« Merde, merde, MERDE ! » Regardant le gros trou qui vient de se former dans l'un de tes tee-shirts préférés, ton visage se charge d'une expression rempli de panique alors que tu prends conscience de ce qu'il vient de se passer. « C'est une catastrophe ! » Une véritable catastrophe, Da Young. Et encore, tu pèses tes mots... « Pourquoi fallait-il que ça m'arrive à moi, putain ?! » C'est une excellente question, ça ! Et d'aucun dirait certainement que c'est le karma. Un simple retour de flamme pour te punir de tes mauvaises actions de ces derniers temps. Mais toi, t'es pas vraiment du genre à croire à toutes ces idioties que sont le karma et autres joyeusetés du genre, et tu en veux à ce putain de clou qui a accroché ton vêtement alors que tu passais tout près d'un mur. D'ailleurs, qu'est-ce qu'il faisait là, ce putain de clou ? Qui est l'idiot qui l'y a laissé ?

Reniflant légèrement, tu te mets à ruminer. Maintenant, ce n'est plus le clou que tu insultes mentalement mais bien cette personne, cet inconnu qui a eu l'imprudence, que dis-je l'impertinence, de laisser ce clou dépasser. Si tu l'avais en face de toi, pour sûre, tu le lui aurais planté là où je pense. Heureusement pour lui - ou pour elle - ce n'est pas le cas et tu n'as alors d'autres choix que de passer tes nerfs sur ces nanas qui viennent de rentrer dans les toilettes des femmes, rigolant joyeusement, et à qui tu lances ton regard le plus glacial, contrariée, avant de reporter ton attention sur le miroir en face de toi. Oui, tu es de mauvaise humeur, à présent. Et en plus, les cours reprennent dans une demi-heure...

A cette pensée, ton visage se crispe. Tu ne peux quand même pas te pointer en amphi avec un énorme trou dans le tee-shirt ?! Surtout que tu n'as rien pour le cacher. Pas même une veste à revêtir par dessus. Et tu n'as clairement pas le temps de retourner au dortoir pour aller te changer. Il ne te reste donc qu'une seule solution, et à peine celle-ci a-t-elle effleuré ton esprit, que tu quittes les toilettes des dames en trombe, direction le bâtiment des arts. Là-bas, tu espères pouvoir trouver quelqu'un qui saurait t'aider. Quelqu'un qui serait doté de doigts de fée et qui pourrait recoudre ton tee-shirt préféré...

Et c'est là que tu la vois ! Cette fille, tout près de sa machine à coudre... Et tes yeux se mettent à briller d'espoir. Tu as peut-être trouvé ta sauveuse, ta marraine la bonne fée, et tandis que tu t'avances vers elle, tu finis par demander : « Dis, tu es étudiante en stylisme ? » Quel sens de l'observation, Sherlock ! Tu mériterais presque un bon point... « Est-ce que tu peux m'aider ? Je viens de trouer mon tee-shirt et j'ai vraiment besoin qu'on me le recouse avant que je retourne en cours ! » A t'entendre, on pourrait presque croire que c'est une question de vie ou de mort. Et, honnêtement... C'est pas si éloigné de la vérité. « Je suis prête à te payer, s'il le faut ! »

Chaque fois que tu rentres dans ce que tu appelles avec affection "la salle des machines", tu ne peux t'empêcher d'être émerveillée. Un Paradis sur Terre, assurément. Machines à coudre, surjeteuses, brodeuses, il y en a pour tous les goûts, tous les usages. Tu y passerais des heures, vraiment... oh, wait. C'est déjà le cas, en fait. Mais qu'y peux-tu ? Ta brave machine à coudre ne fait pas le poids face à l'équipement dont tu disposes ici.

Avec un petit soupir de contentement, tu déposes ton lourd sac de matériel à côté d'une table de travail libre. Il n'y a presque personne dans la salle, tu as donc l'embarras du choix. Tu as tes petites machines préférées, bien évidemment, donc tu profites. À toi la superbe Bernina dernier cri ! Tu en pousserais presque une exclamation de joie, mais on te trouve déjà assez bizarre comme ça, avec ton amour immodéré pour les tissus brillants et le point de couture en forme de petite vigne. Tu en abuses peut-être sur tes ourlets mais c'est juste trop mignon, c'est un détail d'importance !

Bref, tu es heureuse. Heureuse comme jamais tu ne l'aurais été si tu étais sagement restée dans ton cursus de lettres.  Fredonnant un air joyeux, tu commences à étaler tes affaires tandis que la porte s'ouvre. Tu ne relèves pas la tête de ton sac, trop occupée à fouiller dans ton bazar pour remettre la main sur ton mètre ruban, lançant tout de même un petit « Bonjour ! » par politesse, même si tu ignores complètement qui vient d'entrer. Relevant la tête après avoir récupéré ton outil, tu vois une jeune femme se diriger droit sur toi. Tu clignes des yeux, confuse, quand elle s'adresse à toi. Tu as du mal à reconnaître les gens en général, du moins ceux que tu ne fréquentes pas sur une base régulière, mais tu es quasi sûre qu'elle, tu ne la connais pas. « Heu... en technique de l'habillage, oui... » Ce qui, pour quelqu'un qui n'est pas de ce domaine, ne veut strictement rien dire. Stylisme, technique de l'habillage, du pareil au même, non ? Non. Même si en réalité, toi, tu nages dans les deux eaux.

Besoin d'aide ? Qu'est-ce que... oh. Ton regard passe directement sur sa tenue (déformation pré-professionnelle), repérant sans mal le trou qu'elle mentionne. Malgré toi, tu laisses échapper une petite moue horrifiée devant les dégâts. Tu es déjà à moitié descendue de ta chaise pour venir inspecter le tissu de plus près quand tu manques bien de trébucher sur tes propres pieds, prise de cours par sa proposition. Te payer ? Pour une simple réparation ? Tu ne peux pas accepter. C'est sûr que tu n'as jamais trop d'argent mais ce... ce ne serait pas correct. « Ce n'est qu'une réparation, tu murmures, gênée. Ça ne vaut pas d'argent. »

Tu sais que tu devrais demander la permission avant de toucher, tout ça, mais au ton de sa voix et sa panique évidente, tu penses que tu peux zapper ces formalité et directement passer au vif du sujet. « Comment est-ce arrivé ? » Ce n'est pas une déchirure nette, c'est même assez moche la manière dont le tissu est sectionné. « Mmh, il va falloir que tu le retires, pour que je puisse mieux voir ce que je peux faire. Oh... heu... tu veux quelque chose pour te couvrir, je suppose ? Attends, je dois avoir ça quelque part... » Et tu retournes à ton énorme sac, sortant pièce par pièce tes montagnes de projets en cours, jusqu'à tomber sur un t-shirt quasiment fini. « Je suis désolée, je n'ai pas fini les ourlets encore, mais ça sera mieux que rester en soutif au milieu de l'atelier... il y a un rideau là-bas, si tu veux. » Tu devrais peut-être songer à avoir des vêtements de rechange (finis, tout bien comme il faut), au cas où ce genre de cas reviendrait, tiens...

C'est vrai que ta réaction face à ce trou peut paraître excessive. C'est d'ailleurs certainement ce que la plupart des gens penseraient en te voyant aussi affolée et en sachant pourquoi tu l'es. Mais ce tee-shirt, tu y tiens ! Déjà parce qu'il s'agit là d'une pièce vintage dégotée dans une friperie et difficilement trouvable – pour ne pas dire introuvable - à l'heure actuelle. Ce qui réduit considérablement tes chances de pouvoir le remplacer. Qui plus est, l'amoureuse des vêtements que tu es ne saurait rester insensible face à un tel carnage.

Alors oui ! Peut-être qu'actuellement t'as l'air d'une folle, à sprinter ainsi jusqu'au bâtiment des arts. Mais, toi, tu t'en fiches de passer pour une demeurée aux yeux des autres. De toute façon, ils ne pourraient pas comprendre. Et t'avoues appréhender un peu le fait que cela puisse également être le cas de cette jeune femme que tu viens d'interpeller, en plein milieu de la salle de couture. Cette dernière semble d'ailleurs plutôt troublée par cette intervention. Et à raison ! Après tout, tu débarques comme ça, dans son antre, sans même la saluer – mal polie que tu es – et la première chose que tu lui demandes, c'est de te recoudre ton tee shirt. Il y a franchement de quoi l'être...

Heureusement, ton appréhension s'envole complètement lorsque tu vois cette expression horrifiée prendre possession de son visage, à la vue de ton vêtement troué. Elle te comprend. Et d'abord un peu surprise lorsqu'elle s'approche de toi pour regarder le tee-shirt de plus près, tu laisses échapper un soupir de soulagement à ses paroles. D'une part parce que tu as la confirmation que ce trou est totalement réparable – chose qui te paraissait évidente puisqu'on est pas non plus sur quelque chose d'extraordinaire mais sait-on jamais – D'autre part parce que tu comprends là que la jeune femme accepte de t'aider, et ce, sans même exiger une compensation financière. Une aubaine pour toi, et tandis qu'elle continue d'inspecter minutieusement ton vêtement, tu esquisses une légère grimace dépitée, à sa question. « Juste un idiot qui s'est dit que c'était ok de laisser un clou dépasser d'un mur... » Et il a juste suffit que tu passes un peu trop près du dit mur pour que ce terrible drame arrive. « Si je le croise, un jour... » Laissant ta phrase en suspens, tu serres les dents. Car, malheureusement, tu ne sais pas qui c'est et tout ce que tu peux faire c'est espérer que la jeune femme ici présente parvienne à rendre à ton pauvre tee-shirt sa gloire d'antan.

Ceci étant dit, t'es pas tellement inquiète en ce qui concerne ce dernier point. Et pour cause, la jeune femme semble vraiment savoir ce qu'elle fait et c'est donc sans hésitation aucune que tu hoches la tête, quand elle te demande de retirer ton vêtement. Évidemment, tu ne le fais pas là, à la vue de tous. Car t'as beau n'avoir aucun problème avec la nudité en général, t'as pas envie que tout le monde sache quelle marque de soutif tu portes. T'emparant donc de ce tee-shirt qu'elle te tend, tu l'observes un court instant et tes lèvres s'étirent en un fin sourire. « Je pense que ça devrait aller... Je te remercie ! » Prenant ensuite le direction de ce rideau qu'elle t'a indiqué, tu enlèves ton tee-shirt pour revêtir celui que la jeune femme t'a prêté, et tu reviens finalement vers elle pour qu'elle puisse s'occuper de ton vêtement. T'appuyant ensuite sur la table vide, à côté de la sienne, tu la regardes s'installer devant sa machine à coudre et ta main vient légèrement caresser la manche du tee-shirt que tu portes. « Le tissu est super doux... C'est quelle matière ? » D'ailleurs, en plus d'être super doux, tu constates que le vêtement, bien qu'il ne soit pas terminé, est plutôt bien fait. Ce qui ne peut que te rassurer quant aux compétences de la jeune femme. « Au fait, moi c'est Da Young ! » Un peu en retard, les présentations. Mais mieux vaut tard que jamais, comme on dit...

Un clou qui dépassait du mur ? Tu ne peux pas t'empêcher d'hausser un sourcil, le regard interrogateur, en essayant d'imaginer comment un clou dans un mur a pu faire un tel dégât... elle longeait le mur ? Tu ne juges pas, hein, juste... tu essaies de comprendre. C'est ton défaut, tu aimes bien comprendre les choses, savoir comment ça fonctionne...

Tu la regardes revenir de la petite cabine d'essayage DIY montée dans un coin, admirant malgré toi ton œuvre sur elle. Ton oeil acéré remarque immédiatement quelques retouches à faire, en plus de tes ourlets à finir, et la pièce sera absolument parfaite ! Attrapant le vêtement qu'elle te tend, tu vient le poser délicatement sur ton espace de travail, lissant le tissu pour mieux voir les dégâts. Tu relèves brièvement les yeux à sa question, souriant franchement en la voyant toucher la manche.  « C'est un jersey satiné ! tu réponds avec enthousiasme. Pas évident à travailler parce que c'est assez glissant, mais le rendu est si beau... » Tu parlerais volontiers des heures durant des multiples qualité de ce tissu et de toutes les utilisations que tu as déjà pu en faire, mais là tu as quelque chose de plus urgent sur le feu.

« Oh, enchantée Dayoung ! Moi c'est Yujeong. » Tu déplaces ta lampe pour mieux éclairer le trou, te penchant sur l'ouvrage. Lui faisant signe d'approcher, tu prépares ce que tu as à dire, essayant de rendre ça le plus simple possible. Tu as tendance à t'emporter quand tu parles de couture, et de perdre les gens avec le jargon technique. « Alors, il y a deux solutions ! Comme le trou est au milieu du tissu, si je rapproche les bords ça fera une petite pince, ce serait discret mais de près ça se verra. Ou sinon... » Tu fouilles dans ton tas de projets en cours pour en tirer un petit vêtement que tu avais fait pour Eunji, et dans lequel tu avais malencontreusement fait un trou en utilisant ton découds-vite avec un peu trop d'entrain. Pour le réparer, tu avais simplement créé un ourlet autour de la déchirure et cousu un patch de tissu décoré derrière, ce qui donnait l'impression d'une déchirure volontaire faisant découvrir un autre motif en-dessous. Tu lui montres le vêtement en expliquant rapidement l'effet que tu as voulu donner. « Sinon on peut pimper la déchirure de cette manière et rendre ton tshirt absolument unique. » Mais ça signifie aussi "perdre" l'objet d'origine, ce qui est parfois dur à accepter.

Tu commences déjà à rassembler le matériel dont tu auras besoin, fil, cannette, aiguille adaptée au tissu, pendant qu'elle pèse les deux alternatives. « Alors ? Que fait-on ? » Tu joues avec tes épingles en attendant sa réponse, prête à te mettre au travail et à faire usage de ta magie.

Devoir demander de l'aide aux autres, tu n'as jamais trop aimé ça, Da Young. Par fierté – un peu mal placée - en premier lieu. Car, pour toi, être amenée à demander de l'aide à quelqu'un c'est reconnaître que tu n'es pas capable. Que tu es incompétente. Impuissante... Mais il y a aussi ce sentiment persistant et complètement con de devoir quelque chose aux autres, lorsque ces derniers te rendent un service aussi petit soit-il. Et te sentir redevable envers quelqu'un, tu détestes ça. Oh que oui, tu détestes ça... Sauf que là, il s'agit d'une urgence d'ordre urgentissime. Tu ne peux tout simplement pas te pointer en cours avec un énorme trou dans ton tee-shirt. Tu n'as donc pas d'autre choix que de t'en remettre à quelqu'un d'autre, cette fois.

Et, pour le coup, tu ne regrettes pas – pour l'instant, tout du moins - d'être tombée sur cette Yu Jeong. En plus de s'être montrée compréhensive, elle a l'air de savoir ce qu'elle fait, en témoigne ce sublime petit haut qu'elle t'a prêté et dont tu ne peux t'empêcher de caresser le tissu, encore et encore. Pour autant, tu ne veux pas non plus aller trop vite en besogne et t'as besoin de voir le résultat avant de pouvoir officiellement la désigner comme ta grande sauveuse. Ta marraine la bonne fée. Te redressant d'ailleurs de cette table sur laquelle tu étais appuyée jusque là, tu t'approches de la jeune femme quand elle te fait signe de venir voir, le front légèrement froncé quand elle t'énumère les différentes options pour réparer ton vêtement, et une petite étincelle traverse ton regard quand tu entends les mots « pimper » et « unique ». « Hm, ouais, c'est pas mal... » que tu laisses alors échapper, en observant le petit modèle qu'elle te montre. Tu n'y avais pas pensé, bien trop focalisée sur l'idée de réparer à tout prix ton vêtement, mais une customisation de ce dernier te semble maintenant bien plus intéressante qu'une « simple » réparation. « La seconde option me plaît plutôt bien ! » finis-tu alors par t'exclamer, toute sourire. Toi qui adores chiner dans les friperies, à la recherche de vêtements uniques, tu en auras un nouveau à ajouter à ta collection. D'ailleurs, à peine as-tu fait part à la jeune femme de ton choix que celle-ci s'attelle aussitôt à la tâche, et de nouveau tu viens te poser sur la table d'à côté, histoire de lui laisser un peu d'espace. « Et sinon, Yu Jeong, parle moi un peu de toi ! » Loin de toi l'envie de la déranger, mais le temps risque d'être un peu long si tu dois juste attendre, là, en silence. Alors, autant faire la conversation... « Ça fait longtemps que tu crées des vêtements ? D'où t'es venue cette envie d'habiller les gens ? »