il était évident que seule une Autre Excellence était en mesure de mériter son attention.

« Quand je pense que tu me fais perdre mon temps pour me dire des choses aussi triviales. Depuis quand es tu devenu un homme subtile, à tout suggérer plutôt que de dire clairement le fond de ta pensée ? » Enfin, le reproche ose s'inviter à sa table. Les hanches dansent sous la fabrique étroite de sa jupe, juste assez pour s'aventurer jusqu'à lui— sa deuxième erreur.

« Je ne suis pas plaisante à regarder, Hyo. » Le mépris se mêle à l'arrogance. Sa voix est aussi froide qu'elle n'est douce, penchant pour la provoc tandis que son regard soutient infailliblement le sien. « Je suis brillante et sexy. Je me donne du mal pour en arriver là alors soit au moins à la hauteur quand tu t'essaies à des compliments dont la sincérité te dépasse complètement. »

Les derniers mots sont étouffés par les sirènes de police. Les gyrophares éblouissent et dans un enchaînement qui ne fait aucun sens, les mains contre ses hanches électrisent les sens. Surprise, l'une de ses mains glisse à son avant-bras et l'autre trouve un appui mal-assuré contre le cuir de la moto qui caresse l'arrière de ses cuisses. Il s'écoule de longues secondes sans qu'elle ne sache à quoi il pense.

« Hyo. » Ses lèvres sont si proches qu'une seule fausse note et tout pourrait déraper. « Bats les pattes ou je hurle. » Tissu de mensonges et pourtant, elle serait prête à tout pour lui prouver ses torts. Peu importe combien elle voudrait les oublier, les souvenirs sont intacts dans sa mémoire, ravivés par cette proximité dangereuse qu'il n'a pas hésité à provoquer entre leurs deux corps. « Tu te souviens que de ce qui t'arrange. » Chaque mot qu'il prononce est un prétexte de plus au reproche. C'est elle qui le lui a ordonné et pourtant lorsqu'il se retire et que la chaleur de sa peau ne la protège plus du froid, elle a le regret amer qu'il ne choisisse de l'écouter que quand ça lui chante.

« C'est pour ça que t'es là ? Une poignée de souvenirs et je t'évoque encore le teenage dream de la princesse inaccessible ? Mais moi j'ai pas oublié comme tu t'es conduit en grand lâche. T'as pas le quart de ce qu'il faut pour faire rêver une princesse. » Vipère. Tu craches ton venin pour panser des blessures que t'as jamais voulu voir en face.

Insolence, attitude, Juee lui sert le tout sur un plateau d'argent. La silhouette élégante et voluptueuse se redresse, à quelques centimètres seulement du voyou sauf que cette fois, c'est elle qui force la proximité.

« T'as deux ans de retard Hyo. » Murmure rude soufflé contre ses lèvres. Ce sourire confiant – jusqu'où devra-t-elle aller pour le lui arracher ?

Il faut tout prendre avec lui, constamment suggérer avec lui. Il ne fait rien pour que les choses soient simples, une seconde elle songe l'avoir dans le creux de sa main et la suivante il s'est volatilisé en un instant. C'est épuisant. Afficher une confiance en soi à toute épreuve est épuisant et se rendre compte que personne n'a conscience des sacrifices que cela implique est décevant. « Jamais mieux servi que par soi-même. » Rétorque-t-elle dans un demi-sourire qui n'en est pas un. S'il se penchait rien qu'un peu, il goûterait l'amertume au bord de ses lèvres, tant meurtrie qu'à son tour elle souhaiterait le blesser tout comme lui était indirectement entrain de le faire. « Je n'ai pas pour habitude de m'encombrer de choses insignifiantes. » Et c'est décevant comme le dire n'approche en rien la satisfaction qu'elle espérait ressentir à ce moment précis ; lorsque la vipère crache son venin et qu'elle ne saurait dire avec conviction à qui d'elle ou de lui ce mensonge fera le plus de mal.

Dans sa bouche, elle en vient à exécrer ce terme. Princesse. Elle l'adorait fut un temps. Comme elle le déteste maintenant. La gorge nouée, les poings serrés, Juee a oublié comment respirer. « Tais-toi. » Mais il continue, ignorant la voix qui tremble, à peine plus haute qu'un soupir. A déblatérer ses contes de fée, la prendre comme une petite chose fragile pour la poser en idole en centre d'un autel qu'il a érigé de lui-même pour mieux la shooter en plein cœur.

Putain de psychanalyse ! lui qui dit tout connaître d'elle et s'arroge le droit de prendre une place si importante dans sa vie sans même lui demander son avis.

De rage, elle tremble lorsqu'il retire sa veste. Un simple geste qu'elle ne remarque même pas tant le poids des mots qu'il vient d'employer à son égard lui soulève le cœur. De dégoût. D'humiliation. D'une justesse dégradante et qu'elle n'est pas prête à lui concéder.

A quel moment avait-il pris autant d'importance à ses yeux ? Pire encore, depuis quand était-il au courant de cette influence qu'il avait sur elle et dans quelles limites avait-il pu la tester ?

Un coup de froid lui semblait si dérisoire en comparaison de tout le reste. Elle se surprenait encore et toujours à trouver du réconfort dans la chaleur de ses étreintes, incapable de repousser la veste qu'il venait de déposer sur ses épaules, son odeur, sa proximité et tout ce qui faisait qu'elle était tombée sous son charme la première fois.

« Mais toi »

Incrédule, à bout de souffle, il vient d'achever une tirade mais à elle, deux mots sont déjà bien assez pour ressentir le besoin de marquer une pause.

« Tu fous quoi dans mon conte de fées ? Dans mes histoires de fucked up princess, mes désillusions de gamine et mes rêves d'ils vécurent heureux et eurent beaucoup d'enfants ? »

La Princesse, c'est elle.
Le Prince, c'est pas lui.

Qu'est-ce qu'elle pouvait bien en avoir à foutre de ses imaginons qu'un jour, de ses admettons que et ses je pourrais bien dire n'importe quoi ? Il avait pour lui l'atout d'être un beau parleur, les sourires aguicheurs de son côté et cet éclat dans le regard qui ne demandait qu'à le croire.

Il venait de lui offrir sur un plateau d'argent toute l'étendue de son jeu d'acteur dans son plus simple apparat mais ça ne lui suffisait pas, il fallait en plus qu'elle s'abaisse à lui dire ce qu'elle attendait vraiment de lui ?

« J'ai encore une question pour toi, Hyo. »

Alarmant contraste entre ce qu'elle s'apprêtait à dire et cette main presque trop tendre, trop intimiste qu'il effleurait délicatement contre sa joue et qu'à aucun moment, elle n'avait l'intention de repousser.

« Tu t'es bien amusé à te payer ma tête tout ce temps ? »

Elle y voyait plus clair à présent. Calme mais pas moins menaçante, et l'esquisse d'un sourire faussement indulgent comme dernier rempart pour se préserver de tout ce qu'elle avait toujours craint sans jamais vouloir le voir en face.

Tu reste là, étonné, à ne pas trop savoir quoi faire. Tu t’attendais à un retour magistral de la part de Juee, une de ces répartie tout en arrogance dans elle à le secret. C’est pourtant le  contraire qui se passe. Elle est là mais tu as l’air d’avoir taper un peu trop où ça fait mal, comme si tu avais éteint la princesse. C’est… perturbant. Tu en as peut-être trop fait, trop dit, trop relâché ce que tu pensais. On peut dire que pour des retrouvailles, tout se passe bien, c’est déjà la guerre ouverte. God ça promet encore d’être une aventure. Tu devrais pourtant savourer ce moment: tu as réussi à clouer le bec a Mademoiselle Moon Juee, charismatique princesse de l’université. C’est un pourtant un goût amer qui commence à parcourir ta bouche.  On peut dire qu’on est loin du scénario de retrouvaille du compte de fée. Et pourtant la simple idée de lui faire du mal te rend aussi hésitant? Elle ne se gêne pas pourtant elle.

Ca t’énerve, cette pseudo emprise qu’elle a encore sur toi, cet effort que tu dois fournir pour te détacher d’elle. Pourtant sans parler d’agir pour son bien, tu ne vas pas te laisser marcher dessus, et quelqu’un doit bien lui dire les choses à un moment donné. Ce n’est pas le monde des bisounours et tout le monde n’est pas tout beau et tout gentil. Pourtant tu la vois au bord de la crise de colère et elle commence à vider son sac. La vision qu’elle se faisait de toi semble se briser sur sa tête. Le froid commence à t’agresser, mais ce n’est pas vraiment important, ce n’est pas ça qui t’obsède en ce moment. Elle s’obstine pourtant. Tu ne parviens pas à retenir un claquement de langue agacé à sa première phrase. C’est plus fort que toi, tu ne peux pas retenir ce qui sort de ta bouche?

“Ce que je fais dans cette histoire. Je suis l’abruti qui a essayer de faire comprendre qu’il faut arrêter de vivre pour les rêves que les autres font pour toi. Je suis celui qui a compris que tu pouvais être une reine alors tu ne rêve que de rester une princesse. Je suis l’idiot qui a compris qu’il ne serait toujours que le mauvais garçon qui a fait céder la princess des Goguryeo. Est-ce que tu savais que des gens font des paris pour savoir qui t'a fait craquer pour briser ton couple si parfait?”

Et merde, tu en as trop dit, tu t’en rend compte trop tard. Voilà à quoi ça mène de s’emporter Hyo, tu finis toujours par le regretter, surtout quand ça la concerne elle. Ce n’est pourtant que le début, parce qu’elle te lance une nouvelle bombe au visage avant même que tu n'aies le temps de comprendre ce qui se passe.  Ta main sur sa joue s’immobilise brusquement sous le poids des mots qu’elle emploie. Elle se cache de nouveau derrière un faux sourire et ton sang ne fait qu’un tour. Ta colère doit se lire sur ton visage, tu peine à rester calme. Une envie soudaine de lui renvoyer son attitude à la figure émerge mais tu sais que c’est une très mauvaise idée. Tu te mords les lèvres de colère, pour ne pas envenimer encore plus la situation en disant des choses que tu ne penses pas.

“Tu n’as toujours rien compris après tout ce temps.”

Tu attrapes Juee par les hanches avant de la tourner pour la plaquer contre l’arbre qui était derrière toi. Ce qui en soit est complétement stupide, parce que ça risque de mal finir mais honnêtement c’est la dernière choser a laquelle tu pense.

“Tu m’énerves, à toujours me pousser à bout, même après tout ce temps.”

Tu pousses la proximité un peu plus loin, alors que tu te  colles un peu plus à elle, tu arrives à sentir sa respiration contre son visage. Une de tes mains reste sur sa hanche alors que l’autre revient délicatement contre son visage.

“Tu me prends vraiment pour le dernier des salauds. Au début c’était juste un jeu, un genre de défie, de voir jusqu’où je pouvais t'emmener avec moi…”

Tes yeux parcourent son visage au fil des mots, apportant son lot de souvenirs a chaque fois, comme si c’était la première fois que tu découvrais ses traits. La mélancolie se mélange à l’envie dans ton regard, tu ne peux pas nier ton attirance pour elle, même après deux ans.

“Pourtant tu crois que j’aurais fait autant de sacrifices, autant d'efforts juste pour me foutre de toi? Soit tu me donnes bien trop de crédit, soit pas assez. Et merde tiens…”

La pire idée de monde te fait agir, alors que tu t'empares des lèvres de Juee avec avidité. C’est stupide, irréfléchie, mais tu n’es pas non plus le gars le plus rationnel de la terre. Au pire elle t’en colle une, ce qui ne serait pas la première fois. Ta main glisse de sa hanche vers ses fesses pour l’attirer un peu plus vers toi alors que tu te laisses beaucoup trop porter par ce baiser. Impulsion bestiale après deux ans, alors que ta tête te hurle de la lâcher. Soudain ton cerveau reprend le dessus et tu délaisse ses lèvres pour t’écarter d’elle.  Pourquoi est-ce tu as fait ça? Hyo tu es vraiment un idiot irrépupérable.

Il y a une part de lâcheté. Elle ne l'avoue qu'à demi-mot. Il ne l'entendra cependant jamais le lui dire. Mais c'est plus facile de rejeter la faute sur lui. Car Juee est parfaite. Irréprochable. Elle l'avait toujours été et elle n'était pas prête à accepter que les choses puissent un jour changer. Qu'elle puisse dévier du chemin tracé. Et s'il fallait trouver un coupable à ces agissements les plus déplacés, ses comportements indécents et sa conduite inconvenante, alors elle avait choisi de le blâmer lui, plutôt que de chercher au fond de son cœur les raisons qui l'avaient poussée à tout foutre en l'air.

Une fois de plus elle reste muette.

Malgré le chaud qu'il souffle, et puis le froid. Malgré ses états d'âme qu'il hurle au creux de la nuit. Malgré ses mensonges. Parce que Juee ne saurait dire avec précision quelles sont les vérités dans ce qu'il dit et s'il y en a seulement. Elle voudrait y croire. Elle se l'interdit, pourtant.

Est-ce que tu savais que des gens font des paris pour savoir qui t'as fait craquer pour briser ton couple si parfait ?

Oh putain. Juee en a le tournis. De rage, d'amertume et de dégoût. Sa silhouette toute entière se raidit et s'il n'y avait pas derrière elle la moto du garçon qui se tient face à elle, alors peut-être se serait-elle effondrée sous le poids du tsunami qu'il provoque malgré lui en achevant sa tirade.

A quoi bon lui demander de se taire. Il ne le fera pas et peut-être que dans le fond, Juee sait que ces mots, aussi durs qu'ils soient, elle les mérite. Car ce n'est pas Heejun qui avait eu l'audace de les lui dire à l'époque. Il avait été bien trop clément avec elle, bien trop brisé pour oser lui dire quoi que ce soit.

Qui des deux avait le plus de désillusions au fond ? Juee n'était faite que pour nourrir les rêves des autres. Depuis que ses parents avaient appris qu'elle avait elle-même saboté son propre couple, les relations s'étaient tendues. Entre elle et eux. Entre eux également. Elle en venait à douter avoir fait le bon choix en décidant de suivre son cœur pour une fois et qui aurait pu lui donner tort ? Hyo s'était barré à la première occasion.

Alors son discours. Son petit discours rempli de mots vides de sens ! il pouvait bien se le mettre où elle pense.

Ses doigts effleurent d'abord l'écorce de l'arbre sur lequel il presse son corps contre le sien. Et puis, ses yeux cherchent les siens qui parcourent rapidement son visage, sans savoir ce qu'il a derrière la tête. Juee voudrait pouvoir profiter de cet instant et se perdre dans les sensations rassurantes que lui procure sa voix éraillée juste au creux de son oreille. Parce que c'est elle qui fait ça ; s'il perd sa patience et ses moyens ; qu'il cherche autant ses mots que le contact de sa peau - c'est parce que c'est elle qui le pousse à bout. Encore et encore.

Et quand ses lèvres s'écrasent enfin sur les siennes, c'est un soupir de soulagement qu'elle relâche et son corps tout entier qui se cambre à sa merci. C'est bien la chose la plus stupide qu'ils pouvaient faire. Sa main attrape la fabrique de son tee-shirt et son poing se serre. Elle devrait le faire de tout son être mais elle n'a pas le cœur à le repousser. Pas quand il l'embrasse comme ça. Comme s'il n'y avait qu'elle et qu'aucune autre n'aurait pu raisonnablement prendre sa place. Jamais.

Et elle se détestait après tout ce temps de n'avoir pas appris sa leçon.

Hyo.
Hyo est un joueur.
Il aime sa liberté. Le jeu. Le challenge.

S'il était revenu, s'il était là, face à elle, à clamer de tout son être vouloir la reconquérir ? c'est parce que Juee aujourd'hui, en se refusant à lui, représentait à nouveau le challenge d'autrefois.

C'est cette déchirante réalisation qui teinte d'amertume la fin de ce baiser.

Il se retire le premier mais c'est pourtant Juee qui achève de le repousser en faisant pression de cette main gardée au niveau de son bas ventre pour le maintenir à distance.

Ses lèvres ont encore ce léger goût des siennes qu'elle fait disparaître en glissant sa langue dessus. Progressivement, elle retrouve ses esprits. En même temps qu'elle regagne son souffle.

Et elle ne contrôle pas la façon dont la paume de sa main heurte sèchement la joue du garçon.

A présent, c'est à son tour de parler.

« Et maintenant ? Au début, c'était un jeu. Et maintenant ?! Parle-moi de tes sacrifices. Et de tous tes efforts pour me garder ! Lesquels ? Eclaire-moi, je suis très sérieuse ! Parce que moi je n'en vois aucun. Tu veux que je me sente comme une Reine ? Avec toi ?! Tu penses que t'en tirerais combien si tu révélais à tout le monde qu'on s'envoyait en l'air pendant des mois alors que j'étais en couple ? J'avais tout, Hyo ! J'avais tout et c'est toi qui est venu me chercher. Et puis dès que c'est devenu sérieux tu t'es juste barré. Mais pour qui tu te prends exactement ? Tu crois que tu peux aller et venir à ta guise ? Me dire que tu veux faire de moi une putain de Reine et disparaître en me laissant gérer seule les conséquences de ce qu'on a été deux à provoquer ? »

Sa voix n'est qu'un murmure véhément dans la nuit mais elle porte le poids de tout ses ressentiments.

« Alors non. A l'évidence, même après tout ce temps, il faut croire que je n'ai toujours rien compris. »

Elle regrette déjà son geste mais c'est trop tard. Une gifle ce n'est rien en comparaison d'un cœur qui se brise. Et même avec deux ans de retard, la douleur n'en est pas plus supportable.

« Si ce n'est une chose. » Elle cherche son regard, le cœur au bord des lèvres et l'audace de ruiner quelconques sentiments qu'il s'apprêtait à réaliser pour elle, trop tard.

« Je mérite tellement mieux que ça. »

Tellement mieux que toi.

Et à n'en pas douter, elle était maintenant prête à le lui prouver.

« Ceci étant dit. Si tu n'y vois pas d'inconvénients, la princesse aimerait maintenant pouvoir accrocher l'un des derniers bus en service pour retourner dans ses quartiers. » Dit-elle en se détachant un peu plus de lui, le cœur en miette derrière son sourire de façade, mais la tête haute.

Au diable les sentiments.

Tu te noies littéralement contre les lèvres de Juee, comme si c’était la première fois que tu t’en emparais. Tu avais presque oublié cette sensation, presque oublié la douceur de ces lèvres, son souffle contre visage. Tu sens cette main contre ton T-shirt, tu était sûr qu’elle allait te repousser mais pourtant non. Elle reste là, dans le moment, un temps de suspension de cette bourrasque qu’est votre relation depuis le départ. Nostalgie d’un temps perdue, mais surtout tu le sais: ce baiser est une idée complétement stupide, parce que ça va mal finir et tu le sais. Le souffle commence à te manquer, tu ne veux pas laisser filer ce moment mais tu dois te résigner à lâcher ses lèvres.  

Est-ce que tu assumes ce que tu viens de faire? Pas vraiment, c’était… instinctif, et pas vraiment calculé. Tu la sens te repousser, ton esprit encore un peu perdu par l'enchaînement des événements, tu peine à retrouver son souffle, surtout quand Juee s‘amuse à lecher les lèvres. Sans rire, ça te donnerait presque l’idée de retourner y goûter. Sauf que le rappelle au règlement que tu attendais plutôt s’abat sur ta joue dans un claquement sec et brutal. Bon pour le coup on peu dire que tu l’as sentie arriver celle-ci, mais ce n’est pourtant pas beaucoup plus agréable. Pourtant tu ne bronches pas, tu reste quelques secondes dans le vide, comme sonner pour l’impact tant attendu.

Tu ne dis rien, tu reste là alors qu’elle vide son sac. Tu ne peux pas vraiment lui en vouloir, tu n’en as de toute façon pas le droit. C’est un retour des choses mérité, comme d’habitude, comme à ta salle habitude tu es le grain de sable de l’histoire, le caillou qui a tout fait déraper. Sauf que pour une des rares fois dans toute ton existence, tu t’en veux d’être la cause de tout ça. Mais tu ne lui diras pas, non, parce que tu as trop d'orgueil pour ça. Non parce que pour toi ce serait comme dire avouer qu’elle était capable de t'enchainer à son bon vouloir. Or de question, ça ne t’effleure même pas l’esprit, tu ne lui dira pas le déchirement que tout cela provoque chez toi. Tu ne lui diras pas que tu ne t’es jamais senti aussi bien qu’avec elle, tu ne lui diras rien.

Tu restes tel qu’on t’as appris à le faire dans la rue, tu dois rester droit, fort, et surtout ne jamais donner de signe de faiblesse. Pourtant tu peine à te contenir, tant de chose cherche a sortir que ton calme d’apparence semble craquer ton armure. Tu te mord la lèvres pour t’empêcher de dire des choses que tu risques de regretter. Le simple fait de soutenir son regard te semble trop compliqué. Un claquement de langue agacé plus tard et tu finis de subir son déballage.

“C’est bon tu as finis? Parce que jusqu’à preuve du contraire je n’ai pas beaucoup peiné à te convaincre de céder Juee. Je ne t’avais jamais demandé de littéralement faire exploser ta vie.”

Le ton est plus agressif que tu voudrais, mais elle ne t’épargne pas non plus. C’est un jeu auquel vous allez perdre tous les deux. Elle le sait, tu le sais, mais qu’importe. De colère tu rapproche d’elle collant quasiment ton front contre le sien.

“Qu’est-ce qu’en ai a foutre de ce que je pourrais gagner. Tu me prend vraiment pour une merde sans non. Finalement c’est peut être pas plus mal, ça m’éviter d’avoir à me justifier de ne pas avoir voulu être le petit joujou de la vice présidente au yeux de tout le monde. Mais tu as raison, tu mérites surement beaucoup mieux, du genre quelqu’un qui n’a pas peur d’être mis en pâture au yeux de tous le monde sans avoir rien demandé.”

Clairement tu perds tes moyens, ce n’est pas bon, il est temps de mettre fin à tout ça. Honnêtement tu ne peux plus réfléchir correctement, ton cerveau te crie de partir d’ici avant que ça ne dégénère encore plus. Tu continues ton avancer, la repoussant contre l’arbre. Tu tends la main vers l’intérieur de ton boulon qu’elle porte, pour récupérer tes papiers dans la poche intérieure. Si vous aviez des révolver à la place des yeux vous seriez déjà mort tous les deux.

“En quoi ça me concerne maintenant comment tu rentres? Tu as été clair assez clair non? garde, le boulon, jette le, brûle le, je m’en moque”

Tu brise le face à face, ta patience a atteint ses limites.

Tu mens, tu n’as juste pas la force de continuer, elle a le don pour te prouver dans tes retranchements, pour toujours pousser encore et encore jusqu'au moment où tu craque. Elle sait en jouer, elle sait quand appuyer sur la détente.

Tu finis par reculer et retourner vers ton cheval mécanique que tu démarres alors que tu attrapes ton casque pour l’enfiler. Le bruit du moteur est assourdissant, mais au moins ça t’évite d'écouter Juee continuer de t’en mettre une pleine tête. Tu enfourches la moto avant de tourner une dernière fois vers la belle.

“Au faite, félicitation pour la vice présidence de fraternité, enfin, je ne sais si je dois  te féliciter ou prier pour les âmes de ses pauvres Goguryeo.”

Tu ne lui laisses pas le temps de t’incendier, tu fermes la visière de ton casque et tu quittes ce moment. Les pneus crissent sur le trottoir dans un coup de gaz bien trop fort pour quitter paisiblement la bibliothèque. Tu regrettes presque de ne pas t’être fait embarquer, au moins tu aurais eu la paix.

On peut dire que ça c’est passez au mal que ça aurait dû, en même temps difficile de s’attendre à autre chose.