Si on te demandait, tu ne saurais même pas dire où commence ton histoire. Tu pourrais facilement dire qu'elle commence quand tu découvres la guitare à dix ans et que la musique devient ta passion et, en partie, ton monde. Oui, tu pourrais facilement dire que c'est là que tu es devenu un autre, une entité plus grande que toi, quelque chose de plus qu'un simple humain. C'était la sensation que te donnaient ces moments où tu grattais les cordes, d'abord maladroitement et avec de plus en plus d'expérience et un style bien à toi. Mais au fond, tu sais que ce n'est pas là que tout a commencé pour toi. C'est bien plus tard. C'est lorsque tu l'as rencontré, elle. Tu avais quel âge ? Tu n'es plus très sûr, dix sept ans, peut-être dix huit, elle était un tout petit plus âgé que toi mais ça n'a pas empêché le coup de foudre. Tu l'aimais même plus que la musique et c'est peu dire. Vous aviez ça en commun, la musique. Toi tu l'exprimais par les cordes et elle par sa voix. C'était parfait sur tous les plans. Vous vous entendiez si bien, humainement, sexuellement, musicalement. C'était pour toi, l'amour parfait, l'amour de ta vie.

Votre duo musical a vu arriver une bassiste (sa cousine) et un batteur (ton pote de lycée) et là aussi c'était parfait. Votre groupe a enchaîné les performances dans les petits bars et puis on vous a repéré et les salles sont devenues plus grandes, des Cds sont sortis, des « zepp » ont vu leurs scènes foulées par vos pieds. Tu es même certain que quelque part dans une vieille réserve poussiéreuse des t-shirts avec le nom de votre groupe sont en train de se faire bouffer par les mites. C'était parfait.

Au milieu de tout ça, ta fille est née. Tu avais tout juste 20 ans, tu n’étais pas prêt, vous ne l’étiez pas. Vous n’aviez pas le temps, vous n’aviez pas envie d’avoir le temps. Ta fille est allée chez tes parents, la vie de rockstar ne convient pas à un nourrisson. Vous aimiez votre fille mais vous n’aviez pas le temps de le lui montrer, de vous en occuper. Elle était bien en province auprès de tes parents, vous envoyiez des photos, des vidéos et de l’argent surtout pour qu’elle ne manque de rien. C’était normal pour vous, parfait, vous la voyiez peu mais lorsque vous passiez du temps ensemble ce n’était que vous de bonnes choses, de beaux souvenirs.

Quand tu penses à cette époque, quand tu penses à cette femme, vous étiez les Bonny & Clyde de la musique, des rebelles, inarrêtables. Le jour l'amour et le sexe, le soir la musique. Bordel qu'est-ce que tu l'aimais, qu'est ce que tu aimais cette vie.

Et puis, elle a arrêté de t'aimer mais vous étiez liés par un contrat. Presque tous les jours tu jouais aux côtés de celle que tu aimais et tu la voyais en aimer d'autres... Tu ne sais plus trop comment ça s'est enchaîné, un engrenage stupide, un verre, puis deux, le lendemain un de plus à ceux-là et ainsi de suite... Tu as sombré dans l'alcool et tu t'amusais à arroser ça d'opiacés. Ça permet de tenir, tu as presque eu l'impression de pouvoir vivre comme ça. Mais tu dois être réaliste, la moitié des concerts et événements que tu as fait dans cet état, tu n'en as aucun souvenir. Les groupies que tu ramenais dans ton lit, tu ne te souviens pas de leurs visages. Tu ne te souviens même pas de leurs noms, non, ça, tu ne le leur demandais même pas. Tu sais aussi qu’il n’y a pas eu que des femmes mais tout est flou dans ce tourbillon d’alcool, d’opium et de luxure. Dans un sens, ce n'était pas toi qui les intéressait non plus. C’était des groupies qui voulaient l’icône, la rock-star pas le vrai toi. Si ils ou elles sentaient l'alcool sur tes lèvres, tu n’as eu le droit à aucune remarque, après tout, ça fait partie du lot rockstar. Et si tu étais décevant au lit, là non plus tu n’as eu aucun commentaire, l'important c'était d'y avoir été pas vraiment ce qui s'y était passé.

Mais le corps finit par avoir des limites, le tien a lâché après un concert, trop d'alcool, trop de substances, pas vraiment une o.d mais pas un simple malaise. Il était clair qu’il fallait te sevrer. La fin du contrat et la fin du groupe ont été salvateurs dans un sens. Elle a pris son envol et toi tu es rentré en désintox. C'était dur parce qu'il n'y avait plus rien pour faire taire les voix dans ta tête et tes démons, t'as été obligé de les écouter. Heureusement le centre t'a permis d'avoir quelqu'un qui les écoutait avec toi, tes démons, tes peurs, tes névroses, il y avait des choses à écouter, des choses à prendre et des choses à jeter. T'as appris à être lucide, appris à faire le tri et surtout appris à prendre soin de toi. Ton esprit, ton corps, t'as compris que jusqu'au bout c'était ce qu'il fallait préserver. Tu t'es mis au sport et au cours de ta cure, tu t'es mis à la méditation. Quand tu es sorti de l’établissement spécialisé, tu étais en quête de toi, en quête de spiritualité aussi. Mais tu n’es pas parti n'importe où, t'es un vieux fou qui est parti au Népal pour te retirer dans un monastère bouddhiste pendant des mois. Les moines t'ont sauvé la vie. Après des années à exister en tant qu'icône, en tant qu'amant, tu apprenais enfin à exister en tant que toi. Tu faisais connaissance avec toi-même et tu as appris à apprécier celui que tu étais.

La jeunesse pense que passer trente ans, on est des adultes, construits, qu'on sait où on va. T'as 37 piges et ça fait que quelques années que t'as l'impression de savoir qui tu es et de pouvoir affronter le monde. Tu es retourné chez tes parents, pas pour y vivre, mais pour apprendre à connaître ta fille. Il était temps d’être responsable. Tu as rencontré une adolescente et tout ce que ça sous-entend. Tu vois en elle les erreurs que tu as commises mais les espoirs qu’elle a. Ca fait quelques années maintenant que vous vivez ensemble, que tu en as la garde exclusive et que vous formez une famille mais des fois, tu as l’impression que vous apprenez encore à vous connaître. Avec elle, avec la vie, tu réalises tous les jours qu’on n’est jamais trop vieux ou jamais trop jeune pour apprendre à se découvrir.


☍ La musique reste une passion, pas un jour ne passe sans qu’il ne joue de la guitare mais ce n'est plus une corvée aujourd'hui, il a retrouvé le plaisir d'être musicien. D’ailleurs, son nom reste connu dans le monde de la musique et il lui arrive de composer des chansons pour certains artistes qui le contactent. Il y prend plaisir et les royalties ne sont qu’un bonus à cette passion qu’il s’est réapproprié

☍ Au Népal, il a renoué avec la passion qu’il avait tout petit, le dessin, il a toujours été doué et même quand il était trop occupé par le groupe, il continuait de griffonner. D'ailleurs, c'était lui qui dessinait toutes les pochettes d'albums

☍ Le statut des tatoueur en Corée est compliqué et il ne peut pas avoir son propre salon à cause de son visa. Mais ça lui va, son boss est très sympa et il commence à avoir une petite renommée, ils y trouvent tous les deux leur compte

☍ Son style de dessin est purement asiatique, avec une grande influence du style japonais qu'on collerait aux yakuza. Il est fier de ses origines et il aime l'encrer sur le corps des gens. Si on lui demande un tatouage de lapin, il le fait, mais il aime y glisser une référence à sa culture

☍ Il est complètement abstinent pour l’alcool, les opiacés et même la cigarette. Il refuse souvent les anti-douleurs, dommage il souffre souvent des maux de tête. Il a plutôt tendance à aller vers des médecines alternatives pour soigner les “petits bobos”, du type médecine chinoise. Il adore les remèdes de grand-mère comme on dit

☍ Devenu végétarien, il n’impose pas forcément ce style à sa fille ou à ses proches. Il aime et respecte beaucoup les animaux. Ils ont d’ailleurs recueilli deux chatons l’hiver dernier, incapables de les laisser dans le froid de la rue. Autant dire que les boules de poils vivent maintenant comme des dieux