Il y avait peu d'endroit dans lesquels Ra El se sentait mieux qu'à la bibliothèque. Des rayons entiers dont les étagères fourmillaient de connaissance. Un silence quasiment religieux qui semblait si épais que même les bruits de la ville ne parvenaient pas à troubler la quiétude du lieu. L'odeur des livres qui chatouillaient pour qui leur prêtait attention. C'était véritablement l'endroit idéal pour ceux qui, comme Ra El, fuyaient les relations humaines autant qu'ils le pouvaient. Elle ne nourrissait pourtant aucun grief à l'encontre de l'humanité, simplement elle n'avait jamais été particulièrement à l'aise avec les interactions sociales. Du moins, quand celles-ci n'étaient pas nécessaires.

L'air un peu absent, la jeune fille parcourait les rayonnages, les yeux rivés sur les titres qui défilaient. Elle ne savait plus vraiment ce qu'elle cherchait mais finirait bien par s'en souvenir lorsqu'elle le trouverait. De temps à autre elle s'arrêtait pour saisir le dos de l'un des bouquins et en lire la quatrième de couverture avant de le reposer ; inutile de lui demander de quoi parlait l'ouvrage. Dans cet état de semi-conscience cependant, les catastrophes sont promptes à se produire.

D'abord vint l'obstacle dans le coin de l'oeil. Ce moment où l'on tourne la tête pour voir ce qui vient. Puis, en même temps que son regard s'écarquille vient les calculs désespérés pour éviter la collision. On envisage de reculer son pied et de faire un quart de tour de cheville pour laisser passer l'autre mais avant même que l'on ait pu mettre en place sa stratégie (qui n'aurait de toute façon fonctionné qu'à condition d'avoir un équilibre irréprochable) vient l'impact. C'est le moment où les prières se mettent en route car, tout à coup, on se souvient que l'on est à quelques cm seulement d'une étagère remplie de livres et que ceux-ci n'auront pas la possibilité d'esquiver. Bien évidemment, c'est toujours le moment où le Destin, farceur au possible, s'en mêle ; car après tout, il aurait été possible d'éviter la catastrophe si l'on s'était contenté de tomber sur ses fesses. Un ego blessé, ça ne concerne qu'une seule personne, et peut vite se cacher sous le tapis. Néanmoins, aux yeux du grand Manitou, il est bien plus drôle que la personne heurtée finisse sa course dans les bouquins, un juron étouffé par le bruit des ouvrages qui se jettent du haut de leurs étagères alors que Ra El, elle, eut tout juste le temps de mettre ses bras au dessus de sa tête pour éviter de poursuivre ce récit à l'hôpital.

Tu avais besoin de trouver un bouquin pour l’un de tes cours, quelque chose qui concernait une recherche importante sur le calcul de trajectoire de Uranus dans le Système Solaire. Bien qu’il était totalement possible pour toi de faire cette recherche sur internet aujourd’hui, tu aimais bien consulter ce qu’un ouvrage pouvait te donner sur le passé des uns et des autres. Alors, comme à ton habitude, tu venais fouiller tous les endroits possibles et imaginable pour trouver cette fameuse trouvaille dont tu avais besoin pour ta prochaine leçon, histoire de prendre quelques données, de ne pas oublier de noter la référence et tu pouvais rentrer chez toi pour continuer à travailler. Tu ne faisais pas vraiment attention à ton entourage, tu étais dans ta petite bulle qu’on pouvait te reprocher de temps à autre, peut-être parce que tu étais trop timide pour te fondre dans la masse, les coins étaient beaucoup plus accueillants. Enfin, dans ce genre de circonstances, il faudrait mieux que tu lèves la tête et que tu te rendes compte des personnes autour de toi. Surtout cette personne que tu venais de bousculer sans t’en rendre compte, bien que ton cerveau avait fait le lien avec l’endroit où tu te trouvais. Adieu le silence de cette bibliothèque universitaire, bienvenue au bruit de ses nombreux livres qui venaient de te tomber sur la tête en même temps que ton fessier contre le sol. Un juron bien british venait de sortir de tes lèvres pendant que tu essayais de mettre tes mains sur ta tête pour éviter le plus de dégâts. Catastrophique quand tu voyais le résultat de ta bousculade et tes yeux qui voulaient sortir de leur orbite en voyant la scène. Comment allais-tu raconter ça à l’une des bibliothécaires présentes alors que tu avais fini par bien sympathiser avec certaines d’entre elles ? Bon, bien que ton cas était important, c’était aussi la personne que tu venais de bousculer qui devait tout autant l’être, parce qu’elle venait de prendre la déferlante sur la tête aussi. « Est-ce… est-ce que ça va ? », tu la regardais pendant un instant, bien embarrassé de faire une rencontre dans ce genre de circonstances. En attendant, tu commençais déjà à prendre les livres qui étaient tombés, en regardant les côtes pour les mettre dans l’ordre afin de faciliter la tâche des bibliothécaires qui allaient arriver sur les lieux du crime.

Ra El était de ces gens qui n'aimaient pas se faire remarquer pour de mauvaises raisons. De celles et ceux qui avaient l'embarras facile. Or l'embarras ne faisait jamais cavalier seul ; il était constamment accompagné de Joues Rouges et Bégaiement. Deux acolytes dont Ra El se serait bien passée alors qu'elle était actuellement assise au milieu d'une avalanche de livres, les bras toujours suspendus au dessus de sa tête, l'air un peu perdu. Une part d'elle-même refusait de voir qu'elle était réellement en train de vivre cette situation. Pourtant, elle allait bien devoir accepter la réalité telle qu'elle était. Ou trouver une solution pour se téléporter loin des conséquences de ses actions. Néanmoins, même si telle solution existait, elle n'était pas du genre à fuir. Elle avait toujours été bien davantage du genre à baisser les yeux et à s'excuser autant de fois qu'il le faudrait.

Les mots de l'inconnu aidèrent à la ramener dans l'instant présent. « Oh hum oui, je crois ? » en tout cas, il ne lui semblait pas être blessée. Suivant son exemple, elle se mit également à ramasser les bouquins éparpillés au sol, comme ranimée par la soudaine réalisation « Je s-suis vraiment désolée » marmonna-t-elle à mesure que sa tête rentrait dans ses épaules « Je euh je ne faisais pas attention à hm à où j'allais » de cela, il s'en sera sûrement rendu compte. Néanmoins, l'idée que le tort pouvait être partagé n'effleura même pas la jeune fille qui observait la pile de livres qui commençait à se former dans ses bras « Tu penses qu'on ... qu'on devrait ... enfin, essayer de les ranger ? » l'interrogea-t-elle en jetant un coup d'oeil autour d'eux comme si elle s'apprêtait à voir la bibliothécaire de Monster Academy débarquer d'un instant à l'autre « Ou les rapporter aux bibliothécaires ? Histoire de ... bah de ne pas faire de bêtises ? » en tout cas, davantage de bêtises. En l'occurence elle réfléchissait surtout à donner le moins de travail possible aux gardiens et gardiennes du lieu, quitte à se proposer pour ranger une fois qu'on lui aurait expliqué le système de classification.

Tu n’avais pas l’intention de faire la discussion avec la jeune fille, pas contre elle bien sûr, tu étais juste trop stressé par la situation et trop timide envers une personne inconnue pour savoir de quoi parler avec elle pour ne pas rendre la situation encore plus maladroite. Alors, dès qu’elle t’avait fait comprendre que tout allait bien pour elle, tu n’avais pas attendu longtemps avant de commencer à prendre les livres pour essayer de voir les cotes qui étaient mises par les bibliothécaires afin de faire en sorte de ne pas te tromper. Toi qui avais pour habitude de passer ton nez entre les bouquins, tu avais fini par regarder comment tout était classé. Alors, quand la jeune femme à côté de toi venait à te demander si c’était une bonne idée de ranger, tu regardais le livre entre tes mains avant de te pincer les lèvres. « On peut toujours tenter de ranger, puis on pourra aller les voir pour leur dire que l'on a fait une bêtise et que l'on a essayé de ranger pour leur éviter de se casser le dos à cause de nous. », parce que le métier de bibliothécaire n’était pas facile, surtout pour le dos ! Puis, tu étais persuadé qu’iels allaient venir dans ma longtemps. Ainsi, tu n’allais pas tout laisser comme ça et venir les voir la queue entre les jambes comme un chiot qui a fait une bêtise. « Puis, c’est un peu comme la Dewey. Enfin, c’est la version coréenne de la Dewey qui est utilisé, je crois. C’est une classification comme une autre, puis cette rangée est dans le même thème, faut juste les ranger par la cote et le nom d’auteur, pouf, c'est fini ! », tu avais déjà commencé à le faire de ton côté en vérifiant bien les numéros qui pouvaient être marqués, histoire de ne pas faire de bêtises jusqu’au bout non plus.

Tu avais déjà commencé à en placer sur l’étagère tranquillement, bien que tu aies le doute dans ce que tu pouvais être en train de faire, c’était déjà du boulot en moins pour les personnes travaillant ici. Tu savais que ce n’était pas facile de devoir reprendre toutes les bêtises qui pouvaient être faites dans une bibliothèque, alors s’iels n’avaient qu’à remettre quelques livres dans le bon ordre et pas à tout ramasser, c’était le mieux ! En tout cas, tu étais bien fier d’avoir lu quelques articles sur Dewey, ça pouvait servir.

Faire preuve d'initiative. C'était souvent une qualité mise en avant dans une société qui en attendait toujours davantage de ses membres. Au fil des ans, Ra El avait développé cette capacité de manière remarquable. Du moins, tant qu'elle ne prenait aucun risque. C'était de la prise d'initiative de poule mouillée mais généralement, ça faisait illusion. Alors quand l'inconnu parlait de ranger pour protéger le dos des bibliothécaires, certes Ra El comprenait et approuvait l'intention ... néanmoins le risque de se tromper et de leur donner deux fois plus de travail était conséquent. Pas vraiment le temps de tergiverser pourtant, puisque le garçon avait déjà commencé sa besogne. Puis, il semblait plus renseigné qu'elle. Il entama des explications qui laissèrent l'étudiante un peu perplexe. Dewey. Elle était à peu près persuadée qu'elle ne parlait pas du personnage de la série Malcolm. Ce dernier, bien qu'iconique, n'avait sans doute pas donné son nom à un système de classement. L'autre Dewey qu'elle connaissait, c'était John Dewey, psychologue et philosophe américain. Les théories de ce dernier avait intrigué Ra El qui avait fini par se renseigner sur le pragmatisme et l'instrumentalisme. Cependant, il n'avait été, à aucun moment, mention de rangement de livres dans ses pensées. Aussi décida-t-elle de faire ce qu'il y avait de plus simple à faire : imiter l'inconnu qui avait déjà commencé à ranger les livres.

Quelques ouvrages dans les bras, elle se mit en quête de compréhension, jetant parfois quelques regards vers son homologue masculin avant de reposer son attention sur les lettres et les chiffres qui ornaient les dos des livres. D'un geste hésitant, elle tendit un bouquin vers l'une des étagères avant de le ramener contre sa poitrine. Ce petit manège se reproduisit à trois reprises avant qu'elle ne se retourne vers l'étudiant, l'air parfaitement désolée "Sinon, moi je ramasse, je te les tends, et toi tu les ranges ?" En plus, comme ça, il préserverait son dos et elle, elle éviterait de faire des cauchemars en s'imaginant mal ranger une bibliothèque. C'était du gagnant-gagnant non ?

Spoiler:

Tu voulais rapidement fuir la situation, même si la fille à côté de toi avait l’air d’être gentille, tu n’avais pas l’habitude de rester trop longtemps avec quelqu’un dans une situation comme celle-ci. Tu aurais dû regarder devant toi à la place d’avoir la tête dans les étoiles ! Tu laissais échapper un soupir face à ton manque de courage et de cette timidité qui prenait toujours le dessus sur toi. Tu expliquais Dewey à la jeune femme, mais tu avais plus l’air de la perdre qu’autre chose, peut-être que tu devrais lui dire d’aller prévenir les bibliothécaires pendant que tu commençais à ranger ? Enfin, toi, tu continuais à faire ce que tu pensais bien faire avant de l’observer hésiter à plusieurs reprises sur le placement d’un livre par rapport à un autre. Tu la regardais avoir des ouvrages dans les bras et tu regardais ce qu’elle faisait avant de replacer l’un d’entre eux au bon endroit, souriant timidement pour lui dire que ce n’était pas grave pour l’erreur qu’elle avait bien pu faire. Puis, quand la voix de la jeune femme se fit entendre, tu tournais la tête vers elle avant de voir qu’elle n’était si convaincue que ça. « Oui, on peut aussi faire ça sans problème, ça pourrait même aller plus vite vu que je connais un peu mieux ! », tu étais content qu’elle se soit trouvée un nouveau rôle dans cette mission qui pouvait lui correspondre un peu mieux.

Tu prenais alors chacun des livres qu’elle pouvait te donner, en espérant que tu ne te trompes pas malgré tout. Tu regardais alors la moitié de ce que vous avez déjà fait, heureux de votre travail. « On avance bien je trouve, tu penses pas ? », tu essayais malgré tout de garder ta voix assez basse pour pas déranger encore plus les personnes qui étaient venues ici pour travailler. Tu étais même étonné que les bibliothécaires ne soient pas encore là. « Oh tiens, quelqu’un n’a même pas regardé l’endroit avant de ranger celui-ci, on le donnera aux bibliothécaires quand on aura fini ! », tu posais le livre en question à côté de toi.